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www.diploweb.com Géopolitique(s) de l'OTAN et de l'Union européenne

 

«Itinéraires baltes. Estonie, Lettonie, Lituanie»,

sous la dir. de Céline Bayou, co-rédactrice en chef de Regards sur l'Est

 

"Les Estoniens, les Lettons et les Lituaniens ont des choses à dire et à apporter à l’Union européenne et à l’Europe ; ils entendent bien y être écoutés, porteurs de leur avis, de leurs enthousiasmes, de leurs doutes, de leurs angoisses, de leurs critiques aussi." Voici un livre à lire pour veut comprendre les incidences géopolitiques des élargissements de l'OTAN et de l'UE.

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Editions Regard sur l’Est, novembre 2005, 102 pages, dont de nombreuses photographies en noir et blanc. Editions Regard sur l’Est, 1 avenue John Kennedy, 95210 Saint-Gratien, France. 19 euros (15 euros + 4 euros de frais de port pour la France)

Voici un beau livre. D’abord parce que la maquette et la composition sont réussies, alternant photographies originales et textes bien mis en valeur. Ensuite parce sa démarche est intelligente, ouverte aux représentations d’autrui. Autrement dit, voici un outil indispensable pour appréhender la géopolitique des Pays Baltes.   

En effet, ce bel ouvrage donne la parole à treize intellectuels estoniens, lettons et lituaniens pour leur offrir la possibilité de nous faire comprendre comment ils vivent leur « retour en Europe ».  

Ces contributions éclairent notamment un apparent paradoxe : ces trois pays ont unanimement, et sans hésitation visible, fait le choix de mettre en balance leur souveraineté tout juste retrouvée (1991) avec une double adhésion à l’OTAN (avril 2004) et à l’Union européenne (mai 2004).  

Docteur en civilisation, spécialisée sur les Etats baltes et la Russie, analyste-rédacteur au Courrier des pays de l’Est, membre de l’observatoire des Etats post-soviétiques (INALCO), Céline Bayou a coordonné cet ouvrage collectif. Célia Chauffour et François Grémy l’ont soutenue dans cette initiative. Trois photographes ont également contribué : Juliette Mellet, Marie-Anne Sorba et Klavdij Sluban. 

 

"Trop au Nord, trop petits, trop étranges peut-être…"

Céline Bayou explique ainsi le projet : « Trop au Nord, trop petits, trop étranges peut-être… les trois nouveaux Etats membres de l’Union européenne que sont l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie souffrent en France d’une immense méconnaissance. […] Ces trois pays, en se débarrassant du joug soviétique, ont échappé à l’emprise russe. Définitivement, espèrent-ils. Ils entretiennent des relations tendues avec la Russie de Vladimir Poutine, les sujets de désaccords sont nombreux. Encombrés en outre d’une réputation sulfureuse quant à leur positionnement durant la Seconde Guerre mondiale, ayant opéré depuis quinze ans des choix délibérés et radicaux quant à leur transition politique et économique… Il n’en faut pas plus pour que l’ignorance se mue en méfiance de principe. […] (Pourtant), les Estoniens, les Lettons et les Lituaniens ont des choses à dire et à apporter à l’Union européenne et à l’Europe ; ils entendent bien y être écoutés, porteurs de leur avis, de leurs enthousiasmes, de leurs doutes, de leurs angoisses, de leurs critiques aussi. A les lire, nous comprenons mieux que la rectitude de cet « itinéraire européen » n’est qu’apparence. » (pp. 7-8) 

Les treize contributions sont réparties en deux chapitres. Le premier s’intitule : « Qui sommes-nous ? » Le second s’exclame : « Européens, enfin ! »

 

Qui sont les Baltes ?  

Essayons de rendre compte du premier chapitre. Celui-ci débute avec une contribution de Mindaugas Jurkynas, chercheur au département d’Etudes européennes de l’Institut des relations internationales et des Sciences politiques de l’Université de Vilnius, en Lituanie. Sous le titre « Fidèles et infidèles baltes », l’auteur s’attache à préciser les évolutions de la notion « balte ». « En réalité, l’espace balte a véritablement pris forme avec l’occupation et l’annexion soviétiques dans les années 1940. […] L’occupation soviétique de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie a engendré une vision socio-économique de la sous-région balte, tant en URSS qu’à l’étranger. » (p. 14) Après le recouvrement des indépendances baltes, des discordances sont apparues au milieu des années 1990, puis l’action d’un puissant lobby promouvant l’adhésion à l’OTAN a favorisé une forme de coopération. Pour autant, les Baltes regardent autant du côté des pays nordiques que du côté des pays d’Europe centrale.

 

Son Excellence n'a pas sa langue dans sa poche 

Sandra Kalniete, après avoir été Ambassadeur de Lettonie à Paris est depuis mars 2005 conseillère spéciale du Commissaire européen à l’énergie. Sa contribution s’intitule : « Etre Européens. Evidemment. » Ce document met les points sur les i et les barres sur les t. « Les Baltes ont été obligés de passer plus de cinquante ans derrière le rideau de fer, sous l’emprise d’un régime totalitaire et sanglant. Pour nous, la Seconde Guerre mondiale ne s’est véritablement achevée qu’avec la chute du mur de Berlin et le retrait des troupes militaires (russes – PV) des pays Baltes. […] Les conséquences de la décision prise à Yalta en 1945 – scellant le pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 qui laissaient l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie à l’Union soviétique – se font sentir encore aujourd’hui, sous la forme d’un traumatisme permanent. Il marque notre vision des relations internationales, notre perception de la géopolitique et détermine nos choix stratégiques en matière de politique de sécurité et d’économie. » (p. 20) « Il faut se rappeler en permanence que les Communautés européennes ont été créées pour mettre fin aux guerres entre voisins de notre continent. L’Alliance atlantique a été fondée pour défendre les valeurs démocratiques, face au totalitarisme soviétique. La poursuite du partenariat entre ces deux organisations est un facteur de paix, de stabilité et de prospérité pour l’avenir. C’est pourquoi je considère que la meilleure contribution que les Européens puissent apporter au renforcement de la paix dans le monde est le succès du projet d’intégration européenne. » (p. 23) Reste à savoir si les Européens arriveront à se mettre d’accord sur les différentes implications de ce concept clé. (Lire le texte de S. Kalniete, en ligne sur le diploweb)  

Après quoi la présidente de la République lettone, Vaira Vike-Freiberga, présente l’histoire des pays Baltes durant la Seconde Guerre mondiale et le travail fait à la demande de l’OTAN pour clarifier ces questions. Elle répond aux questions d’Antoine Jacob.

 

D'une schizophrénie à l'autre ?  

Alvydas Jokubaitis, directeur du département de Théorie politique de l’Institut des Relations internationales et des Sciences politique de l’Université de Vilnius, offre ensuite un texte philosophique : « Nous sommes l’autre Europe ». Il explique fort bien la schizophrénie imposée durant la période soviétique… et l’intégration communautaire. « La vie philosophique lituanienne peut être décrite comme suit : deux philosophes évoquent aujourd’hui à Vilnius des questions étudiées hier par des professeurs de Paris ou d’Oxford. Pourtant, aucune critique ne peut être émise. Pour nous, la répétition de la question occidentale est aussi importante que pleine de sens. Sans elle, il sera impossible de pénétrer la philosophie lituanienne. Mais ce qui fait la véritable singularité de la situation, c’est le fait que, bien souvent, nous avons tendance à répéter les réponses inventées par l’Occident, plutôt qu’à poser les questions soulevées par lui. Michel Foucault a déclaré que les sciences humaines à l’Ouest reproduisaient d’autres sciences. Il semble que nous, en Lituanie, nous dupliquons la duplication. C’est le prix que nous devons payer aujourd’hui pour nous sentir européens. […] Nous sommes parvenus à transformer en monologue tout ce qui, à l’Ouest, était objet de discussion et de dialogue. » (pp. 34-35) 

L’ouvrage comprend un cahier central de photographies de Klavdij Sluban. La neige, la brume et le mystère les traversent.

 

"Européens, enfin!" 

Le second chapitre compte également nombre de contributions éclairantes.

Kestustis Paulauska, directeur adjoint de la section d’Analyse stratégique au ministère de la Défense de Lituanie, présente : « A la recherche d’une nouvelle politique étrangère lituanienne ». Il met en lumière l’approche sécuritaire des Baltes. Ce qui permet de mieux comprendre  leurs perceptions de la Russie et les modalités de l’adhésion à l’OTAN. (Voir une carte de l'OTAN en 2004) « La Russie attaque régulièrement la Lettonie et l’Estonie au sujet de prétendues violations des droits des minorités russes. Dans le cas de la Lituanie, la diplomatie russe s’acharne à utiliser la question du transit vers Kaliningrad pour saper les droits souverains de la Lituanie sur son propre territoire (Moscou cherche à obtenir un droit de transit civil et militaire illimité et incontrôlé à travers le territoire lituanien). Presque chaque année, des « diplomates » russes sont pris en flagrant délit d’espionnage et sont expulsés de Tallinn, de Riga et de Vilnius. L’ombre des services secrets russes a indéniablement plané, en 2003, sur la campagne présidentielle de Rolandas Paksas (il a été en 2004 le premier président européen mis en accusation par le Parlement et démis de ses fonctions pour violation de la Constitution). […]

Les pays européens dotés d’une vision atlantiste du monde estiment qu’il existe une relation causale entre la force de l’Alliance atlantique et leur propre sécurité. Pour eux, le développement de la PESD comme projet destiné à remplacer l’OTAN est inacceptable. En dépit de leurs efforts pour empêcher la PESD de devenir une copie de l’OTAN – Etats-Unis en moins – la prolifération de nouvelles fonctions et structures de défense à l’intérieur de l’UE semble irréversible.  L’UE et l’OTAN développent concurremment des forces de réaction rapide (respectivement les Battle groups et la NATO Response Force NRF ) mais, dans la mesure où chaque nation ne dispose que d’une seule force armée, les conflits d’ambitions s’annoncent inévitables lors de leur engagement dans une opération particulière. La Lituanie devra prendre parti. […] Toujours plus évanescent, les budgets de défense de la plupart des pays européens empêcheront probablement l’UE d’acquérir un rôle militaire appréciable, indépendamment de l’OTAN, dans les années à venir. » (pp. 60-61) L’auteur conclut : « L’élite politique lituanienne devra s’efforcer de perpétuer la position du pays à l’intérieur de l’architecture de sécurité euro-atlantique comme une clé de voûte. » (p. 64)

Nils Muiznieks,  ancien ministre de l’Intégration sociale de la Lettonie, présente très clairement la question de minorités russes en Lettonie. La lecture de ce chapitre sera fort utile, Moscou instrumentant régulièrement ce thème.

 

L'Union européenne évaluée par un nouvel Etat membre... 

Puis deux auteurs présentent de façon assez critique le rôle de l’Union européenne dans la transition, à la faveur des négociations d’adhésion. Le premier est Klaudijus Maniokas, professeur associé à l’Institut des Relations internationales et des Sciences politiques de l’Université de Vilnius. « En ce qui concerne la démocratie, il apparaît que l’UE ne peut, et de loin, prétendre avoir joué un rôle décisif en la matière. Elle pourrait même être accusée d’être contre-productive, puisqu’elle a œuvré pour une limitation du rôle des institutions démocratiquement élues. Son attention s’est focalisée sur la dépolitisation de l’administration publique, et sur le renforcement de l’administration judiciaire, l’isolant de l’influence politique. Elle s’est en outre focalisée sur la lutte contre la corruption administrative qui, encore une fois, n’a pas de lien direct avec le fonctionnement d’institutions démocratiques. » (p. 76) Ce point mériterait d’être expliqué… à Daniel Lebègue, Président de Transparence-International (France). La conversation risquerait d'être intéressante. Ce même auteur critique la Commission européenne pour sa conception « utopique » de l’Etat régulateur se concentrant sur la correction des erreurs du marché. Il appelle à un déplacement des priorités des politiques publiques des nouveaux Etats membres, en faveur de l’éducation, de la santé, de la sécurité sociale, du droit et de l’ordre.

Ramunas Vilpisauskas, conseiller économique auprès du président de la République de Lituanie depuis l’automne 2004, poursuit la réflexion dans un chapitre intitulé : « L’Etat a-t-il encore un rôle à jouer dans les pays Baltes ? » Sa conclusion est la suivante : « En définitive,  on a aboutit à deux conclusions principales concernant l’évolution du rôle de l’Etat dans les Etats Baltes, à la suite de leur adhésion à l’UE : d’une part, le processus d’adhésion à l’UE des PECO a conduit à ce qui pourrait être résumé en « faible tutelle, participation moins directe à l’économie, statu quo dans le domaine social et accroissement de la réglementation ». D’autre part, la dispersion des activités de l’Etat, l’héritage du passé, l’activisme des groupes d’intérêts et la relative inefficacité de l’administration publique ont engendré un Etat à la fois omniprésent et faible, qui ne fait que ralentir la croissance économique et entraver la réforme sociale. »

Discours en miroir 

L’ouvrage s’achève sur un texte assez savoureux de Vahur Linnuste : « Adhésion turque et ukrainienne, une menace ? Point de vue d’un Estonien ». Essayiste et politologue, l’auteur reprend à son compte certaines craintes manifestées par des citoyens de l’UE15 au sujet de l’élargissement de 2004… dont l’Estonie a bénéficié. A peine entrés dans l’UE, les Estoniens risqueraient d'être écrasés par le poids démographico-politique de la Turquie … et menacés par l’immigration turque

La perspective d’une adhésion de l’Ukraine n’est pas plus réjouissante pour l’auteur, parce qu’il s’agit d’un pays à prédominance russophone. « Le problème de l’intégrité nationale de l’Estonie et de la Lettonie sera tout particulièrement aigu en cas d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. » (p. 98) Il conclut : « Pour assurer leur intégrité nationale, l’Estonie (dont la population autochtone s’élève à 1 million de personnes) et la Lettonie (1,4 million) doivent impérativement maintenir la dominante linguistique de l’estonien et du letton. Cet impératif ne peut être garanti que par l’insertion d’une clause spéciale dans les traités d’adhésion de la Turquie et de l’Ukraine, accordant à l’Estonie et à la Lettonie le droit de réglementer elles-mêmes l’immigration des travailleurs par un système de permis de travail. » Chacun se souvient comment les mesures transitoires prises par la plupart des gouvernements de l'ex-UE15 à l'encontre de l'immigration des nouveaux Etats membres avait été dénoncées par les opinions de ces derniers...  Pour la petite histoire, le livre a été imprimé en Turquie...

Cet ouvrage permet ainsi au lecteur d’apprécier toute la complexité de l’apport des Etats Baltes à l’Union européenne. Ce qui n’oblige évidemment pas à épouser toutes leurs causes.  

L’équipe à l’origine de cette publication est aussi celle du site www.regard-est.com que nous vous invitons à visiter.

Pierre Verluise

NDLR: Nous vous conseillons également de consulter sur le site Géoconfluence

"Comprendre la Lettonie : un pays des confins", par Pascal Orcier

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Date de la mise en ligne: janvier 2006.

 

 

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