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Le yuan / renminbi, reflet de la volonté de puissance de la Chine ou des ambiguïtés de son économie ?

Par Michel NAZET, le 31 août 2016  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Michel Nazet, spécialiste de géopolitique, est diplômé en histoire-géographie, droit et sciences politiques (IEP Paris).Professeur honoraire en classes préparatoires économiques et commerciales au lycée Saint-Michel-de-Picpus à Paris.

La montée en puissance de la Chine et son désir de remettre en cause l’actuel système monétaire international ont conduit à une internationalisation progressive du yuan. Les 4 et 5 septembre 2016, la Chine reçoit les chefs d’Etat et de gouvernement du G20. En octobre 2016, la monnaie chinoise devrait intégrer officiellement les droits de tirages spéciaux (DTS) du Fonds Monétaire international (FMI). Il est donc temps de comprendre en quoi le yuan /renminbi est un reflet de la montée en puissance chinoise.

LE yuan est une unité de compte alors que le renminbi (« la monnaie du peuple ») est la monnaie scripturale de la Chine, à l’exception de Hongkong (dollar de Hongkong) et de Macao (pataca). Si son statut a incontestablement changé au cours de ces dernières années, avec en point d’orgue son inclusion récente [1] dans les droits de tirages spéciaux (DTS) du Fonds Monétaire International (FMI), dans quelle mesure l’actuel ralentissement de l’économie chinoise lui permet-il de devenir une monnaie majeure, alors même que l’actuelle gestion de sa monnaie pourrait bien conduire la Chine à monter sur un véritable « tapis roulant pour l’enfer » [2] ? Autrement dit, le fort volontarisme affiché par la Chine dans le domaine monétaire est-il conciliable avec la rationalité économique ?

L’examen des faits montre que si la montée en puissance de la Chine et son désir de remettre en cause l’ordre établi de l’actuel système monétaire international ont bien conduit à une internationalisation progressive du yuan, cette dernière, qui comporte encore d’importantes lacunes, pourrait s’avérer porteuse de dangers dont les autorités de la République populaire de Chine sont effectivement conscientes au point d’adopter une démarche finalement précautionneuse.

La montée en puissance de la Chine comme son désir de rééquilibrage de l’ordre de Bretton Woods ont contribué à une internationalisation du yuan qui est appelée à se poursuivre

La volonté de puissance chinoise s’est accompagnée d’une plus grande flexibilité de sa monnaie

La Chine, devenue non seulement la 2e économie mondiale mais le 1er exportateur et le 1er détenteur de réserves en devises, a désormais un poids de premier plan dans l’économie mondiale qu’elle juge sous-estimée dans les institutions monétaires et financières [3] héritées de Bretton Woods (1944) qui font la part belle aux États-Unis… Elle estime également que le rôle du dollar est excessif dans les échanges internationaux et fait peser des menaces sur les autres puissances, comme la crise des subprimes (2007) en a fait la démonstration à ses dépens… Pour toutes ces raisons ainsi que pour des raisons de prestige, le PCC rêve ouvertement depuis 10 ans de voir le yuan détrôner le dollar, ambition confortée par la volonté de Xi Jinping d’apparaître comme une puissance à parité avec les États-Unis.

Le yuan qui fonctionnait initialement selon un système de currency board [4] a gagné en flexibilité. Alors qu’avant 1995, deux monnaies différentes (le renminbi et le Foreign Exchange Certificate) étaient utilisées dans un système de parité fixe, ce système a été remplacé le 21 juillet 2005 par une indexation à un panier de monnaies (actuellement 13 devises) où figurent les principales devises de la planète (très majoritairement le dollar) puis, depuis le 12 août 2015, par un nouveau système de fixation du taux journalier du yuan [5] selon lequel la Banque populaire de Chine fixe désormais chaque matin un taux de change en fonction du cours de clôture établi la veille (« taux flottant géré ») qui peut évoluer de + ou -2 % dans la journée…

La remarquable internationalisation du yuan devrait se poursuivre

Le tournant date de 2010 lorsque Hongkong est devenu un marché off shore où l’on peut échanger de la monnaie chinoise pour y réaliser des transactions commerciales et lorsque toutes les entreprises qualifiées pour pratiquer le commerce international ont pu effectuer les règlements de leurs exportations transfrontalières en yuans. Résultat, dans un contexte où la Chine fait 50 % de son commerce international avec l’Asie, le yuan est devenu de fait une monnaie de règlement entre la Chine et l’ASEAN ainsi qu’une composante des réserves des banques centrales de la zone, autorisant l’émergence d’une zone yuan en Asie… qui s’est étendue aux autres émergents (Brésil, Russie), faisant du yuan, selon la société Swift [6], la cinquième monnaie de facturation au monde. Ce mouvement ne peut que se poursuivre dans la mesure où une large part des prêts consentis par la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), créée en 2015, le seront en monnaie chinoise.

De façon complémentaire, la Chine a passé de nombreux accords de Swap [7] avec près de 35 pays pour un montant de plus de 3 000 Md en dollars (2015) et il existe des banques de compensation dans plus de 15 pays en Asie du Sud-Est (Taïwan, Japon, Indonésie), en Europe de l’Ouest (France, Royaume-Uni, Suisse), en Russie, au Moyen-Orient, en Amérique (Canada) ou en Afrique (Afrique du Sud). Enfin, plusieurs émissions d’obligations en yuan (Dim sum bonds [8]) ont été levées, d’abord à Hong Kong (McDonald’s, Caterpillar, CDB…) en 2010 et, depuis 2014, au Royaume-Uni et en France. Il existe enfin la possibilité d’échanger (2014) des yuans contre des euros sans passer par le dollar pour 15 banques dont 9 Chinoises, 6 banques étrangères dont 3 Françaises (BNP, Société Générale, Crédit Agricole). De façon plus curieuse, en 2016 la monnaie chinoise deviendra l’une des monnaies officielles du Zimbabwe alors que 7 pays africains, dont le Nigeria, l’ont déjà adoptée comme monnaie de réserve et qu’une vingtaine l’acceptent comme monnaie de règlement pour les transactions bilatérales.

Malgré tout, le yuan ne remplit qu’imparfaitement le rôle d’une monnaie internationale alors que le pays connaît un ralentissement économique problématique

Le yuan ne remplit qu’imparfaitement les qualités attendues d’une monnaie internationale

Au-delà des aspects techniques [9], le statut de devise internationale, comme les précédents de la livre sterling et du dollar en ont fait la démonstration depuis le XIXe siècle, s’acquiert avec le temps. Ainsi et pour rappel, il a fallu plusieurs décennies pour qu’au XXe siècle la monnaie de la première puissance mondiale devienne la devise internationale de référence, au gré de crises et de deux réorganisations monétaires de grande ampleur (Gênes en 1922 et Bretton Woods en 1944) suite à deux guerres mondiales.

Il ne se décrète pas non plus mais repose sur une confiance acquise par la stabilité politique et monétaire du pays, son poids dans l’économie mondiale, l’existence d’un marché, d’un système bancaire et de marchés des capitaux performants… et bien sûr la convertibilité de la monnaie.

La Chine ne remplit qu’imparfaitement ces fonctions. D’abord parce que la part du yuan dans les opérations de change mondiales est infinitésimale et ne représente actuellement que 2,5 % des transactions internationales contre 3 % pour le yen, 29 % pour l’euro, 43 % pour le dollar. Ce dernier qui a un monopole de fait pour la facturation des matières premières représente aujourd’hui 61,5 % des placements des banques centrales quand l’euro plafonne à 26, 3 %, la livre sterling à 4 %, le yen à 3,8 %…

De même le système financier chinois, en dépit de la taille de ses banques (les 4ères mondiales) ou de la capitalisation de ses bourses (Hong Kong et Shanghai connectées depuis 2014 sont respectivement aux 6e et 7e rang mondial), est actuellement inadapté aux besoins d’une économie globale dans la mesure où il reste piloté par l’État-parti et insuffisamment internationalisé malgré des efforts récents… Résultat, les encours d’obligations internationales sont à l’heure actuelle surtout libellés en euros (10 000 Md de dollars), en dollars (7 600 Md), alors que celles en yuan dont les émissions sont surtout localisées à Hong Kong sont de l’ordre de 50 Md.

Le yuan, enfin, dont le taux de change est administré dans un pays où les mouvements de capitaux sont théoriquement contrôlés car soumis à quotas et à autorisation préalable, n’est pas une devise convertible en dehors de Hongkong… sinon dans la zone franche de Pudong à Shanghai qui rencontre actuellement de sérieuses difficultés liées à la lutte anti-corruption conduite par le régime.

Un contexte économique qui semble peu propice à une libéralisation monétaire et financière

Dans un contexte de net ralentissement de la croissance économique (6,9 % affichés, peut-être la moitié) la Chine, prise au piège des pays à revenu intermédiaire, se trouve dans l’obligation de changer de modèle économique en se tournant vers son marché intérieur tout en améliorant sa compétitivité. Ce faisant, outre les risques politiques, les enjeux économiques sont loin d’être négligeables. Le pays dont l’endettement devient problématique doit régler le problème des State owned entreprises (SOE) qui empilent des actifs non rentables et des crédits douteux… De même, après la dévaluation surprise du yen (une stratégie uniquement défensive) en août 2015 qui a vu le yuan perdre près de 4,5 %, les investisseurs anticipent que ce mouvement se poursuivra, provoquant des sorties massives de capitaux (entre 463 et 627 Md de dollars en 2015)… En effet, selon les fonds spéculatifs, le yuan serait surévalué de 30 à 50 %. Si la crédibilité de la politique de change n’est pas restaurée, le risque est grand d’une dévaluation massive et incontrôlée du yuan… Le phénomène pourrait avoir par ailleurs des effets ravageurs : attaques contre les monnaies des pays émergents les plus faibles, dévaluations en cascade, violent décrochage des bourses comme au cours de l’été 2015 (plus de 43 % en moins de 3 mois) avant de se redresser légèrement…

Une internationalisation trop précoce présente aussi nombre d’aspects dangereux dont le pouvoir ne peut que tenir compte

Des précédents avec la descente aux enfers japonaise et la crise asiatique de 1997…

La Chine d’aujourd’hui se trouve, après avoir retenu les leçons du succès japonais des années 1955-1989, dans une situation comparable à celle de ce pays au milieu des années 1980 avec une épargne abondante, une devise sous-évaluée, une forte croissance tirée par l’investissement et les exportations ainsi que par le rôle moteur d’un « triangle de fer » comprenant l’État, l’administration, les entreprises.

Le Japon de l’époque fut, sous pression internationale, conduit à la fois à libéraliser ses marchés financiers après 1984, à réévaluer sa monnaie lors de la seconde Endaka en 1985, à réorienter sa production vers son marché intérieur dans le cadre du rapport Maekawa (1986) tout en délocalisant ses productions à valeur ajoutée vers le Sud-Est asiatique et en accélérant sur son territoire sa montée en gamme technologique… Ce cocktail permit certes l’émergence du Japon comme puissance financière mondiale mais ouvrit aussi la voie à une spéculation boursière et immobilière à l’origine d’un krach au tournant des années 1989-1990 et d’une période de très faible croissance dont il n’est pas véritablement sorti aujourd’hui.

Guère plus encourageante, la crise asiatique de 1997 propose à la Chine un risque alternatif au précédent. La crise asiatique fut en effet provoquée par une libéralisation de leur économie, par un rattachement de fait au dollar ainsi que par l’ouverture des marchés financiers de la zone sur pression américaine et du FMI [10]. Dans un contexte d’endettement du secteur privé, de surinvestissement d’un taux de change irréaliste, elle conduisit dans un premier temps à une surévaluation des monnaies locales, puis, aux premiers signes de ralentissement, à une fuite des capitaux qui entraîna, au moins de façon provisoire, l’effondrement de toute l’économie réelle, banques et entreprises, avec pour corollaire une remontée de la misère dans toute la zone affectée.

Des leçons qui inspirent à la Chine une démarche finalement prudente

Une libéralisation complète des mouvements de capitaux paraît peu probable à court terme. La Chine a accru les possibilités d’investissement des étrangers mais hésite fortement à autoriser les sorties de capitaux. Les épargnants chinois détiendraient en effet près de deux années de PIB en dépôts bancaires… et la suppression des contrôles des capitaux conduirait certainement à des sorties massives de capitaux, les épargnants domestiques recherchant à l’étranger des rendements plus élevés sur des marchés financiers plus sophistiqués que les leurs.

L’impossibilité de supprimer les contrôles des capitaux, donc de rendre la devise chinoise convertible, lui interdit pour l’instant de devenir une monnaie de réserve… ce qui, selon Zhou Xiaochuan, le directeur de la Banque centrale de Chine, prendra « un temps considérable »… et pour nombre d’experts au moins une dizaine d’années.

Le fait que le yuan remplace le dollar, y compris à ce dernier horizon, ne semble d’ailleurs pas non plus la véritable vision des dirigeants chinois qui, depuis 2009, semblent souhaiter [11] que ce soient les DTS qui remplissent à terme le rôle de monnaie internationale en lieu et place du dollar, d’où une certaine logique à ce qu’ils y participent désormais…

La convertibilité du yuan, un plan mûrement réfléchi et méthodiquement exécuté

Au total, le yuan a, comme l’économie chinoise, connu de remarquables mutations ces dernières années.

En 2016, le yuan est effectivement devenu une monnaie internationale mais à la convertibilité limitée en raison de la permanence d’un contrôle des sorties de capitaux qui s’accompagne d’une faible flexibilité de son taux de change, d’ailleurs manipulé par les autorités monétaires.

Il reste toutefois encore loin de remplir toutes les conditions pour devenir la monnaie internationale de référence alors que la Chine est bien consciente des problèmes que cela pourrait entraîner pour elle à l’instar du précédent japonais des années 1980 et de la crise asiatique de 1997-1998.

Dès lors, il ne faut pas trop prendre au sérieux les rodomontades de Congrès du PCC [12], au mieux des propos à visée interne en appui au « rêve chinois », ni non plus les craintes occidentales [13] selon lesquelles le yuan pourrait dans un avenir proche supplanter le dollar.

Dans ce domaine au moins, la démarche de Deng Xiaoping selon laquelle la Chine doit avancer « petit pas par petit pas » reste d’actualité : la convertibilité du compte de capital chinois [14] n’est ainsi programmée en 2020, dans le cadre du 13e plan, que « pour l’essentiel ».

Copyright Août 2016-Nazet/Diploweb.com


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[1Avec le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen.

[2Cf. Jim Chanos, Welcome to China’s Dangerous Year, Barron’s, 29/12/2015.

[3Après la levée du blocage au Congrès américain en novembre 2015, la part des droits de vote de la Chine au FMI, avec 6, 4 %, devrait quasiment doubler, mais les Etats-Unis conservent toujours avec 16,5 % des voix une capacité de blocage de l’institution.

[4La parité de la monnaie gérée par la banque centrale est strictement fixe par rapport à une monnaie de référence.

[5Si la monnaie est unique, le yuan a des taux de change différents selon le lieu où il est négocié : onshore (CNY), offshore (CNH).

[6La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication ( SWIFT ), qui a pour adhérents les plus grosses banques mondiales, fournit des services diversifiés : transferts de compte à compte, opérations sur devises ou sur titres, recouvrements…

[7Echange de devises entre banques centrales.

[8« Petits raviolis », un plat typique de la cuisine cantonaise.

[9Une monnaie internationale qui permet de libeller les émissions de valeurs mobilières internationales est aussi un moyen de facturation et de règlement des ventes et des achats internationaux. Elle alimente surtout les réserves des banques centrales qui leur permettent de payer les importations et la charge de la dette, de gérer le taux de change.

[10Cf Joseph Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, 2002.

[11-Cf. Zhou Xiaochuan, Reform the international monetary system, BIS Review 41/2009,

[12-Pour une vue chinoise et optimiste de la question, cf. Yifan Ding, La Chine promeut sa monnaie sur les marchés mondiaux, Le Monde diplomatique, juillet 2015

[13- Cf. Antoine Brunet, La stratégie conquérante de Pékin, Géoéconomie 69, 2014/2

[14-Il comprend les investissements de capital et mouvements de capitaux des résidents


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