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www.diploweb.com Géopolitique de l'Union européenne élargie (UE25)

La Pologne dans son environnement géopolitique,

par le Professeur Jacek Woźniakowski,

premier maire élu de Cracovie (1990).  

Entretien avec Pierre Verluise

 

"Nous n’avons pas le choix entre trois routes, mais entre deux. Soit la Pologne penche du côté de l’Occident et nous comprenons l’Union européenne comme un moyen de renforcer l’Europe. Soit nous risquons de basculer – une nouvelle fois -  sous l’emprise russe. Nous préférons limiter de bon gré la souveraineté polonaise pour construire une Union européenne qui pourrait être un partenaire de la Russie. Mais nous n’oublions pas une fois pour toutes les utopies dites panslavistes".  

Biographie de J. Wosniakowski en bas de page.

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Pierre Verluise : Comment comprenez-vous la place de la Pologne dans son environnement géopolitique ?

Jacek Wosniakowski : Depuis des siècles, la Pologne est un carrefour entre plusieurs civilisations. Le catholicisme relie la Pologne à l’Occident, mais il serait exagéré de prétendre que la Pologne a toujours été exclusivement catholique, puisque les protestants ont été très actifs ici aux XVIe  et XVII e siècles. Pour autant, ce pays a le privilège et parfois la malchance d’être limitrophe du monde orthodoxe et d’avoir eu à faire face au monde musulman.  

Il existe des manifestations de l’art gothique jusqu’en Pologne mais pas au-delà. De même, l’esprit de l’Université à l’occidentale ne va pas plus loin. A Cracovie, l’université des Jagellons a été fondée dès le XIVe siècle, seulement devancée chronologiquement dans cette partie de l’Europe par celle de Prague.

Un pont tournant

Tout en étant très liée à l’Ouest,  la Pologne conserve cependant des influences plus orientales.  

En fait, la Pologne a été, reste et restera un pont tournant entre l’Est et l’Ouest. Les Polonais ne sont pas aptes à se défaire de cette fonction à la fois historique et géopolitique. C’est pourquoi nous sommes prêts à soutenir l’entrée dans l’Union européenne de l’Ukraine, qui se trouve à notre frontière S-E. Pour l’heure, la Biélorussie – qui se trouve  à notre frontière N-E – subit une dictature, mais si la conjoncture politique s’améliorait, nous souhaiterions également contribuer à lui faire une place. A plus long terme, nous souhaitons également soutenir la candidature des Balkans.  

P.V. Pourquoi êtes-vous prêts à soutenir la candidature de l’Ukraine ?

J.W.  Nous sommes concernés par l’Ukraine parce qu’une partie de la Pologne historique a été liée à l’Ukraine. Non seulement Kiev a été une ville intégrée au royaume de Pologne jusqu’au dernier quart du XVII e siècle, mais encore aux temps du romantisme, la musique, le folklore et le paysage de l’Ukraine ont eu une sérieuse influence sur la culture polonaise. La fédération du royaume de Pologne, appelée couramment « République des deux nations » (Pologne et Lituanie), était en fait une République composée de trois nations (au moins !). Ce que rappellent souvent les armoiries tripartites du royaume: polonaises, lituaniennes et ukrainiennes. Puis l’Ukraine a été divisée entre les Russes et les Autrichiens.

  Professeur Jacek Wosniakowski, 2004. Crédits: P. Verluise

P.V. Quelles sont vos attentes à l’égard de l’UE ?

J.W. Nos dirigeants sont parfois tellement peu raisonnables que nous espérons trouver dans l’Union européenne une alliée pour les obliger à prendre de meilleures mesures dans les domaines économiques, éducatifs, administratifs et environnementaux.  

Les dirigeants polonais actuels privilégient trop souvent leur intérêt personnel ou l’intérêt de leur parti, oubliant le souci du bien commun. Nous espérons que l’UE saura leur donner le sens du bien commun. Nous comptons également sur l’UE pour trouver des solutions de compromis et de bon sens pour des pans entiers de notre économie qui demeurent subventionnés, notamment les mines et l’agriculture.  

P.V. Comment comprenez-vous les relations avec la Russie ?

J.W. La division de l’Europe en deux moitiés méfiantes qui se regardent par le trou de la serrure doit cesser. Pour autant, il faut intégrer un paramètre géopolitique : la Russie ne sait pas entrer dans une alliance entre pairs. Le Kremlin a une tendance traditionnelle à la domination d’autrui, comme en témoigne l’immensité de son territoire, conquis par la force.

Nous n’avons pas le choix entre trois routes, mais entre deux. Soit la Pologne penche du côté de l’Occident et nous comprenons l’Union européenne comme un moyen de renforcer l’Europe. Soit nous risquons de basculer – une nouvelle fois -  sous l’emprise russe. Nous préférons limiter de bon gré la souveraineté polonaise pour construire une Union européenne qui pourrait être un partenaire de la Russie. Mais nous n’oublions pas une fois pour toutes les utopies dites « panslavistes ».  

  Professeur Jacek Wosniakowski, 2004. Crédits: P. Verluise

Nous ne voulons évidemment pas faire des Russes des ennemis. Au contraire, nous voulons contribuer à trouver des moyens pour avoir de bonnes relations avec eux, mais s’il nous faut choisir, nous choisirons malgré tout l’Europe de l’Ouest.  

Avant le XVI e siècle, la Russie a mis en œuvre dans certaines parties de son territoire une véritable science de l’auto-gouvernement, mais depuis 400 ans nous voyons à notre porte se développer une culture de l’arbitraire. C’est pourquoi les écrivains polonais présentent depuis le XVI e s la Russie comme le monde de l’absolutisme. Ce dernier a détruit de splendides traditions, par exemple en réduisant en cendres la ville florissante de Novgorod parce qu’elle se gouvernait elle-même. Il sera très difficile de rénover dans la Russie d’aujourd’hui ces traditions d’auto-gouvernement.

Une posture délicate

En fait, la position des Polonais reste très inconfortable, parce que notre désir de jouer le rôle de go between ne peut s’épanouir qu’à condition que nos voisins le veuillent bien. Sinon, nous risquons de payer cher cette posture qui exige un grand tact.  

A l’échelle européenne, j’ai du mal à comprendre pourquoi la France reste à ce point fascinée par la Russie, oubliant de regarder les pays qui se trouvent sur son chemin, comme la Pologne mais aussi la Biélorussie et l’Ukraine. Les Etats-Unis eux-mêmes donnent parfois  l’impression de ne pas comprendre en quoi l’Ukraine est différente de la Russie.

P.V. Que pensez-vous du projet mis en avant par certains d’intégrer la Russie à l’Union européenne ?

J. W. Pardonnez-moi, mais ce projet revient à mélanger dans le pâté du cheval et du chat. Notamment du fait de son étendue – 11 fuseaux horaires ! – la Russie est un monde à part. Il n’y a aucune commune mesure entre ce géant peuplé de 145 millions d’habitants, et cet essaim de petits pays qui constituent l’UE

En revanche, je ne crois pas que l’UE puisse se défaire rapidement de son alliance avec les Etats-Unis. L’UE doit devenir suffisamment unie pour peser de manière convaincante face à Washington. Certes, Washington commet des erreurs, mais cela ne justifie nullement de vouloir faire cavalier seul. Avec quels moyens ? On est loin de les avoir développés, et même s’ils existaient déjà, il suffit de se souvenir de la Seconde Guerre mondiale et du plan Marshall pour apprécier à leur juste mesure les bonnes alliances.

Professeur Jacek Wosniakowski, premier maire élu de Cracovie

Entretien avec Pierre Verluise réalisé le 19 février 2004. Manuscrit relu et clos le 13 mai 2004.

Lire également : Pierre Verluise : "Quels défis géopolitiques pour l'UE élargie ?"

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Date de la mise en ligne: septembre    2004

 

 

 

Biographie du Professeur Jacek Wosniakowski

   

 

 

Né en 1920, à 20 kilomètres de Cracovie, en Pologne. Baccalauréat en1938. Il participe à la Seconde Guerre mondiale en 1939, au sein d’un régiment de cavalerie. Après avoir été gravement blessé, il entre dans la Résistance.

Après la Seconde Guerre mondiale, Jacek Wosniakowski fait ses études d’Histoire et de Philologie à l’université Jagellone de Cracovie.

De 1948 à 1953, il est Secrétaire de rédaction au journal «Tygodnik Powszechny». De 1957 à 1959, il est Rédacteur en chef du mensuel «Znak». De 1959 à 1990, il dirige les éditions Znak. Ces éditions ont été les premières à publier en Pologne des auteurs comme Gregory Baum, Hans Küng, Jacques Leclercq, Augustin Bea, Bede Griffiths, Franz Koenig, Henri de Lubac, Hans Urs con Balthasar, Jean Daniélou, Karl Rahner, E. H. Schllebeeckx, M. D. Chenu, Yves Congar, Joseph Ratzinger, Louis Boyer, Thomas Merton, René Voillaume – sans compter les auteurs polonais, entre autres Karol Wojtyla et – après huit années de lutte acharnée – Czeslaw Milosz.

Chargé de cours à l’Université depuis 1953 et (après une opposition ministérielle de huit ans à son agrégation) Professeur depuis 1980 à l’Université Catholique de Lublin (KUL) : Histoire de l’art moderne et Philosophie de l’art. En 1981-1982, Professeur associé à l’université de Toulouse-le-Mirail. Docteur honoris causa KUL et Leuven (Belgique).  

Jacek Wosniakowski a beaucoup voyagé, avec des intermittences, entre 1957 et 1976. Il a donné des conférences sur l’histoire de la culture polonaise dans diverses universités -  notamment canadiennes et étatsuniennes (Harvard, Yale, Columbia, Berkeley) – mais aussi à l’université hébraïque de Jérusalem. Il a contribué à organiser deux grandes expositions de peinture polonaise.  

Il a publié sept livres généralement sur l’art, tous épuisés. Il a collaboré à une dizaine de volumes, écrit quelques centaines d’articles et traduit plusieurs romans anglais d’Arnold Bennett et de Graham Greene.  

Jacek Wosniakowski a contribué à fonder en 1956 deux clubs de l’Intelligentsia Catholique, à Cracovie et à Varsovie. Il a participé en 1978 au lancement de « l’Université volante » (TKN). En 1990, Jacek Wosniakowski a été le premier maire élu de Cracovie. Il a été pendant dix ans membre de la Commission Pontificale pour la Culture. En 2004, il préside l’Association (culturelle) de la Villa Decius, à Cracovie.

Membre de l’Académie du Savoir (PAU, Cracovie). Décoré deux fois de la Croix des Braves (Krzyz Walecznych), officier de Polonia Restituta, de la Légion d’Honneur, commandeur des Palmes Académiques. Il a reçu deux fois un prix du Pen Club. 

   

 

 

 

   

 

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