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Chine : Mobilisation environnementale anti-barrages. Cartographie des acteurs dans le Yunnan (2003-2011)

Par Jonathan T. PEUCH, le 12 février 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Doctorant en science politique dans le Groupe de Recherche sur l’Action Publique (GRAP) à l’Université Libre de Bruxelles (ULB, Belgique)

Géopolitique de la Chine. La société chinoise n’est pas ce bloc monolithique que l’on nous présente parfois de manière caricaturale : la campagne anti-barrages sur la rivière Nu met en évidence sa complexité interne et ses tensions. Jonathan T. Peuch expose d’abord les faits, puis il dresse une cartographie des acteurs. Enfin, l’auteur éclaire l’état de la participation publique en Chine dans les décisions relevant de l’environnement.

LES TRANSFORMATIONS des démocraties européennes appellent à l’approfondissement de nouveaux champs des sciences politiques pour appréhender les articulations de l’action publique à différentes échelles et avec une pluralité d’acteurs [1]. Toutefois, un « angle mort » persiste : l’étude des voix critiques et des engagements dans des contextes sociaux différents. Le cas de la Chine est enrichissant à cet égard. D’une part, le système politique chinois se transforme perpétuellement, rendant sa lecture difficile. D’autre part, la diversité des formes d’engagements et des dynamiques de mobilisation portées par des acteurs multiples (scientifiques, artistes, hauts fonctionnaires, etc.) est faiblement documentée et très peu étudiée par la littérature francophone.

L’une des grandes questions de ce domaine porte sur l’existence, ou non, d’un mouvement environnemental, qui serait capable de provoquer un changement de paradigme politique [2]. Le cas de la mobilisation environnementale qui s’est opposée à la construction de barrages sur la rivière Nu, est éclairant à ce sujet. Le terrain a été étudié lors d’une enquête menée en juin et juillet 2011 en Chine. Cette rivière, longue de 3200 km, prend sa source au Tibet et se jette dans l’Océan Indien au Myanmar. Dans la Province du Yunnan, sa vallée a été reconnue comme exceptionnelle par l’UNESCO en 2003 en raison de sa biodiversité et de ses paysages. Le projet hydraulique, composé de 13 barrages, est censé apporter aux villes du pays l’électricité dont elles manquent. En même temps, il menace l’harmonie du milieu naturel et de ses habitants. Une coalition environnementaliste a obtenu, en 2004, une suspension du projet - fait marquant dans l’actualité chinoise - qui a été confirmée en 2009.

Notre étude exposera dans un premier temps les faits chronologiquement (I). Une cartographie des acteurs permet deuxièmement de clarifier l’état de notre terrain (II). Enfin, l’analyse éclaire l’état de la participation publique en Chine dans les décisions relevant de l’environnement (III).

I. Le cas des barrages de la rivière Nu

Le Yunnan est une région montagneuse traversée par la rivière Nu localisée dans le sud-ouest chinois. L’Est du pays, urbanisé et en développement, compte utiliser la puissance des eaux de montagne pour satisfaire ses besoins d’énergie « propre », c’est-à-dire ne dégageant pas de CO2. Le projet doit apporter une production d’électricité supérieure à celle du fameux barrage des Trois-Gorges sur le Yangsté, mais aussi des ressources financières locales, des emplois, du développement chiffré à environ 400 millions de Yuan (environ 50 millions d’euro). Il est mené par l’entreprise nationale Huaidan Corporation.

Nous allons à présent retracer chronologiquement les principaux faits et les moyens qui furent saisis par les opposants aux barrages [3]. En juillet 2003 est annoncé le projet de construction des barrages. En septembre 2003, la loi obligeant les projets de grande envergure à établir une étude des impacts environnementaux devient contraignante, obligeant la SEPA (State Environmental Protection Agency) à venir arpenter la vallée. Son expertise scientifique et administrative fait référence, donnant un premier appui à un savoir en construction [4], et qui fera débat tout au long de la campagne. Elle dressera un rapport très prudent et plutôt critique à l’encontre de la construction. Pour contrer ce résultat, la province du Yunnan convoquera un forum, un mois plus tard, composé d’experts régionaux qui se déclareront favorables au projet.

Cette tension entre la SEPA et le gouvernement du Yunnan soutenu par la CNDR (Commission Nationale du Développement et des Réformes) durera plusieurs mois. Elle ouvrira une « fenêtre d’opportunité » aux acteurs non-officiels attentifs à la question. Cette ouverture permet une pluralisation des acteurs de la controverse, des argumentaires et des définitions du bien commun en présence.

La première action déployée est celle des « lettres et visites » (xin fang) adressées au pouvoir politique local. Cette méthode est traditionnelle dans le système politique chinois. Elles permettent à la population de s’exprimer et de s’adresser directement à ses gouvernants. Insidieusement, elles font des autorités les gardiennes de la justice, tout en sondant l’opinion publique et en limitant l’accès aux prises de décision. Cependant, l’inefficacité de cette démarche oblige les mécontents à emprunter d’autres voies.

L’implication de la journaliste et environnementaliste Wang Yongchen fait basculer la campagne. Convoquée au forum de la SEPA de septembre 2003, elle met en place une pétition via son ONG Green Earth Volunteers, informant les médias. Elle recommande aux autorités le géographe He Daming, qui s’avérera être un opposant aux barrages. Durant l’hiver, d’autres ONG rejoignent la danse et élargissent la participation publique. Localement, Yu Xiaogang commence une récolte d’information avec son ONG Green Watershed, créée pour l’occasion, afin de compléter les données de la SEPA nécessaires à l’établissement de l’étude d’impact.

Dès le début de leurs activités sur la question à l’automne 2003, les ONG chinoises récoltent des informations, comparent leurs résultats, renforcent leurs liens réciproques, interrogent les populations locales ou encore médiatisent leurs positions. L’enjeu de cet engagement est défini par la sociologie des problèmes publics comme un conflit pour « l’appropriation de la définition du problème public ». Joseph Gusfield (2009) reprend les fondements de cette approche dans son enquête sur « l’alcool au volant » à San Diego, États-Unis. Il s’agit de faire triompher une manière de voir « les faits » ; la « propriété » du problème revient à ceux qui ont la capacité de « faire coller sa propre définition de ce qui est problématique et de ce qui doit être fait. » A cette fin, la médiatisation de la définition alternative du problème est essentielle.

Le mois d’avril 2004 est un moment essentiel. Après cette intense campagne publique, le premier ministre Wen Jiabao suspend officiellement le projet : « We should carefully consider and make scientific decision about major hydroelectric projects like this that have aroused a high level of public concern in society, and with which the environmental protection side has disagreed. » Le discours souligne les deux vecteurs principaux de la contestation : les médias engagés, formateur de l’opinion publique ; l’expertise scientifique, gage d’objectivité et conforme au « développement scientifique » . Cependant, la suspension n’est pas une annulation. Le projet sera retravaillé jusqu’à ce que la SEPA donne son accord en février 2005. Dès août 2004, un réseau d’ONG chinoises est établi à Pékin sous le nom de « China River Network », à l’occasion d’un Salon journalistique organisé par Wang Yongchen et Zhang Kejia, journaliste au China Youth Daily, avec pour objectif de rester attentif à l’avancement des barrages. En février 2011, le gouvernement chinois a réintégré le projet dans le prochain plan quinquennal 2011-2015 [5]. Les événements ne sont pas clos.

II. Cartographie des acteurs

La cartographie des acteurs présentée dans cet article n’est pas exhaustive. Il ne s’agit pas d’un classement en fonction de critère, mais d’une énumération qualitative. Notre méthode a défini des idéaux-types en vue de caractériser les acteurs tout en s’approchant au plus près de la réalité observée. Les acteurs présents se divisent en deux catégories : ceux qui poussent à la construction et ceux qui s’y opposent. La position des acteurs a pu évoluer dans le temps.

Commençons par ceux favorables au projet. La NDRC est l’instigatrice du projet. Elle est la plus puissante commission de l’État central, chargée du développement économique sous le Ministère au Plan. Les motifs qui ont conduit à son implication dans les barrages sont d’ordres économique et social principalement. Le projet doit amener avec lui d’importants financements propices au développement de la région, ce qui favoriserait la réduction de l’écart avec les riches provinces côtières. Les retombées attendues par la NDRC sont l’emploi, des ressources, de l’énergie, de la croissance.

La Huaidian Compagny, consortium national, impliquée dans le ministère de l’énergie, est chargée de la réalisation du projet. En tant qu’entrepreneur économique, il est dans sa nature de gérer ces travaux, dans le contexte de la course aux constructions que se disputent les différentes entreprises de l’énergie chinoise. En 2003, une filiale locale a été créée pour l’occasion, la « Yunnan Huaidian Hydropower Development Compagny  », dotée d’un budget d’environ 25 millions de dollars.

La Province et Préfectures du Yunnan sont favorables au projet pour les mêmes raisons que la NDRC, car les retombées locales sont loin d’être négligeables, et favoriseraient le décollage économique de la Province, d’une des plus pauvres de Chine malgré la manne touristique. D’après le gouverneur de la Province, Qin Guangrong, « Hydroelectricity in Yunnan, particularly in the Three Rivers area, will affect 12 prefectures and cities in the province - 62% of its population and 70% of its area - and holds an important position in regional economic development ». Le projet renforcerait les positions du Parti communiste local en participant au développement du pays. De plus, il est une exigence commandé par la NDRC, hiérarchiquement supérieure conformément au centralisme d’État. Notons que ces autorités commandent aux forces de police et coercitives, et ont un accès naturel à l’arène politique.

Entre les promoteurs et les opposants, la SEPA joue un rôle charnière. Agence de l’État en charge de la protection de l’environnement, elle est l’un des piliers des opposants à l’intérieur de l’appareil politique. Cependant, elle ne se positionne qu’en fonction d’arguments de nature technique. Initialement réticente à l’égard des barrages, elle est amenée à évoluer à la suite des révisions techniques et environnementales du projet. Ces rapports d’évaluation de l’impact environnemental sont essentiels car potentiellement politiques. Ils ne sont d’ailleurs pas rendus publics, malgré des demandes adressées depuis 2005.

Les opposants sont moins institutionnalisés et plus diversifiés que les promoteurs. Les ONG Environnementales sont récentes en Chine (la première, Friends of Nature, date de 1994). Certaines ont été très actives lors de la campagne de la rivière Nu, au point que certains commentateurs dont Michael Busgen (2006) ont parlé d’une victoire de la coalition d’ONGE. Cependant, cette approche minimise la hiérarchie entre le gouvernement et les mobilisés, puisque le gouvernement, même sous pression, a contrôlé l’agenda. La suspension est une manière de désamorcer un mécontentement trop important que le temps pourra peut-être éroder. En ce sens, parler d’un « policy network », c’est-à-dire un réseau non-gouvernemental capable d’instaurer ou d’influencer le cœur d’une politique serait une erreur. Quoiqu’il en soit, Green Earth Volunteers, Global Village Beijing et Friends of Nature sont capables de mener une campagne médiatique, et, par là même, de conscientiser l’espace public. Les motifs d’engagement sont ceux de la protection de l’environnement et de l’enseignement public de sa valeur, mais aussi les expériences d’autres projets de barrage (celui connu des Trois Gorges, mais aussi à celui de Dujiangyan (Sichuan), ou ceux sur le Lancang (Yunnan).

Les ONG locales sont moins présentes que nous pourrions le penser en premier lieu. Une seule est un moteur de la campagne. Il s’agit de Green Watershed, ONG créée dans le Yunnan (Kunming) en 2000, de l’initiative de Yu Xiaogang, un environnementaliste, expert des rivières (greenwatershed.org). Ce dernier a arpenté la vallée, recensé la faune et la flore, et communiqué ses données. Cette ONG a complété les sources de la SEPA. Yu compare aussi les risques annoncés dans la vallée à ceux d’un autre barrage déjà construit dans la même région : le barrage Manwan sur le Lancang.

Peu ONG internationales sont présentes dans la campagne, si ce n’est International Rivers, et indirectement quelques ONG de Thaïlande et de Birmanie qui sont mobilisées dans leurs pays respectifs contre d’autres projets de barrage sur la même rivière Nu. Par exemple, le Burna River Network, ONG active sur le tronçon birman de la rivière Nu, a envoyé une pétition au gouvernement chinois. IR participe à faire connaître la campagne à travers le monde au début de 2004, et notamment dans les journaux américains. Elle présente aussi un certain nombre de rapports (internationalrivers.org/fr/china), assure encore aujourd’hui une surveillance des projets. Elle met en rapport le problème chinois et ceux d’autres continents, notamment Américain.

Les journalistes et les médias ont participé indépendamment à la diffusion d’information, du fait de leur position carrefour entre le milieu social, politique et scientifique. Si la plupart des journaux officiels sont verrouillés, une journaliste comme Wang Yongchen a pu utiliser les médias nationaux, comme le People’s Daily ou la China National Radio (ses programmes « La blancheur du Yangsté » (1997) ou « Les glaciers disparus » (1998)) pour transmettre son engagement, mais aussi pour renforcer le poids des acteurs mobilisés. Elle publie également sur internet (6 articles sur chinadialogue.net entre 2006 et 2008). Enfin, elle a mené ses propres enquêtes dans le Yunnan puis diffusé ses résultats lors de salons journalistiques chinois.

Les intellectuels sont une catégorie traditionnellement écoutée en Chine, mais ne peuvent se prononcer que sur des problèmes techniques, et doivent écarter une perspective trop politique. He Daming, professeur à l’université de Kunming, a prononcé des charges fortes à l’encontre du barrage lors de consultations officielles et médiatisées en octobre 2003 dans la capitale provinciale [6]. En tant qu’expert local de la rivière Nu, sa participation a été essentielle. Une autre porte d’entrée dans la controverse a été la publication d’articles scientifiques critiques et argumentés. Ils ont été lus par les experts de la question, mobilisant une « communauté épistémique » pour reprendre le vocabulaire de Peter Haas, même s’il est difficile d’en établir sa portée – ce papier en fait aussi partie.

Les ONG-réseaux ont pour vocation de favoriser les liens entre les ONG existantes. A la suite de la suspension du projet de barrage en 2004, les acteurs mobilisés ont été le China Rivers Network afin d’assurer une surveillance active. Cette dernière demande notamment la publication des rapports de la SEPA.

Il serait utile d’étudier plus longuement le rôle des artistes dans les mouvements environnementaux chinois, car ceux-ci participent certainement à leur réussite, même s’ils n’agissent pas directement sur le terrain. C’est par un long travail d’enseignement et de dévoilement que l’art mobilise. Ainsi, des documentaires comme ceux de Jonathan Lewis, (« China from the inside : nature shifting », PBS, 2006), accessibles sur le blog « China documentaries », sont précieux. Autre exemple : les photos de Lu Gang (exposition à Shanghai, mais aussi publié dans le Monde Diplomatique de juillet 2011), ont contribué à diffuser une image des dégradations environnementales, et à construire un discours écologique.

Enfin, pour terminer cette cartographie, il convient de placer un type d’acteur récent, celui des blogueurs ou « cyberwarriors », qui tentent de conquérir des espaces d’expression politique sur l’internet chinois. A titre d’exemple, le journaliste Zhang Kejia a animé un blog environnementaliste nommé « Green Net » au sein du journal China Youth Daily, qui a permis les échanges d’idée et la diffusion d’information. Le site a été instauré en 2001 avec la bienveillance des autorités qui voulaient montrer par là leur compréhension du problème environnemental (cydgn.org/). Il proposait, au moment des faits, en 2003 et 2004, une rubrique spécifique composée de plus de 200 articles et illustrations portant sur les barrages de la rivière Nu. Les commentaires étaient acceptés et donnèrent lieux à de nombreux échanges entre internautes. Cependant, les limites de la prudence ont été dépassées. Cela n’a pas échappé à la censure, si bien qu’au moment de la rédaction de ce papier, le site est fermé. Le contrôle d’internet est un enjeu majeur pour la formation d’une nouvelle forme de citoyenneté chinoise, tant au niveau de la diffusion des informations que parce qu’il permet le débat et l’expression libre.

III. Analyse des résultats

Notre cartographie du cas étudié permet d’éclairer notre compréhension politique et sociale du mouvement environnemental en Chine.

A la lumière de nos résultats, pouvons-nous parler d’un mouvement environnemental ? Dans le cas que nous avons étudié, le fait est incontestable : un ensemble hétérogène d’acteurs s’est structuré autour d’un discours environnementaliste et social commun et cohérent. Cet ensemble structurel s’est mû dans la même direction en vue de contester la propriété absolue de l’État et des entreprises sur la définition du problème public du développement et de l’énergie. Les ONG, dans leur souci de devenir des acteurs crédibles de la controverse, se sont construit une « expertise » à partir des « expériences » de terrain qui prendra la forme d’un savoir hybride. Cette construction se fait à sens unique. Si les ONG viennent puiser dans les terrains de l’expérience, les populations locales, quant à elles, n’ont pas bénéficié pas d’un transfert d’expertise. Soit elles n’ont pas réussi à faire entendre leur voix, soit leur action a été minimisée et n’a pas été sérieusement étudiée.

La diversité et la multiplicité des acteurs impliquées est remarquable. La coalition anti-barrage qui s’est dressée dans le Yunnan est le fruit de circonstances particulières. Plusieurs catégories sont invoquées : différentes commissions et institutions, environnementalistes, entreprises, minorités, « entrepreneur politique », etc. C’est par la convergence de ces faisceaux qu’une « communauté » aux contours irréguliers avec un l’objectif commun s’est formée. La société chinoise n’est pas ce bloc monolithique que l’on nous présente parfois de manière caricaturale : la campagne sur la rivière Nu met en évidence sa complexité interne et ses tensions.

Ce résultat conduit dans la même direction que la thèse d’Andrew Mertha de « l’autorité fragmentée » en Chine [7]. Il est clair que le pouvoir ne forme pas une unité organique, mais se divise en plusieurs unités qui ne visent pas les mêmes objectifs. Il en est ainsi du rôle dissident de la SEPA. Cette fragmentation ouvre des brèches dans le bloc du gouvernement dans lesquels s’engouffrent, depuis le milieu des années 1990, les nouveaux acteurs dont nous venons de parler (ONG, artistes, médias, journalistes...). Complétant le schéma de Mertha, nous affirmons que l’autorité fragmentée est une porte ouverte à l’émergence de nouveaux acteurs.

Parallèlement, il faut noter l’inébranlable volonté de l’État de conserver le prima de la décision : malgré la mobilisation, aucune opposition n’est tolérée. Il s’agit toujours de chercher à orienter les cadres politiques préfectoraux et provinciaux : la frontière de la dissidence n’est jamais loin, et chacun jongle entre sa position et l’espace qui lui est donné. C’est l’État qui organise les débats, c’est lui qui tolère les arguments et détient in fine la possibilité de continuer ou de suspendre le projet. L’État a gardé jusqu’au bout son leadership et la maîtrise de l’agenda. Les mouvements ne peuvent se passer de leurs liens étroits avec les hommes politiques, souvent des députés de l’Assemblée Populaire, qui octroient une attention et confèrent une légitimité. Certainement les efforts conjugués des acteurs ayant accès aux médias ont fait pencher la balance – ils ont été nécessaires, ils n’ont pas été suffisants. L’enjeu est resté focalisé sur l’avis de l’administration. Il n’est pas possible de forcer la main aux autorités. Ainsi, la multiplication des acteurs ne provoque pas de changement institutionnel majeur. La parole libérée et officiellement écoutée est la preuve d’une pluralisation, mais pas -encore ?- d’une démocratisation [8].

Copyright Février 2012-Peuch/Diploweb.com

L’auteur remercie Fabrizio Cantelli (GRAP, ULB) et Thierry Kellner (Recherche et Enseignement en Politique Internationale, ULB) pour leur relecture active et leurs conseils précieux.


Plus :

. Chine : superpuissance du développement propre ?, publié par Emmanuel Meneut sur le Diploweb.com Voir

. Chine : de la puissance économique à la puissance politique, une trajectoire incertaine, publié par Corinne Vadcar dans la revue Accomex sur le Diploweb.com Voir

. Carte de la Chine Voir


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[1Il existe une littérature abondante et novatrice sur le rôle et les formes de la participation citoyenne, des mobilisations politiques, des engagements et des mouvements sociaux. BENNANI-CHRAÏBI, Mounia, FILLIEULE, Olivier, Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, presses de science po, 2003 ; BLONDIAUX, Loïc, Le nouvel esprit de la démocratie, Actualité de la démocratie participative, La République des Idées, Seuil, Paris, 2008 ; BOUSSAGUET, Laurie, JACQUOT, Sophie, RAVINET, Pauline, Dictionnaire des politiques publiques, Les Presses de Science Po, 3e édition 2010 ; FILLIEULE, Olivier, MATHIEU, Lilian, PECHU, Cécile, Dictionnaire des mouvements sociaux, Les Presses de Science Po, 2009 ; LASCOUMES, Pierre, LE GALES, Patrick, Sociologie de l’action publique, Armand-Colin, Paris, 2006 ; NEVEU, Erik, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, Paris, 2005.

[2YANG, Guobin, CALHOUN, Craig, « Media, Civil Society, and the Rise of a Green Public Sphere in China », in : China Information, vol. XXI(2), 2007 ; YANG, Guobin, « Is there an environmental movement in China ? Beware of the River of Anger », in : Asian Program Special Report, N°124, Woodrow Wilson International Center for Scholar, États-Unis, 2004, pp. 4-9.

[3La chronologie suivante a été établie par l’entrecroisement d’interview et d’un grand nombre de travaux académiques. Les interviews ont été menés au printemps et à l’été 2011. Les principaux sont : BUSGEN, Michael, Environmental Non-Governmental Organization in the Nujiang Campaign, in : Working-Paper, n°42, Institut For Social Studies, La Hague, février 2006 ; MEI, Chen, Public Participation in Environmental Decision-making Process in China, A Case Study of the Anti-Nu River Dam Campaign in Yunnan Province, Mémoire De Master de l’Université d’Oregon, Etats-Unis, Non publié et communiqué par l’auteur, 2010 ; MCDONALD, Kristen, « Daming China’s Grand Canyon : Pluralization without Democratization in the Nu River Valley », PHD Dissertation, Université de Berkeley, Californie, 2007 ; MERTHA, Andrew, China’s Water Warriors : Citizen Actions and Policy Change, éd. Cornell University, London, 2008.

[4Sur la question de la construction des savoirs, voir : CANTELLI, Fabrizio, « Expertise et expérience, balises pour enquêter sur l’action publique face au sida », à paraître ; GUSFIELD, Joseph, La culture des problèmes publics, L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, éd. Economica, 2009. L’expérience implique un lien d’affection entre une chose et un acteur, même passif, suivit d’une reconstruction sémantique et pratique. Une menace sur la nature de l’affect peut conduire à un engagement de l’acteur. Précisons que le lien entre « expertise » (savoir savant) et « expérience » (savoir profane) est généralement étroit, et que l’une et l’autre s’enrichissent mutuellement.

[5« China’s big hydro wins permission for 21,3GW dam in World Heritage Site », Guardian, 1/02/2011 guardian.co.uk/environment/2011/feb/01/renewableenergy-china – Consulté en juin 2011.

[6CHEN, Meian, « Public Participation in Environmental Decision-Making in China », Mémoire de l’Université de l’Oregon, juin 2010 : « He was invited to attend an expert panel organized by SEPA, and he strongly opposed the dam project based on his research. His voice was soon covered by the mass media. The media even compared He Daming with Huang Wangli, a scientist who was against the Sanmen Dam (Wang, 2006). He’s opposition soon caught the attention of the media. Basically, He’s opinion can get lots of attention in that He is a famous expert working in a prestigious institute for river system, the Asia International Rivers Center. In Chinese traditional culture, people always respect intellectuals and trust what they say. Hence, He got much support and his anti-dam viewpoint also influenced the public. However, as an ordinary scholar, He was unwilling to be involved in this controversial issue which was related to political debate. »

[7MERTHA, Andrew, « Fragmented Authoritarism 2.0 : Political Pluralization in the Policy Process », in : China Quaterly, 2009. Mertha démontre qu’une « autorité fragmentée » remplace progressivement l’ancien bloc monolithique du pouvoir chinois, et que cette fragmentation est visible au travers des tensions qui travaillent les différents ministères et les agences de l’État. Les institutions héritées de 1978 restent centralisées (principe du centralisme démocratique), entre les mains du Parti communiste (PCC), créé en 1921 à Shanghai. Aux organes de l’État correspondent des institutions du Parti qui en fixe les orientations. Ces dernières sont, au plus haut niveau, le Congrès du Parti et le Bureau Politique. Ces tensions ouvrent des brèches dans lesquelles peuvent s’engouffrer les acteurs mobilisés.

[8MCDONALD, Kristen, « Daming China’s Grand Cayon : Pluralization without Democratization in the Nu River Valley », PHD, Université de Berkely, 2007.
Le cas de la rivière Nu montre la capacité du mouvement environnementaliste à élaborer une définition du problème des barrages. Peut-on en déduire que le discours environnementaliste pourrait se diriger vers une sorte « d’écologie politique à la chinoise » ? C’était l’intention première de Liang Conjie et de son ONG Friends of Nature. D’autres pistes confirment cette hypothèse concernant les intentions des environnementalistes. Par exemple, à de multiples reprises, des partis Verts ont essayé de voir le jour en Chine. Ils ont tous subi une forte répression. Le sujet est très délicat. En témoigne l’appel suivant : Standing Committee of China Green Party, « China Green Party : save the Chinese Environmental Activists from Hell », 26/07/2006.


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