Diplomatie humanitaire
Préserver les chances de la diplomatie humanitaire au moment où elle est la plus nécessaire

Par Michel VEUTHEY, le 2 octobre 2011  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Vice-Président de l’Institut international de droit humanitaire (San Remo, Italie), Professeur associé, IDPD, Université de Nice, a été de 1967 à 2000 au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Membre du Conseil d’administration de MSF-Suisse (2000-2004), Président du Conseil de fondation du Collège Universitaire Henry-Dunant (2011).

Géopolitique de l’humanitaire. La diplomatie humanitaire n’est pas nouvelle mais son actualité et son urgence le sont. Michel Veuthey, fort d’une très solide expérience, l’explique de manière limpide.

La diplomatie humanitaire a connu un développement extraordinaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et en particulier avec l’attention accrue portée à l’humanitaire et aux Droits de l’Homme. La mobilisation de la société civile nationale et internationale pour des causes humanitaires qui ont marqué les dernières décennies en fait aussi partie. La diplomatie humanitaire consiste en un dialogue fondé sur la reconnaissance de l’autre – quel qu’il soit – comme être humain. Exclure ce dialogue et cette reconnaissance d’humanité est contraire aux normes essentielles du droit international et national. Il serait temps d’en reconnaître la nécessité également sur le plan de la sécurité. Car ce dialogue d’humanité pourrait être une des clefs de notre sécurité et du rétablissement de la paix tant sur le plan national qu’international. Il faut préserver les chances de la diplomatie humanitaire au moment où elle est la plus nécessaire.

NOUS examinerons brièvement la définition de la diplomatie humanitaire, son actualité, ses acteurs, ses contextes juridiques, ses modes opératoires, ses limites et perspectives.

Quelle définition ?

La diplomatie humanitaire peut être comprise comme des contacts discrets ou publics de Gouvernements et d’organisations humanitaires avec d’autres Gouvernements et avec des entités de la société civile pour :

. avoir accès aux victimes afin d’évaluer leur situation et l’ampleur et la nature des besoins ;

. faire accepter aux différents acteurs l’assistance et la protection qui seraient nécessaires ;

. négocier des facilités d’accès aux populations sinistrées pour le personnel humanitaire ;

. négocier des facilités douanières et fiscales pour les secours et pour le matériel des organisations humanitaires ;

. assurer la sécurité et le statut du personnel expatrié et local ;

. négocier des garanties de sécurité pour la population civile et pour les autres bénéficiaires de l’action humanitaire ;

. coordonner l’action humanitaire ou, au moins, assurer une concertation ("information sharing") entre organisations humanitaires et autorités ;

. promouvoir la codification, la ratification, l’application, la mise en œuvre du droit humanitaire au sens large. Cette notion inclut le droit international humanitaire applicable dans les conflits armés, le droit des réfugiés, le droit des migrants, les droits de l’homme, la protection des personnes déplacées dans leur propre pays.

Au moment où l’on invoque la « responsabilité de protéger » pour justifier des interventions militaires, il est bon de reprendre le mot de l’Ambassadeur australien Christopher Lamb, selon lequel la diplomatie humanitaire, c’est la « responsabilité de convaincre » [1]


De crise en crise, entre actualité et long terme

Les conflits en Afghanistan, en Libye et au Proche Orient comme la crise humanitaire dans la Corne de l’Afrique, en montrent l’importance et l’urgence. Les moyens militaires seuls, comme la logistique pour l’acheminement des secours, ne suffisent plus à assurer dans la durée le succès d’une opération militaire ou d’une action humanitaire. Pour prendre une image informatique, les moyens militaires et la logistique humanitaire seraient le "hardware", tandis que la diplomatie humanitaire en serait le "software"... L’un et l’autre se complètent, sont indispensables, inséparables...

Les délibérations du "Segment humanitaire" du Conseil économique et social (ECOSOC) du 19 au 21 juillet 2011 à au Palais des Nations à Genève l’ont bien souligné : l’humanitaire d’aujourd’hui, s’il veut être efficace dans l’urgence, doit s’inscrire dans le long terme. Il faut pouvoir prévoir la crise, prendre des mesures de prévention, renforcer la capacité de résistance ("résilience") des populations. Il faut aussi déjà intégrer la reconstruction dans l’action humanitaire. Cette approche en profondeur, dans la durée, demande des consultations et des négociations impliquant de nombreux acteurs (« stakeholders »).

Quels sont les acteurs de la diplomatie humanitaire ?

L’humanitaire n’est ainsi plus seulement l’affaire de sauveteurs d’urgence intervenant au dernier moment. L’humanitaire d’aujourd’hui se prépare longtemps à l’avance avec les Gouvernements (locaux et donateurs) et aussi voire surtout avec les communautés locales. Ces communautés doivent passer du statut de bénéficiaires à celui de partenaires. Elles ne sont plus des victimes passives mais des interlocuteurs incontournables que l’on consulte avant, pendant et après l’action. Ces communautés locales sont enfin des partenaires engagés dans l’action de prévention, d’urgence et de reconstruction. La diplomatie humanitaire sera multidisciplinaire. Elle impliquera des médecins, des logisticiens, des juristes et aussi des spécialistes de la nutrition, de la météo, de l’hydrologie, des vétérinaires, etc. Elle devra aussi, si elle veut se faire accepter, être multiculturelle. Elle devra négocier à tous les niveaux : société civile locale et nationale, voire régionale. Gouvernements, organisations régionales et universelles, organisations humanitaires, médias internationaux et locaux, artistes et sportifs, responsables religieux et spirituels seront ses interlocuteurs.

La diplomatie humanitaire contemporaine doit souvent traiter avec des acteurs armés non étatiques. Ce dialogue peut présenter difficultés et opportunités :

. difficultés de contact, politiques, culturelles, sécuritaires, géographiques, liées à la fragmentation et à la multiplication de ces acteurs non-étatiques,

. opportunités, car le dialogue humanitaire pourra être le fil d’Ariane qui aboutira à des résultats humanitaires et bien au delà. Des échanges de prisonniers, des actions en faveur de personnes civiles, ont souvent permis des limites à la violence et aux destructions et l’ouverture de négociations mettant fin aux hostilités.

Quels contextes juridiques ?

Dans le cas de catastrophes naturelles en temps de paix, ce sera essentiellement le droit national qui sera applicable.

La Fédération Internationale des Sociétés Nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) cherche depuis des années à faire connaître et à développer des règles et des principes qui permettraient de faciliter l’acheminement et la distribution des secours dans les situations de catastrophes naturelles. Ce programme [2] devrait faciliter la tâche de la diplomatie humanitaire.

Dans les situations de conflits armés, le droit applicable est le droit humanitaire international applicable. Ce droit est à la fois plus précis et plus contraignant. Dans les conflits internationaux (interétatiques pour simplifier), des dispositions donnent au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) des mandats précis. Le CICR a ainsi droit d’avoir accès aux victimes : aux prisonniers de guerre, selon la Troisième Convention de 1949 et aux internés civils en vertu de la Quatrième Convention. Et le même droit international humanitaire confère aussi aux victimes le droit de recevoir assistance et protection.

Dans les conflits armés non internationaux, le CICR - comme toute autre organisation humanitaire impartiale - ne pourra qu’offrir ses services. La contrainte juridique est faible, elle n’en reste pas moins une autorisation non négligeable d’engager le dialogue humanitaire avec toutes les parties en conflit.

La diplomatie humanitaire n’est pas l’apanage des juristes. Et les arguments juridiques ne sont souvent pas les premiers ni les meilleurs, à utiliser. Il sera néanmoins utile pour les acteurs humanitaires de ne pas ignorer ce contexte juridique et, le moment opportun, de savoir l’utiliser en connaissance de cause. Il faudra ainsi répondre aux questions suivantes :

a) quels sont les instruments juridiques applicables, nationaux et internationaux (régionaux et universels) ?

b) quels sont les acteurs (politiques, militaires, humanitaires) ? Quelle est leur attitude à l’égard de ces instruments juridiques ? En ont-ils reconnu l’applicabilité ? Sont-ils prêts à les respecter ?

c) quels autres acteurs, gouvernementaux ou non, ont pris position sur ces instruments et seraient prêts à en appuyer l’applicabilité et la mise en œuvre ?

Quels modes opératoires ?

La diplomatie humanitaire est un instrument qui doit faciliter l’action humanitaire dans son ensemble en permettant la mise en place d’une assistance alimentaire, médicale… sans oublier le volet indispensable de la protection. La protection, ce sont en effet les actions visant au respect de la vie et de la dignité de la personne humaine. Et ces actions de protection contribuent à diminuer le besoin d’assistance. Il y aura ainsi moins de réfugiés et de personnes déplacées si la population civile et ses biens essentiels sont respectés.

Les nouvelles technologies ne remplacent pas l’humain mais peuvent permettre une diffusion et une récolte de l’information impensables auparavant. Un exemple : des satellites commerciaux ont permis à une ONG médicale américaine (« Physicians for Human Rights ») de montrer des villages détruits au Darfour sur la base de photographies aériennes.

La diplomatie humanitaire s’exerce discrètement et/ou publiquement, les deux approches pouvant être complémentaires dans la forme et dans le fond, et être utilisées successivement.

Un appel public au respect du droit humanitaire et à l’accès aux victimes doit être général et succinct. Des démarches discrètes plus détaillées auront lieu auprès des parties directement concernées. Et une troisième approche prend place auprès d’autres interlocuteurs, gouvernementaux ou non, qui peuvent appuyer cet appel public et ces démarches discrètes.

Des organisations comme le CICR ont une politique bien établie de discrétion, qui ne serait rompue que lorsque des conditions très précises seraient remplies, dont la première et principale est l’échec de l’approche discrète.

D’autres organisations, comme Amnesty International ou Human Rights Watch, privilégieront au contraire l’approche publique, sans exclure des démarches discrètes ponctuelles.

La complémentarité entre ces deux approches est évidente. Le CICR base l’essentiel de son action sur l’accès direct aux victimes, y compris aux personnes détenues.

Les acteurs de la diplomatie humanitaire sont d’abord les Etats Parties aux Conventions de Genève du 12 août 1949 sur la protection des victimes de la guerre. Ces Etats ont, en vertu de l’Article Premier commun de ces Conventions, une double responsabilité

. individuelle de « respecter » ces Conventions ; et

. collective, de les « faire respecter ».

Cette double obligation est à la fois :

. négative : un Etat Partie aux Conventions de Genève doit s’abstenir d’encourager des violations ; [3]

. positive : tous les Etats Parties ont l’obligation d’agir, de prendre des mesures pour faire cesser des violations. [4]

L’Union européenne a adopté en 2005 des « Lignes directrices concernant la promotion du droit humanitaire international ». [5] Ces Lignes directrices ont trouvé application dans des déclarations publiques générales – ainsi pour le 60e anniversaire des Conventions de 1949. Elles ont aussi été invoquées dans des conflits particuliers. L’Union européenne a aussi coopéré avec d’autres organisations régionales (comme avec l’Union Africaine au Darfour) et appuyé les efforts de la Cour Pénale Internationale d’une manière générale et dans des cas particuliers en Afrique. [6]

L’Ordre de Malte entretient aujourd’hui des relations diplomatiques au niveau d’Ambassadeur dans 104 Etats dans le monde entier auxquelles s’ajoutent des représentations auprès de certains pays européens et auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales. Les activités diplomatiques de l’Ordre sont liées à ses actions humanitaires.

Le CICR, un acteur privilégié de la diplomatie humanitaire

Depuis 1990, le CICR bénéficie d’un statut d’observateur aux Nations Unies. Il a aussi un statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe, de l’Organisation des Etats Américains (OEA), de l’Union Africaine (UA), ainsi qu’auprès de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), et un statut d’invité au Mouvement des pays non-alignés (NAM). Ces statuts permettent à ses délégués de suivre les travaux de ces organisations, d’être à l’écoute de leurs préoccupations. Ils permettent aussi et surtout d’avoir accès aux délégations, diplomates, hauts fonctionnaires, Ministres, voire Chefs d’Etat, de manière plus aisée qu’une visite officielle dans une capitale.

La diplomatie du CICR pourra être discrète, de coulisses, ou publique, par des interventions ou des recherches de mentions dans des résolutions et dans des rapports officiels. [7]

Le CICR a un caractère juridique particulier : ce n’est ni une ONG ni une organisation intergouvernementale. C’est une organisation privée de droit suisse ayant reçu des mandats de la communauté internationale des Etats Parties aux Conventions de Genève de 1949, universellement ratifiées. Ces mandats lui donnent une « personnalité juridique internationale fonctionnelle  ». Ce statut particulier lui permet d’approcher des acteurs non étatiques et des Gouvernements non reconnus sans leur conférer de statut, tout en ayant reçu le mandat de prendre ces contacts.

Le CICR pourra utiliser trois types de diplomatie humanitaire :

. le plus souvent, de négociation discrète ;

. également aussi de mobilisation d’alliés potentiels, étatiques ou non, et aussi d’individus à même d’influencer favorablement les parties en conflit ;

. exceptionnellement, en tout dernier recours, de dénonciation publique.

La diplomatie humanitaire du CICR aura deux objectifs : opérationnel et juridique.

La diplomatie humanitaire opérationnelle visera à maintenir et si possible étendre l’acceptabilité du CICR dans les conflits en cours ou prévisibles. Elle cherchera à obtenir l’accès aux victimes, à leur prodiguer l’assistance et la protection qui leur seraient nécessaires.

La promotion du droit international humanitaire est partie intégrante des mandats du CICR et de sa diplomatie humanitaire.
Le CICR fait de plus en plus accompagner ses démarches par des recherches d’appuis auprès

. de Gouvernements ;

. d’organisations internationales gouvernementales universelles et régionales ;

. de milieux religieux, en particulier islamiques ;

. de milieux économiques ;

. d’autres organisations humanitaires partageant ses préoccupations et principes ;

. de personnalités individuelles internationales et locales (anciens Chefs d’Etat, écrivains, artistes, sportifs).

L’’"approche intégrée", peut faire de l’action humanitaire un instrument de la politique d’impératifs de sécurité de Gouvernements. Cette "approche intégrée" peut poser une problématique qui amène le CICR (et d’autres organisations humanitaires) à utiliser la diplomatie humanitaire pour s’en démarquer. Leurs actions humanitaires pourraient se confondre avec la poursuite d’objectifs sécuritaires de Gouvernements individuels et de coalitions de Gouvernements. La diplomatie humanitaire vise alors à maintenir l’impartialité réelle ou perçue de leur action humanitaire.

Dans le même esprit, le CICR refuse de se soumettre à une coordination humanitaire qui remettrait en cause sa liberté de choix. Le CICR soutient néanmoins les initiatives visant à améliorer les mécanismes de consultation et de concertation. telles les activités du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). Le défi pour le CICR est de concilier un souci légitime d’efficacité et la crainte qu’une coordination humanitaire trop poussée ne contredise son indépendance, condition fondamentale de son action. [8]

Enfin, le CICR a mis sur pied une série de sites internet en français, en anglais, en espagnol, en arabe, en allemand, en portugais, en russe et en chinois, diffusant aussi ses vidéos sur YouTube.

La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a récemment adopté une "Politique relative à la diplomatie humanitaire", dont elle définit ainsi les objectifs :

. une prise en compte de l’intérêt des personnes vulnérables par les décideurs et les guides de l’opinion ;

. un meilleur accès aux décideurs ;

. un espace humanitaire accru pour les Sociétés nationales et la Fédération internationale ;

. une plus grande visibilité des activités Croix-Rouge/Croissant-Rouge ;

. une meilleure capacité de mobiliser toutes les ressources pertinentes ; et

. la facilitation de partenariats efficaces dans les interventions visant à répondre aux besoins des personnes vulnérables."

Le but de cette politique est d’introduire la diplomatie humanitaire dans toutes les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et au sein de la Fédération internationale. "La diplomatie humanitaire englobe la sensibilisation, la négociation, la communication, les accords formels et d’autres mesures."

MSF, MDM, Handicap International

Médecins Sans Frontières (MSF), dès sa création en 1971, a donné une nouvelle dimension à la diplomatie humanitaire, celle du témoignage. MSF considère la sensibilisation du public sur la situation des personnes en danger comme un complément indissociable à son action. Voir notamment le discours d’acceptation du Prix Nobel de la Paix par MSF en 1999. Médecins du Monde (MDM) a une approche similaire.

Handicap International a organisé une Conférence en 2008 à Lyon sur "Les organisations humanitaires et la diplomatie humanitaire » et se déclare « partie prenante de la diplomatie humanitaire ».

ONG des Droits de l’Homme comme Amnesty et HRW

Amnesty International et Human Rights Watch ( HRW ) ont pour approche générale de dénoncer publiquement des violations des droits de l’homme et, plus récemment, des violations du droit international humanitaire.

Des coalitions d’ONG se sont jointes à des Etats et des organisations internationales pour promouvoir l’adoption et la ratification de traités, [9] plus particulièrement :

. le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (1998),

. la Convention d’Ottawa sur les mines anti-personnelles (1997),

. la Convention d’Oslo contre les armes à sous-munitions (2008).

Appel de Genève" ("Geneva Call")

Depuis 2000, l’"Appel de Genève", engage un dialogue humanitaire avec des acteurs armés non-étatiques et négocie avec eux afin qu’ils respectent certaines normes internationales humanitaires pendant les conflits armés. La nouveauté de l’approche de l’"Appel de Genève" a été de créer un ensemble de documents, des "Actes d’Engagement" qui reflètent le contenu de traités internationaux. Comme les acteurs armés non-étatiques ne peuvent pas signer ni ratifier ces traités internationaux, ces "Actes d’Engagement" leur permettent de déclarer officiellement leur accord à certains standards humanitaires.

Personnalités internationales

Au XIXe siècle, Henry Dunant faisait appuyer ses démarches auprès des Gouvernements par des personnalités comme le Général suisse Guillaume-Henri Dufour, qui avait été un des instructeurs de Napoléon III.

Au XXe siècle, le CICR a fait appuyer ses démarches par des Chefs d’Etat (ainsi en 1983 Fidel Castro auprès du Président de la République populaire d’Angola) ou par de enseignants auprès de leurs anciens étudiants (comme le Professeur Rieben, de l’Université de Lausanne, auprès de Jonas Savimbi, alors Président de l’UNITA). Des artistes africains comme Youssou N’Dour, Papa Wemba, Lucke Dube avaient permis au CICR de faire passer des messages auprès d’enfants soldats dans le cadre du projet "Woza Africa".

Société civile locale

Parmi les partenaires de la diplomatie humanitaire directe ou indirecte, il faut compter les membres de la société civile locale. Il pourra s’agir de Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, d’organisations caritatives laïques et religieuses, d’organisations des droits de l’homme, de « défenseurs des droits de l’homme », de responsables religieux, de dirigeants tribaux, d’artistes et de journalistes. Les diasporas, communautés établies à l’étranger, exercent une influence par leurs liens familiaux et économiques dans leurs pays de résidence et d’origine.

Les collaborations entre société civile locale et organisations humanitaires internationales devront aussi faire l’objet d’une forme de diplomatie humanitaire. Certaines organisations ont des correspondants : Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Caritas, etc. La tendance est, pour des raisons de sécurité et d’efficacité dans la durée, de déléguer le plus possible aux organisations locales, voire aux communautés elles-mêmes. L’interface entre expatriés et locaux pourra réclamer temps et doigté : il faudra, selon le Directeur des Opérations du CICR, inspirer confiance, « écouter, être accepté, être prévisible, projeter une image stable et cohérente à tous les acteurs engagés dans un conflit. » Cette forme de diplomatie humanitaire, c’est la meilleure approche pour la sécurité humanitaire.

Quelles limites ?

Les limites de la diplomatie humanitaire peuvent être :

. la manipulation : la diplomatie humanitaire devra souvent utiliser des enceintes et des interlocuteurs politiques. Elle devra donc veiller à ne pas devenir le jouet de la politique des Etats (ou d’acteurs non-étatiques) ; le quotidien canadien Le Devoir écrivait ainsi au lendemain du tsunami, sous le titre « La diplomatie humanitaire cache des luttes d’influence » : « L’aide internationale sans équivalent en faveur des pays victimes des tsunamis du 26 décembre [2004] a conduit les grandes Puissances traditionnellement présentes dans la région, comme le Japon, l’Inde, la Chine, mais aussi les Etats-Unis, à déployer un véritable « diplomatie de la compassion » qui masque à peine leurs luttes d’influence. » Jean-Christophe Rufin, en 1986, encore dans la Guerre froide, allait plus loin dans son ouvrage Le Piège. Quand l’humanitaire remplace la guerre [10]

. l’illusion : certaines situations humanitaires sont davantage médiatisées et donc susceptibles de recueillir un appui considérablement plus important des Etats et des organisations humanitaires. C’est le « facteur CNN » : la présence de chaînes de télévisions internationales force l’attention [11] et parfois amène des concentrations excessives d’organisations humanitaires sur un conflit ou une catastrophe. [12] La diplomatie humanitaire devra alors savoir choisir la "porte étroite" des causes humanitaires oubliées. Elle devra mettre en évidence les crises oubliées auprès des Gouvernements, de l’opinion publique et des organisations humanitaires ;

. la lutte pour les organisations (ou Gouvernements) plutôt que pour les victimes : beaucoup d’efforts de la diplomatie humanitaire sont - souvent légitimement - déployés pour défendre les intérêts institutionnels des organisations humanitaires ou des Gouvernements donateurs.

Perspectives : comment améliorer la diplomatie humanitaire ?

L’amélioration de la diplomatie humanitaire pourrait se faire par :

. la formation des acteurs (humanitaires, politiques et militaires). La diplomatie passe aussi par la formation au droit international humanitaire, au droit des réfugiés, aux dispositions nationales et internationales protégeant personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et à la protection des migrants. Des formations en diplomatie humanitaire pourraient aussi être envisagées pour tirer les leçons des succès ("meilleures pratiques") et des échecs d’actions humanitaires ;

. la publication de manuels. L’Union Interparlementaire (UIP) l’a fait pour le droit international humanitaire en collaboration avec le CICR, ainsi qu’avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) pour la protection des réfugiés. A relever aussi le guide de la Conférence des Evêques catholiques américains sur la torture, publié en 2008 pendant l’Administration G.W. Bush  : Torture is a moral issue. A Catholic Study Guide.

. le développement de plateformes de dialogue humanitaire informel tel que "Chatham House" ou l’Institut international de droit humanitaire de San Remo. Ces réunions informelles pourront avoir lieu en marge de réunions politiques intergouvernementales. Elles seront utiles même dans le contexte de réunions humanitaires, comme la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui se réunira à Genève du 28 novembre au 2 décembre 2011.

Deux mots clefs doivent orienter la diplomatie humanitaire : accès et respect.

L’accès aux victimes est essentiel à l’efficacité de l’aide humanitaire, qu’il s’agisse d’assistance ou de protection. Il doit être négocié avec de nombreux acteurs…

Le respect inclut la consultation des bénéficiaires ( l’article 12 de la Convention sur les droits de l’enfant en fait même une obligation ). La diplomatie humanitaire se doit d’inclure l’écoute des personnes qu’elle cherche à aider et à protéger.

Le dialogue humanitaire ne devrait pas affecter le statut juridique des parties ni des territoires en conflit (selon l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949). Ce dialogue rend possible des actions humanitaires impossibles autrement : des acheminements de secours, des visites, des libérations et des échanges de prisonniers, des évacuations de blessés. Et ce dialogue humanitaire donne aux belligérants l’occasion d’entamer, entre eux, des pourparlers qui dépassent l’humanitaire : un cessez-le-feu, un règlement pacifique du conflit. Il faut laisser les humanitaires pratiquer la diplomatie humanitaire. Elle facilite également la tâche des diplomates, des politiques et des militaires.

La diplomatie humanitaire est une nécessité pour les victimes des catastrophes et des conflits. Elle est certainement au moins autant nécessaire pour la communauté internationale, contribuant à la sécurité internationale par un dialogue avec tous fondé sur des considérations essentielles d’humanité.

Copyright Octobre 2011-Veuthey/Diploweb.com

Mise en ligne initiale 2 octobre 2011.


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Voir sur le Diploweb.com un article de M. F. Alagbe, "L’action humanitaire menacée par l’inflation normative" Voir


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[1Cf. son intervention à Genève le 27 juin 2011 dans le cadre des « RedTalks ».

[2IDRL, "International Disaster Response Laws, Rules and Principles Programme". En français "Programme international de règles, lois et principes applicables aux actions internationales en cas de catastrophes".

[3Voir l’Arrêt Nicaragua de la Cour Internationale de Justice du 27 juin1986 (« Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique »)

[4Voir l’Avis consultatif de la Cour Internationale de Justice du 9 juillet 2004 concernant le Mur israélien (« Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé »)

[5“Lignes directrices de l’Union européenne concernant la promotion du droit humanitaire international “[Journal officiel C 327 du 23.12.2005]

[6Voir l’article de l’auteur « L’Union Européenne et l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire » in : Anne-Sophie MILLET-DEVALLE (Ed.). L’Union européenne et le Droit International Humanitaire. Colloque. Nice, 18-19 juin 2009. Paris, Pedone, 2010, pp. 189-216

[7Voir à ce sujet notamment : les Rapports annuels d’activités du CICR, disponibles en ligne sur le site du CICR et aussi Jean-François BERGER, The humanitarian diplomacy of the ICRC and the conflict in Croatia (1991-1992), Geneva, ICRC, 1995, 70 p. ; Marion HARROFF-TAVEL, "La diplomatie humanitaire du Comité international de la Croix-Rouge", Relations internationales, 2005/1, no 121, pp. 73 à 89, également en anglais et, plus généralement, les ouvrages sur l’histoire du CICR publiés par Pierre BOISSIER, par André DURAND, par Catherine REY-SCHYRR, par Françoise PERRET et par François BUGNION.

[8Voir notamment Pierre Krähenbühl, "The ICRC’s approach to contemporary security challenges : a future for independent and neutral humanitarian action", International Review of the Red Cross, vol. 86, no 855, September 2004.

[9Voir François Rubio, « Perspectives historiques de l‘impact des acteurs non étatiques sur la rédaction des traités internationaux » in Yadh Ben Achour/Slim Laghmani (Dir.). Acteurs non étatiques et droit international. Colloque des 6, 7 et 8 avril 2006. Paris, Pedone, 2007, 398 p., ad pp. 63-78. Voir encore Michel Veuthey, « Le rôle des acteurs non étatiques dans le respect du droit international humanitaire », Annuaire Français de Relations Internationales. Vol. X (2009), pp. 993-1020.

[10Paris, JC Lattès, 1986, 340 p.

[11Voir notamment Larry Minear, Colin Scott, Thomas Weiss. The News Media, Civil War, & Humanitarian Action. Boulder, Colorado, Lynne Rienner Publishers, 1996, 122 p.

[12Ce fut le cas pour l’aide d’urgence et de reconstruction après le tsunami du 26 décembre 2004. Voir Richard Werly. Tsunami. La vérité humanitaire. Ed. du Jubilé, 2005, 272 p.


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