L’Europe vue des Etats-Unis
Ou comment s’assurer que l’UE ne soit ni un complet échec ni un franc succès

Par Alexandre ANDORRA, le 26 novembre 2015  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Elève à l’Ecole Nationale d’Administration, Alexandre Andorra est diplômé d’HEC Paris et du département de Sciences Politiques de la Freie Universität Berlin. Il étudie notamment la façon dont les évolutions économiques et financières interagissent pour influencer les relations internationales.

Faire en sorte que l’Europe communautaire soit toujours assez forte pour soutenir les Etats-Unis, mais jamais assez forte pour les concurrencer, ainsi pourrait se formuler la stratégie des Etats-Unis à l’égard de la construction européenne. Une démonstration nuancée mais argumentée.

« L’EUROPE : quel numéro de téléphone ? [1] », « L’UE, on l’emmerde ! [2] ». A elles seules, ces citations symbolisent la dualité de la perception américaine de l’Europe. Brutale, vulgaire et méprisante, la première trahit les fréquentes frustrations américaines envers les lents et hésitants processus décisionnels de l’UE. Implicitement, les Américains s’inquiètent ici de la faiblesse de l’Europe, et de son corollaire : l’emprisonnement stratégique – le risque d’être entrainé dans un conflit européen contre ses intérêts. Inversement, la deuxième citation vise à rabaisser la construction européenne et diviser les Européens. En cela, elle s’alarme de leur force, et de son corollaire : l’abandon stratégique – être abandonné par ses propres alliés.

Si les mots et les moyens ont évolué, leur but est resté le même.

Aux yeux des Etats-Unis, l’Europe est donc à la fois trop forte et trop faible. Il est essentiel de prendre la mesure de ce paradoxe pour comprendre les perceptions américaines de l’Europe. Ces dernières ont souvent changé depuis 1945. Au point d’aboutir aujourd’hui à une étrange situation : non seulement les Américains tolèrent-ils désormais l’émergence d’un pôle européen, mais ils encouragent cette émergence avec plus d’enthousiasme que les Européens eux-mêmes [3]. Toutefois, si les mots et les moyens ont évolué, leur but est resté le même : faire en sorte que l’Europe soit assez forte pour soutenir l’Amérique, mais jamais assez pour les concurrencer.

I. De Nixon à la chute de l’URSS : une coopération à la carte pour affaiblir la « Forteresse Europe »

« Le manque d’unité européenne offre à l’Amérique une opportunité unique. Si l’Europe est davantage faite de diversité que d’uniformité, si le concept d’ ‘Europe unie’ reste à traduire dans la pratique, alors les États-Unis peuvent centrer leur stratégie transatlantique sur des coalitions volontaires au cas par cas. Cette méthode permet de rester engagé aux côtés d’un continent qui sera rarement tout à fait pour ou tout à fait contre les initiatives américaines en matière de politique étrangère […]. L’Amérique doit en permanence prendre note des désaccords intra-européens afin de les exploiter. L’Europe, telle qu’elle existe actuellement correspond aux intérêts des Américains : ses membres sont capables d’appuyer les États-Unis quand leurs intérêts coïncident avec ceux de l’Amérique, mais l’Europe est trop faible pour s’opposer facilement à l’Amérique sur des questions fondamentales de sécurité nationale » [4].

Tenus en 2002 par John Hulsman, un proche de George W. Bush, ces propos explicitent une doctrine qui imprègne la perception transatlantique américaine depuis au moins le premier mandat de Richard Nixon (1968-1972). Ils rappellent en effet furieusement la fameuse question d’Henry Kissinger : « l’Europe : quel numéro de téléphone ? ». Loin d’appeler à l’unité européenne, Kissinger se satisfaisait pleinement de cette diversité d’interlocuteurs, qui lui permettait d’influencer le cours des choses le plus directement possible. Si auparavant les Etats-Unis soutenaient une intégration européenne qu’ils avaient eux-mêmes amorcée, la perception s’inverse au début des années 1970 : alors que le marché commun européen florissait et l’Allemagne de l’Ouest s’ouvrait à l’Est avec l’Ostpolitik de Willy Brandt, la balance commerciale américaine passait dans le rouge pour la première fois depuis 1945, les Etats-Unis s’embourbaient dans la ruineuse guerre du Vietnam, et Nixon suspendait la convertibilité en or du dollar, pierre angulaire du système de Bretton-Woods. Dans ce contexte, l’unité européenne paraissait beaucoup moins attractive et profitable pour Washington. On commençait à s’interroger sur la compatibilité d’une Europe supranationale d’une part, et d’une communauté atlantique dirigée par les Etats-Unis d’autre part. Loin d’être un pont pour les Etats-Unis, l’Europe se transformait en une forteresse, qui n’aurait bientôt plus besoin d’eux pour se défendre et commercer – traduction concrète de l’abandon stratégique tant craint par Washington. La conclusion est implacable : si l’Europe est trop forte, affaiblissions la en la divisant. C’est ce qui sous-tend la coopération à la carte proposée par Kissinger et Hulsman. C’est d’ailleurs cette logique qui explique en partie le soutien américain à la troisième candidature britannique à l’entrée dans la Communauté Européenne (CE) en 1973. L’entrée de Londres constituait aux yeux de l’oncle Sam une garantie que l’Europe ne deviendrait ni supranationale ni protectionniste.

Ce thème de la « Forteresse Europe » a perduré jusqu’à la toute fin de la Guerre Froide. En 1986, les Européens signent l’Acte Unique, qui, en ouvrant la voie au marché et à la monnaie uniques, renforce l’intégration économique de la CE. L’économie américaine, elle, reste instable, confrontée à un budget fédéral et une balance des paiements tous deux déficitaires (déficits jumeaux). Pas étonnant dès lors que les journaux américains titrent sur les dangers de la « Forteresse Europe ». Pas étonnant non plus que Ronald Reagan lui-même s’emmêle – lui qui d’habitude consacrait relativement peu de temps aux questions économiques – pour avertir la CE de ne pas céder à ses tendances protectionnistes. Là encore, les Américains craignaient l’avènement d’une Europe par et pour les Européens. A en croire Richard Burt, ancien Ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne, cette crainte s’explique par l’incapacité des Américains à comprendre le processus d’intégration européenne : « nous avons toujours un peu de retard pour saisir ce qui se passe en terme d’Europe » [5]. Quelle que soit l’origine de cette peur, le remède est le même qu’au début des années 1970 : diviser les Européens pour les empêcher de prendre leur envol.

II. Depuis la fin de la Guerre Froide, et malgré des retours en arrière, les Etats-Unis se rendent compte que le menu est plus rentable que la carte

Cela ne signifie pas pour autant que la perception américaine de l’Europe est restée la même au cours du temps. A vrai dire, elle a considérablement évoluée depuis la fin de la Guerre Froide. Pour simplifier, disons que les Administrations Bush, Clinton et Obama ont plutôt cherché à renforcer l’Europe en l’unifiant, alors que W. Bush est revenu à l’approche traditionnelle consistant à diviser pour mieux régner.

Dans les années 1990, un renforcement de l’Europe pour le show

Sure d’elle et de sa suprématie, l’Amérique des années 1990 regarde l’Europe sans plus vraiment craindre l’abandon stratégique. Elle multiplie les appels à l’approfondissement stratégique et militaire de l’Europe et cesse de constamment chercher à diviser les Etats membres. Mais les Etats-Unis ne tentent pas non plus de les unifier. Schématiquement, il s’agit de renforcer l’OTAN, pas l’Europe de la défense. L’émancipation stratégique de l’Europe se ferait sous tutelle américaine ou ne se ferait pas, comme le montreront les élargissements successifs de l’OTAN [6] et les interventions en Bosnie et au Kosovo. Au fond, les déclarations américaines en faveur d’un nouvel ordre européen tenaient plus de la posture que de la réalité. C’était un renforcement pour le show, un renforcement cosmétique. Et au bout du compte, la perception américaine de l’Europe restait dans un entre-deux, dans une sorte d’unipolarité multilatérale – une contradiction dans les termes.

Néanmoins, cette situation arrangeait tout le monde. Les Européens, malgré leurs propensions à dénoncer l’hégémonie américaine, n’envisageaient aucunement de remplacer le parapluie militaire américain. Les Américains eux, en dépit de leurs beaux discours, n’avaient aucune intention de replier leur parapluie. Au sortir de la Guerre Froide, l’Amérique était trop incontournable – et ne voulait pas être contournée.

Au début des années 2000, Washington reprend ses vieilles habitudes

Avec le 11 septembre, l’arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche et la crise de la guerre en Irak, les Etats-Unis renouent avec leur vieille recette : diviser pour mieux régner. Cette logique sous-tend la caricature vieille Europe vs. nouvelle Europe faite par Donald Rumsfeld en janvier 2003. A l’approche de la guerre en Irak, le Secrétaire à la Défense de George W. Bush distingue la « vieille Europe » (principalement la France et l’Allemagne, qui rejettent la politique américaine en Irak) de la « nouvelle Europe » (ceux qui soutiennent l’invasion américaine). La France a droit à un traitement de faveur : au restaurant du Congrès, les French fries sont renommées « frites de la liberté » et le Beaujolais est boycotté, tandis que les blagues sur les Français mangeurs de fromage qui ne savent que capituler face à l’ennemi se multiplient. Mais si les Américains semblent moquer ici la faiblesse de la France et, avec elle, de l’Europe, c’est en fait, comme Hulsman et Kissinger, sa force qu’ils craignent – sa force de caractère, sa force d’opposition, en un mot son esprit d’indépendance. Et là encore la recette est la même : monter les Européens les uns contre les autres pour éviter qu’ils ne s’unissent contre l’initiative américaine.

Avec le recul, on s’aperçoit toutefois que ce retour de balancier est de courte durée. Le deuxième mandat de George W. Bush marquera effectivement un retour à l’évolution entamée durant les années 1990.

A partir de 2005, « une Politique Européenne de Sécurité et Défense avec seulement du soft power ne suffit » plus

En ce mois de février 2014, la situation est électrique à Kiev, où le mouvement de Maïdan continue, dans la violence et la confusion générale. Le 22, le Président Ianoukovitch fuit brusquement l’Ukraine. Pendant ce temps, la diplomate américaine Victoria Nuland s’entretient avec son Ambassadeur à Kiev, Geoffrey Pyatt. Exprimant son vœu de voir les Nations Unies, et non l’UE, arbitrer le conflit, elle lâche une phrase qui fera grand bruit : « donc je pense que ça serait bien que l’ONU calme tout ça, et bon… l’UE on l’emmerde ! ». Au-delà de leur vulgarité, ces propos en disent long sur les fréquentes frustrations américaines envers les lents processus européens. En clair, l’Europe est trop faible, trop lente, trop indécise. Conclusion : il faut la renforcer pour lui permettre de gérer plus efficacement les crises dans son propre voisinage.

Six ans plus tôt, cette même Victoria Nuland, alors Représentant Permanent des Etats-Unis à l’OTAN, avait explicité cette nouvelle doctrine : « l’Europe comme les Etats-Unis ont besoin d’une capacité européenne de défense plus solide et plus compétente. Une Politique Européenne de Sécurité et Défense (PESD) avec seulement du soft power ne suffit pas … Nous espérons que la France sera à la tête d’un effort européen pour renforcer les budgets de défense et actualiser les capacités militaires européennes … Car le Président Sarkozy a raison : l’OTAN ne peut pas tout faire  » [7]. En clair, le meilleur remède contre la tendance européenne au free-riding était de favoriser l’affirmation stratégique de l’UE.

Ce changement radical de perception s’inscrit dans une évolution plus large, puisque déjà en 2005, les arguments rationnels sur l’importance de la relation transatlantique avaient supplanté les aberrations de la crise irakienne. Après sa réélection, Bush évinça Rumsfeld, Powell et Wolfowitz – les architectes de l’invasion de l’Irak – et la nouvelle Secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, fit le tour des capitales européennes pour renouer le dialogue. La Maison Blanche soulignait le besoin de coopération et estimait que les différences transatlantiques, loin d’empêcher le dialogue, renforçaient au contraire son utilité.

Autrement dit, au milieu des années 2000, l’Amérique dérogeait de plus en plus à la règle kissingerienne : au lieu de les diviser, Washington cherchait désormais à unir les Européens.

Approfondissement stratégique européen et renforcement de la position américaine : une relation mutuellement bénéfique plutôt que mutuellement exclusive

A peine installé à la Maison Blanche, Barack Obama prolongeait cette nouvelle conception américaine de l’Europe. En avril 2009, il se rend à Strasbourg pour exposer sa vision du monde et le rôle que l’Europe y joue [8]. Selon lui, la nécessité de coordonner la riposte à la Grande Récession à l’échelle mondiale souligne la transition d’un monde unipolaire à un monde multipolaire. La puissance économique est trop décentralisée, trop globale pour que les décisions majeures continuent d’être prises par les puissances traditionnelles. Dans la sphère transatlantique également le besoin de coopération se fait sentir pour rendre possible et durable tout redressement économique.

Pendant sa campagne de 2008, Obama (s’) était décrit comme « celui qui allait faire de nouveau respecter l’Amérique – pas seulement grâce à ses prouesses militaires mais en faisant appel à l’irrésistible rêve américain, qu’il illustrait à merveille. Le hard power laissait la place au soft power. L’unilatéralisme appartenait au passé » [9]. Dès lors, l’Europe ne pouvait plus être perçue comme un allié jetable, que l’Amérique utilise quand il est d’accord avec elle, et qu’elle divise quand il ne l’est pas. « J’ai confiance en notre capacité à relever n’importe quel défi du moment que nous faisons face ensemble … Il est toujours plus difficile de forger de vrais partenariats et de solides alliances que d’agir seul ou d’attendre que quelqu’un d’autre agisse à votre place … En Amérique, nous n’apprécions pas à sa juste valeur le rôle majeur joué par l’Europe dans le monde. Au lieu de célébrer votre union dynamique et de s’associer à vous, … l’Amérique a parfois fait preuve d’arrogance, de mépris, et même de raillerie ». Toutefois, « il n’y pas que l’Amérique qui doit changer … L’Europe ne doit pas attendre des Etats-Unis qu’ils portent seuls ce fardeau … Donc nous allons conduire nos opérations d’une manière exemplaire. Ainsi, les Européens n’auront plus d’excuses pour ne pas participer ».

On le voit, la lutte contre le terrorisme et le basculement du monde dans la multipolarité jouent un rôle central dans ce changement de vision. Pour les Américains, l’UE représente traditionnellement une façon d’importer de la sécurité sur le continent européen ; or, depuis le 11 septembre, Washington voit dans l’UE un moyen d’ exporter les capacités militaires européennes hors de leur voisinage [10]. Et pour se faire, l’UE doit atteindre une masse critique d’un point de vue géopolitique. Les officiels américains commencèrent donc à dialoguer des questions de sécurité directement avec Bruxelles – et non plus seulement avec Paris, Londres, Berlin et Rome. Ce faisant, ils « dé-bilatéralisent » la relation transatlantique et reconnaissent que ce dialogue avec l’UE est non seulement avantageux mais inévitable. Surtout, le soutien au renforcement de la capacité européenne de défense se fit plus ouvert et assumé. Un haut responsable américain déclara ainsi devant une Commission de la Chambre des Représentants : « nous pensons que la PSDC peut faire une contribution significative à la stabilité et la sécurité internationales » [11]. Un an plus tard, les Etats-Unis rendaient possible la mission militaire de l’UE en Somalie [12], agissant, pour la première fois, en accord avec leur nouvelle conviction selon laquelle les ambitions militaires de l’UE complètent – au lieu de menacer – le statut de Washington dans le monde. Pour se donner une idée du chemin parcouru, Erwan Lagadec rappelle qu’« en 2003, Washington voyait toujours la PESD comme ‘’un coup de poignard dans le dos de l’OTAN’’, et ce d’autant plus qu’elle nourrissait des ambitions militaires. En 2010, les Etats-Unis rendaient possible et assistaient une mission militaire européenne » [13].

Incontestablement, la révolution doctrinale entamée à la fin des années W. Bush était confirmée et renforcée. L’Amérique se rendait compte que ses intérêts étaient mieux servis par une Europe unifiée que par une Europe divisée. Ce renversement remonte même à 1991. Il est vrai que le début des années 2000 a marqué un retour aux tendances autoritaristes. Mais au bout du compte, ce moment unilatéral est l’exception qui confirme la règle. Une parenthèse. Un détour. Sur le temps long, du renforcement cosmétique des années 1990 au renforcement authentique du milieu des années 2000, c’est une toute autre tendance qui se dégage depuis 1991 : l’Europe est trop faible ; renforçons la en l’unifiant.

Ainsi, malgré des fluctuations et des hésitations, les années 1990-2000 ont vu l’émergence d’une vision qui contredit celle de années 1970-1980. Comment expliquer ce revirement dans la tactique américaine ?

III. Une remarquable continuité des buts stratégiques : s’assurer que l’Europe ne soit ni un complet échec, ni un franc succès

Schématiquement, deux grandes visions se dégagent donc : diviser pour affaiblir (1971-1991), et unifier pour renforcer (1991-2015). Apparemment contradictoires, ces perceptions sont en fait les deux faces d’une même pièce. Comme nous le rappelle Henry Kissinger dans son dernier livre, World Order, un changement de ton correspond bien souvent à une adaptation des tactiques aux nouvelles circonstances pour atteindre des buts globalement inchangés. Autrement dit, changer d’itinéraire pour atteindre la même destination. Ainsi, malgré les fréquentes fluctuations dans la perception américaine de l’Europe, l’objectif sous-jacent est resté le même : faire en sorte que l’Europe soit toujours assez forte pour soutenir les Etats-Unis, mais jamais assez forte pour les concurrencer. Rétrospectivement, la perception visant à renforcer l’UE n’est qu’une façon de faire nécessité vertu : face aux débâcles de la « guerre contre le terrorisme », aux contrecoups de la Grande Récession, à l’ascension des émergents, au déclin relatif de la sphère euro-atlantique, à la mutation de la notion de puissance, qui devient de plus en plus diffuse, multiforme et multi-acteurs [14], il s’agit d’exploiter les opportunités et de limiter les menaces. En appelant au renforcement et à l’approfondissement militaro-stratégique de l’UE, les Américains veulent tout changer pour que rien ne change.

Dès lors, ce revirement reste très intéressé : faire de l’UE un acteur international téméraire et innovant permet aux Etats-Unis de se concentrer sur les questions à haute valeur ajoutée. Les Américains ne sont pro-UE que dans la mesure où cela leur profite et où ils peuvent contrôler la vitesse et l’étendue du renforcement européen. En clair, si l’ombre de l’oncle Sam en Europe est indéniablement moins écrasante qu’auparavant, elle reste considérable.

Malgré tout, une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour l’UE. Certes, l’émancipation européenne reste sous stricte supervision américaine. Mais l’allié américain est tout de même moins embarrassant. Il n’est plus le principal obstacle à l’émergence de l’UE comme fournisseur de sécurité fiable et compètent. Reste à savoir si les Européens sauront surmonter leurs contradictions pour prendre en main leur destin stratégique – tant qu’il en est encore temps. Les arrivées massives de réfugiés, les crispations sur le terrorisme domestique, l’agression russe en Ukraine, l’absence de l’UE dans les conflits moyen-orientaux, la montée des populismes en Europe, les laborieuses négociations sur la dette grecque, la tentation facile du repli sur soi – autant de tensions reflétant ce manque d’Europe dans l’Union et ce manque d’union dans l’Union [15]. La révision de la stratégie européenne de politique étrangère et de sécurité d’ici mi 2016 serait une bonne occasion de commencer à combler ce manque.

Copyright Novembre 2015-Andorra/Diploweb.com


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[1Henry Kissinger, cité dans Jussi M. Hanhimaki, Transatlantic relations since 1945 : an introduction, 2012

[2BBC News Europe, Ukraine crisis : Transcript of leaked Nuland-Pyatt call, 7 février 2014

[3Voir Erwan Lagadec, Transatlantic Relations in the 21st Century : Europe, America and the rise of the Rest, 2012

[4John Hulsman, “European arrogance and weakness dictate coalitions of the willing”, The Heritage Foundation, 10 février 2003

[5Cité dans Samuel F. Wells, The strategic triangle : France, Germany and the United States in the shaping of the new Europe, 2006

[6Voir Charlotte Bezamat-Mantes et Pierre Verluise, « UE-OTAN : quels rapports ? Les élargissements de l’OTAN donnent le rythme de ceux de l’UE », Diploweb, 7 juin 2014

[7US Ambassador to NATO Victoria Nuland’s speech in Paris, “Ambassador discusses strengthening global security for Europe”, 22 février 2008

[8The White House, Remarks by President Obama at Strasbourg Town Hall, 3 avril 2009

[9Hanhimaki, ibid., 2012

[10Lagadec, ibid., 2012

[11Philip H. Gordon, Assistant Secretary, Bureau of European and Eurasian Affairs, “The Lisbon Treaty : Implications for Future Relations Between the European Union and the United States”, Statement before the Subcommittee on Europe of the House Foreign Affairs Committee, 15 décembre 2009

[12European External Action Service, “EUTM Somalia : EU military mission to contribute to the building up and strengthening of the Somali National Armed Forces”

[13Lagadec, ibid., 2012

[14Voir Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance : essai sur les incertitudes et les espoirs des nouvelles relations internationales, 2004
Voir aussi Joseph Nye, The Paradox of American Power : Why the world’s only superpower can’t go it alone, 2002

[15Pour paraphraser Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne, Discours sur l’état de l’Union 2015, 9 septembre 2015

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