Le voyage du Pape en Égypte d’avril 2017 participe de la recomposition du Moyen-Orient. L’Égypte a souvent été la clef de voûte de cette région et le fer-de-lance de la modernité. Que ce pays soit devenu gangréné par l’islamisme et subisse une tentative de main mise du wahhabisme saoudien est plus qu’inquiétant pour l’équilibre de la Méditerranée. Quelles sont les dynamiques à l’œuvre ?
« UNE VISITE pastorale, œcuménique et interreligieuse », ainsi est présenté par la salle de presse du Saint-Siège le voyage du pape François en Égypte les 28 et 29 avril 2017. Pastorale, parce qu’il rend d’abord visite aux catholiques de ce pays. Œcuménique, parce qu’il entend affermir les liens avec les Coptes orthodoxes. Interreligieuse, car la visite vise à dialoguer et à s’entendre avec le recteur de la mosquée Al-Azhar.
Toutefois, cette visite vise bien plus : il s’agit de bâtir la paix. Mais pour cela le Pape ne dispose ni de la puissance militaire ni de la puissance économique, par conséquent son action semble dérisoire face à l’État islamique (EI) et aux djihadistes. Néanmoins, depuis que le Saint-Siège, avec Jean-Paul II, a joué un rôle déterminant dans la chute du communisme en Europe de l’Est (1989-1991), les observateurs internationaux prennent davantage au sérieux cette puissance qui ne repose pas sur les attributs classiques de la puissance. Pour ce faire, le Pape fait usage de la profondeur historique, du réseau ecclésial et du réalisme diplomatique, à quoi il ajoute un usage consommé de la force des symboles [1]. Visite religieuse donc, et on ne saurait la comprendre en évacuant cette dimension, mais également visite éminemment politique. Comment le Pape peut-il défendre et établir la paix alors qu’il ne possède ni armée ni puissance économique ? En agissant d’abord sur l’unité de l’œkoumène [2] méditerranéen (la profondeur historique), puis en prônant le dialogue et en construisant des ponts avec l’islam (le réalisme diplomatique), enfin en maniant les mots, les gestes et les objets (la force des symboles) pour donner un poids majeur à cette visite essentielle.
Déchirées dès les premiers siècles de leur histoire, les communautés chrétiennes ont compris, à partir des années 1880, qu’il était essentiel de se retrouver et de s’unir. Les guerres mondiales et les exterminations causées par les idéologies athées ont rendu cette union encore plus impérieuse. Le concile Vatican II a accéléré ce processus, puis l’action des papes successifs. François se positionne délibérément dans cette voie, achevant les avancées de Jean-Paul II (1978-2005) et de Benoît XVI (2005-2013). L’œcuménisme n’est pas une stratégie mais une nécessité : les chrétiens ont compris l’importance d’être unis pour délivrer un message crédible aux personnes sans religion et à celles des autres religions. L’œcuménisme n’est pas non plus un syncrétisme ou une fusion, mais une démarche où chacun avance dans un approfondissement de sa foi. Là sont les conditions de l’unité, maintes fois répétées par les textes pontificaux.
Les Coptes sont les Égyptiens d’origine, descendants des temps pharaoniques. Leur langue est de l’égyptien modernisé et le terme « copte » est dérivé du terme « Egyptien ». C’est eux qui ont été occupés par les Arabes à partir de 642 et de la prise d’Alexandrie. Certains Coptes se sont convertis à l’islam quand d’autres sont restés chrétiens. Les Coptes chrétiens sont divisés en deux branches : les Coptes catholiques et les Coptes orthodoxes. Les premiers reconnaissent le pape de Rome et la théologie de l’Église catholique. Les seconds ont rompu avec Rome. Ils sont différents des orthodoxes bien que le terme employé soit le même. Alors que le schisme entre catholiques et orthodoxes est officiel depuis 1054, les Coptes d’Égypte ont rompu avec Rome en 451 lors du concile de Chalcédoine. Ils sont donc monophysites, c’est-à-dire qu’ils pensent que le Christ n’a qu’une seule nature.
L’Égypte antique a joué un rôle essentiel dans la naissance du christianisme et sa construction intellectuelle. Évangélisée par saint Marc dès 48, elle compte d’éminents théologiens, comme Origène, Clément, Cyrille et Athanase. C’est encore en Égypte qu’est né le monachisme, avec les pères du désert Antoine, Pacôme et Macaire qui ont ensuite inspiré saint Benoît de Nursie. Si les chrétiens d’Égypte pèsent peu quant au nombre, leur poids est grand au regard de l’histoire.
L’Égypte compte aujourd’hui environ 10,3 millions de chrétiens, dont 10 millions d’orthodoxes et 300 000 catholiques. Les Coptes catholiques ne représentent que 0,3% de la population totale du pays, mais leur implication est grande dans le domaine social, notamment dans le scolaire et la santé. Ils gèrent ainsi 317 écoles et 79 collèges et lycées, ainsi que 170 écoles francophones. Des établissements qui, pour la plupart, sont tenus par des religieux et qui sont ouverts à tous. Ils comptabilisent ainsi 65% d’élèves musulmans [3]. À cela s’ajoutent 15 hôpitaux et 51 orphelinats.
Ces œuvres sociales contribuent à faire l’unité des chrétiens de même que le dialogue théologique constant depuis cinquante ans. En mai 1973, le Pape Chnouda III a rendu visite au pape Paul VI. C’était la première fois qu’un patriarche copte rendait visite au souverain pontife. Cette rencontre s’est conclue par la déclaration du 10 mai 1973 où les deux parties ont aplani leurs différences et se sont engagées dans un dialogue sincère. En février 1988, un accord a été trouvé sur une formule commune concernant le mystère de l’incarnation, mettant ainsi un terme au schisme ouvert par le concile de Chalcédoine. Enfin, le 28 avril 2017, François et Tawadros II ont signé une déclaration commune dans laquelle ils reconnaissent la validité des deux baptêmes. C’est-à-dire qu’une personne baptisée copte orthodoxe qui souhaite devenir copte catholique n’a plus besoin d’être de nouveau baptisée, et vice-versa. Cela confirme donc l’union des deux églises.
François mène un pontificat résolument géopolitique en œuvrant pour l’unité de la Méditerranée. Henri Pirenne (1862-1935) expliquait que cette unité romaine avait été brisée par la conquête de la rive sud par les Arabes, séparant le nord chrétien du sud musulman. Depuis Paul VI, les papes n’ont de cesse de restaurer l’unité des Latins et des Grecs, cherchant ainsi à effacer l’antique rupture culturelle consommée par la division de Dioclétien. C’est bien cet œkoumène méditerranéen qui est en jeu et dont la réunification se fait par les rencontres : avec le patriarche de Moscou à Cuba (2016), avec le patriarche d’Athènes à Lesbos (2016), et désormais en Égypte où, outre le pape des coptes, était présent le patriarche de Constantinople. Unité de la Méditerranée aussi par les rencontres avec les autorités musulmanes. En cela, François est fidèle à sa ligne maintes fois répétée : bâtir des ponts et non des murs. Le message de la rencontre est la rencontre elle-même, non le discours prononcé à l’issue de celle-ci.
Certes, le Pape vient d’abord rencontrer les catholiques d’Égypte, mais les relations avec l’islam sont bien évidemment l’un des enjeux majeurs de cette visite des 28 et 29 avril 2017. Il s’agit d’éviter toute confrontation et tous propos qui pourraient être mal interprétés. La diplomatie pontificale a encore en mémoire le traumatisme de Ratisbonne (2006) où une phrase de Benoît XVI sortie de son contexte et déformée avait donné lieu à des attaques contre les chrétiens et des morts en Afrique [4]. Après l’attentat du 31 décembre 2010 contre une église d’Alexandrie, Benoît XVI avait demandé aux autorités égyptiennes que les chrétiens soient davantage protégés. Protestant contre cette demande du Pape, la mosquée Al-Azhar avait alors rompu ses liens avec le Saint-Siège. Liens qui ont été rétablis en mai 2016 par la visite du grand imam au Vatican. C’est dans ce contexte tendu où les attentats se multiplient en Égypte et où l’État islamique intervient de plus en plus, grâce aux financements de l’Arabie Saoudite, qu’intervient la visite de François. Celle-ci a été rendue possible d’une part par la volonté du président Al-Sissi de réchauffer les liens avec l’Occident et de combattre les islamistes et d’autre part par la politique d’Al-Azhar d’opposition à l’EI. Le Pape est donc intervenu à Al-Azhar lors de la conférence de la paix que celle-ci a organisée. S’exprimant devant un aréopage de dignitaires musulmans on comprend que son discours soit sensible et attendu.
Le but à atteindre est la cohabitation des deux confessions et la cessation des attentats à l’égard des Coptes en Égypte et des autres chrétiens en Irak et en Syrie.
Dans ce discours, il n’a pas prononcé les mots d’islam, d’islamisme ou de djihadisme. On l’attendait sur la paix et la violence or il a essentiellement parlé d’éducation et d’intégration de la jeunesse : « Il n’y aura pas de paix sans une éducation adéquate des jeunes générations. Et il n’y aura pas une éducation adéquate pour les jeunes d’aujourd’hui si la formation offerte ne correspond pas bien à la nature de l’homme, en tant qu’être ouvert et relationnel. » C’était ainsi éviter les conflits potentiels et placer le sujet sur un thème essentiel : celui de l’éducation de la jeunesse afin de lui éviter d’être happée par les islamistes. C’était aussi lancer un appel pour le développement de la raison et de la rationalité, qui doivent marcher avec la foi, et pour le dialogue avec les personnes des autres cultures et des autres peuples :
« L’unique alternative à la civilisation de la rencontre, c’est la barbarie de la confrontation, il n’y en a pas d’autre. Et pour s’opposer vraiment à la barbarie de celui qui souffle sur la haine et incite à la violence, il faut accompagner et faire mûrir des générations qui répondent à la logique incendiaire du mal par la croissance patiente du bien : des jeunes qui, comme des arbres bien plantés, sont enracinés dans le terrain de l’histoire et, grandissant vers le Haut et à côté des autres, transforment chaque jour l’air pollué de la haine en oxygène de la fraternité. »
Ici, le Pape témoigne de sa confiance dans les uns et les autres pour que ceux-ci apprennent à vivre ensemble et évitent la confrontation violente. Ni le Pape ni le Conseil pour le dialogue interreligieux ne parlent de conversion des musulmans : là n’est pas l’objectif recherché. Le but à atteindre est la cohabitation des deux confessions et la cessation des attentats à l’égard des Coptes en Égypte et des autres chrétiens en Irak et en Syrie.
La stratégie mise au point face à l’islam rappelle celle qui avait été adoptée à l’égard du communisme : d’une part, pas de confrontation directe et dialogue entre les chefs d’État et les autorités officielles, mais, d’autre part, rappel de la profondeur historique des peuples et du respect des libertés fondamentales.
En évitant la confrontation et en dialoguant entre autorités, on limite les occasions de frictions et on apprend à mieux connaître l’autre. En rappelant l’histoire des peuples et en défendant la liberté religieuse, l’islam est poussé dans ses contradictions internes comme autrefois le communisme. Les djihadistes estiment que l’histoire du monde commence avec Mahomet et que tout ce qui a eu lieu avant est à effacer, d’où la destruction des bouddhas de Bamiyan (Afghanistan), de la ville de Palmyre (Syrie) et l’attentat contre le musée du Prado (Tunisie). En interdisant la liberté religieuse et la conversion des musulmans au christianisme, ils maintiennent un climat de terreur et évitent le délitement de leur foi. Les communistes opéraient de même en défendant la dialectique marxiste de l’histoire et le passage de l’ombre à la lumière grâce à la Révolution de 1917 et en interdisant toute liberté et tout débat démocratique dans les démocraties populaires. Jean-Paul II n’a eu de cesse de valoriser l’histoire des pays d’Europe de l’Est et de rappeler leurs racines chrétiennes et de soutenir les mouvements de liberté, dont Solidarnosc (Pologne). Les dirigeants communistes ne pouvaient pas se présenter comme les défenseurs du peuple et dans le même temps interdire à ce peuple de constituer des syndicats libres et de demander des élections ouvertes. Ce sont ces contradictions internes poussées à bout qui ont contribué à son implosion. Il existe une continuité diplomatique des derniers papes à ce sujet, cette fois à propos de l’islam.
Les Coptes sont le peuple d’origine de l’Égypte, descendants des temps pharaoniques et devenus minoritaires suite à l’invasion de l’Égypte par les Arabes. François a plusieurs fois rappelé cette continuité historique :
« Depuis l’Antiquité, la société apparue sur les rives du Nil a été synonyme de civilisation : en Égypte, la lumière de la connaissance s’est hissée très haut, en faisant germer un patrimoine culturel inestimable, fait de sagesse et de talent, d’acquisitions mathématiques et astronomiques, de formes admirables d’architecture et d’art figuratif [5]. »
Ces références valorisent les Coptes, mais aussi tous les Égyptiens fidèles au mouvement de Nasser (1918-1970), qui aimait se voir comme un descendant des Pharaons. C’est faire vibrer la corde nationaliste et ainsi contrecarrer les projets impérialistes des djihadistes. Le Pape a également rappelé le passé grec et ptolémaïque de l’Égypte ainsi que la venue de Jésus fuyant la persécution d’Hérode. Il a évoqué les multiples alliances conclues sur le sol égyptien, dont celle qui a été fixée au Sinaï, sans toutefois mentionner le nom de Moïse afin d’éviter toute friction.
« Des croyances diverses se sont croisées et des cultures variées se sont mélangées, sans se confondre, mais en reconnaissant l’importance de l’alliance pour le bien commun. Des alliances de ce genre sont plus que jamais urgentes aujourd’hui. En en parlant, je voudrais utiliser comme symbole le ‘‘Mont de l’Alliance’’ qui se dresse sur cette terre. Le Sinaï nous rappelle avant tout qu’une authentique alliance sur cette terre ne peut se passer du Ciel, que l’humanité ne peut se proposer de jouir de la paix en excluant Dieu de l’horizon, ni ne peut gravir la montagne pour s’emparer de Dieu [6]. »
Rappeler cette profondeur historique, c’est rappeler que les Coptes ont toute légitimité pour habiter sur cette terre qui est la leur, et donc qu’ils doivent être protégés et non pas chassés.
À chaque rencontre avec des autorités musulmanes, le Pape et les membres de la diplomatie du Saint-Siège insistent sur le nécessaire respect de la liberté religieuse. Cela inclut la liberté pour les chrétiens de pratiquer leur culte ainsi que d’ouvrir des écoles et de diffuser des livres chrétiens. Mais cela inclut aussi pour les musulmans la liberté de changer de religion et de se convertir au christianisme. Une liberté qui n’est absolument pas reconnue et un acte qui est passible de mort. Défendre la liberté religieuse c’est mettre les chefs musulmans en face de contradictions. Ils ne peuvent pas officiellement dire qu’ils sont contre, car ce faisant ils s’opposeraient aux traités internationaux et à l’esprit même de l’ordre mondial actuel fait de tolérance, d’ouverture et de respect des consciences individuelles. Mais s’ils disent, à l’extérieur, qu’ils sont pour, alors ils sont en contradiction avec leurs pratiques internes où cette liberté n’est pas permise. Du reste, si la liberté religieuse était accordée cela constituerait un tel bouleversement politique et intellectuel qu’il est fort possible que les régimes religieux n’y survivraient pas, de la même façon que les régimes communistes ont été emportés par la liberté politique et intellectuelle.
Or cette liberté est loin d’être gagnée, notamment en Égypte. Le pays est travaillé par les Frères musulmans [7] qui sont largement subventionnés par l’Arabie Saoudite. L’État islamique a une branche en Égypte et les islamistes gangrènent de plus en plus les esprits. En 2011, c’est bien un islamiste, M. Morsi, qui a gagné les élections présidentielles, avant d’être renversé par un coup d’État militaire en juillet 2013. Précédemment, le référendum de décembre 2012 avait entériné la nouvelle constitution à une large majorité. Or celle-ci intègre la charia comme base juridique de l’Égypte, permettant ainsi une islamisation intensive de la justice. Al-Sissi n’a pas abrogé ces articles même si, pour l’instant, ceux-ci sont appliqués sur un mode mineur. Cette évolution est conforme à l’islamisation croissante de la société, façonnée par l’idéologie wahhabite. Le Pew Research Center a effectué plusieurs sondages dans les pays musulmans qui révèlent que l’Égypte est le pays le plus enclin au radicalisme :
. 95% voudraient que les conflits en matière de famille et de propriété soient tranchés par des juges religieux.
. 86% sont favorables à la peine de mort pour ceux qui abandonnent l’islam .
. 81% sont en faveur de la lapidation de celui qui se rend coupable d’adultère.
. 75% de la population égyptienne considère que la charia est la parole de Dieu révélée.
. 75% voudraient que la charia s’applique non seulement aux musulmans, mais également aux non-musulmans.
. 74% souhaitent que la charia devienne la loi de l’État.
. 70% sont en faveur de châtiments corporels pour punir des crimes comme le vol. [8]
On le voit, il n’est pas vain de défendre la liberté. Pour cela il y a les mots bien sûr et les paroles, mais aussi les symboles, tout aussi puissants et importants.
C’est une des critiques couramment entendues après la rencontre entre le Pape François et le patriarche de Moscou à Cuba en 2016 : ce n’est qu’un symbole. Certes, la charge symbolique était très forte, mais incapable de régler l’ensemble des différends ni de parvenir à une pleine unité. Mais cette diplomatie du symbole est revendiquée par la diplomatie pontificale. Quand on ne possède ni puissance militaire ni puissance économique, la puissance culturelle et historique est la seule qui reste. Or, sur ce plan-là, le Pape est inégalé. À Alexandrie, ville d’Alexandre le Grand, de Ptolémée, de Cléopâtre et de Pompée, ce sont ainsi rencontrés les successeurs de Pierre, d’André et de Marc. C’était une première et c’était une charge symbolique de grande importance : les deux frères Pierre et André et Marc, compagnons de voyage de Pierre et de Paul, martyrisé à Alexandrie. Alors que François ne cesse de parler de « guerre mondiale par morceaux » le symbole de leur réunion témoigne de leur volonté de faire la paix en unissant les morceaux séparés.
Les lieux sont également des symboles très forts, d’où le choix des villes et des bâtiments visités. Alexandrie, ville des patriarches et de l’époque grecque, Le Caire, capitale du pays certes, mais surtout ville des Pyramides et donc des Pharaons et la mosquée Al-Azhar, haut lieu de l’islam sunnite. Dans les voyages pontificaux, les lieux ne sont jamais choisis par hasard, mais en fonction de leur dimension spirituelle et historique. Le pape François a ajouté une nouveauté à son pontificat : il a demandé à visiter des lieux et des pays où les autres papes n’étaient pas encore allés, façon de montrer en acte son attention aux périphéries. D’où ce voyage en Égypte, alors que de nombreux pays chrétiens historiques n’ont pas encore été visités, dont la France, et alors qu’il ne s’est pas encore rendu en Argentine, son pays. François s’est beaucoup plus rendu en Orient au sens de l’Empire romain (Grèce, Égypte, Palestine, Turquie, Sarajevo) qu’en Occident. Là aussi, la force des symboles. Enfin, l’Égypte est également le pays où s’est rendu saint François d’Assise, rendant visite au sultan Malik al Kamil. Le Pape mettant ses pas dans ceux du Poverello le geste est là aussi éminemment symbolique.
Les gestes accompagnent également toute une diplomatie du symbole. Geste des accolades et des baisers de paix avec les patriarches orthodoxes et le mufti de la mosquée d’Al-Azhar. Geste des mots quand le Pape commence ses discours par la salutation traditionnelle arabe « Al Salamò Alaikum » ou quand il porte une croix copte autour de son cou lors de la rencontre avec Tawadros II. De même quand il rencontre des victimes des attentats et des réfugiés de toutes religions. Il manifeste ainsi sa volonté constante de bâtir des ponts, d’être ce souverain pontife qui relie les hommes entre eux avant de les relier à Dieu. Des symboles semés qui peuvent paraître futile aux yeux du monde, de la guerre et des déstabilisations profondes du Moyen-Orient, mais ce sont les armes essentielles de la papauté et, dans le passé, cela a eu plusieurs fois des effets positifs. La force de la diplomatie pontificale, c’est qu’elle est prise au sérieux et que les symboles semés ont un message qui porte.
Le voyage du Pape en Égypte participe de la recomposition actuelle du Moyen-Orient. L’Égypte a souvent été la clef de voûte de cette région et le fer-de-lance de la modernité : arrivée de Napoléon, période d’ouverture à l’Europe au XIXe siècle, premier État indépendant, souffle nationaliste nassérien. Que ce pays soit aujourd’hui gangréné par l’islamisme et subisse une tentative de main mise du wahhabisme saoudien est plus qu’inquiétant pour l’équilibre de la Méditerranée. Al-Sissi est bien décidé à déraciner ce mal et pour cela il lui est nécessaire de s’appuyer sur les Coptes qui sont très influents à la fois dans les œuvres sociales et dans le monde intellectuel et culturel. Le Pape François est donc l’un de ses alliés objectifs. Ce dernier évoque régulièrement l’œcuménisme du sang, en faisant référence aux nombreux chrétiens de toutes obédiences tués lors des attentats. Le sang des martyrs est désormais la semence de l’unité ; unité des chrétiens entre eux et des chrétiens avec les musulmans modérés. Unité d’un monde méditerranéen que le Pape ne cesse de parcourir et d’un Occident et d’un Orient qui pourraient enfin se retrouver.
Copyright Mai 2017-Noé/Diploweb.com
[1] Jean-Baptiste Noé, « Géopolitique du Vatican. La puissance de l’influence », Paris, Puf, 2015.
[2] NDLR : œkoumène, l’ensemble des terres habitées en permanence par les hommes.
[3] Chiffres fournis par l’œuvre d’Orient.
[4] Christophe Dickès, « Relire Ratisbonne aujourd’hui et donner raison à Benoît XVI », Outre-Terre, 2015/4 (N° 45), p. 225-234.
[5] Pape François, « Discours à la Conférence internationale pour la paix », Al-Azhar, 28 avril 2017.
[6] Pape François, « Discours à la Conférence internationale pour la paix », Al-Azhar, 28 avril 2017.
[7] NDLR : Cf. Amir Chérif, "Histoire secrète des Frères musulmans", Paris, Ellipses, 2015.
[8] Pew Research Center, The World’s Muslisms : Religion, Politics and Society, “Chapter 1 : Beliefs about Sharia”, p. 41, Washington, avril 2013.
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le dimanche 10 novembre 2024 |