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« L’Europe à 25. Un défi social »,

par Daniel Vaughan-Whitehead , économiste français,

conseiller principal à l’Organisation internationale du travail à Genève,

en charge des politiques salariales et des conditions de travail

 

Les tendances dans les nouveaux Etats membres semblent réserver au Modèle social européen un avenir incertain. Dans une multitude de domaines (protection sociale, emploi, conditions de travail, dialogue social) les caractéristiques des nouveaux Etats membres contrastent avec les politiques et pratiques jusqu’ici poursuivies dans l’ensemble de l’UE.

Une renégociation de la Constitution plus d’un an après leur adhésion, alors qu’ils ont pris de l’assurance et semblent désormais vouloir imposer leur vision de l’économie et du social, pourrait donner lieu à bien des déceptions.  

Présentation par l’auteur

Mots clés - Key words: union européenne, élargissement de l’UE15 à l’UE25, 2004, modèle social européen, europe centrale et orientale, peco, normes sociales, convergence sociale, acquis sociaux, dialogue social, partenaires sociaux, syndicats, syndicalisation, protection sociale, conditions d’emploi, conditions de travail, dialogue social, salaires, allocations sociales, indemnités de chômage, niveaux de vie, économie informelle, dérégulation sociale, fonds monétaire international, banque mondiale, santé, délocalisations, migrations, émigration, immigration, solidarité, mobilité, convention, projet de constitution, conséquences sociales du non à la constitution, dumping social. 

 

coll. Les études, éd. Documentation Française, mai 2005, 175 p. ISSN 1763-6191

En s’ouvrant à dix nouveaux Etats membres, dont huit en provenance d’Europe Centrale et orientale et deux du sud de l’Europe, l’UE savait qu’elle s’exposait à des risques importants sur le plan social. 

Cet ouvrage tente de dresser un tableau complet de la situation, tout en apportant quelques indications sur la logique qui pourrait émerger dans une Union à vingt-cinq. Le Modèle Social Européen sortira t-il renforcé de cet élargissement, sur la base d’une convergence vers des normes sociales de plus en plus avancées, ou bien sera-t-il remis en cause, dans une optique plus libérale qui privilégierait avant tout le recours à la flexibilité et stimulerait la dérégulation ?

Pour l’auteur - membre des conseillers de Jacques Delors à la Commission européenne et, de 1999 à 2003, responsable pour la Commission européenne du dialogue social dans le processus d’élargissement - la conclusion est sans détour : l’Europe sociale est bien en danger, et l’élargissement de l’UE à vingt-cinq pays pourrait bien remettre en question la survie du Modèle social européen.  

Une dominante libérale

Les tendances dans les nouveaux Etats membres semblent réserver au modèle social un avenir incertain. Dans une multitude de domaines (protection sociale, emploi, conditions de travail, dialogue social) les caractéristiques des nouveaux Etats membres contrastent avec les politiques et pratiques jusqu’ici poursuivies dans l’ensemble de l’UE. Fait significatif, la forte croissance – bien au dessus de la moyenne de l’UE des quinze – dont la plupart de ces pays ont bénéficié ces dernières années a permis une amélioration sensible de tous les indicateurs économiques sans pour autant entraîner un progrès similaire dans le champs social, avec des salaires, des allocations sociales et des indemnités chômage et, plus généralement, des niveaux de vie, qui restent encore à la traîne. Une économie informelle qui atteint des niveaux très élevés et contribue à une dérégulation sociale sur une grande échelle est un signe qui ne trompe pas.  

Une usine en Slovaquie. Crédits: Commission européenne

La logique très libérale de certains gouvernements et des nouveaux entrepreneurs privés de ces pays ne laisse pas non plus présager que tout sera mis en oeuvre pour assurer le respect de toutes les directives communautaires.[1]

 

Les écarts existants, un appel au dumping social

Le retard de nombreux nouveaux Etats membres en matière de salaires, de conditions de travail et d’emploi incite les entreprises, surtout les PME dont l’espérance de vie dans ces pays ne dépasse guère les deux ans, à réduire toujours plus, de manière légale ou illégale, leurs normes sociales surtout dans les secteurs déjà fortement internationalisés où la concurrence est la plus vive. De même, l’ouvrage montre à partir d’une myriade d’exemples concrets, que les délocalisations ont déjà pris place d’une manière massive, au nom d’une logique de création dans ces pays par les entreprises de l’UE de plateformes d’exportations pour alimenter à moindres coûts un grand marché de près de 500 millions de personnes.

Avec la libéralisation encore plus poussée des marchés, ces délocalisations devraient continuer et se propager aussi aux secteurs des services et aux PMEs. L’ouvrage examine aussi avec détail les menaces de migrations massives et le bouleversement des échanges commerciaux que fait courir l’absence d’un minimum d’harmonisation au niveau européen. Il conclue qu’une plus grande solidarité de la part de l’UE des quinze, notamment sur les dossiers épineux des fonds structurels, de l’agriculture, ou encore de la mobilité des travailleurs (qui a été reportée de plusieurs années alors qu’elle représente une des libertés les plus fondamentales de l’Union) aurait au contraire permis un rattrapage social plus rapide et contribuer à limiter les sources de dumping social.

 

Le Social et le projet de Constitution

L’opposition à la Constitution n’est évidemment pas indépendante de l’élargissement de l’UE réalisé il y a un an, et qui n’a, contrairement à la Constitution, jamais donné lieu à débat public et référendum. Les peurs dues au référendum seraient donc en partie celles générées par le grand élargissement. A preuve, les craintes à propos des travailleurs ‘polonais’ ou ‘lettons’ agitées de manière systématique par les opposants à la Constitution. D’où l’intérêt de présenter, comme le fait cet ouvrage, tous les risques et perspectives apportées par l’élargissement sur le versant social. Les problèmes de dumping social sont une bonne illustration : alors qu’ils ont été volontairement occultés par nombre des partisans du Oui, ils sont déjà revenus au centre du débat par la petite porte, suite aux abus de certaines entreprises révélés par les médias.  

Cet ouvrage, en identifiant les décalages entre les anciens et les nouveaux Etats membres ainsi que les risques de dumping social, permet ainsi d’aborder le thème du social et du projet de  Constitution en connaissance de cause. Comme on le prévoyait dès le début du travail de la Convention (suite notamment aux difficultés rencontrées pour faire accepter l’idée même d’un groupe de travail sur le social),  l’auteur confirme bien que le projet de Constitution est restée décevant à cet égard, en ratant notamment l’opportunité de hisser une bonne fois pour toutes le social (et le Modèle social européen) parmi les dimensions essentielles de la construction communautaire (au même titre que l’économique et le monétaire).  

 

La renégociation pourrait bien déboucher sur 'moins' de social

L’auteur insiste cependant pour indiquer que l’avantage majeur du projet de Constitution, outre celui d’apporter quelques nouveaux éléments sociaux (tels que la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux même si leur respect n’est toujours pas contraignant, ou encore la reconnaissance de l’importance des services publics et d’intérêts généraux), serait bien celui de permettre, malgré tout, de consolider notre acquis social.

Elle permettrait en quelque sorte de sauver la mise sur le plan social plutôt que de tenter de jouer à  quitte ou double. En matière sociale, ce n’est donc pas les ‘bénéfices de la Constitution’ qu’il faut souligner mais plutôt les ‘coûts de la Non-Constitution’  dans la mesure où une renégociation (suite à un Non de la France ou de ses partenaires) déboucherait presque certainement non pas sur ‘plus’ mais bien sur ‘moins’ de social. En effet le projet de la Constitution a été négocié lorsque les nouveaux Etats membres étaient encore des pays candidats et qu’ils restaient encore timorés dans leurs prises de position, n’osant pas encore revendiquer leur tendance libérale. Une renégociation de la constitution plus d’un an après leur adhésion, alors qu’ils ont pris de l’assurance et semblent désormais vouloir imposer leur vision de l’économie et du social, pourrait ainsi donner lieu à bien des déceptions.  

Daniel Vaughan-Whitehead


[1] Comme le confirme d’ailleurs une étude comparative récente du BIT sur ces pays : ‘Conditions de travail et d’emploi dans les nouveaux états membres de l’UE : convergence ou diversité ? », BIT, Genève, avril 2005.

Copyright 2005-Vaughan-Whitehead

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Date de la mise en ligne: septembre 2005

 

 

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