A lire pour ne pas commémorer idiot.
Alors que le 20e anniversaire de la "révolution roumaine" de décembre 1989 se profile, présentation du livre de Catherine Durandin avec la collaboration de Guy Hoedts, La mort des Ceausescu. La vérité sur un coup d’état communiste, Paris, Bourin, 2009.
LA genèse des révolutions, toujours entourée de mystère, donne lieu à d’éternels débats entre les historiens, et les explications se croisent et se télescopent sans parvenir à créer un consensus car les calculs politiques traversent souvent les interprétations savantes et favorisent l’émergence de mythes, justification d’une vérité officielle. Complot pour les uns, soulèvement populaire pour d’autres, résultat d’un long cheminement intellectuel ou d’une conjoncture économique et sociale, ou le tout conjugué ; la révolution se lit à travers des grilles tantôt complémentaires, tantôt contradictoires. Mais il reste un invariant que l’on retrouve partout : sans la complicité de l’establishment, la révolution tourne court et se résume à des révoltes vite réprimées.
Catherine Durandin tente, dans un livre très bien documenté, de percer les mystères des évènements de décembre 1989 qui ont mis fin au règne brutal de Nicolae Ceausescu et de sa femme Elena, au cri répété d’ « A bas Ceausescu » et de « Liberté. » Le premier constat est difficilement récusable et se retrouve dans presque toutes les révolutions : le divorce idéologique entre celui qui détient l’autorité et sa garde rapprochée, d’un côté, et une fraction au moins des élites dont le soutien est indispensable à la durée du régime, de l’autre. En 1789, la même divergence avait provoqué en France la scission entre Louis XVI resté fidèle à une vision absolutiste de la monarchie et une assemblée, monarchique mais réfractaire aux contraintes qu’impose un régime fondé sur le droit divin, et l’irresponsabilité du souverain. La même fracture frappe en Roumanie les sommets de l’Etat. Tandis que les cadres du parti se sont laissé séduire par les initiatives gorbatcheviennes, Ceausescu reste attaché, de manière compulsive, à l’idéal stalinien. L’irritation, aggravée par des conditions économiques et sociales désastreuses, croît jusqu’à provoquer le soulèvement de la Roumanie du 17 au 25 décembre 1989, et la mise en place d’un nouveau gouvernement. L’impatience, la frustration de la génération des Petre Roman, maintenue en deçà de ses ambitions par la rigidité du système, porte la tension à son paroxysme. La perestroïka est tentante. Dans le même temps Occident et bloc soviétique, d’un même mouvement, désavouent publiquement un Ceausescu impavide que la même la chute du Mur de Berlin (9 novembre 89) n’ébranle pas. Déjà en novembre 1987, la « jacquerie industrielle » de Brasov, où les cris de « à bas Ceausescu » avaient retenti, n’avait obtenu d’autre réponse que la répression. Mais, plus grave, dès les premiers mois de 1989, une opposition s’esquisse au sein du parti communiste, des apparatchiks prennent, à l’égard de Ceausescu, une attitude redoutable. La « Lettre des Six », signée par d’anciens dirigeants, en mars 89, connaît un grand retentissement. Mais Ceausescu reste aveugle.
Les évènements de Timisoara (16-19 décembre 1989) voient des soldats se joindre aux manifestants. Les jours suivants à Bucarest, de grandes manifestations permettent l’invasion du siège du comité central et de la télévision. L’armée ne bouge pas et le chef de la Securitate demande à ses hommes de ne pas tirer sur les manifestants. Tandis que Ceausescu d’enfuit en hélicoptère, la confusion est totale. Des journaux se déclarent libres, le Front du Salut National et Iliescu sont rejoints par des éléments de la Securitate. Jugés expéditivement, Ceausescu et sa femme sont froidement exécutés (25 décembre 1989). Alors commencent les rivalités entre les partis « historiques » et le Front qui désormais se constitue en parti politique et forme avec ses rivaux d’hier un Conseil provisoire d’Union Nationale. Les élections de mai 1990 sont un succès pour le Front : Iliescu, 85%, législatives 66, 31%.
De la démonstration de Catherine Durandin, une conclusion semble s’imposer. Il est difficile de soutenir que décembre 1989 répond aux exigences d’une véritable révolution populaire bien qu’elle ait mobilisé ouvriers et étudiants. Peut-on pour autant parler de coup d’état communiste plus ou moins téléguidé par Moscou ? Le rôle joué par les dignitaires du parti, de l’armée, de la Securitate enlève au mouvement populaire beaucoup de sa spontanéité et la répartition des places jette un doute supplémentaire sur son caractère sauvage : la continuité des personnels à la tête des responsabilités, la promotion des dirigeants d’avant 1989, ceux là même qui avaient servi Ceausescu, semblent donner raison à Catherine Durandin qui soutient l’impossibilité, dans ces conditions, de parler de révolution. Une ambiguïté dont l’auteur de ce livre, écrit très allègrement, rend compte en puisant aux meilleures sources et aux témoignages de ceux qui ont vécu les évènements et les ont analysés. Face à la vulgate officielle, Catherine Durandin a écrit un livre décapant. Débats à suivre.
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Catherine Durandin est agrégée d’histoire, docteur ès lettres, professeur des universités, écrivain et romancière. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la Roumanie et aux relations transatlantiques, dont un ouvrage de référence Histoire des Roumains chez Fayard en 1995, traduit en plusieurs langues.
Guy Hoedts est chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).
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