Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Auteur du "Manuel de géopolitique", éd. Diploweb.com
Voici une remarquable étude géopolitique de la Seconde Guerre du Haut-Karabakh. Patrice Gourdin fait la preuve de sa maitrise du sujet et de la méthode. Magistrale leçon, indispensable pour mettre en perspective le conflit, comprendre les jeux des acteurs et la situation présente.
DURANT l’automne 2020, le sud du Caucase connut des événements tragiques et surprenants [1]. L’Azerbaïdjan entreprit de reconquérir des territoires perdus depuis près de trente ans au profit d’une entité dénommée Artsakh [2], soutenue par l’Arménie. L’affrontement s’enracine dans le passé des peuples arménien et azéri, mais la situation sur le terrain remontait à l’effondrement de l’URSS (1991). Le conflit, figé depuis 1994, reprit à l’automne 2020. Déjouant les pronostics, il fut rapide et dominé par l’Azerbaïdjan. Dans le détail, le bilan des gains et des pertes est complexe, mais deux faits dominent le tableau général : le retour des Turcs dans la région et les bénéfices empochés par la Russie.
L’enjeu de la confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’appelle la République d’Artsakh, plus connue sous le nom de Haut-Karabakh. Plusieurs États, voisins ou plus éloignés, se trouvent concernés, voire impliqués.
Entité non reconnue par la communauté internationale, la République d’Artsakh, avec Stepanakert pour capitale, occupe 4 400 km2 enclavés dans le massif du Petit Caucase. Le territoire de l’Artsakh épouse approximativement les limites de la région du Haut-Karabakh, partie intégrante de l’ex-République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Sa population fit sécession et conquit (1991-1994) les régions azéries (environ 7 000 km2) qui la séparaient de l’Arménie voisine. La victoire fut coûteuse : combats et autres incidents létaux se soldèrent par 6 000 morts [3], 25 000 blessés et 400 000 Arméniens obligés de fuir l’Azerbaïdjan (réfugiés en Arménie ou en Russie). Au total, l’Azerbaïdjan se vit amputer de 13,6% de son territoire. La perte matérielle n’était pas irréparable : il s’agit d’une région montagneuse, dépourvue de ressources hormis l’hydroélectricité [4], essentiellement tournée vers une agriculture de subsistance et sans rôle stratégique notable. En revanche, le bilan humain était élevé : 11 000 morts, 30 000 blessés et 600 000 habitants contraints de quitter la région et de s’installer autour de Bakou, dans des conditions précaires qui persistèrent jusqu’à nos jours. Mais le prix le plus insupportable pour l’Azerbaïdjan était l’humiliation de la défaite.
Les habitants de l’Artsakh ne vainquirent pas seuls. Ils bénéficièrent du soutien total de l’Arménie (capitale : Erevan). Ex-République socialiste soviétique, indépendante depuis septembre 1991, elle couvre une superficie de 29 743 km2 et compte environ 3 millions d’habitants. Son PIB (en parité pouvoir d’achat) était, en 2019, de 42 milliards de dollars (8,9 en 1991). Enclavée dans les montagnes et les hauts plateaux du Petit Caucase, dépourvue de ressources naturelles, elle dépend avant tout de la Russie et s’appuie sur la diaspora arménienne. L’Azerbaïdjan (capitale Bakou), indépendant depuis août 1991, dispose de 86 600 km2 et compte environ 10 millions d’habitants. Son PIB (en parité pouvoir d’achat) était, en 2019, de 154,4 milliards de dollars (39,4 en 1991). Lui aussi enclavé puisqu’il est riverain d’une mer fermée — la mer Caspienne —, il est avantagé par rapport à son adversaire car il dispose de la riche plaine agricole de la Koura et de substantielles réserves d’hydrocarbures. Il valorise sa situation au carrefour de l’Asie centrale et du Proche-Orient, à proximité de l’Europe.
À première vue, le déséquilibre joue au profit de l’Azerbaïdjan. Pourtant l’Arménie avait saisi et conservé l’avantage sur le plan militaire… jusqu’à l’automne 2020. Elle en éprouvait un sentiment de supériorité et d’invincibilité qui contribua à sa perte [5].
Les parties directement impliquées jouaient extrêmement gros dans ce conflit. L’existence même de la République d’Artsakh est en péril. Ses habitants arméniens, animés par une forte identité nationale, agissent au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils cherchent également à garantir leur sécurité vis-à-vis d’une population turcophone dont le pays s’est rapproché de la redoutée Turquie.
Pour l’Azerbaïdjan, il s’agit de réaffirmer la puissance perdue en restaurant son intégrité territoriale, et de consolider son identité nationale grâce à la victoire. De plus, le président Ilham Aliev doit régénérer son pouvoir, mis à mal tant par un règne long et terne que par les difficultés économiques liées à la baisse de la rente pétrolière. Il connaît en outre le problème propre aux “fils de“. En effet, l’accession de l’Azerbaïdjan à l’indépendance s’accompagna de graves troubles auxquels mit fin, en 1993, l’ex-chef du KGB dans l’ex-République socialiste soviétique : Geïdar Aliev. Ce dernier établit une forme de stabilité au prix d’un régime dictatorial et maintint une relative indépendance vis-à-vis de la Russie. Il redistribua une part de la manne pétrolière de sorte à procurer une amélioration matérielle à la population (mais sur fond de corruption). Très gravement malade, il aménagea sa succession et transmit le pouvoir à son fils, Ilham. Ce dernier souffre donc d’un déficit de légitimité qu’il cherche à combler depuis son avènement, en 2003. Pour cela, il devait accomplir un acte lui permettant d’égaler son père, de faire passer à l’arrière-plan les effets de sa mauvaise gouvernance et de faire taire les surenchères d’une partie de ses opposants [6]. L’occasion se présenta à l’automne 2020.
En Arménie, depuis l’indépendance, le sort du Haut-Karabakh occupe une place centrale. La puissance du pays est en jeu à travers sa capacité à faire valoir le droit du peuple arménien du Haut-Karabakh à disposer de lui-même, ainsi qu’à garantir la sécurité de tous les Arméniens face à la Turquie. Cela s’inscrit dans le processus de consolidation d’une identité nationale déjà très forte, mais que la survie de la communauté arménienne impose d’entretenir au plus haut. À Erevan, les préoccupations politiques ne manquent pas. Depuis l’indépendance, le sort du pouvoir et celui du Haut-Karabakh sont consubstantiels. Or, Nikol Pachinian est le premier chef de gouvernement sans lien avec la province disputée. Son avènement, le 8 mai 2018, fit naître l’espoir d’un règlement négocié du conflit et, par voie de conséquence, d’une amélioration de la situation intérieure. En effet, les institutions sont faibles, l’oligarchie prospère en toute impunité et la corruption atteint des niveaux élevés. Or, depuis 1991, l’“excuse sécuritaire“ par le Haut-Karabakh, sert de prétexte pour pérenniser la mauvaise gouvernance (comme en Azerbaïdjan). Mais le Premier ministre arménien ne dispose pas dans la population d’une assise assez solide. Il joue la surenchère nationaliste afin, semble-t-il, de conserver la direction du pays pour, dans la meilleure des hypothèses, réaliser les réformes promises.
Le conflit du Haut-Karabakh n’a rien d’une guerre picrocholine ; il préoccupe plusieurs pays et certains d’entre eux y prennent part, directement ou indirectement.
Première concernée et impliquée, la Russie, jusqu’à l’automne 2020, entretenait entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan [7] un “conflit gelé“. Les deux belligérants, au titre de leur appartenance à l’ex-URSS, se situent dans ce que Moscou définit depuis 1991 comme son “étranger proche“, une zone dans laquelle la communauté internationale devrait reconnaître qu’elle a des intérêts “exclusifs“, ce qui l’autoriserait à y exercer seule son influence, voire sa domination. Il s’agit là d’un enjeu de puissance. Augmenté du fait que le Sud-Caucase confine au Proche-Orient, région clé des rapports de force mondiaux, dans laquelle la Russie se réimplante depuis son intervention en Syrie (à partir de l’automne 2015). Parallèlement, la sécurité entre en ligne de compte. La frontière caucasienne de la Russie redevient problématique, tant à cause de l’action salafiste djihadiste que du fait des ambitions concurrentes de la Turquie, de l’Iran, des États-Unis et de la Chine. Les intérêts pétroliers sont également à considérer : les hydrocarbures constituent la principale ressource de la Russie et elle entend accroître sa capacité d’action sur les tubes qui relient l’Asie Centrale à la mer Méditerranée via la mer Caspienne et le Caucase en évitant son territoire. Le tropisme pro-occidental prêté à Nikol Pachinian pourrait avoir poussé le Kremlin à saisir l’opportunité d’une défaite militaire afin de l’affaiblir (ou de lui faire perdre le pouvoir).
La Turquie s’est fortement impliquée aux côtés de l’Azerbaïdjan. Depuis l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan [8], Ankara amplifie les ambitions de puissance régionale nées à la fin de la Guerre froide : diplomatie d’influence vers les pays turcophones d’Asie centrale et du Caucase, interventions militaires dans le Nord de la Syrie puis en Libye, démonstrations de force en Méditerranée orientale (à l’encontre de la Grèce et de la République de Chypre). La nostalgie de la grandeur ottomane perdue et l’islamisme fondent l’idéologie d’un régime qui cherche à redéfinir l’identité nationale sur des bases prenant le contrepied de celles fixées par Mustapha Kemal. Les hydrocarbures contribuent à cet engagement : l’Azerbaïdjan joue un rôle clé dans l’approvisionnement de la Turquie et dans la réalisation du projet de celle-ci : devenir un hub énergétique mondial. Pour son développement économique, Ankara compte sur la pérennisation des investissements azerbaïdjanais. L’influence sur l’Asie centrale, tout autant que l’équilibre de la balance commerciale avec celle-ci, passent par Bakou : la liaison terrestre entre la Turquie et l’Azerbaïdjan dépend d’un corridor routier et ferroviaire que l’occupation arménienne rendait impraticable. Le maintien au pouvoir du président Erdogan entre également en ligne de compte : panturquisme et panislamisme forment le cœur de la convergence entre son parti - l’AKP - et l’extrême-droite turque. Or, le soutien de cette dernière lui est indispensable pour disposer d’une majorité aux élections.
L’Iran n’a pas joué de rôle actif, mais il surveille la situation de très près. L’Azerbaïdjan pèse sur la politique de puissance régionale menée par Téhéran vers le Sud-Caucase (ancienne zone de domination de l’Empire perse) et en direction des populations persanophones d’Asie Centrale. Son dessein se heurte à la concurrence de la Turquie [9], qu’elle peut en partie freiner car les échanges commerciaux d’Ankara avec l’Asie Centrale dépendent de routes traversant l’Iran. Mais ce dernier a besoin de la Turquie car elle achète une partie de ses hydrocarbures. Les menaces contre la sécurité de l’Iran se trouvent accrues depuis que l’Azerbaïdjan a noué des relations étroites avec Israël, dont il est devenu un important fournisseur de pétrole et qu’il autorise à utiliser son territoire pour surveiller le programme nucléaire de Téhéran. Certains observent que la combinaison de l’alliance stratégique entre l’Azerbaïdjan et Israël avec les accords d’Abraham [10] permet à l’État hébreu d’“encercler“ l’Iran. Durant le conflit, comme elle le fait dans le nord de la Syrie et en Libye, la Turquie a engagé sur le terrain des mercenaires salafistes djihadistes syriens très violemment anti-chiites. L’Iran redoute de les voir s’installer à proximité de sa frontière septentrionale. La stabilité du pays dépend également en partie de l’Azerbaïdjan car la population hétérogène de l’Iran comprend une minorité azérie (estimée entre 15 et 25 % de la population totale) qui tenta de faire sécession à la fin de la Seconde Guerre mondiale [11] et pourrait être tentée de rejoindre l’État indépendant où les Azéris sont maîtres de leur destin. Face aux sanctions économiques internationales, l’Iran ne commerce qu’avec un nombre restreint de pays, au premier rang desquels la Russie. Or, les échanges terrestres entre les deux pays transitent par le territoire azerbaïdjanais. Plusieurs facteurs pousseraient au rapprochement entre Téhéran et l’Arménie. Mais, de par ses faiblesses, cette dernière fait figure d’allié inutile. Par pragmatisme, afin de ne pas pousser l’Azerbaïdjan à conforter les aspects de sa politique qui sont défavorables à ses intérêts, l’Iran lui apporta son soutien le 6 octobre 2020.
L’intérêt d’Israël pour l’Azerbaïdjan remonte à l’indépendance de ce dernier. Les relations diplomatiques furent établies en 1992, mais comme le disait le président Ilham Aliev, elles sont “comparables à un iceberg“ [12] : la majeure partie demeure invisible. En particulier une coopération militaire étroite, établie à partir de 1997 : Israël contribue à la modernisation de l’armée azerbaïdjanaise, les deux pays coopèrent en matière de lutte contre le terrorisme, l’armée et le renseignement israélien disposeraient depuis 2012 de facilités importantes pour surveiller le programme nucléaire iranien (et probablement mener des opérations contre celui-ci). La sécurité énergétique d’Israël dépend pour une part significative de l’Azerbaïdjan : Tel Aviv lui achèterait jusqu’à 40% des hydrocarbures qu’il consomme. Ce qu’équilibreraient les ventes d’armements (60% des importations azerbaïdjanaises en ce domaine). Certains soulignent que la reconnaissance éventuelle de l’indépendance du Haut-Karabakh constituerait un fâcheux précédent diplomatique, dont pourraient user les Palestiniens et leurs soutiens pour obtenir la reconnaissance de l’État de Palestine. Autre point de divergence avec les Arméniens, Israël refuse de reconnaître le génocide de 1915. Davantage que la conviction que la Shoah est un événement historique sans précédent, jouerait le réalisme stratégique. Dans un environnement régional hostile, Israël entretint de bonnes relations stratégiques et économiques avec la Turquie (de la fin des années 1950 au début des années 2010), puis avec l’Azerbaïdjan, depuis le refroidissement avec Ankara.
La Chine, s’intéresse depuis les années 1990 au Caucase, un tronçon de sa “Nouvelle route de la soie“. Elle investit dans les infrastructures et l’extraction des matières premières tout en nouant des liens avec les dirigeants politiques, les milieux d’affaires et les responsables de la défense. Elle utilise notamment l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) [13], avec la variété de statuts qu’elle offre pour ne pas contraindre à l’adhésion pure et simple. Elle ne s’impliqua pas dans le conflit et préserva l’avenir en préconisant un règlement négocié.
Les États-Unis, tout à leur politique de désengagement militaire, demeurèrent à l’écart. L’Union européenne n’a guère été plus présente. Pourtant, les Occidentaux ne peuvent pas négliger une région qui influe sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe, sur la sécurité de l’Alliance atlantique et du Proche-Orient face à la résurgence de la puissance russe, sur les ambitions de la Chine, et sur une partie des flux migratoires vers l’Europe. Pourtant, ils se bornèrent à lancer un appel au cessez-le-feu et à la reprise des négociations de paix dans le cadre du groupe de Minsk [14] créé en 1994 par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe-OSCE.
Mais ce dernier n’est jamais parvenu à trouver de solution acceptable par les deux parties, tant ce conflit résulte de causes complexes.
La Seconde Guerre du Haut-Karabakh s’inscrit dans une hostilité enracinée dans l’histoire et relancée par l’effondrement de l’URSS.
Les affrontements pour le Haut-Karabakh participent d’un conflit identitaire d’antériorité. Il s’agit d’« un conflit national qui, sous la forme d’une crise identitaire, concerne un morceau de territoire, lequel, pour l’opinion collective des protagonistes, est sanctuarisé de part et d’autre. Ce morceau de territoire, cet espace, devient un impératif territorial indispensable à la perpétuation du groupe social, de la nation. […] Dans les conflits d’antériorité, chacun des protagonistes prétend être le premier occupant et perçoit l’autre comme un intrus, un intrus qui n’a plus qu’à, soit accepter d’être subjugué, soit partir [15] ». Ce type de conflit s’avère des plus ardus à résoudre car « le lieu contesté est sanctuarisé par chacune des parties, et porté au point suprême de la mythologisation (sic) politique, car de la possession ou de la non-possession de ce lieu découle la certitude qu’il en va de la survie de la nation [16] ». Le Haut-Karabakh représente, pour les Arméniens comme pour les Azéris, une terre “légitimante“, une terre « dont la possession est indispensable à la complétude, à la perfection nationale [17] ». Aussi, chacun des deux peuples déploie une batterie d’arguments justifiant sa prétention à la possession de ce territoire, en dépit du peu d’intérêt économique et stratégique de ce dernier.
Les Arméniens arguent de leur présence continue dans la région depuis l’Antiquité [18], au sein de constructions étatiques tantôt proprement arméniennes, tantôt étrangères. Ils remontent jusqu’au royaume d’Urartu (IXe-VIe siècle avant notre ère). Après la destruction de celui-ci, ils devinrent la population majoritaire dans cet espace. Pour résumer à grands traits une histoire complexe, les Arméniens furent maîtres de leur destin durant une partie de l’Antiquité (royaume d’Arménie, 190 avant - 428 après notre ère) et du Moyen-Âge (royaume bagratide, 885-1045, royaume arménien de Cilicie, 1078-1375). Mais durant de nombreux siècles, ils furent en totalité ou en partie incorporés dans des empires (pour l’essentiel : perse achéménide entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère, grec entre le IVe et le IIe siècle avant notre ère, byzantin, arabe et perse entre le Ve et le Xe siècle de notre ère, ottoman et perse entre le XVe et le XVIIIe siècle de notre ère, ottoman et russe entre le XIXe et le XXe siècle de notre ère). Les aléas de cette histoire obligèrent une partie des Arméniens à se déplacer. Ceux qui habitaient le Haut-Karabakh furent remplacés par les Azéris au XVe siècle. Lorsque l’empire russe conquit le Caucase (entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle), il réimplanta des Arméniens dans le Haut-Karabakh. Cela participait de la stratégie consistant à ériger une barrière de peuplement chrétien (Russes, Géorgiens, Arméniens) pour défendre le Caucase russe face aux empires musulmans rivaux. Aussi leurs adversaires voient-ils en eux un corps étranger sur une terre considérée comme musulmane depuis la conquête arabe et l’islamisation qui l’accompagna au VIIe siècle. Les Arméniens tenaient tout particulièrement à revenir au Haut-Karabakh car il constitue le cœur culturel de leur identité [19]. En particulier, il s’y trouve le monastère d’Amaras, où repose saint Grégoire l’Illuminateur (257-331). Selon la tradition, il aurait converti le roi Tiridate IV en 301, ce qui fait du royaume d’Arménie le premier État ayant adopté le christianisme comme religion officielle [20], avant l’Empire romain [21]. L’Église chrétienne arménienne fut donc la première église (au sens institutionnel du terme) de la région et Grégoire en fut le premier chef suprême (Catholicos). Le christianisme s’impose d’autant plus comme un fondement essentiel de l’identité arménienne qu’il défend une doctrine particulière : le miaphysisme. Les premiers siècles du christianisme furent traversés de multiples querelles relatives au dogme. L’une des questions les plus débattues avait trait à la nature du Christ. Le courant dominant s’accorda sur la double nature : à la fois divine et humaine. Mais il se sépara sur l’existence d’une hiérarchie entre ces deux natures. Le concile de Chalcédoine, en 451, édicta le dogme adopté par Rome et Byzance : le Christ a deux natures séparées mais non distinctes [22]. L’Église arménienne opta, quant à elle, pour deux natures séparées et distinctes, plaçant la nature divine au-dessus de la nature humaine [23]. Autre figure majeure, saint Mesrop Machtots (362-440). Il fonda au monastère d’Amaras la première école où l’enseignement était dispensé en langue arménienne. Cette langue arménienne dont il inventa l’alphabet, un alphabet qui détacha l’arménien du grec et assura la pérennité de l’identité arménienne. Il est dit de lui : « il sauva le peuple arménien en sauvant sa langue ». Autochtonie, foi chrétienne et langue spécifique : trois composantes clés de toute identité nationale se trouvent, dans le cas arménien, reliées au Haut-Karabakh.
Staline fixa les limites et le statut du territoire des Républiques socialistes soviétiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan.
La présence des Azéris remonte au XVe siècle. Ils s’installèrent dans la partie du Caucase vassale des Arabes et islamisée depuis 639, qui passa sous la domination des Turcs Seldjoukides en 1067. Quelques décennies après leur arrivée, en 1501, les territoires qu’ils habitaient furent incorporés à l’Empire perse alors dirigé par la dynastie safavide. Celle-ci imposa l’islam chiite afin de se dissocier totalement de son rival, l’Empire ottoman. Au début du XVIe siècle, les bases de l’identité azérie étaient jetées : appartenance à l’ethnie turque, utilisation d’une langue turque, pratique de l’islam chiite (mais sans clergé). L’expansion de l’Empire russe dans le Caucase se fit au détriment de l’Empire perse. Les traités de Golestan (1813) et de Turkmantchaï (1829) firent passer sous souveraineté russe l’ensemble des territoires constitutifs de l’Azerbaïdjan indépendant actuel [24], y compris le Haut-Karabakh. Le shah de Perse encouragea le départ vers la Russie de la communauté arménienne qu’il jugeait trop nombreuse et trop influente. Dans le contexte de rivalités entre les empires, la présence des Arméniens dans le Sud-Caucase revêtait, nous l’avons vu, une dimension stratégique. Aussi, les Azéris considèrent-ils depuis le XIXe siècle que le Haut-Karabakh a été “réarménisé“ de force à leur détriment. C’est l’origine du très fort sentiment anti-arménien actuel. Les exactions turques à l’encontre des sujets arméniens de l’Empire ottoman, récurrentes de la fin du XIXe siècle jusqu’au génocide de 1915, accentuèrent au fil des décennies et nourrissent aujourd’hui l’hostilité des Azéris et la défiance des Arméniens. Les deux parties s’affrontèrent brièvement mais très durement à la fin de la Première Guerre mondiale. L’éclatement de l’Empire russe vit le surgissement d’une République démocratique d’Arménie (28 mai 1918-2 décembre 1920) et d’une République démocratique d’Azerbaïdjan (28 mai 1918-28 avril 1920) qui se livrèrent une guerre sans merci pour le contrôle de territoires, parmi lesquels le Haut-Karabakh et le Nakhitchevan. Les combats s’accompagnèrent de nombreux massacres perpétrés de part et d’autre, dont le souvenir demeure vivace, entretenant l’hostilité et le désir de vengeance. Les bolcheviks reprirent le contrôle des deux entités en 1920. Commissaire du peuple aux nationalités, Staline fixa les limites et le statut du territoire des Républiques socialistes soviétiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan [25]. En 1921, le Nakhitchevan et le Haut-Karabakh furent attribués à l’Azerbaïdjan, dans l’espoir de faciliter un rapprochement avec la Turquie de Mustafa Kemal. Toutefois, en 1923, pour tenter de rallier la diaspora arménienne, le Haut-Karabakh reçut un statut d’autonomie, ce qui déplut aux Azéris.
Le totalitarisme soviétique maintint de force la paix entre Arméniens et Azéris jusqu’à la fin des années 1980. Mais lorsque Mikhaïl Gorbatchev entama la libéralisation du régime (« perestroïka »), les tensions identitaires resurgirent dans toute l’Union, notamment au Caucase.
Dans ce contexte, les Arméniens de la région autonome du Haut-Karabakh organisèrent un référendum officieux. Le 20 février 1988, ils proclamèrent des résultats favorables au rattachement du territoire à la République socialiste soviétique d’Arménie. Cela déclencha immédiatement des affrontements intercommunautaires, notamment le pogrom anti-arménien de Soumgaït, localité des bords de la Caspienne, à 30 kilomètres au nord de Bakou (28 février 1988). Sous l’impulsion de Levon Ter-Petrossian et de son Comité Karabakh, une partie de la population de la République socialiste soviétique d’Arménie prit fait et cause pour le rattachement du Haut-Karabakh. Moscou s’avéra incapable de trouver une solution et les tensions comme les affrontements persistèrent. Les Azéris gardent encore en mémoire le déploiement sanglant de 35 000 soldats de l’Armée rouge en janvier 1990. Officiellement, ils venaient protéger la minorité arménienne, mais ils devaient surtout empêcher l’Azerbaïdjan de devenir indépendant. Le monument érigé à Bakou en souvenir des centaines d’Azéris tués et blessés durant ce “Janvier Noir“ demeure un des lieux les plus sacrés et les plus visités du pays [26]. La situation empira brusquement avec la proclamation de l’indépendance de l’Azerbaïdjan, le 31 août 1991. La population arménienne du Haut-Karabakh prit peur pour sa sécurité : compte tenu des contentieux accumulés, que deviendrait-elle dans un État souverain dominé par les Azéris ? Le 2 septembre 1991 elle instaura une république du Haut-Karabakh. Le 21 septembre, l’Arménie devint à son tour indépendante, ce qui contribua au vote par le Parlement azerbaïdjanais de l’annulation du statut d’autonomie dont bénéficiait le Haut-Karabakh depuis 1923. Le 10 décembre 1991, la population arménienne de ce dernier opta par référendum pour l’indépendance (par 99 % des suffrages). La proclamation d’indépendance qui s’ensuivit ne s’accompagna pas d’une demande de rattachement à l’Arménie, afin de ne pas indisposer la communauté internationale, attachée au principe d’intégrité territoriale et qui refusa de reconnaître le nouvel État.
Le conflit armé entre Azéris et Arméniens d’Azerbaïdjan avait commencé en février 1988, mais il prit l’ampleur d’une véritable guerre durant l’hiver 1991-1992. La désintégration de l’URSS avait entraîné, à l’automne 1991, au Haut-Karabakh, une course aux armements des deux communautés. L’armée azerbaïdjanaise, renforcée par des paramilitaires et des mercenaires issus de l’ex-armée soviétique affronta les volontaires arméniens du Haut-Karabakh, renforcés par des volontaires arméniens d’Arménie [27] et de la diaspora ainsi que des mercenaires issus de l’ex-armée soviétique. Fin février 1992, la tentative de reconquête lancée par l’Azerbaïdjan au début de l’hiver se soldait par un échec. De mai à décembre 1993, les offensives arméniennes se succédèrent et permirent de conquérir le territoire compris entre l’Arménie et le Haut-Karabakh ainsi qu’entre celui-ci et la frontière iranienne. Il s’agissait d’assurer la sécurité de l’enclave, pas d’annexer ces terres azéries. Entre décembre 1993 et mai 1994, la progression arménienne fut stoppée par les contre-offensives azerbaïdjanaises. Un cessez-le-feu s’imposa. Signé le 16 mai 1994, il prévoyait des négociations dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans le but de trouver un règlement durable. Le Groupe de Minsk [28], créé à cet effet, ne parvint à aucun résultat. Il ne put résoudre la contradiction qui oppose deux principes fondamentaux du droit international figurant dans la charte des Nations-unies : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (invoqué par les Arméniens du Haut-Karabakh) et le respect de l’intégrité territoriale des États (défendu par l’Azerbaïdjan et appuyé par quatre résolutions du Conseil de sécurité des Nations-unies demandant la restitution des territoires [29]).
Pendant que les négociations s’enlisaient, le Haut-Karabakh s’unissait de fait sinon en droit à l’Arménie, jusqu’à lui fournir ses dirigeants jusqu’en 2018 [30], avant l’élection d’Armen Sarkissian à la présidence de la République et l’élection de Nikol Pachinian au poste de Premier ministre. Le système défensif mis en place contint toutes les velléités azéries de reconquête. Le conflit demeura “gelé“ au niveau d’une guerre de basse intensité, essentiellement menée par snipers interposés, exception faite d’une offensive d’envergure tentée par l’Azerbaïdjan du 2 au 5 avril 2016.
Le 27 septembre 2020, la situation changea du tout au tout.
À l’automne 2020, en quelques semaines de combats, l’Azerbaïdjan inversa le rapport des forces et modifia les données du problème.
Nous ne connaissons probablement pas toutes les causes directes de la Seconde Guerre du Haut-Karabakh, mais un certain nombre s’imposent d’ores et déjà.
Il semble que tout parte de l’échec, depuis 1994, d’une solution négociée. En 2018, l’espoir était revenu avec les promesses d’ouverture faites par le nouveau Premier ministre arménien, Nikol Pachinian. Or, au bout de deux années, rien n’avait changé et Nikol Pachinian en juillet 2020, à Choucha, déclara : « Le Karabakh est arménien, un point c’est tout ! [31] ». Dès l’automne 2018, il avait pris acte du changement de perception intervenu auprès d’une partie (non quantifiable) des Arméniens : les districts azéris occupés pour constituer une zone de sécurité, destinés à être échangés contre un statut pour le Haut-Karabakh, devinrent au fil du temps des “terres historiques conquises par le sang” [32]. Dans le même temps, Nikol Pachinian et Ilham Aliev affrontaient de graves difficultés intérieures et avaient tout intérêt à détourner l’attention de leurs peuples vers l’extérieur. L’Arménie semble ne pas avoir surveillé d’assez près le réarmement massif et la reconstruction des forces armées de l’Azerbaïdjan. Excès de confiance en soi, incompétence, corruption ? Nous ne le savons pas encore. Pourtant, les brefs combats du mois de juillet 2020 auraient dû sonner l’alarme. Certains estiment que le contexte international pourrait avoir également pesé. L’Azerbaïdjan exploita une fenêtre de tir particulièrement favorable. La pandémie de Covid-19 accaparait la communauté internationale et paralysait toute réplique d’ampleur. Les élections présidentielles limitaient les possibilités de réaction des États-Unis, dans l’hypothèse (improbable) où ils auraient envisagé de le faire. La crise au Bélarus absorbait l’attention de la Russie, qui ne paraît pas avoir prévu la reprise du conflit ou, du moins, son ampleur. À moins qu’elle n’ait laissé faire sciemment. Le Brexit et la montée de l’euroscepticisme réduisaient encore la probabilité d’une riposte de l’Union européenne. En admettant qu’elle parvint à en définir une, alors qu’elle s’avère toujours incapable de se doter d’une politique de puissance. À l’opposé, la Turquie a de l’ambition à revendre et ne rencontre guère d’obstacle dans cette voie, ce dont Bakou bénéficia.
Dès l’ouverture des hostilités, l’Azerbaïdjan surclassait la coalition Arménie-Artsakh. Son budget de la défense (2019), alimenté par les recettes d’exportation des hydrocarbures se montait environ au triple de celui d’Erevan : 1 787 millions de dollars (3,79 % du PIB) contre 644 millions de dollars (4,79 % du PIB). En termes d’effectifs combattants, on notait une parité : 66 950 soldats dans les forces azéries contre 67 300 dans les forces arméniennes. Mais les Arméniens disposaient de réserves plus faibles : 210 000 réservistes contre 300 000. Ce déséquilibre pesa d’autant plus lourd que Bakou engagea des mercenaires syriens [33]. Les combattants arméniens étaient estimés (et s’estimaient) meilleurs que les Azéris, ce qui aurait dû compenser la disparité en matériel. Sur le plan quantitatif, l’Azerbaïdjan bénéficiait de la supériorité [34], tandis que la qualité paraissait équivalente puisque les deux belligérants achetaient l’essentiel de leurs équipements à la Russie. Celle-ci recourait à un moyen classique pour éterniser un conflit : assurer un relatif équilibre des forces entre les belligérants. La surprise stratégique devait venir de la combinaison de plusieurs facteurs que l’on ignorait (en attendant la mise au jour éventuelle d’autres éléments). D’abord, joua l’amélioration considérable des qualités [35] et des matériels de l’armée azerbaïdjanaise, en particulier les forces spéciales (en admettant qu’il ne s’agisse pas de militaires turcs). La participation (sous commandement turc) aux missions de l’OTAN au Kosovo et en Afghanistan permit d’aguerrir une partie des militaires azerbaïdjanais. Ensuite, pesa l’ampleur de son équipement en drones ainsi que son aptitude à s’en servir (avec quel niveau d’assistance de la part de la Turquie et d’Israël, la question demeure controversée). Parallèlement, le conflit révéla, côté arménien, l’impréparation militaire (au moins en partie imputable à la médiocrité du renseignement) et la défaillance sur le terrain d’une partie du commandement, incapable d’adapter un mode défensif pris en défaut par les drones.
Du 27 septembre au 22 octobre 2020, l’Azerbaïdjan mena une vaste offensive terrestre sur l’ensemble du front “gelé“ depuis 1994. (...) Le tournant décisif intervint le 22 octobre 2020. (...) Entre le 23 octobre et le 9 novembre 2020, l’Azerbaïdjan lança une nouvelle offensive terrestre, toujours appuyée par les blindés, l’artillerie et les drones et recourant aux forces spéciales.
Schématiquement, les opérations se déroulèrent en deux phases.
Du 27 septembre au 22 octobre 2020, l’Azerbaïdjan mena une vaste offensive terrestre sur l’ensemble du front “gelé“ depuis 1994. Fortement appuyée par les blindés, l’artillerie et les drones, l’armée azerbaïdjanaise avait pour mission de reconquérir suffisamment de territoire pour contraindre l’Arménie à relancer le processus diplomatique. Le système de défense du Haut-Karabakh (ligne Oganissian) était assez simple : six lignes dotées d’une série de points d’appui, derrière lesquelles se trouvaient des forces de manœuvre blindées ou motorisées mobiles et des groupes d’artillerie. L’avancée des forces de l’Azerbaïdjan fut inégale : significative au sud, pratiquement inexistante au centre et, surtout, au nord. Elle se solda par de lourdes pertes matérielles de part et d’autre et suscita partout des contre-offensives arméniennes. Ce résultat était logique : la nature montagneuse et compartimentée du terrain, combinée au début de conditions climatiques hivernales, jouait en faveur des défenseurs arméniens au centre et au nord. En revanche, le relief plat (ou légèrement vallonné) et la météorologie plus clémente au sud permirent de profiter de la puissance de feu engagée. L’état-major azerbaïdjanais ne pouvait ignorer ces réalités. Il semble qu’il engagea des forces sans espoir de succès significatif au centre et au nord afin d’immobiliser les forces arméniennes et d’empêcher le parti adverse de renforcer son front sud. À partir du 2 octobre 2020, l’Azerbaïdjan utilisa massivement ses drones [36] pour isoler et détruire les positions arméniennes jusqu’alors solidement tenues. Le 3 octobre les deux camps s’engagèrent dans une guerre balistique, l’Azerbaïdjan visant notamment les infrastructures de communication pour paralyser les mouvements et le ravitaillement des forces arméniennes, par ailleurs toujours harcelées par les drones. Bref, la guerre de mouvement marquait le pas, un apparent équilibre des forces était instauré et Bakou entamait une guerre d’attrition. Les observateurs s’accordaient sur l’incapacité des deux belligérants à tenir longtemps une telle stratégie. La progression méthodique des forces azerbaïdjanaises sur le front sud, le long de la frontière iranienne (fixée sur le fleuve Araxe) pour inhiber les tirs arméniens, retenait moins l’attention. Pourtant, elle allait se montrer déterminante.
Le tournant décisif intervint le 22 octobre 2020. Avec ses 6 lignes défensives enfoncées entre le 15 et le 22 octobre, de nombreux blindés mis hors de combat et une défense aérienne inopérante contre les drones adverses [37] qui entravaient l’acheminement des renforts et du ravitaillement, l’Arménie perdit l’avantage défensif. Parallèlement, le même jour, l’Azerbaïdjan acheva la reconquête du sud et put tourner ses forces en direction du nord. La guerre entrait dans sa seconde phase.
Entre le 23 octobre et le 9 novembre 2020, l’Azerbaïdjan lança une nouvelle offensive terrestre, toujours appuyée par les blindés, l’artillerie et les drones et recourant aux forces spéciales. L’évolution favorable des opérations amena Bakou à élargir ses objectifs : il décida d’exploiter son avantage pour reconquérir tous les territoires perdus en 1994. Les opérations furent rondement menées : le 4 novembre, la route stratégique reliant Goris (en Arménie) à Stepanakert, le corridor de Latchine, se trouva sous le feu de l’Azerbaïdjan. L’approvisionnement et l’envoi de renforts devenaient impossibles par cette route, tandis que celle qui se trouve plus au nord (entre Vardenis et Martakert) demeurait exposée aux tirs depuis le territoire azerbaïdjanais. Le 8 novembre 2020, l’Azerbaïdjan s’emparait de la ville de Choucha (Chouchi en arménien), avec l’aide probable de redoutables forces turques spécialement entraînées à la guerre en montagne et aguerries contre les Kurdes. Ce fut une double victoire pour Bakou. Victoire symbolique, car la chute, en 1992, de la ville considérée comme le berceau culturel azéri au Karabakh, avait été ressentie comme une catastrophe majeure, ce qui entretint le très fort désir de revanche d’une partie de la population. Victoire stratégique, parce que la ville domine Stepanakert, qui se trouvait donc sous le feu des forces azerbaïdjanaises. Or, « qui tient Choucha/Chouchi tient le Haut-Karabakh ». L’écrasement total des Arméniens du Haut-Karabakh et la liquidation de leur République devenaient imminents. Mais la Russie ne le souhaitait pas et Vladimir Poutine sortit de sa réserve. Il entra en scène au moment où les conditions semblaient réunies pour mettre en œuvre le plan Lavrov [38], proposé sans succès en avril 2016. « La situation doit être claire sur le champ de bataille avant que la diplomatie puisse être efficace [39] » !
Sous l’égide de la Russie, les parties prenantes au conflit conclurent un cessez-le-feu “total“ le 9 novembre 2020 [40]. Moscou agit sans mandat international, ce qui lui laisse les mains libres pour organiser et administrer sa médiation.
Conformément au droit international (principe d’intégrité territoriale), l’Azerbaïdjan conserve le tiers sud reconquis du Haut-Karabakh et récupère les territoires situés entre l’Arménie et le Haut-Karabakh perdus depuis 1994 : districts d’Aghdan, de Kelbadjar et de Latchine.
L’accord prévoit le retour des déplacés azéris chassés des territoires perdus depuis 1994, sous le contrôle du Haut-Commissariat des Nations-unies aux réfugiés.
Les belligérants conviennent d’un échange de prisonniers et de la restitution des dépouilles de combattants tués. Les atrocités commises [41] et les poursuites qu’elles devraient entraîner ne sont pas mentionnées. Le fossé du sang creusé de longue date entre les deux peuples s’en trouve encore élargi et ne manquera pas de peser sur l’évolution de la situation.
L’Arménie accepte l’ouverture (à travers le massif du Zanguezour et la province de Siounik) d’un corridor de communication entre l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan et le territoire de l’Azerbaïdjan. Ce dernier concède un passage sécurisé (à construire au nord de l’ancienne route stratégique Goris-Stepanakert) entre le Haut-Karabakh et l’Arménie. Les deux parties s’engagent à ne pas entraver les échanges économiques.
Afin de superviser et de sécuriser l’application de ces clauses, la Russie est autorisée par les deux belligérants à déployer une force de maintien de la paix [42] pour une période initiale de 5 ans, renouvelables une fois. La Russie dispose (depuis 2005) d’une seule unité spécialisée dans les opérations de maintien de la paix (les Russes parlent, pour leur part, de “coercition pour la paix“) : la 15e brigade Alexandrine de fusiliers motorisés. Ankara ne manquera pas de relever qu’elle est l’héritière du 5e régiment de hussards de la garde impériale, créée par le tsar Alexandre Ier et qui participa aux guerres russo-turques. Placée sous le commandement du général Rustam Muradov, son état-major se trouve à Stepanakert. Composée exclusivement de professionnels, très bien entraînée et équipée, cette unité d’élite a combattu en Géorgie (2008) et en Syrie (depuis 2015), vraisemblablement en Ukraine (depuis 2014). Des gardes-frontières du FSB [43] veilleront sur les corridors de communication. Pour la première fois, l’armée russe prend en charge les affaires civiles sur un théâtre d’opération, sous l’égide du Comité interministériel pour l’aide humanitaire créé pour l’occasion par Vladimir Poutine (décret du 13 novembre 2020 [44]).
Quant au statut du Haut-Karabakh, il reste à négocier, par l’entremise de Moscou. De fait, la Russie devient la seule garante des Arméniens du Haut-Karabakh et maîtresse du destin de ce qu’il reste de la République d’Artsakh.
Cette guerre de 44 jours, sur quelques milliers de kilomètres carrés du Sud-Caucase, outre son cortège de morts, de blessés, de souffrances psychologiques et de destructions matérielles, entraîne des conséquences de dimension mondiale.
Établir le bilan d’un conflit n’est pas chose aisée, surtout lorsque l’événement vient de se produire, qu’il manque des informations et que le temps n’a pas accompli son œuvre de décantation. En outre, l’exercice impose d’aller au-delà des apparences et d’introduire des nuances : les vainqueurs et les vaincus ne gagnent et ne perdent pas toujours totalement. Ce que révèle un examen attentif des suites de la Seconde Guerre du Karabakh et des perspectives qu’elle a ouvertes.
L’Azerbaïdjan récupère la majeure partie des territoires perdus en 1994. Dans la mesure où la Première Guerre du Haut-Karabakh avait provoqué un très grave traumatisme collectif (comparable à la perte par la France de l’Alsace-Moselle en 1871), la victoire de 2020 sonne comme une revanche (au même titre que la victoire de la France sur l’Allemagne en 1918, qui avait permis la récupération des provinces perdues), de nature à consolider le jeune État-nation. L’artisan de cette victoire, le président Ilham Aliev en sort auréolé [45] du prestige qui lui faisait défaut – désormais, il s’est fait un prénom –, et il renforce, au moins temporairement, son pouvoir. La situation internationale du pays paraît plus solide, les alliances avec la Turquie et Israël ayant bien fonctionné et garanti la victoire, tandis que la Russie a laissé faire.
Largement perdantes, l’Arménie et la République d’Artsakh préservent toutefois les deux tiers du territoire du Haut-Karabakh. En dépit d’un rapport de forces défavorable, elles obtiennent le maintien en vie de l’entité séparatiste arménienne, au bord de l’anéantissement le 9 novembre 2020. Dans un discours prononcé le 20 mars 2021, Nikol Pachinian présenta la restauration du corridor routier et ferroviaire entre le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan à travers le territoire arménien comme bénéfique pour les deux pays. L’Arménie disposerait, selon lui d’une liaison terrestre fiable avec la Russie (comme à l’époque soviétique) et avec l’Iran. Comme lui, une partie des Arméniens envisagent par cette reconnexion une réduction des inconvénients de l’enclavement (aggravés par l’hostilité de la Turquie) et une perspective de développement économique.
Moscou contient la poussée d’Ankara en accaparant la gestion post-conflit.
La Russie, incontestable gagnante, s’impose dans le beau rôle de seule garante paix et de protectrice de la minorité arménienne d’Azerbaïdjan. Mais Moscou accroit également sa puissance de plusieurs manières. En premier lieu, elle renforce son emprise sur le Sud-Caucase : la sécurité de l’Arménie dépend d’elle plus que jamais et les forces armées russes reviennent en force sur le territoire de l’Azerbaïdjan qu’elles avaient dû évacuer en 1992. Un accord prévoit que Moscou réorganisera l’ensemble de la défense arménienne. Alors que le poids des opérations reposa largement sur la Turquie, cette dernière se voit empêchée de profiter de son intervention pourtant décisive. Moscou contient la poussée d’Ankara en accaparant la gestion post-conflit. Autre avantage, comme dans le dossier syrien avec le processus d’Astana, la Russie évince – au moins provisoirement – les Occidentaux du règlement diplomatique en écartant le Groupe de Minsk. Moins visible, mais tout aussi important, la Russie se rappelle au bon souvenir de la Chine et se rapproche du tracé de la “Nouvelle route de la soie“. La rivalité ou l’absence de rivalité entre les deux pays alimente une partie des débats entre experts et rien ne permet de trancher. Toutefois, en se renforçant dans la région, Moscou peut signifier à Pékin que rien ne s’y fait sans elle.
La Turquie n’obtient pas des résultats à la hauteur de ses ambitions, mais engrange quelques succès substantiels. Elle renforce sa crédibilité régionale et ses liens avec l’Azerbaïdjan. L’accord de défense qui existait entre les deux pays depuis 2010 a bien fonctionné [46] et le 10 décembre 2020, le président Erdogan fut l’invité d’honneur du défilé de la victoire, à Bakou. L’armée turque eut l’honneur d’y participer. Le projet panturc du régime est favorisé par l’ouverture à travers l’Azerbaïdjan, d’un corridor reliant la Turquie à la mer Caspienne et à l’Asie centrale. Et ce, sans dépendre de l’Iran. Ankara en attend non seulement un renforcement des liens culturels avec les pays turcophones, mais également un accroissement de ses échanges économiques. La marginalisation des Occidentaux dans la région élargit la marge de manœuvre du président Erdogan dans son bras de fer avec l’Alliance atlantique et l’Union européenne.
La Chine conserve de bonnes relations avec tout le monde, et les modifications territoriales confortent sa “Nouvelle route de la soie“. Elles augmentent ses options et élargissent sa marge de manœuvre entre les différents pays du Sud-Caucase. Elle semble opter pour une stratégie analogue à celle mise en œuvre en Asie Centrale : développer son implantation économique mais laisser la Russie conserver ses liens “historiques“. Peut-être spécule-t-elle sur le sentiment antirusse persistant auprès d’une partie de la population azérie, réveillé par la présence des soldats de Moscou.
La République d’Artsakh est amputée d’un tiers de son territoire. Elle se trouve de nouveau intégralement enclavée dans le territoire de l’Azerbaïdjan. En l’absence de statut politique, le sort de sa population demeure en suspens. Donc, dans tous les domaines, elle dépend de la seule volonté russe. Les précédents (Abkhazie, Ossétie du Sud, Transnistrie, est de l’Ukraine) montrent que ces situations permettent à Moscou d’affaiblir ses voisins et de déployer ses forces militaires en avant de ses frontières. Pourquoi réglerait-elle le conflit du Haut-Karabakh plus rapidement que les autres ? D’ailleurs, le voudrait-elle qu’elle ne le pourrait peut-être pas. Dans la vidéo diffusée après sa visite en territoire reconquis, à Fizouli, le 16 novembre 2020, Ilham Aliev déclara : « Il n’y aura pas de statut d’autonomie pour le Karabakh. L’Azerbaïdjan est un pays uni [47] ». Il exige l’assimilation des Arméniens du Haut-Karabakh à la population azerbaïdjanaise, tout en sachant très bien que les Arméniens n’accepteront jamais. Sa position n’a pas changé et n’augure rien de bon pour l’avenir des négociations. Il faut plus probablement envisager une reprise des violences ou le départ des Arméniens du Haut-Karabakh. Ce que cherchent à éviter ces derniers en réclamant [48] la reconnaissance par la communauté internationale de leur droit à l’autodétermination et en spéculant sur le “capital géopolitique“ que représente à leurs yeux leur situation géographique, utile à la Russie contre le tandem qui lui serait “par définition hostile“ : Azerbaïdjan-Turquie.
L’Arménie accumule les pertes. Les territoires conquis entre 1991 et 1994 pour assurer la continuité territoriale avec le Haut-Karabakh retournent à l’Azerbaïdjan. Les conditions de la défaite ainsi que le comportement triomphaliste et sans pitié des Azerbaïdjanais [49] humilient les Arméniens et compromettent les perspectives de rapprochement [50]. Cet échec affaiblit le pays, tant sur le plan militaire que dans le domaine économique. Il accroît l’instabilité politique et Nikol Pachinian, à tort ou à raison, se trouve violemment critiqué à un moment où, pour défendre ses intérêts, le pays aurait plus que jamais besoin d’un dirigeant à l’autorité incontesté. Le 28 mars 2021, pour tenter de restaurer sa légitimité, Nikol Pachinian a annoncé sa démission et la convocation d’élections anticipées pour le 20 juin 2021. Mais cela suffira-t-il pour résoudre la crise politique et institutionnelle que connaît le pays ? D’autant que le salut ne viendra pas de l’extérieur : le conflit confirma et amplifia l’isolement international de l’Arménie. Israël et l’Iran, qui entretenaient des relations diplomatiques avec les deux belligérants, choisirent sans ambiguïté l’Azerbaïdjan. Les États-Unis et l’Union européenne n’intervinrent d’aucune manière, du moins officiellement. Par voie de conséquence, Erevan se trouve sous la coupe exclusive de la Russie et celle-ci a montré une nouvelle fois à l’occasion de ce conflit qu’elle ne prenait en compte que ses propres intérêts. Nikol Pachinian a vu sanctionnées ses velléités de rapprochement vers les Occidentaux et de marginalisation des oligarques arméniens proches du Kremlin. La sécurisation par les forces russes du futur corridor reliant le Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan équivaut à une perte de souveraineté territoriale. La sécurité comme la définition du futur statut du Haut-Karabakh se trouvent à l’entière discrétion de Moscou [51]. Tout comme l’avenir politique du futur vainqueur des élections du 20 juin 2021.
La Russiea réussi à maintenir le Haut-Karabakh dans les conflits “gelés“ qu’elle manipule à sa périphérie pour s’imposer comme l’arbitre indispensable et déployer ses forces militaires au-delà de ses frontières.
Si l’Azerbaïdjan récupère davantage de territoires qu’espéré initialement, le triomphe n’est pas complet puisqu’environ 20% de ces territoires restent hors de sa souveraineté : le tiers central et le tiers septentrional du Haut-Karabakh. Rien ne concerne l’indemnisation éventuelle des déplacés azéris, mais Bakou a déjà formulé une demande en ce sens. En effet, entre la reconstruction d’une centaine de villages, la remise en état des infrastructures et le déminage, le coût estimé de ce retour se monte à 30 milliards de dollars, soit davantage que le budget de l’Azerbaïdjan pour 2019. Ce dernier n’a ni les moyens financiers, ni le savoir-faire, ni la force de travail nécessaires. Par-dessus tout, le pays se retrouve en situation de dépendance vis-à-vis de la Russie. Celle-ci a réussi à maintenir le Haut-Karabakh dans les conflits “gelés“ qu’elle manipule à sa périphérie pour s’imposer comme l’arbitre indispensable et déployer ses forces militaires au-delà de ses frontières. Compte tenu du fort sentiment antirusse [52] qui existe dans une partie de la population, cela pourrait placer le président Aliev en mauvaise posture intérieure.
La Turquie apparaît en partie comme le… dindon de la farce ! Malgré un engagement déterminant aux cotés de Bakou, le contrôle militaire sur le terrain (y compris celui du corridor entre le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan) et la maîtrise du processus diplomatique lui échappent au profit de la Russie. Pour sauver la face, le président Erdogan fit adopter le 17 novembre 2020 une loi autorisant le déploiement de forces militaires en Azerbaïdjan, mais sans portée réelle puisque la présence de soldats turcs aux points de contrôle du cessez-le-feu est rigoureusement proscrite par Moscou. Celle-ci accorda un maigre lot de consolation à Ankara : la création d’un Centre de coordination conjoint, chargé de veiller, depuis le territoire azerbaïdjanais et avec des drones, au maintien de la paix au Haut-Karabakh.
L’Iran se trouve désavantagé à plusieurs titres. Le renforcement de la présence turque au Sud-Caucase consolide le “grand arc sunnite“ que Téhéran estime tendu par Ankara du Xinjiang à la Syrie. Tout aussi préoccupant, le renforcement de l’alliance entre Bakou et Israël. Sans oublier les mercenaires salafistes djihadistes déployés par la Turquie et qui pourraient demeurer sur place, menaçant la frontière nord de l’Iran. Ce dernier perd également le moyen de pression que lui offrait le monopole sur le transit des échanges entre la Turquie et l’Azerbaïdjan d’une part, et l’Asie Centrale, d’autre part. Ce qui l’affaiblit aussi dans les négociations économiques qu’il mène avec la Chine.
Les Occidentaux sortent affaiblis et humiliés par leur exclusion du règlement diplomatique. De plus, la sécurité énergétique de l’Union européenne est compromise par le rapprochement des forces russes à proximité des oléoducs et gazoducs qui avaient été construits hors de portée de la menace russe. Le nouveau gouvernement américain entend rétablir l’influence des États-Unis dans la région. Ces derniers peuvent jouer sur leurs liens stratégiques avec la Géorgie et leur forte implication dans les hydrocarbures produits ou transitant par l’Azerbaïdjan. La reconnaissance du génocide arménien par le nouveau gouvernement américain (24 avril 2021) sonne comme un avertissement pour Ankara et Bakou. En outre, Washington et Bruxelles seuls disposent des moyens requis pour financer la reconstruction et la modernisation des zones dévastées par le conflit. Comme en Syrie, l’influence russe se heurte au mur de l’argent. Pour pallier cette insuffisance, Moscou n’a qu’une alternative : retarder indéfiniment le règlement politique, donc la reconstruction, ou associer les Occidentaux à une solution négociée, donc au financement de la reconstruction.
Enfin, ce conflit s’est déroulé et s’achève au détriment de ce qui reste de la communauté internationale bâtie après la Seconde Guerre mondiale. L’accord de cessez-le-feu ne respecte pas les critères définis pour les opérations de maintien de la paix : le déploiement des forces russes se fait sans mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, sans limite dans le temps, sans définition claire et précise de sa mission. Le contingent appartient à un seul pays et opère sur le territoire d’un État limitrophe. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et alors que la Chine accapare impunément la mer de Chine du Sud, la Seconde guerre du Haut-Karabakh confirme le retour à la politique de puissance militaire pour modifier les territoires. L’histoire nous enseigne que cela mène le plus souvent à la multiplication et à l’amplification des conflits, voire à l’embrasement mondial. Le rejet des règles se traduisit également par l’utilisation d’armes prohibées [53] (armes à sous-munitions, bombes au phosphore). Dès le 3 novembre 2020, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, exprimait son inquiétude face à la poursuite des attaques aveugles dans les zones peuplées dans et autour de la zone de conflit du Haut-Karabakh, en violation du droit international humanitaire, et avertissait qu’elles pourraient constituer des crimes de guerre. Ceux-ci commencèrent à être documentés le mois suivant [54].
La Russie n’a rien perdu, du moins à court terme. Mais la suite demeure aléatoire. Pourra-t-elle assumer le fardeau financier et militaire supplémentaire de l’interposition et… de la dépendance accrue de l’Arménie ? Réussira-t-elle là où le Groupe de Minsk a échoué et trouvera-t-elle une solution politique à la question du Haut-Karabakh ? Pourrait-elle la financer ? Quelles seraient les conséquences d’un échec et Moscou aurait-elle les moyens d’y faire face ? Comment gérera-t-elle ses relations avec la Turquie, frustrée par sa “victoire en demi-teinte“ [55] ? Quelle sera l’influence de la partie de la population azerbaïdjanaise hostile à la présence militaire russe ? Ilham Aliev en pâtira-t-il ou ne l’instrumentalisera-t-il pas pour restaurer l’indépendance de son pays ? Comment évoluera l’Arménie sur le plan politique ? Ses dirigeants entameront-ils la réconciliation avec l’Azerbaïdjan ou persisteront-ils dans ce que le président Aliev qualifie d’azerbaïdjanophobie [56] doublée de turcophobie ? Le président Aliev est-il sincère ou cherche-t-il à placer durablement l’Arménie en position défavorable vis-à-vis de la communauté internationale ? Les Occidentaux accepteront-ils sans réagir de se trouver évincés d’une région où leurs intérêts (notamment énergétiques) sont en jeu ? Et si le principe de distinction, la proportionnalité, l’interdiction d’utiliser des méthodes inacceptables et le principe général d’humanité sont abandonnés, vers quelle barbarie l’humanité régresse-t-elle ? À l’ère nucléaire et dans un contexte de dégradation environnementale hautement belligène, cela ne présage rien de bon.
Article clos le 26 avril 2021
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[1] : ces quelques réflexions (qui n’engagent que leur auteur et pas l’École de l’Air) s’appuient principalement sur les articles et études parus dans Le Figaro, Le Monde, Eurasia Daily Monitor ainsi que sur les cartes (et seulement sur les cartes, compte tenu des polémiques relatives à l’orientation idéologique des commentaires) réalisées par South Front (https://southfront.org).
[2] : nom adopté officiellement en 2017.
[3] : d’après le bilan établi par l’un des meilleurs spécialistes de la région, Thomas de Waal (senior fellow de Carnegie Europe, branche de Carnegie Endowment for International Peace). Cf. : Black Garden : Armenia and Azerbaijan Through Peace and War, New-York, 2013 [1st ed. : 2003], New York University Press, 406 p.
[4] : Le potentiel hydroélectrique du Haut-Karabakh est de 187,5 MW. La production s’élevait, avant le conflit de 2020, à 920 000 MWh, dont 330 000 étaient exportés vers l’Arménie, déficitaire chronique en matière énergétique. Rauf Mammadov, « Azerbaijani Leadership Envisages ‘Smart City’ Concepts for Karabakh », Eurasia Daily Monitor, March 15, 2021.
[5] : « Nous avons surestimé nos capacités et sous-estimé nos adversaires » reconnaissait Gérard Libaridian, un ancien officiel arménien, devenu chercheur à l’université du Michigan.
Benoît Vitkine et Rémy Ourdan, « “Nous avons surestimé nos capacités“ : dans le Haut-Karabakh, la débâcle de l’Arménie », Le Monde, 20 novembre 2020.
[6] : qui instrumentalisent les déplacés du Haut-Karabakh (estimés à environ un million de personnes).
[7] : les deux pays appartiennent à la Communauté des États indépendants (1991), mais l’Arménie seule fait partie des autres regroupements créés par la Russie pour asseoir son influence : l’Organisation du traité de sécurité collective (1992), qui permet à Moscou de disposer d’une base militaire à Gyumri et d’une base aérienne à Erevan ; et l’Union économique eurasiatique (2014). L’article 4 du traité de sécurité collective ne garantit l’assistance mutuelle qu’en cas d’attaque contre le territoire d’un État membre. Par conséquent, la Russie n’avait pas à aider l’Arménie dans un conflit qui se déroule sur le territoire de l’Azerbaïdjan.
[8] : Premier ministre de 2003 à 2014 et président de la République de Turquie depuis 2014.
[9] : bien que les Azéris soient chiites (sans clergé), l’Iran les considère avant tout comme des Turcs, du fait de leur appartenance ethnique et de leur langue. Cette perception ne peut que se renforcer lorsque le président Erdogan proclame : « Turquie et Azerbaïdjan : une nation, deux États ».
[10] : avec le soutien appuyé des États-Unis, Israël a signé des accords établissant des relations diplomatiques avec les Émirats Arabes Unis (13 août 2020) et avec Bahreïn (15 septembre 2020). Ces derniers semblent avoir agi avec l’assentiment de l’Arabie Saoudite, rival régional de l’Iran. Les accords prévoient une coopération dans de nombreux secteurs : finance et investissement, aviation civile, relations commerciales et économiques, santé, science, technologie et utilisations pacifiques de l’espace, énergie, arrangements maritimes, agriculture et eau. Ces liens existent depuis plusieurs années, pour lutter contre l’adversaire commun iranien. Ajoutons que l’Azerbaïdjan et l’Arabie Saoudite entretiennent de bonnes relations, motivées par les inquiétudes partagées au sujet des ambitions iraniennes.
[11] : cf. Hasanli Jamil, At the Dawn of the Cold War. The Soviet-American Crisis over Iranian Azerbaijan, 1941–1946, The Harvard Cold War Studies Book Series, 2006.
[12] : Mark Perry, « Israel’s Secret Staging Ground », Foreign Policy, March 28, 2012,
(https://foreignpolicy.com/2012/03/28/israels-secret-staging-ground/)
[13] : en 1996, Pékin prit l’initiative d’un Forum consacré à ses relations avec les anciennes républiques socialistes soviétiques d’Asie centrale devenues des États indépendants. Les axes de travail étaient la sécurité et l’économie. En 2001, ces consultations périodiques — dont la Russie était et demeure partie prenante — devinrent une organisation de coopération régionale intergouvernementale. Aujourd’hui, celle-ci est un des principaux vecteurs d’influence de la Chine en Asie continentale.
[14] : co-présidé par les États-Unis, la France et la Russie, il inclut également, outre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, l’Allemagne, la Biélorussie, la Finlande, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède et la Turquie.
[15] : Thual François, Les conflits identitaires, Paris, 1995, IRIS-Ellipses, p. 21.
[16] : ibidem, p. 22.
[17] : ibidem, p. 25.
[18] : les Armens (peuplade indo-européenne) sont attestés autour du VIIe siècle avant notre ère. Ils semblent s’être mêlés pacifiquement aux habitants déjà en place pour former la population et la culture arméniennes.
[19] : Jean-Christophe Buisson, « Au Haut-Karabakh, ces trésors arméniens menacés », Le Figaro, 15 janvier 2021.
[20] : ajoutons que deux des apôtres du Christ, Barthélémy et Thaddée, auraient prêché le christianisme dans le sud du royaume au Ier siècle.
[21] : l’édit de tolérance de Constantin date de 313.
[22] : « nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché ».
[23] : « L’unique nature du Verbe de Dieu s’est faite homme, en prenant une chair corruptible et mortelle, comparable à celle d’Adam après la chute ; mais, par le feu de sa divinité, le Verbe a rendu cette chair immortelle et incorruptible, comme celle du premier homme au paradis. En conséquence, le Christ est naturellement impassible. S’il est mort sur la croix, après avoir souffert, ce n’est pas l’effet de sa nature, mais la décision de sa volonté, en vue de notre salut ». Synode de Manzikert, 726.
[24] : la moitié méridionale de la sphère de peuplement azéri demeura sous souveraineté iranienne jusqu’à nos jours (excepté durant la phase d’occupation soviétique, 1941-1945, puis de sécession soutenue par l’URSS, 1945-1946).
[25] : entre le 12 mars 1922 et le 5 décembre 1936, l’Arménie formait avec l’Azerbaïdjan et la Géorgie la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie. En décembre 1922, la République de Transcaucasie entra dans l’URSS.
[26] : Paul Goble, « Karabakh Victory Transforming Meaning of Black January for Many Azerbaijanis », Eurasia Daily Monitor, January 21, 2021.
[27] : officiellement et pour ne pas indisposer la communauté internationale, l’Arménie n’engagea pas son armée régulière.
[28] : cf. note 10.
[29] : les résolutions 822 (1993), 853 (1993), 874 (1993) et 884 (1993), dans lesquelles le Conseil de sécurité condamna l’usage de la force contre l’Azerbaïdjan et l’occupation de ses territoires, et réaffirma la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays ainsi que l’inviolabilité des frontières internationales et l’inadmissibilité de l’emploi de la force pour l’acquisition de territoire. En réaction aux revendications territoriales et aux actes de l’Arménie, le Conseil réaffirma que la région du Haut-Karabakh faisait partie intégrante de l’Azerbaïdjan et demanda le retrait immédiat, complet et inconditionnel des forces d’occupation arméniennes de tous les territoires occupés de l’Azerbaïdjan.
[30] : Levon Ter-Petrossian, animateur du Mouvement Karabakh, président de la République de 1991 à 1998 ; Robert Kotcharian, ancien président du Haut-Karabakh (1994-1997), Premier ministre (1997-1998) puis président de la République (1998-2008) ; Serge Sarkissian, chef des forces d’autodéfense du Haut-Karabakh (1989-1993), ministre de la Défense (1993-1995) puis président de la République (2008-2018).
[31] : reprenant la position exprimée lors de sa rencontre avec Ilham Aliev en marge de la Conférence sur la sécurité de Munich (14-16 février 2020). À la suite de cette rencontre Nikol Pachinian a présenté sur sa page Facebook les six « Principes de Munich » [le nom fait allusion aux principes de Madrid controversés en Arménie] :
1. Le Haut-Karabakh a obtenu son indépendance tout comme l’Azerbaïdjan.
2. Le Haut-Karabakh est une partie au conflit et aux négociations, il n’est pas possible de résoudre le conflit sans négociation avec le Karabakh.
3. Il n’y a pas de territoires, il y a la sécurité. Le Haut-Karabakh ne peut pas compromettre sa sécurité.
4. Il n’est pas possible de résoudre le conflit par deux actions, les négociations nécessitent des « macro
révolutions », puis des « mini révolutions » et une percée.
5. Toute solution doit être acceptable pour le peuple d’Arménie, le peuple du Karabakh, le peuple d’Azerbaïdjan,
l’Arménie et le Karabakh sont prêts à faire des efforts importants pour parvenir à une solution. L’Azerbaïdjan
doit lui aussi démontrer une telle bonne volonté.
6. La question du Karabakh n’a pas de solution militaire. Si quelqu’un dit qu’il y a une solution militaire, le
peuple du Karabakh dirait que la question a donc été résolue depuis longtemps.
Ambassade de France en Arménie, Revue de la presse arménienne du 15 au 17 février 2020.
https://am.ambafrance.org/-Fevrier-2020?debut_artsRubDirect=10&page_courante=2#pagination_artsRubDirect
[32] : Anita Khachaturova, « Le Haut-Karabakh aux prises avec les séquelles de la guerre : la vie sur fond de nouveau statu quo », The Conversation, 28 février 2021.
[33] : fournis par la Turquie, qui les puisa dans les rangs de la bien mal nommée Armée nationale syrienne, ramassis de soldats perdus et de miliciens, pillards, violeurs et assassins, exécuteurs des basses œuvres que le gouvernement turc n’ose pas faire accomplir par son armée régulière. Selon de nombreux observateurs, ce procédé est utilisé à grande échelle contre les Kurdes du nord de la Syrie.
[34] : 1 482 véhicules blindés de combat contre 951, 627 pièces d’artillerie contre 509, 94 hélicoptères contre 30, 55 avions de combat contre 36, 19 drones contre 15. Seul domaine d’infériorité : les lanceurs de missiles sol-sol (Azerbaïdjan, 6, Arménie : 16). Infographie de l’AFP publiée dans La Croix, le 4 octobre 2020
(https://www.la-croix.com/bombardements-intensifient-conflit-Karabakh-2020-10-04-1301117488).
[35] : réorganisation entamée dès 1992 et confiée à la Turquie. Cf. Haldun Yalçinkaya, « Turkey’s Overlooked Role in the Second Nagorno-Karabakh War », The German Marshall Fund of the United States, January 21, 2021
(https://www.gmfus.org/publications/turkeys-overlooked-role-second-nagorno-karabakh-war)
[36] : l’Azerbaïdjan en mit en œuvre de trois types : des drones de reconnaissance (comme le Heron, le Hermes 900 ou l’Orbiter 3 israéliens), des drones d’attaque (essentiellement le Bayraktar TB 2 turc) et des drones-suicide (surtout le Harop, mais aussi l’Orbiter 1K et le Skystriker, israéliens, sans négliger le Kargu 2, turc). Déjà utilisés contre l’Arménie en 2016, les drones-suicide furent mis en œuvre massivement et avec une redoutable efficacité. Plus précis, plus rapides et moins coûteux que les autres matériels existants, ils s’écrasent sur la cible repérée et explosent sur elle ou à proximité. Initialement conçus pour détruire les radars des systèmes de défense sol-air, ils sont désormais capables d’anéantir tout type d’objectif.
Le ministère de la Défense azerbaïdjanais diffusa complaisamment des vidéos montrant ces équipements en action ainsi que leurs effets létaux et destructeurs. Un aperçu avec « Turkish And Israeli Drones’ Big Impact On Nagorno-Karabakh Conflict », Radio Free Europe (https://www.youtube.com/watch?v=8CDfQeI5_XE). Un montage de propagande azerbaïdjanais : « Modern UAV warfare | Karabakh - Azerbaijan 2020 » (https://www.youtube.com/watch?v=gR9rbT44n0g). De nombreux documents d’intérêt inégal diffusés sur les réseaux sociaux, dont on trouve des extraits dans les commentaires mis en ligne sur le site de South Front (avec les réserves sur le fond formulées dans la note n° 1).
[37] : dès les premiers jours, les systèmes de guerre électronique russes Repellent en service dans les forces armées arméniennes pour la lutte contre les drones, furent détruits par… des drones d’attaque azéris. Le reste de la défense antiaérienne arménienne fut annihilé grâce à une ruse. De vieux biplans Antonov-An 2-Colt furent utilisés comme leurres pour localiser les radars arméniens, qui furent détruits par des drones immédiatement après leur repérage. Cela permit d’engager sans risques des chasseurs-bombardiers contre les bunkers que les armes emportées par les drones ne pouvaient percer. Emmanuel Grynszpan, « Comment Bakou a percé le Haut-Karabakh », Le Figaro, 25 octobre 2020.
[38] : du nom du ministre des Affaires étrangères russe, il prévoyait l’arrêt des opérations militaires, la restitution à l’Azerbaïdjan des territoires occupés depuis 1991, la négociation d’un statut particulier pour le Haut-Karabakh et du règlement de la question du retour des déplacés azéris. Il ne diffère guère des “Principes de base“ formulés en 2009 à Madrid par le Groupe de Minsk de l’OSCE : restitution des territoires à l’Azerbaïdjan, statut intérimaire pour le Haut-Karabakh (autonomie et garanties de sécurité), corridor permanent entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, droit au retour pour tous les déplacés et réfugiés. Mais deux propositions ne pouvaient convenir à Moscou : statut définitif fixé “démocratiquement“, garanties de sécurité assurées par la communauté internationale. Cela risquait de porter atteinte à l’emprise politique et militaire russe.
[39] : selon la formule utilisée par le chercheur Murad Muradov dans un article pour le Geopolitical Monitor et rapportée par Benoît Vitkine, « La Russie revient en force dans le Caucase à la faveur de la défaite de l’Arménie au Haut-Karabakh », Le Monde, 10 novembre 2020.
[40] : cf. version officielle en anglais sur le site de la Présidence russe :
http://en.kremlin.ru/events/president/news/64384
[41] : Isabelle Mandraud, « Dans le Haut-Karabakh, ces vidéos de prisonniers de guerre qui hantent les familles », Le Monde, 5 décembre 2020.
[42] : « 1 960 soldats équipés d’armes à feu, 90 véhicules blindés et 380 véhicules à moteur ainsi que des équipements spéciaux seront déployés le long de la ligne de contact dans le Haut-Karabakh et le long du corridor de Latchine ». Accord de cessez-le-feu, article 3. Auxquels il faut ajouter un nombre indéterminé de gardes-frontières : « Le service des gardes-frontières du Service fédéral de sécurité russe est chargé de surveiller les liaisons de transport ». Accord de cessez-le-feu, article 9.
[43] : ils sont déjà déployés à la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan (contre les trafiquants de drogue et les djihadistes) ainsi qu’aux frontières sensibles de l’Arménie (Turquie et Iran) et au large des côtes de l’Abkhazie. Il s’agit de combattants d’élite, entraînés en particulier à résister à des forces supérieures jusqu’à l’arrivée de renforts.
[45] : Paul Tavignot, « En Azerbaïdjan, l’autocrate Ilham Aliev rendu populaire par la guerre », Le Monde, 22 janvier 2021.
[46] : les manœuvres communes effectuées par les deux armées en août 2020 pourraient d’ailleurs avoir couvert les préparatifs de l’offensive de l’automne.
[47] : « Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev visite en triomphateur le Haut-Karabakh », RFI, 17 novembre 2020.
[48] : Vladimir Socor, « Russia’s Karabakh Protectorate Taking Clearer Shape (Part Two) », Eurasia Daily Monitor, March 22, 2021.
[49] : deux exemples illustrent cette attitude. Le Président Aliev a déclaré : « nous avons forcé [le Premier ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation. J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait ». Le Figaro-AFP, 9 novembre 2020.
Lors du défilé de la victoire à Bakou le 10 décembre 2020, « dans une symbolique on ne peut plus explicite, les canons des blindés et chars d’assaut pris aux Arméniens sont abaissés au maximum. Cabossés, sales, ils circulent sur des semi-remorques et sont accompagnés de diverses pièces d’artillerie (mortiers, obusiers, lance-roquettes multiples) assemblées pour représenter l’arsenal défait ». Paul Tavignot, « Ilham Aliev offre à Recep Tayyip Erdogan de partager son triomphe », Le Monde, 10 décembre 2020.
[50] : ce que semble ignorer Hikmet Hajiyev, le conseiller du président Ilham Aliev pour les affaires étrangères. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde (propos recueillis par Paul Tavignot, 11 mars 2021), il déclare : « Nous aimerions parvenir à un traité de paix réel et complet entre nos deux républiques. Nous ne voulons pas voir à nos frontières un régime frustré et revanchard sur le long terme. Une Allemagne de l’entre-deux-guerres, en quelque sorte. Nous souhaitons établir des relations de voisinage normales entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Pour cela, Arméniens et Azerbaïdjanais doivent mutuellement respecter la souveraineté territoriale de chacun. De notre côté, nous sommes prêts. Nous n’avons aucune prétention territoriale envers l’Arménie, nous respectons son territoire. Les Arméniens doivent donc respecter le nôtre. S’ils mettent fin aux revendications irrédentistes, nous pourrions avoir nos propres accords de Camp David, comme au Moyen-Orient. »
Or, la décision de ne pas satisfaire l’aspiration à l’unification des populations germaniques (article 80 du traité de Versailles — 28 juin 1919 — et article 88 du traité de Saint-Germain-en-Laye — 10 septembre 1919 — interdisant le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne — l’Anschluss — ; plusieurs clauses territoriales de ces traités) contribua fortement à la frustration des Allemands et des Autrichiens. Quant aux accords de Camp David (signés le 17 septembre 1978), cadres du futur traité de paix entre l’Égypte et Israël (signé le 26 mars 1979 à Washington), les clauses relatives à la Cisjordanie et à la bande de Gaza, donc aux aspirations des Palestiniens, n’en furent jamais appliquées.
[51] : Narek Sukiasyan, « Appeasement and autonomy Armenian-Russian relations from revolution to war », EU Institute for Security Studies, January, 2021.
[52] : Rahim Rahimov, « Perceptions of Russia in Azerbaijan - Challenge for Moscow’s Peacekeeping Mission », Eurasia Daily Monitor, December 8, 2020 (https://jamestown.org/program/perceptions-of-russia-in-azerbaijan-challenge-for-moscows-peacekeeping-mission/) ; Paul Goble, « Azerbaijan Politicians And Experts Demand Russian Peacekeepers Be Withdrawn », Eurasia Review, December 15, 2020
(https://www.eurasiareview.com/15122020-azerbaijan-politicians-and-experts-demand-russian-peacekeepers-be-withdrawn-oped/).
[53] : documentée notamment par Amnesty International et Human Rights Watch. Ces ONG relèvent la violation de la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, signée à Genève en 1980 et de la Convention sur les armes à sous-munitions, signée à Dublin en 2008.
[54] : « Arménie / Azerbaïdjan : des crimes de guerre commis par les deux camps », Amnesty International, 10 décembre 2020. (https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/armenie-azerbaidjan-crimes-de-guerre)
[55] : Jean-François Chapelle, « Le Haut-Karabakh, une victoire en demi-teinte pour la Turquie » Le Monde, 12 novembre 2020.
[56] : « Ilham Aliyev attended “New vision for South Caucasus : Post-conflict development and cooperation” international conference held at ADA University”, 13 april 2021 (https://en.president.az/articles/51088).
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