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Vers un modèle social européen ?  

par Pierre Verluise, spécialiste de géopolitique

 

Si  nous considérons les seuls pays membres ou candidats qui disposent d’un salaire minima, force est de constater de très importants écarts. Au sein des membres, le salaire brut minimum varie en 2006 de 129 euros, en Lettonie, à 1503 euros, au Luxembourg. Le salaire minima letton est donc près de 12 fois inférieur. Pour les candidats, le salaire  minimum est de 82 euros en Bulgarie, 90 euros en Roumanie et 331 euros en Turquie. Les salariés, ne se retrouvent-ils pas ainsi – bien malgré eux – en concurrence pour l’emploi et le salaire ? Au-delà, les politiques mises en œuvre dans les pays d’Europe centrale et orientale depuis le début de la transition s’inspirent du modèle anglo-saxon. Ce qui ne peut rester sans effets en retour sur les pays qui privilégient la défense des « acquis ».  L’élargissement s’inscrit donc plus largement dans la dynamique de la mondialisation pour mettre les territoires – et les individus –  en relation et en compétition. Que fait l'UE à ce sujet ?

Biographie de l'auteur en ligne.

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L’Union européenne met volontiers en avant l’existence d’un Modèle social européen. Bien qu’il n’existe pas de définition exacte de ce « modèle », il est vrai qu’un certain nombre de pratiques et de valeurs communes au sein de l’UE la distinguent fortement du Japon ou des Etats-Unis. Sans entrer dans les détails, les composantes du Modèle social européen intègrent notamment un nombre accru de droits pour les travailleurs, une priorité déclarée à l’emploi, l’égalité des chances… et une recommandation communautaire en faveur de salaires minima décents. Il existe, cependant, des différences considérables entre pays.  

Une récente publication d’Eurostat permet d’en juger[i]. Tout d’abord, seulement 18 Etats membres sur 25 disposent d’un salaire minimum légal. Les pays qui ne possèdent pas cet outil de négociation collective sont, du nord au sud : la Finlande, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, la Slovénie et probablement Chypre. Ce qui appelle deux observations. Premièrement, les pays d’Europe du Nord, pourtant réputés pour leur « modèle scandinave », se passent visiblement de cet outil. Deuxièmement, tous les nouveaux Etats membres sauf un, la Slovénie, affichent un salaire minimum.  

La Bulgarie et  la Roumanie, qui pourraient prochainement intégrer l’UE, ont également un salaire minimum. La Turquie, candidate à une échéance à définir, possède aussi cet instrument.  

De 129 à 1503 euros...

Si  nous considérons les seuls pays membres ou candidats qui disposent d’un salaire minima, force est de constater en 2006 de très importants écarts. Au sein des membres, le salaire brut minimum varie de 129 euros, en Lettonie, à 1503 euros, au Luxembourg. Le salaire minima letton est donc près de 12 fois inférieur. Pour les candidats, le salaire  minimum est de 82 euros en Bulgarie, 90 euros en Roumanie et 331 euros en Turquie.  

En fonction du salaire minimum, trois groupes de pays apparaissent.  

Le premier groupe dispose d’un salaire minimum compris entre 82 et 331 euros. Il comprend les trois pays candidats mentionnés, ainsi que 7 des 18 Etats membres (Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Estonie, Pologne, Hongrie et République tchèque).  Chacun constate que les pays candidats et la majorité des nouveaux Etats membres se caractérisent par des salaires minima peu élevés. Ce qui renvoie à de faibles PIB par habitant, souvent inférieurs à la moitié de la moyenne de l’UE25.  

Le deuxième groupe a un salaire minimum entre 437 et 668 euros. Il intègre cinq Etats membres : Portugal, Slovénie, Malte, Espagne et Grèce. Ils se trouvent, selon les cas, plus ou moins en dessous du salaire minimum des Etats-Unis (753 euros bruts).  

Le troisième groupe affiche un salaire brut minimum entre 1218 et 1503 euros : France (1218), Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas, Irlande et Luxembourg.

Enfin, le pourcentage de salariés qui perçoit le salaire minimum diffère considérablement selon les pays. S’ils sont moins de 3% en Espagne, au Royaume-Uni, à Malte, en Slovaquie et en République tchèque… ils sont plus de 12% en Roumanie, en Lituanie, en France (16%) et au Luxembourg. Pour mémoire, ils sont 1,4% aux Etats-Unis.

 

Redistribution des cartes

Ainsi, il existe d’importants écarts de situation en matière de revenus minima. Les salariés les moins favorisés des candidats, nouveaux membres ou anciens membres ne sont pas tous dans la même situation.

Pour les entreprises européennes ou extracommunautaires, cela peut être un facteur attractif pour une implantation, voire une délocalisation. D’ores et déjà, l’élargissement de l’UE a généré une nouvelle géographie industrielle, par exemple via l’implantation d’usines automobiles en Europe centrale et orientale.

Quant aux salariés, ne se retrouvent-ils pas ainsi – bien malgré eux – en concurrence pour l’emploi et le salaire ? Au-delà, les politiques mises en œuvre dans les pays d’Europe centrale et orientale depuis le début de la transition s’inspirent du modèle anglo-saxon. Ce qui ne peut rester sans effets en retour sur les pays qui privilégient la défense des « acquis ».  L’élargissement s’inscrit donc plus largement dans la dynamique de la mondialisation pour mettre les territoires – et les individus –  en relation et en compétition. Quatre décennies d’économie planifiée ont convaincu une large part des opinions des nouveaux Etats membres que c’est un moindre mal. Pour autant, une certaine nostalgie a déjà vu le jour dans plusieurs pays.    

Quoi qu’il en soit, les observateurs constatent la faiblesse de la négociation collective et des partenaires sociaux dans la plupart des nouveaux Etats membres, alors que les partenaires sociaux des anciens Etats membres sont souvent fragilisés. Si le dialogue social est reconnu comme une composante de l’acquis communautaire et comme un outil de gouvernance à privilégier, la réalité n’est pas souvent à la hauteur. A son déficit démocratique, l’UE ajoute donc trop souvent un déficit de dialogue social. Ce dernier pourrait d’ailleurs rendre peu effective la prise en compte de l’acquis communautaire dans les nouveaux Etats membres.  

Docteur ès sciences économiques et actuellement en poste à l’Organisation internationale du travail à Genève, Daniel Vaughan-Whitehead considère dans un ouvrage publié en 2005 que « l’élargissement de l’UE à vingt-cinq pays pourraient bien remettre en question la survie du Modèle social européen. Les tendances dans les nouveaux Etats membres semblent réserver au modèle social un avenir incertain. Dans une multitude de domaines, les caractéristiques des nouveaux Etats membres contrastent avec les politiques et les pratiques jusqu’ici poursuivies dans l’ensemble de l’UE, ce qui pourrait engendrer, pour longtemps, des pratiques de dumping social de grande ampleur. » [ii] 

 

Propositions

Le 29 août 2006, la ministre déléguée aux Affaires européennes, Catherine Colonna, a posé une question : « Pourquoi ne pas mettre en place, dans le cadre du dialogue social, un salaire minimum européen, dont le niveau serait fonction du niveau économique de chaque Etat membre ? »[iii] La dernière partie de la phrase invite, avec bon sens, à tenir des importantes disparités de niveaux de vie.  

Le 6 septembre 2006, le Parlement européen a adopté par 507 voix pour, 113 contre et 42 abstentions le rapport de José Silva Penneda (PPE-DE, PT) sur le concept de modèle social européen[iv]. Ce document souligne la nécessité de préserver et d’améliorer le Modèle social européen, ainsi que le niveau social élevé, tout en soulignant que des réformes urgentes sont nécessaires pour garantir sa pérennité. La Commission européenne est invitée à prendre de nouvelles initiatives pour tenir compte « de la nécessité d’éviter tout nivellement par le bas dans le domaine social, en matière de protection de consommateurs ou d’environnement ».  Les Etats membres ont été invités à mettre en œuvre des réformes afin de garantir la viabilité financière des systèmes sociaux nationaux, sans nuire aux droits acquis, au soutien mutuel et à la solidarité entre générations...   

Que restera-t-il de ces intentions dans dix ans ? L’avenir n’est pas écrit. Seule une approche transversale des questions européennes permettra aux acteurs sociaux d’avoir une chance d’orienter les réalités de demain.   

Pierre Verluise

Notes:


[i] Eurostat, Statistiques en bref, Population et conditions sociales, 9/2006, « Salaires minima 2006 », 7 p.

[ii] D. Vaughan-Whitehead, « L’Europe à 25. Un défi social, documentation française, 2005. 

[iii] « Discours de la ministre déléguée aux Affaires européennes, Mme Catherine Colonna, à l’occasion de la Conférence des Ambassadeurs (Paris, 29 août 2006), http://www.diplomatie.gouv.fr

[iv] Parlement européen, « Un modèle social européen pour l’avenir : unité de valeurs et diversité des systèmes, 6 septembre 2006.

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Date de la mise en ligne: octobre 2006

 

 

 

   

 

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