L’intelligence économique en question(s)
Une analyse de la situation en France

Par Alain JUILLET, Jean-François DAGUZAN , le 14 juin 2009  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Haut responsable chargé de l’intelligence économique au Secrétariat général de la Défense nationale. Entretien réalisé par Jean-François DAGUZAN

L’intelligence économique est avant tout un état d’esprit. Cela suppose d’apprendre à travailler en réseau, d’être capable de se remettre en cause, de comprendre que nous entrons dans un monde où il n’y aura plus de situations acquises et de mettre en place un maillage d’intermédiaires pour fournir la synthèse des informations et les appuis qui leur seront utiles.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le diploweb.com est heureux de vous présenter un article publié dans la revue Sécurité globale, n°6, hiver 2008, pp. 11-18, Paris : Choiseul.

Sécurité Globale – Vous êtes haut responsable chargé de l’intelligence économique au Secrétariat général de la Défense nationale depuis 2003. Comment définiriez-vous votre travail ? L’intelligence économique (IE) a-t-elle évolué depuis votre prise de fonction ?

Alain Juillet – Ma mission était de mettre en place l’intelligence économique dans notre pays pour éviter que nos entreprises soient défavorisées dans la compétition mondiale et sur le territoire national. À cette fin, il fallait sensibiliser puis former nos concitoyens à cette approche tout en implantant un dispositif interministériel d’accompagnement et d’appui sur le plan légal, technique et administratif.

Aujourd’hui la première étape est très avancée. Nous sommes au début de la seconde qui consiste à amener les petites et moyennes entreprises à s’approprier la démarche car l’intelligence économique est avant tout un état d’esprit. Cela suppose de leur apprendre à travailler en réseau, d’être capable de se remettre en cause, de comprendre que nous entrons dans un monde où il n’y aura plus de situations acquises et de mettre en place un maillage d’intermédiaires pour leur fournir la synthèse des informations et les appuis qui leur seront utiles. Il reste à faire prendre conscience de l’importance du renseignement économique dans l’économie de la connaissance à l’heure où l’offre et la demande ne permettent plus de se créer un avantage concurrentiel durable.

S. G. – On oscille souvent, quand on entend parler d’IE, entre espionnage, paranoïa ou incrédulité, comment préciser le champ de cette fonction ?

A. J. – L’intelligence économique n’utilise que des moyens légaux pour acquérir des informations utiles car c’est largement suffisant dans le monde actuel, mais elle apprend aussi à se défendre contre ceux qui utilisent des moyens illégaux. Je crois que c’est de là que vient la confusion. La réalité c’est qu’il ne faut être ni naïf ni paranoïaque dans un monde concurrentiel où l’éthique n’est malheureusement pas la valeur la plus pratiquée.

La maîtrise du cycle de l’information est essentielle pour détecter les signaux faibles, identifier les tendances lourdes, anticiper les manœuvres des concurrents et décoder les actions d’influence. Compte tenu de l’agressivité croissante de la concurrence qui n’hésite pas à employer tous les moyens pour réussir, il faut mettre en place des moyens de protection sophistiqués car l’intelligence est partout. Dans ce sens, la crise financière a du bon car elle est en train de faire découvrir à nos concitoyens que des professions longtemps considérées comme respectables comptent un pourcentage significatif de voyous à tous les niveaux. Raison de plus pour apprendre à se protéger et à ne pas donner sa confiance à n’importe qui en gardant à l’esprit qu’on trouve partout des hommes et des femmes formidables qui se battent pour leurs entreprises en respectant les valeurs d’honneur, de solidarité et d’amour qui ont fait la force de notre civilisation.

S. G. – Vos fonctions vous confèrent des capacités d’observation de la mondialisation et d’action vis-à-vis de la compétitivité des nations. L’intelligence économique s’inscrit comme une nécessité pour parfaitement appréhender l’ensemble des nouvelles dynamiques compétitives. Quelles politiques publiques étrangères d’IE vous semblent pertinentes ? Comment voyez-vous l’évolution du dispositif hexagonal ?

A. J. – Il y a 17 ans, constatant ce qui se passait aux États-Unis, Henri Martre et Bernard Esambert avaient lancé le concept avec un rapport et la création d’un comité national. Malheureusement tout a été arrêté par un changement de politique et il a fallu attendre en 2002 le rapport de Bernard Carayon pour que le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, au plan national, et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, au plan territorial, lancent la mission d’intelligence économique. Il est clair que les Américains, les Anglais ou les Russes, sans oublier les Suédois sont très en avance par rapport à nous et que les Chinois mettent les bouchées doubles pour revenir dans le peloton de tête. Par contre, l’effort réalisé depuis 5 ans nous met en bonne position en Europe continentale mais rien n’est acquis. La concurrence est rude et certains hauts responsables du privé et du public n’ont toujours pas compris que c’était une nécessité vitale pour affronter les nouvelles dynamiques compétitives.

Nous aurons réussi quand le maillage territorial et le partenariat public-privé permettront à toutes les entreprises, quelles que soient leurs tailles, de disposer des bonnes informations en temps utile pour livrer bataille à armes égales avec leurs concurrents. C’est un objectif dans lequel tout le monde à un rôle : les ministères, les organisations territoriales et consulaires, les fédérations et associations professionnelles, les syndicats patronaux et ouvriers, sans oublier les médias, l’éducation nationale et les universités. Ce sera beaucoup plus complexe qu’on ne le croit car ceci suppose une véritable changement des mentalités. Nous sommes un pays colbertiste qui a érigé en dogme la séparation du monde de l’administration et du monde marchand, qui magnifie l’individualisme au détriment du travail en réseau et, oubliant Sun Tzu, rejette le renseignement dans la face noire du monde. Heureusement les choses commencent à bouger dans les textes et par la volonté politique venue d’en haut mais il reste à les faire passer dans les esprits et cela prendra du temps.

S. G. – En matière d’IE, les grands groupes français vous semblent-ils désormais aptes à rivaliser avec leurs concurrents étrangers ? Quels sont les points qui méritent encore d’être améliorés afin de les rendre capables de faire face aux menaces ?

A. J. – La plupart des groupes se sont dotés de services d’intelligence économique qui fonctionnent plus ou moins bien. On constate qu’il y a souvent une confusion entre la sécurité physique et technique, essentiellement défensive, et la pratique offensive de l’intelligence économique qui permet de décoder et d’anticiper les événements. Pour obtenir une efficacité maximale l’expérience étrangère montre que les dirigeants doivent être convaincus de l’utilité et de la richesse d’apports de la technique. Ils ne doivent pas hésiter à l’utiliser pour prendre les bonnes décisions et ne jamais oublier que l’information qu’ils reçoivent doit être brute, réelle et objective afin d’éviter toute déformation qui pourrait pénaliser la qualité de l’analyse décisionnelle stratégique. Pour cela ils doivent positionner l’activité près d’eux ou de leur secrétariat général c’est-à-dire hors de portée des fonctions opérationnelles.

Par ailleurs il faut que les responsables chargés de l’intelligence économique connaissent le monde de l’entreprise par expérience professionnelle ou par des formations spécialisées. Il faut être conscient que la connaissance du monde policier ou militaire sensibilise à la protection et à la sécurité, celle du monde du renseignement à la collecte d’informations et à l’analyse mais aucun des trois ne vous permet de connaître l’entreprise. Chacun sait que le parachutage d’un haut fonctionnaire à la tête d’une entreprise ou d’un patron dans l’administration représente un risque réel car, quelles que soient ses qualités, nul ne connaît sa capacité d’adaptation à un monde nouveau. De même, pour limiter le risque et optimiser l’exercice de la fonction, le responsable de l’intelligence économique doit savoir maîtriser la totalité des facettes de son activité. Dans le cas contraire, il risque de privilégier ceux qu’il connaît et d’accorder sa confiance à des consultants manquant d’expertise dans les domaines qu’il ne connaît pas.

S. G. – Quel rôle accru l’État peut-il jouer afin de mieux protéger les PME de hautes technologies ? Quels risques et menaces pèsent sur ce type d’entreprise ? Entre les risques managériaux, les risques technologiques, la cybercriminalité, les risques informationnels, quels sont ceux qui sont encore mal maîtrisés par les PME. Quelles sont les marges de manœuvre de l’État ?

A. J. – Il faut d’abord s’entendre sur la définition. La direction générale des entreprises publie un état des technologies clés actuelles et un groupe de travail interministériel a identifié 14 secteurs stratégiques. C’est en croisant les deux que nous identifions les PME de hautes technologies. Les services de l’État en ont la liste et nous avons une capacité de contact permanent avec elles au niveau régional. Il est clair qu’elles sont la cible de beaucoup de prédateurs pour des motifs variés et que nous n’avons pas vocation de répondre à tous leurs problèmes. Même s’il nous arrive de dire à un patron qu’il est manifestement défaillant et de lui conseiller de recruter un expert pour résoudre son problème nous n’avons pas à nous occuper des risques managériaux. Par contre, nous sommes dans notre rôle quand il s’agit de protection de ses technologies, des systèmes informationnels ou de la cybercriminalité. De même, c’est notre rôle, étant informé des difficultés financières d’une entreprise ou d’une volonté de reprise par une autre société, d’analyser la situation pour déterminer si elle justifie une aide à la recherche de financements ou l’accompagnement dans sa défense si l’attaquant ne présente pas toutes les garanties voulues.
En réalité nous sommes confrontés à trois types de problèmes. Nos chefs d’entreprises, qui sont souvent des ingénieurs brillants, font preuve d’une grande naïveté car ils croient que les mauvais coups sont réservés aux grandes entreprises. Le réveil est brutal et souvent trop tardif pour que l’on puisse les aider. C’est pourquoi, nous faisons un gros effort de sensibilisation par les services et les directions concernés de l’administration en liaison avec les chambres de commerce et d’industrie. La plupart de ces PME performantes souffrent de crises de financement durant la période comprise entre 2 et 5 ans après le début de l’exploitation car les banques ne leur prêtent pas à des conditions supportables. Ceci vient, contrairement à l’Angleterre et aux Etats-Unis où ils bénéficient d’incitations fiscales, du manque de fonds d’investissement en développement. Elles deviennent la proie rêvée de fonds venus d’ailleurs qui les rachètent pour les transférer partiellement ou progressivement. Les fonds que nous avions imaginés à cet effet, il y a 4 ans, n’ayant pas donné les résultats attendus nous comptons nous appuyer sur le fonds national d’investissement pour répondre à ce problème crucial.

S. G. – L’intelligence territoriale s’inscrit dans la volonté de mieux faire dialoguer les acteurs locaux et les différents tissus économiques. Où en sont les projets d’intelligence territoriale tels que développés via les pôles de compétitivité ? Quel bilan qualitatif peut-on faire à ce jour ?

A. J. – Dans le monde entier tous les spécialistes parlent avec intérêt de l’intelligence territoriale à la française. Même s’il reste beaucoup à faire on peut la considérer comme un succès dont le mérite revient essentiellement au ministère de l’Intérieur. Il a su mobiliser et convaincre la majeure partie de ses préfets de l’intérêt de la démarche puis de la mettre en place régionalement en liaison avec les collectivités territoriales, les trésoriers payeurs généraux en charge de la défense économique, les services de renseignements maintenant fusionnés, la gendarmerie et l’ensemble des administrations décentralisées, sans oublier les organisations consulaires qui font un travail remarquable.
Dans l’esprit de son concepteur, Michael Porter, le pôle de la compétitivité est la mise en œuvre du concept d’intelligence économique par la pratique du partage de l’information dans une structure en réseau. Compte tenu des résultats que chacun peut découvrir, c’est notre vitrine. Dans les pôles de compétitivité, la mission d’intelligence économique s’est impliquée, directement ou indirectement, à deux niveaux. Il a fallu, d’une part, mettre en place des règles de protection et de sécurité car une pareille concentration d’excellence attire l’intérêt d’une concurrence pouvant devenir beaucoup trop curieuse. D’autre part, intéresser puis encourager les entreprises des pôles à monter des équipes d’intelligence économique chargées de rechercher, de collecter et d’analyser les informations pour pouvoir les diffuser à tous les partenaires du pôle. Aujourd’hui, il faut continuer à les accompagner dans leur développement et leur progression.

S. G. – L’enseignement et la recherche en intelligence économique semblent marquer le pas. L’offre en matière d’enseignement est dense mais de niveau hétérogène et la recherche théorique ou appliquée ne trouve qu’un écho mesuré dans les grandes institutions académiques. Comment est-il possible d’encourager la recherche en IE, l’État doit-il « encadrer » l’offre de formation pour tendre vers davantage d’excellence ?

A. J. – Notre première réussite a été de faire réaliser par un groupe d’experts reconnus un référentiel de formation pour réduire l’hétérogénéité des programmes et concevoir une intelligence économique adaptée à nos spécificités nationales. Nous avons ensuite fait travailler des groupes sur les métiers de l’intelligence économique afin de mieux orienter les enseignements et de faciliter la spécialisation sur un des cinq grands chapitres du référentiel. Le problème tient aux formations elles-mêmes. La majorité des grandes écoles a désormais un module de taille variable en intelligence économique pour sensibiliser les étudiants et leur donner les clés suffisantes. Par contre, nous souffrons d’un excès de master de 3e cycle et d’une insuffisance de formations intermédiaires du type licences professionnelles. Il est temps de croiser les besoins des entreprises et de l’administration et le type de personnel formé en intelligence économique pour optimiser l’emploi.
Le problème posé par la recherche est complexe. L’intelligence économique étant transversale, elle n’est pas reconnue comme une spécialité or nos chercheurs comme nos universitaires sont notés dans leur spécialité. Par ailleurs contrairement aux engagements de Lisbonne notre pays n’investit pas suffisamment en recherche dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui sont au cœur de notre problématique. Mais les choses bougent tant au niveau du CNRS que des universités. Une école doctorale est en cours de création, une revue universitaire prête à publier les résultats des recherches et un laboratoire original utilisant les moyens techniques de l’intelligence économique devrait voir le jour dans les prochains mois.

S. G. – Est-il possible de concevoir une politique européenne d’intelligence économique, ou tout du moins, ne pourrait-on envisager des axes de collaboration sur des grands dossiers à l’instar de ce qui est pratiqué dans la communauté du renseignement ?

A. J. – Une politique européenne d’intelligence économique suppose qu’un certain nombre de pays soient d’un niveau proche pour pouvoir échanger et agir en commun comme cela se passe dans la communauté du renseignement. Ce n’est pas le cas aujourd’hui même si nous commençons à travailler avec d’autres pays d’Europe continentale. Il ne faut jamais oublier que si le concept d’intelligence économique est universel et unique son application exige une adaptation aux spécificités du pays qui l’utilise. Il y a de grandes différences entre la méthode suédoise qui va de bas en haut, la nôtre mélange de centralisation administrative et de décentralisation territoriale, et l’allemande dans laquelle chaque Länder est indépendant. Ceci ne nous empêche pas d’accompagner sa mise en place dans d’autres pays d’Europe et d’ailleurs car l’approche française, moins centralisée sur la concurrence et les affaires que celle pratiquée par les Anglo-Saxons, intéresse beaucoup de monde et permettra de construire un réseau d’échange dans lequel nous pourrons nous enrichir de nos différences.

Il est évident que l’Europe aurait tout intérêt à développer une politique d’intelligence économique pour aider les entreprises européennes ou transeuropéennes et pour partager les analyses et les informations qui la concernent. Mais ici comme au niveau national rien ne peut se faire sans une volonté politique qui est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que les industriels de chaque pays pensent qu’ils sont supérieurs aux autres et ne veulent pas partager. C’est pourquoi la première étape pourrait se construire autour de grandes entreprises comme Airbus ou de grands projets européens comme Iter dans des partenariats allant du bilatéral au multilatéral jusqu’au moment où naturellement se mettra en place une politique européenne dans ce domaine. C’est seulement à ce moment-là que nous aurons la capacité d’accompagner nos grands groupes face à leurs principaux concurrents qui sont déjà soutenus par la totalité des administrations de leurs États d’origine.

S. G. – Le discours sur le patriotisme économique vous semble-t-il adapté aux défis de la mondialisation ? Comment expliquer qu’il soit si mal perçu en France mais qu’il soit considéré comme légitime et cohérent aux Etats-Unis, en Chine, en Israël ou en Allemagne ?

A. J. – Je crois qu’il a été mal compris par suite d’une campagne des ultralibéraux qui l’ont perçu comme une attaque contre la liberté des échanges. Nous avions déjà connu cela, il y a 3 ans, quand le gouvernement a publié le décret sur le contrôle des investissements étrangers qu’on a tout de suite accusé d’être une pure mesure protectionniste. Aujourd’hui, après plus de 60 saisies sans aucun refus, ce décret se révèle un formidable moyen pour favoriser les investissements étrangers sous réserve qu’ils respectent un certain nombre de règles du jeu. Je n’ai d’ailleurs jamais vu dans le cadre des négociations un seul acheteur se plaindre. Quand on sait qu’avec 47,7 % du CAC 40 détenus par des capitaux étrangers nous sommes de loin le pays européen le plus ouvert aux investisseurs venus d’ailleurs, on voit le fossé idéologique entre la réalité et la vision de ceux qui prêchaient il y a encore quelques semaines que la régulation par les échanges suffisait pour gérer le marché financier.

Les Français ont une sorte de complexe qui les amène à considérer systématiquement que l’herbe est plus verte dans le champ du voisin alors que l’Américain, le Chinois ou l’Israélien à qualité égale donnera toujours un petit avantage à son propre champ. Le Buy american act de nos amis d’outre atlantique rappelle que si nous ne donnons pas un petit coup de pouce à la production locale ce sont les emplois qui disparaissent. Loin d’un protectionnisme larvé ou réel, le patriotisme économique ne consiste pas à acheter ou à imposer une solution française en empêchant la compétition mais de rappeler aux Français qu’à prix ou conditions égales il n’est pas déshonorant d’acheter français d’autant que cela aura un impact bénéfique pour notre économie, l’emploi et nos impôts.

S. G. – Vous avez également été directeur du renseignement à la DGSE, comment appréciez-vous la réforme des services de sécurité et de renseignement en cours et comment situer l’IE dans cette nouvelle configuration ?

A. J. – La réforme des services de sécurité et de renseignement est une excellente chose. Sous le gouvernement Balladur, une commission d’experts avait fait nombre de propositions. On ne peut que regretter d’avoir attendu si longtemps pour les voir enfin partiellement mises en œuvre et j’espère que cela va continuer. Bien qu’en France chaque service veille jalousement sur son indépendance, il est évident qu’il faut une coordination comme ceci existe déjà dans tous les grands pays étrangers. C’est pourquoi il faut saluer la création d’un coordinateur du renseignement. Il faudra ensuite regarder si nous ne devons pas regrouper certaines activités communes à plusieurs services pour faire des économies de moyens et permettre des contrôles intermédiaires associés au contrôle parlementaire qui est indispensable dans un système démocratique pour protéger le personnel des dérives toujours possibles.

On peut espérer que cette réforme va amener les services à intégrer la dimension réelle de l’économie dans le renseignement et la sécurité. C’est, entre autres, déjà le cas pour la DCRI dont la sous-direction pour la défense du patrimoine fait un excellent travail sur le territoire national. Il reste à faire la même chose à l’international ce qui va prendre du temps. Quand on voit l’importance accordée par les Américains au renseignement économique et le soutien qu’ils accordent à leur industrie, on se dit qu’il va falloir repenser rapidement l’ordre et le pourcentage accordés à chacune de nos priorités. De même, il est temps de revoir les méthodes de travail des services en cessant de privilégier le renseignement technique ou de l’opposer au renseignement humain. En utilisant les techniques de l’intelligence économique pour exploiter toutes les sources ouvertes on a une idée très précise de la situation ou du problème et l’on voit les quelques points qui manquent. C’est exclusivement sur ceux-là que l’on doit utiliser le renseignement humain dont l’activation doit être postérieure à l’analyse par sources ouvertes. Les Américains ont déjà pris ce virage porteur d’une nouvelle efficacité par le ciblage de l’action et l’économie de moyens.

S. G. – Au final, quel bilan tirez-vous de ces années d’action ?

A. J. – Cinq années passionnantes au cours desquelles j’ai pu utiliser toutes mes expériences professionnelles acquises dans l’armée, le renseignement, les grands groupes internationaux ou les sociétés privées, et bien sûr l’administration. Il a fallu tout concevoir, projeter et mettre en œuvre avec une toute petite équipe et l’aide de quelques fonctionnaires passionnés, des membres des chambres de commerce et d’industrie, d’une dizaine d’universitaires et des cadres du privé. On a rarement la possibilité de créer quelque chose de réellement nouveau dans l’État et c’est une expérience enthousiasmante, même si la faiblesse constante des moyens affectés à ma mission a dû être compensée par un surcroît de travail au-delà du raisonnable de toute l’équipe.

Nous avons fait moins que j’aurais pu si on m’avait donné les moyens humains et techniques nécessaires, beaucoup plus que ce que je pouvais raisonnablement espérer compte tenu des blocages et des oppositions de tous ordres, et sans doute trop pour ceux qui ne voulaient rien remettre en cause. Dans le combat permanent qu’il a fallu livrer, mon seul regret est de n’avoir pas réussi, à ce jour, à sensibiliser certains services ou directions centrales à l’importance du renseignement dans la guerre économique planétaire qui se déroule actuellement. Le chemin à parcourir est encore long pour que notre pays ait totalement intégré l’intelligence économique mais nous faisons route en gardant le cap. Si la volonté continue à exister aux plus hauts échelons de l’État, elle pourra apporter à toutes nos entreprises les éléments de compétitivité nécessaires pour savoir anticiper et gagner dans un combat dans lequel l’État veillera à ce que tout se passe à armes égales en sévissant contre les mauvais joueurs.

Copyright : 2008-Juillet-Daguzan/Sécurité globale/Choiseul


La revue Sécurité globale, éditions Choiseul

Revue de référence française consacrée aux questions de sécurité intérieure et aux enjeux sécuritaires internationaux, Sécurité globale offre une plate-forme de recherche et de débats sur des thématiques comme le terrorisme, la criminalité organisée, les crises sanitaires, la gestion des catastrophes naturelles et industrielles. Son approche se veut autant conceptuelle qu’opérationnelle, selon une logique qui vise à éclairer la globalité des enjeux de sécurité de ce XXIe siècle naissant.

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