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En 2010, célébrer la Victoire de 1945 à Paris et à Varsovie,

par Alexandra Viatteau,

écrivain et conférencière à l'université de Marne-la-Vallée

Cette étude présente une page d'histoire souvent méconnue: la lutte de l’armée et de la résistance polonaises en France durant la Seconde Guerre mondiale.

Qui perd, ou laisse se perdre la mémoire, perd la partie contre des falsificateurs, dont l’objectif est toujours de s’emparer de l’avenir. Pour célébrer dignement le Jour de l’Union européenne et la victoire de la démocratie sur les totalitarismes, pourquoi ne pas célébrer la Victoire de 1945 à Paris et à Varsovie ensemble ?

Biographie de l'auteur en ligne.

Mots clés - Key words: alexandra viatteau, seconde guerre mondiale, états unis, victoire 1945, allemagne nazie, union soviétique, lettonie, lituanie, estonie, union européenne, france, paris, pologne, varsovie, armée polonaise, armée française, campagne de septembre 1939, campagne de france, bataille d’angleterre, débarquement en normandie, forces armées polonaises dans le débarquement de normandie, résistance française, résistance polonaise en france, forces armées polonaises, forces aériennes polonaises, renseignement français, renseignement polonais en france, renseignement polonais en angleterre, « enigma » (déchiffrement), c.p.l.n. (p.k.w.n.) en France, propagande, désinformation, d.s.t., action soviétique en france, partis communistes, la russie après le régime communiste, l’enseignement de l’histoire, le devoir de mémoire.

 

 

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Le 9 mai est la Journée de l’Union européenne. En 2005, cette fête européenne de la liberté et de la libération de l’occupation et de l’oppression nazies, mais aussi, désormais, de l’occupation et de l’oppression communistes soviétiques, n’a été célébrée dans aucun pays démocratique de l’Union européenne.

Elle a été célébrée en grande pompe à… Moscou, sous les drapeaux marqués de la faucille et du marteau de Marx-Engels-Lénine-Staline, en compagnie de dirigeants occidentaux, tous muets à l’exception du Président des Etats Unis, de ceux des Etats Baltes et de celui de l’Etat vainqueur du IIIème Reich et victime de l’URSS, la Pologne. La Lettonie a rappelé haut et clair l’occupation, l’annexion et l’oppression soviétiques. La Lituanie et l’Estonie ont marqué de leur absence les  festivités de Moscou pour mobiliser les consciences et les mémoires européennes.

Cependant, l’ignorance, l’inconscience, l’indifférence et la désinformation ou l’auto-désinformation, longtemps pratiquées, y compris en France, concernant cette époque de l’histoire européenne, ont dévoilé une emprise très forte encore de la propagande soviétique, poursuivie dans ce domaine par la Russie actuelle. Ceci, malgré des travaux, et même contre des travaux d’historiens dévoilant les faits incriminés. Au printemps 2005, la représentation officielle de la France est restée muette sur les faits d’ « occupation et oppression soviétiques ».

La France était agitée, au contraire, par des campagnes sur des thèmes permanents de la propagande des idées politiques communistes soviétiques contre le « libéralisme ». Ce concept, encore et toujours déformé,  était affublé d’un faux sens  de capitalisme sauvage pour cristalliser les mécontentements sur les thèmes « porteurs » de « lutte contre la mondialisation » et de « lutte contre l’impérialisme (américain) ». Que les champions de l’ « internationalisme prolétarien » dénoncent le mondialisme, et que les partisans d’un Etat totalitaire ayant occupé et opprimé la moitié de l’Europe dénoncent un autre impérialisme, n’éveillait pas la méfiance. Or, c’est dans le « libéralisme » et dans la « démocratie libérale », que s’enracine pourtant la liberté de la France et de l’Europe.

Que la Russie, après une période faste pour les hommes de bonne volonté de recherche et d’aveu de la vérité sur le communisme, cherche de nouveau à camoufler derrière son héroïsme et sa victoire la vérité sur ses pages noires de la Seconde Guerre mondiale, on le sait. Que la Russie actuelle, anxieuse de l’entrée dans l’Union européenne et dans l’OTAN de pays européens qu’elle croyait avoir soumis pour toujours à l’impérialisme russe, cherche à tout prix à les affaiblir et à les déprécier dans la nouvelle configuration mondiale, on le sait aussi. Qu’il faille à tout prix au Kremlin empêcher la Pologne de redevenir une puissance européenne, même régionale, on le comprend.

Mais que la France puisse se prêter à ce jeu, ne serait-ce que par l’occultation de la contribution polonaise, sans trêve et sans faille, à la Victoire de 1945, cela il faudrait l’éviter. La France doit, au contraire, veiller à ce que le combat polonais pendant la Seconde Guerre mondiale, longtemps soumis à la désinformation et au mensonge de la propagande soviétique, soit rétabli dans son authenticité et ne tombe jamais dans l’oubli. Cette étude sera donc consacrée à un aspect de ce combat du Premier Allié : la lutte de l’armée et de la résistance polonaises en France. 

Le 25 septembre 1939, après 25 jours de combat, et 10 jours avant la défaite, alors que la défense polonaise du territoire national venait d’être frappée, le 17 septembre, du « coup de couteau dans le dos » soviétique – Staline et Hitler agressant la Pologne ensemble – des entretiens diplomatiques secrets avaient lieu en Roumanie.(1) (1 Cf. photocopies des « Notes » de Roumanie d’un dossier confidentiel de Jan Szembek portant la mention « secret (tajne) ». Copie du dossier en possession de l’auteur). Le vice-ministre des Affaires étrangères polonais, Jan Szembek, s’entretenait avec l’ambassadeur de France, Léon Noël, pour lui dire que :

« L’absence de synchronisation entre l’action militaire en Pologne et l’action militaire à l’Ouest provoquera une grande attaque allemande contre l’Ouest ». Ce qui eut lieu, en effet.

Le même jour, Szembek disait à l’ambassadeur de Roumanie, Franassovici : « Si la guerre avait été conduite simultanément à l’Est et à l’Ouest, nous aurions peut-être évité la situation actuelle… ». Et Szembek soulignait l’importance et le rôle fatal de la « collusion pleine et entière germano-soviétique », mortifère pour toute l’Europe, la France comprise.

Le ministre français Champetier de Ribes fit savoir à Szembek que « l’artillerie antiaérienne polonaise a rendu de grands services à la cause des Alliés ».

L’ambassadeur des Etats Unis, Biddle, rendit compte à Szembek du transport de l’ambassadeur français qu’il avait assuré vers Bucarest. De même qu’avec Léon Noël, le général Wladyslaw Sikorski quittait Bucarest pour Paris.

Avant son départ, l’ambassadeur Noël déclara au vice-ministre Szembek que, sur le territoire français, le gouvernement polonais jouirait d’une pleine exterritorialité. Mais, le gouvernement français excluait l’installation du gouvernement polonais en Normandie, car « sa sécurité ne pouvait y être pleinement assurée, et le climat hivernal y était trop rude ». (2) (2 Cf. ibidem) Drôle d’argument pour les Polonais nordiques ! Quelle était la véritable raison de cette préférence de Paris pour l’installation des Alliés polonais à l’intérieur des terres ? Les raisons invoquées, qui tenaient au climat, ou à la sécurité de nos alliés de Varsovie ne semblaient pas sérieuses. Peut-être était-ce le désaccord des Polonais avec la stratégie de la « drôle de guerre » choisie par Paris, et la crainte que l’armée polonaise, et en particulier son renseignement, détenant la clé d’ « Enigma » (nous y reviendrons), ne traverse la Manche ? Il y avait déjà une sorte de « duel » entre renseignements nationaux, même alliés. Ce duel s’accentuera ensuite, notamment entre le général de Gaulle et les services anglo-saxons. En tout cas, en 1939, Paris pensa d’abord à Nevers, avant de fixer son choix sur Angers, comme quartier général des Polonais.

Avant de parler de Résistance, au sens de Clandestinité, après la défaite française de juin 1940, disons un mot des combats de l’Armée Polonaise en France aux côtés de l’Armée Française. Une armée polonaise, sous souveraineté nationale, fut reconstituée sur le sol français, conformément à l’accord datant du 9 septembre 1939, puis selon l’accord Sikorski-Daladier du 4 janvier 1940.

Il s’agissait de militaires polonais qui avaient quitté la Roumanie où ils s’étaient regroupés après la défaite de la Pologne rendue inéluctable après l’agression germano-soviétique sur deux fronts. C’est en Roumanie que les chefs militaires polonais et leurs troupes espéraient l’arrivée des renforts français et britanniques, attendus par le sud, pour poursuivre la guerre. Devant l’impossibilité d’une telle opération, ils optèrent pour l’évacuation vers la France. D’autres arrivèrent directement de Pologne. L’armée ainsi reconstituée comptait « environ 50 000 militaires, en majorité des cadres et des spécialistes » et des Polonais vivant en France – mobilisés sur place ; ces derniers étaient environ « 100 000 en état de porter les armes ». Plus de 25 000 officiers, sous-officiers et spécialistes, notamment du 2ème Bureau, suivirent des filières d’évasion de Roumanie vers la France organisées par des officiers français et des attachés militaires polonais à Bucarest, Budapest, Belgrade et Athènes. « Parmi ceux-ci, les aviateurs intéressaient à la fois le commandement français et le commandement anglais. Ils furent finalement partagés, les pilotes de chasse acheminés sur la France, les bombardiers sur la Grande Bretagne ». « Le comportement des Forces Polonaises dans la bataille de France fut exemplaire », écrivit le général Louis Faury dans son rapport. (3) (3 Cf. Général Louis Faury, « La participation polonaise aux combats de l’Armée Française », conférence à la Bibliothèque Polonaise de Paris, le 15.11.1991).

Le statut de cette armée polonaise était celui d’une armée nationale étrangère, placée, en tant qu’armée d’un Etat allié, sous les ordres du commandement en chef de l’armée française. « L’autorité polonaise était souveraine pour ce qui concernait la gestion des personnels et, moyennant certaines conditions d’uniformisation, l’entraînement des Forces. Au nom du même principe de souveraineté, le financement de la mise sur pied des Forces Polonaises et de leur entretien était à la charge de la Pologne, ce qui, dans l'application, devait se traduire par l’avance des fonds nécessaires par l’Etat Français et leur inscription à un compte de débit de l’Etat Polonais ». Les forces polonaises devaient se composer comme suit : « L’objectif initial pour l’Armée de Terre était la constitution de sept grandes unités : quatre divisions d’infanterie, dont deux en première urgence, une brigade de chasseurs de montagne, une brigade blindée, ainsi qu’une brigade d’infanterie au Levant ; pour l’Armée de l’Air, la formation de deux groupes de chasse, ainsi qu’une ou deux escadrilles de coopération ». (4) (4 Cf. ibidem).

Mais, les réalisations furent un peu différentes, et elles ne furent pas à la mesure des espérances polonaises. « Au printemps 1940, quand Hitler engagea son offensive à l’Ouest, le plan de mise sur pied des Forces Polonaises n’était réalisé qu’à environ 50% et les grandes unités constituées étaient disséminées de la Bretagne à la frontière suisse ; il n’existait pas, à proprement parler, d’armée polonaise. Cette situation a donné lieu à quelques commentaires acerbes ; côté polonais, on a reproché au commandement français un manque de confiance dans les capacités polonaises ; côté français, on s’est plaint de l’effet pervers des divisions entre Polonais (entre partisans de Sikorski et de Pilsudski – AV) ». (5) (5 Cf. ibidem).

« Par surcroît, les besoins pour la mise sur pied de l’armée polonaise venaient en concurrence avec ceux pour la modernisation de l’armée française ; notre production étant insuffisante pour les satisfaire simultanément, notre commandement fut enclin à donner la priorité à nos forces, au détriment de l’équipement de l’armée polonaise ». Le commandement polonais en était effrayé, en considérant que l’effort d’équipement au profit de l’armée française pouvait être gâché par le choix de la « drôle de guerre ». En effet, du 10 mai au 18 juin 1940, la France connut la « débâcle ». L’armée polonaise combattit avec l’armée française. Le général Louis Faury a dressé en 21 pages manuscrites bien tassées le bilan des combats héroïques des forces polonaises sur le sol français en mai-juin 1940 : « manifestation éclatante de solidarité » militaire. (6) (6 Cf. ibidem).

Lorsque la France signa l’armistice, et dès le 19 juin, le lendemain de l’appel du général de Gaulle, le général Sikorski appela toutes les Forces Polonaises en France à ne pas déposer les armes, et à rallier l’Angleterre pour poursuivre la lutte. La quasi totalité des cadres et des spécialistes de l’armée polonaise gagnèrent l’Angleterre. Selon un bilan global présenté par un expert, le professeur Edmond Marek, parmi les 84 000 hommes dont disposait le général Sikorski au début de la bataille de France, 32 400 ont été évacués, 13 000 autres internés en Suisse, plus de 15 000 prisonniers. A ce bilan, il convient d’ajouter les pertes en tués et en blessés, non chiffrées, les personnels restés volontairement en France pour organiser des chaînes d’évasion et des réseaux de renseignement ; enfin plusieurs milliers de recrues tout juste incorporées et domiciliées en France qui regagnèrent leurs foyers. (7)  (7 Cf. Edmond Marek, « Le général Sikorski et ses soldats dans la campagne de France (1939-1940) », Conférences du Club culturel « Polonia-Nord », Lille, 1990 – à noter une vaste bibliographie).

Le 28 juin 1940, le général Louis Faury adressa au général Sikorski un compte-rendu amical de l’évacuation des Forces Polonaises de Bretagne : « Les évènements ont été moins sombres que je l’imaginais puisque tous les officiers et s/officiers de la troisième division, ainsi que la totalité des officiers appartenant aux services et aux Ecoles de Coëtquidan ont pu échapper à l’ennemi. »

« Croyez bien, mon Général, au regret que j’éprouve de n’avoir pas fait plus ; j’aurais voulu, par une marche ordonnée, sauver la plus grande partie des recrues, qui constituaient la base nécessaire à la reconstitution de Grandes Unités, mais les 3ème et 4ème Divisions se sont trouvées dans la partie de la France la plus démoralisée, celle où l’avance allemande a pu prendre une forme foudroyante (blitzkrieg – AV). Ma détresse est immense, mais vous savez que je ne connais pas le découragement. Que DIEU protège les armes, que vous avez eu la volonté de ne pas laisser tomber de vos mains – la POLOGNE vivra, puisque vous, Polonais, vivez. ». (8) (8 Cf. Général Louis Faury, compte-rendu dactylographié à l’en-tête de la Mission militaire franco-polonaise, en date du 28 juin 1940, dont une copie a été offerte par le général à son ami Georges Mond, mon père – AV).

Parmi les chefs militaires polonais qui ont gagné Londres se trouvait le général Stanislaw Maczek, qui joua un rôle éminent dans le Débarquement de Normandie et dans la progression des Alliés vers l’Allemagne à travers la Belgique. Maczek avait combattu avec succès contre le 23ème corps allemand en Pologne jusqu’à l’agression soviétique. Au moment où la défaite était devenue inéluctable après le 17 septembre 1939, il avait demandé à ses hommes de rejoindre par petits groupes la France. Un autre général polonais avait également sauvé ses hommes des charniers soviétiques : le général Bernard-Stanislaw Mond, qui avait décidé, contre l’avis d’une partie de son état-major, de ne pas faire retraite avec son armée « Krakow » vers l’Est, mais de combattre et de faire front contre l’armée allemande jusqu’au bout. Dès avant la chute du régime communiste, le général polonais Jozef Kuropieska (qui avait choisi de rallier l’armée de la Pologne Populaire en 1945) m’a confié à Paris : « le général Mond nous a tous sauvés de Katyn ». Ce général était mon grand-père.

Pour revenir au général Maczek, il a combattu en mai-juin 1940 avec son unité pendant la bataille de France. Après la défaite, il se rendit en Ecosse, où il obtint, le 26 février 1942, la formation de la 1ère Division blindée polonaise. Le 1er août 1944, sa division a débarqué à Arromanches et a intégré le 2ème Corps de la 1ère armée canadienne, avec lequel il a participé à la libération de la Normandie et d’une partie de la Belgique, puis à la progression vers l’Allemagne.

Cette intégration dans l’armée canadienne provoque, avec le temps qui passe et le souvenir qui s’estompe, dans les médias et même dans l’enseignement actuels en France, une mésinformation et, par suite, une désinformation sur les combats polonais de la Seconde Guerre mondiale que l’on a tendance à attribuer aux armées alliées, sans distinction de nationalité. En avril-mai 1945, les forces polonaises du général Maczek sont arrivées à la forteresse de Kriegsmarine de Wilhelmshaven. Après la guerre, le général Maczek a été promu général de division, commandant du 1er Corps polonais en Ecosse, puis de l’ensemble des unités polonaises basées en Grande Bretagne. A la démobilisation, il a refusé et déconseillé le retour des soldats dans une Pologne devenue communiste soviétique, dans laquelle la police politique de Moscou et ses services vassaux de Varsovie procédaient à la répression et à la liquidation physique des combattants polonais anti-nazis et des opposants à l’occupation soviétique suivant la libération. (9) (9 Cf. « Za wasza i nasza wolnosc » (Pour votre liberté et la nôtre), service d’information sur internet à l’occasion du cinquantenaire du Débarquement, Gazeta Beskid, juin 2004, www.beskid.com ; cf. aussi « Sur les traces des libérateurs polonais, les Hussards ailés », revue mensuelle Vox, 27.5.1999, www.mil.be )

En 1940, quel fut le sort des membres de l’Armée Polonaise demeurés en France occupée ? Voici un témoignage d’Yves Beauvois rapporté par Henry Rollet, lui-même auteur d’une « Histoire de la Pologne au XXème siècle ». Yves Beauvois était, à l’époque, militaire et acteur des évènements :

« Leur sort n’avait pas fait l’objet d’une des clauses de la convention d’armistice. Mais elle a été posée par les Allemands à la commission d’armistice. Accompagnant le général Faury, j’ai assisté à une commission interministérielle convoquée à ce sujet à l’Hôtel du Parc au début de juillet 1940. Après des débats confus, désolés et désolants, François Seydoux de Clausonne a résolu la question : il faut, dit-il, faire démobiliser tous les Polonais dans la journée même et mettre les Allemands en face du fait accompli. Cette proposition fut soumise au général Weygand qui l’a faite immédiatement appliquer. » (10) (10 Cf. Henry Rollet, note de lecture de l’ouvrage d’Yves Beauvois, « Les relations franco-polonaises pendant la « drôle de guerre », Ed. L’Harmattant, 1989, Paris – la note est dactylographiée et figure dans les archives de Georges Mond, à qui elle a été soumise pour avis).

Yves Beauvois constatait que les autorités militaires et civiles françaises n’avaient « guère contribué » à l’évacuation des militaires polonais vers l’Angleterre. « Mais, des militaires français aussi ont souffert des conséquences du monstrueux désarroi qui a frappé la France avec la défaite ». Il faut rappeler aussi que la population française a aidé efficacement des combattants polonais à passer en zone libre, d’où ils ont pu rejoindre Londres, ou résister en France.

« Il est exact aussi, poursuivait Beauvois, que le gouvernement français ait mis trop de zèle à seconder les rancunes du général Sikorski et de son entourage (contre l’establishment de Pilsudski, dont Sikorski avait pris le contre-pied en recommandant l’entente avec l’URSS – AV) ». Cependant, Beauvois rappelait que les intrigues internes des émigrés sur le sol d’un pays d’accueil, ainsi que les intrigues internationales, posaient des problèmes difficiles, que le général de Gaulle, lui aussi, avait expérimentés à Londres. « Et c’est sans être sous le coup d’une défaite écrasante, comme la France, que le gouvernement britannique abandonnera le gouvernement polonais de Londres et exilera au Canada (à la fin de la guerre, sur exigence de Staline – AV) la personnalité prestigieuse du général Sosnkowski (Commandant en chef des Forces Armées Polonaises qui représentait la position opposée à toute main mise soviétique sur la Pologne – AV) ». (11) (11 Cf. ibidem).

Avant de dire quelques mots sur la Résistance polonaise clandestine qui s’est organisée en France, revenons à l’action de la fameuse aviation polonaise entre la Campagne de France et la Bataille d’Angleterre. En juin 1940, les 6 escadrilles de chasse du « Groupe Montpellier » et toute l’escadre 1/145 ont pris part aux combats, sans compter 9 autres escadrilles intégrées à divers groupes français. Au total, 150 pilotes ont combattu dans le ciel de France, abattant 51 appareils allemands. Après l’armistice, environ 4000 aviateurs polonais ont été évacués via Alger, Gibraltar ou Casablanca, pour se joindre à la Royal Air Force, et prendre part ensuite à la libération de la France. (12) (12 Cf. Edmond Marek, op.cit., pp. 13-30).

En juillet, août, septembre et octobre 1940, l’aviation polonaise a combattu glorieusement dans la Bataille d’Angleterre. Les pilotes polonais détruisirent 11,7% des appareils allemands abattus pendant cette bataille. Le Marshal of the Royal Air Force, Charles Portala, leur rendit hommage en ces termes : « Grâce à la contribution et à la bravoure des pilotes polonais dans la Bataille d’Angleterre, les forces aériennes polonaises sont devenues célèbres dans la société britannique et dans le monde ». (13) (13 Charles Portala, préface à « Destiny can wait », Londres ; cf. aussi Paul Brickhill, « Reach for the Sky », Londres, 1955 et A. Galland, « Die Ersten und die Letzten », Darmstadt, 1953 ; cf. Bohdan Arct, « Polskie skrzydla na Zachodzie » (Les ailes polonaises en Occident), Ed. Interpress, Varsovie, 1970 – également en langue anglaise).

« Les Polonais, c’est du courage à l’état pur », pouvait-on lire sous la plume de la correspondante de guerre américaine Dorothy Thomson pendant la bataille d’Angleterre. Donnons une sorte de concentré rapide et seulement partiel de l’action de l’aviation polonaise pendant la guerre en Europe occidentale : les forces polonaises représentaient 1/8ème des forces aériennes du Fighter Command. Au fur et à mesure que le temps passait, les Forces Aériennes Polonaises devinrent « le quatrième partenaire aérien allié » après les Etats Unis, l’Angleterre et l’URSS. Pendant l’offensive allemande en Europe continentale, à partir de 1941, plus d’un quart des victoires remportées contre l’aviation allemande ont été des victoires polonaises. Le 17-18 août 1943, à l’origine du bombardement des usines secrètes nazies de Peenemunde, il y eut les informations du groupe de renseignement aérien polonais sur la fabrication des missiles V-1 et des fusées V-2. Pendant la bataille de l’« Insurrection de Varsovie », en août-octobre 1944, 97 parachutages sur 213 furent réalisés par des équipages aériens polonais. Après le Débarquement en Normandie, les forces aériennes polonaises de la division 315 remportèrent, le 18 août 1944, une grande victoire au-dessus de Beauvais contre 60 Focke-Wulfe FW-190 allemands, et en abattirent 16. Pendant le débarquement, puis l’avance en France, les équipages polonais coulèrent 6 sous-marins individuels, détruisirent 600 engins motorisés et 4 réservoirs ennemis d’essence de 14 millions de litres. (14) (14 Cf. ibidem, et « Rapports confidentiels » de Group Captains britanniques à partir du 10.9.1940).

Revenons au début de la guerre, et même des années avant la guerre, pour signaler une action fondamentale du Renseignement militaire polonais : c’est un apport essentiel et l’une des réussites les plus brillantes, c’est « ENIGMA ».

Dès les années 1920, le Renseignement polonais de l’Etat-major général était conscient des efforts de réarmement de l’Allemagne, notamment de connivence avec la Russie soviétique, comme le démontra le Traité de Rapallo, et comme l’avaient montré déjà les accords secrets germano-soviétiques, dévoilés pendant la guerre polono-bolchevique. (15) (15 Cf. Alexandra Viatteau, « L’apport de la Pologne aux vingt ans de paix entre les deux guerres (1919-1939) » in « Les sociétés, la guerre et la paix de 1911 à 1946 », dir. Gérard Berger, Ed. Ellipses, 2003, Paris ; cf. aussi A. Viatteau, « Et si l’Europe avait écouté Jozef Pilsudski ? », www.diploweb.com avril 2005).

La surveillance polonaise s’étendait au décryptement des messages militaires allemands. C’est la section BS4 (Biuro szyfrow 4, section allemande) qui en était chargée. En juillet 1928, une étude analytique des cryptogrammes mit les Polonais sur la trace d’une machine à chiffrer nouvelle, au demeurant « une variante d’un modèle commercial ». Le BS4 comprit que le nouveau décryptement nécessiterait de grandes connaissances mathématiques, et non seulement linguistiques. Vingt étudiants polonais furent choisis pour suivre des cours de cryptologie, et l’on en sélectionna trois : Henryk Zygalski, Jerzy Rozycki et Marian Rejewski. Ce dernier fut envoyé pour des études de mathématiques supérieures d’un an… à l’Université de Gottingen en Allemagne. C’est à partir de 1932 qu’ « Enigma » et le nouveau système de déchiffrage fut utilisé par le Renseignement polonais.

Du côté français, « le commandant Gustave Bertrand était arrivé à la conclusion que le moyen le plus efficace serait de se procurer les codes diplomatiques étrangers en les volant ou en les achetant. Or, dans le courant de l’année 1931, un employé de la Chistelle (Section du chiffre du ministère allemand de la Défense) prenait contact avec les services secrets français. Il s’appelait Hans-Thilo Schmidt ». Au cours de dix neuf rencontres dans différents pays, Asché, nom de code de Schmidt, remit aux Français 303 documents, dont bon nombre concernaient l’Enigma : notices d’emploi, tableaux mensuels de clés, cryptogrammes accompagnés de textes clairs correspondants. Les Français communiquèrent ces documents, inutilisables en l’état, au BS4 polonais au début de 1932. Les trois jeunes génies de la cryptologie polonaise travaillèrent alors à résoudre les problèmes insolubles « en concentrant leurs efforts sur l’essentiel : le câblage des rotors ». « Vers la fin de l’année 1932, l’exploit était accompli : en vingt jours de travail acharné, Zygalski, Rozycki et Rejewski réussissaient le premier décryptement intégral d’un message Enigma. Quelques semaines plus tard, Hitler devenait chancelier du Reich ». (16) (16 Cf. David Kahn, « La Guerre des codes secrets ; des hiéroglyphes à l’ordinateur », InterEditions, Paris, 1980).

Au début de 1934, un appareil électrique spécialement conçu, qui fut baptisé « Bomba » et dont les organes étaient capables de simuler le fonctionnement de deux machines Enigma, permit aux Polonais de travailler deux fois plus vite. Le BS4 a décrypté à cette époque des messages relatifs à « La Nuit des longs couteaux » nazie. Le volume des interceptions augmentait avec le développement des forces militaires allemandes. « Les Polonais réalisèrent alors un nouveau dispositif qui incorporait les éléments de six machines Enigma et qui accrut considérablement le rendement de la petite équipe. Au début de 1938, l’équipe polonaise était en mesure de décrypter 75% des messages allemands interceptés ». (17) (17 Cf. ibidem).

Cependant, en été 1938, les Allemands compliquèrent leur code en dotant chacune de leurs machines Enigma de deux rotors supplémentaires, multipliant par 60 les combinaisons possibles. Ainsi, à la veille même des agressions d’Hitler contre l’Europe centrale, le Renseignement polonais se trouva débordé. C’est alors que le commandant Bertrand organisa à Paris, en juillet 1938, une rencontre entre les services cryptologiques français, polonais et britanniques, pour « coordonner et intensifier les recherches ». « Mais, les délégués polonais, le lieutenant-colonel Langer, chef du Biuro Szyfrow, et le major Ciezki, chef du BS4, ne tardèrent pas à s’apercevoir que leurs interlocuteurs n’avaient rien à leur offrir. Ils gardèrent donc le secret sur l’état de leurs travaux et retournèrent à leur combat solitaire ». (18) (18 Cf. ibidem).

En juillet 1939, les cryptanalystes polonais jugèrent toutefois la situation grave et invitèrent leurs collègues français et britanniques à une nouvelle rencontre. « Le commandant Bertrand avait avec lui le capitaine Braquenié. La Grande Bretagne était représentée par le chef de son service de décryptement, Alan Denniston, accompagné de l’un de ses principaux collaborateurs, Dillwyn Knox, et par le général Menzies, chef de l’Intelligence Service. Les Polonais révélèrent à leurs invités une sensationnelle nouvelle : ils leur offraient deux exemplaires de l’Enigma, qu’ils étaient parvenus, non seulement à décrypter, mais  encore à reconstituer. Les deux machines furent acheminées sur Paris par la valise diplomatique et l’une d’elles fut ensuite transportée à Londres par les soins du commandant Bertrand ». (19) (19 Cf. ibidem)

Le 1er septembre 1939, les cryptanalystes polonais purent quitter la Pologne et rejoindre la France via la Roumanie avec leur précieux savoir et matériel. Ils furent incorporés au P.C. Bruno, le centre français de cryptanalyse installé au château de Vignolles, près de Paris, où ils contribuèrent très largement, au cours des mois qui suivirent, au décryptement de plusieurs milliers de messages Enigma, émanant pour la plupart de la Luftwaffe. Quand la France fut défaite, la plupart des cryptanalystes polonais et quelque uns français furent regroupés au P.C. Cadix, qui s’installa en zone libre, au château de Fouzes près d’Uzès. Entre octobre 1940 et novembre 1942, près de 5000 messages de l’occupant furent décryptés, et les informations transmises à Londres par radio. Le 8 novembre 1942, les Allemands occupèrent la zone libre, et le commandant Bertrand avec quelques hommes furent arrêtés, « mais aucun ne révéla le secret d’Enigma ». La plupart des cryptanalystes polonais rejoignirent Londres et travaillèrent jusqu’à la fin de la guerre au sein d’une unité polonaise et britannique. L’organisation cryptologique britannique, la Government Code and Cypher School (GCCS) était installée dans un domaine, Bletchley Park, à moins de cent kilomètres de Londres. Les maîtres polonais trouvèrent là des élèves et des collègues qui « étaient une extraordinaire concentration de matière grise ». « Il y avait là Alan Turing, véritable génie des mathématiques et précurseur dans le domaine des ordinateurs, Hugh Alexander et Harry Golombek, tous deux champions d’échecs, Roy Jenkins, futur chancelier de l’Echiquier et une pléiade d’universitaires appartenant à toutes les disciplines ». (20) (20 Cf. ibidem).

A bonne école, les Britanniques ont pu ainsi approfondir leur recherche sur Enigma qui, sans cela, avançait lentement. Le professeur F.H. Hinsley, qui a été le seul historien à avoir eu accès à des documents à ce sujet, écrivait que « le service de décryptement britannique, en 1939, avait peu d’espoir d’arriver à un résultat ». (21) (21 Cf. Jean Stengers, « La guerre des messages codés (1939-1945), in L’Histoire, n°31, février 1981, pp. 19-31). La contribution polonaise a donc été capitale jusqu’à la fin, permettant le démarrage du système « Ultra » à la fin de 1942. Certains spécialistes et historiens, tel l’Américain David Kahn ou le professeur de l’Université de Bruxelles, Jean Stengers, ont tenu à nuancer l’attribution au système britannique « Ultra » des succès du système de décryptement polonais « Enigma », qui a donné « la base sur laquelle les Anglais, à leur tour, ont pu construire ».

Le professeur Jean Stengers enseignait et écrivait en 1981 : « On mesure dès lors ce qu’a été le rôle, immense, de la Pologne. Celle-ci a, certes, été la grande vaincue du début de la guerre, mais elle avait, dans les années précédant le conflit, et secrètement, remporté sur l’Allemagne un succès scientifique qui allait, pour la suite de la guerre, avoir des effets décisifs. Son grand geste de juillet 1939, où elle partage tout avec ses amis de l’Occident, a été, a-t-on dit, le geste du guerrier passant le glaive à ses alliés avant de mourir. Ce glaive avait un poids qui allait aider à écraser son vainqueur ». (22) (22 Cf. ibidem).

Enfin, le capitaine, avancé au grade de général, Gustave Bertrand, organisateur méritant de la coopération franco-polono-britannique de décryptement, a écrit dans ses mémoires intitulés « Enigma » : « En ce qui concerne les cryptologues polonais, il leur revient essentiellement tout le mérite et toute la gloire d’avoir fait aboutir à un résultat au sens technique cette incroyable aventure, et cela grâce à leur savoir et à leur persévérance , sans égales dans aucun pays du monde ». Explicitant son affirmation, le général Bertrand a déclaré au professeur Stengers, à la radio belge, en 1977 :« La possession seule des documents ne suffisait pas à la maîtrise du système ; il y fallait du génie mathématique ». (23) (23 Cf. Général Gustave Bertrand, « Enigma », Paris, 1977).

Rappelons maintenant quelques notions sur le Renseignement polonais dans la Résistance franco-polonaise sur le territoire français et en Angleterre. Le sujet a été maintes fois traité, parfois de façon différente, ou divergente, comme c’est également le cas des débats et mises au point entre anciens de la Résistance et du Renseignement français de l’époque. Dans le cas polonais, j’ai entre les mains le texte dactylographié de Léon Sliwinski, un des chefs de réseau du renseignement. Le texte est cosigné par vingt autres membres de son réseau F2 des Forces Françaises Libres (FFL). C’est une mise au point et une réponse à un article de Tadeusz Wyrwa intitulé « Losy wywiadu polskiego we Francji » (Les destinées du renseignement polonais en France), paru dans le n° 97 de la revue émigrée Kultura. Ne sachant pas si l’étude de Léon Sliwinski a été également publiée par Kultura, et n’ayant pas suivi le débat, je laisserai les lecteurs intéressés chercher par eux-mêmes toutes ces passionnantes sources d’information sur des activités par nature très complexes. D’un ouvrage de Tadeusz Wyrwa, chercheur au CNRS et historien, j’utiliserai ici deux citations françaises contenant des indications précieuses sur les débuts de l’action polonaise de renseignement sous l’occupation. (24) (24 Cf. Tadeusz Wyrwa, « La Résistance polonaise et la politique en Europe », Ed. France Empire, 1977). :

Un responsable du Renseignement de la Résistance française a précisé que les Polonais « avaient été les seuls, pendant longtemps, à pouvoir renseigner les Alliés sur l'implantation de l'armée allemande en France… Ceux des Français qui s’étaient dressés les premiers contre les Allemands n’avaient pu communiquer avec Londres qu’au moyen de l’infrastructure clandestine déjà établie par les Polonais… Ainsi une poignée de Polonais héroïques avaient rendu des services immenses. Ils avaient été longtemps la seule antenne du monde libre dans toute cette Europe submergée par la vague brune. Ils avaient été, en quelque sorte, les catalyseurs de la Résistance française. » (25) (25 Cf. Bernard Chaudé, (lieutenant-colonel « Grégoire »), « Les beaux jours de l’occupation », J-C. Lattès, Edition spéciale 1973, Paris, pp. 253-254).

Le colonel Passy, chef du Renseignement de la France Libre, a témoigné, pour sa part : « Les Anglais avaient quitté la France sans laisser derrière eux la moindre organisation capable de les renseigner sur les préparatifs allemands. Seuls les Tchèques et les Polonais avaient profité de leur séjour sur notre territoire pour y implanter des agents secrets munis de postes émetteurs de radio ; seuls donc ils se trouvèrent prêts à travailler immédiatement ». (26) (26 Cf. Colonel Passy, « Souvenirs », tome 1 « 2ème Bureau-Londres », Ed. Raoul Solar, Monte Carlo, 1947, p. 54).

Dans les arcanes du Renseignement des Alliés – dans les armées régulières et dans les résistances clandestines – il y avait des complexités. Coopération, solidarité, union dans la lutte, combat commun, certes, mais aussi interférences et divergences politiques, obédiences diverses, parfois opposées, tactiques sophistiquées d’intoxication, nécessitant des agents doubles ou multiples ; tout cela aboutissant quelquefois à des appartenances compliquées, conscientes ou inconscientes.

« J’étais en contact avec trois réseaux différents ayant des moyens de transmissions différents, et qui prétendaient dépendre, l’un de l’Armée Polonaise, l’autre de la Marine Anglaise, et le troisième des Forces Françaises Libres », racontait Michel Brault, l’un des chefs de secteurs évoqués dans une histoire de la Résistance. (27) (27 Cf. Henri Noguères, « Histoire de la Résistance en France, 1940-1945 », Ed. Robert Laffont, Paris, pp. 423-425).

Le grand jeu de la désinformation, mais surtout de l’intoxication, avait été élaboré et mis en pratique par les Anglais pour couvrir l’audacieuse stratégie des Alliés anglo-saxons. C’est dans l’orbite du « XX Committee » (qui faisait travailler les agents doubles), de la « London Controlling Section » (qui coordonnait les opérations d’intoxication et de désinformation), et des « Committees of Special Means » auprès des états-majors de différents niveaux, responsables de la couverture des opérations en liaison avec la LCS, que se situe l’affaire du réseau polonais de Roman Czerniawski, sous ses innombrables pseudonymes et noms de code personnels et collectifs. (28) (28 Cf. J. Masterman, « The Double Cross System in the War 1939-1945 », Londres – et sa traduction polonaise « Brytyjski system podwojnych agentow, 1939-1945 », Ed. Ministère polonais de la Défense nationale, Varsovie, 1973 –, ainsi que L. Collins, « Fortitude », Ed. Robert Laffont, Paris, 1985)

La complexité de l’action de renseignement tenait aussi aux deux phases de la guerre, où l’Union soviétique était d’abord la complice d’Hitler, avant de devenir l’alliée des Alliés après l’attaque allemande, qui brisa ainsi en juin 1941 le pacte germano-soviétique. L’élément communiste soviétique, moscovite et international, fut un élément important pour tous les réseaux, dès l’origine de la guerre, et dans toute l’Europe. Le rapport à l’Union soviétique et au communisme de Moscou a été différent avant et après 1941. Dans l’entre-deux-guerres, puis de septembre 1939 à juin 1941, l’URSS a été une ennemie féroce, non seulement de la Pologne, qu’elle a agressée avec l’Allemagne le 17 septembre 1939, et dont le NKVD devait « liquider » avec la Gestapo toute résistance à l’un ou l’autre occupant. L’URSS et ses espions sur nos territoires ont été aussi des ennemis actifs des démocraties occidentales. Notamment de la France, que la propagande soviétique qualifiait à l’époque de « vieille putain en voie de décomposition », fêtant sans vergogne la défaite de 1940 !

Les positions à l’égard de l’URSS et des communistes, tant de l’Armée et de la Résistance françaises que des Polonais qui renflouaient nos rangs, ont changé après juin 1941. Les Polonais subirent toutefois, en avril 1943, le choc de la découverte des charniers de Katyn, où le NKVD soviétique avait assassiné en masse leurs officiers prisonniers de guerre pris à revers en septembre 1939. Alors que ce crime de guerre n’a pas ébranlé la confiance française en Staline. Cependant, les divergences d’opinions politiques, le jugement moral porté tout de même sur Staline et les crimes communistes, la crainte – ou l’espoir – d’une pénétration communiste dans la vie politique d’après-guerre ont joué un rôle. Des ralliements ou des rejets, compliqués par l’emploi d’agents doubles ou multiples, et aboutissant parfois à des trahisons voulues ou involontaires, ont eu lieu dans les réseaux français de souche et étrangers intégrés. Moscou et son Internationale communiste ont profité à fond de la situation, que Marx avait qualifiée de « guerre de progrès », qui impose le chaos et le sang versé jusqu’à l’éreintement, pour une révolution ou un changement radical de régime. Moscou profitait aussi de la position montante de Staline parmi les chefs alliés, pour jouer son propre jeu d’infiltration, d’intoxication et de désinformation, non seulement contre l’Axe, mais aussi contre les Alliés occidentaux. (29) (29 Cf. Alexandra Viatteau, « Staline assassine la Pologne, 1939-1947 », Ed. du Seuil, 1999, Paris ; cf. aussi A. Viatteau, « Le Pacte Ribbentrop-Molotov… L’état des connaissances scientifiques en 2000 », www.diploweb.com et www.geocities.com ; A.Viatteau, « Katyn, l’Armée polonaise assassinée », Ed. Complexe, Bruxelles, 3ème édition à paraître en 2006, et « Varsovie insurgée », Ed. Complexe, 1984, Bruxelles).

Il est donc arrivé un moment où les armées soviétiques ont commencé à remporter des victoires, notamment celle de Stalingrad et à entamer leur avancée de rouleau compresseur sur Berlin – et sur l’Europe. Dès que Staline a commencé à remporter des victoires politiques sur les Alliés démocratiques qui redoutaient toujours une paix séparée germano-soviétique, comme pendant la Première Guerre mondiale, les Résistances et le Renseignement occidentaux se sont embrouillés encore davantage dans leurs rapports avec les réseaux dirigés ou infiltrés de Moscou. Cependant, les communistes en France étaient libérés du poids de la collaboration de Staline avec Hitler. Ils étaient devenus des résistants avérés. Et ce ne furent plus les officiers et les soldats polonais, de l’armée régulière et de celle de l’ombre, combattant sur tous les fronts où se livraient les batailles, mais des Polonais réfugiés ou immigrés en France, en général de couches populaires, souvent éprouvés au delà de toute expression par la fuite devant l’Holocauste, qui se retrouvèrent mêlés à la résistance populaire française et à ses courageux combats intérieurs. Cette Résistance-là, qui ne pouvait échapper à l’attention des agents soviétiques, allait servir de tremplin à la montée du communisme français. Celle-ci était bien servie par la honte de la Collaboration de nombreux « bourgeois » avec l’occupant. Des agents soviétiques allaient, d’ailleurs, récupérer pendant longtemps au profit de Moscou des collaborateurs avec l’occupant nazi, y compris dans leur propre camp, avec ou sans l’aval de Moscou, en utilisant le chantage et la menace. (30) (30 Cf. Jean Rochet, « 5 ans à la tête de la DST, 1967-1972 ; la mission impossible », Ed. Plon, 1985, Paris, pp. 32-58, 203, 230-248, 264-270, 315-316, 326-327).

C’est dans ce contexte trouble de présence politique, militaire et occulte, tantôt du côté de l’Axe, tantôt de celui des Alliés, que le Kremlin a marqué certaines grandes affaires de la Résistance et du Renseignement en France. Après 1941, l’ombre de l’URSS plane sur le mystère et le drame de Jean Moulin. Mais, avant cela, en 1940-1941, elle plane sur le réseau de Roman Czerniawski – « Armand » et autres noms de code et pseudonymes –, et des cellules « France », « Paris », « Paris famille », « L’Interallié », « L’Interallié famille », ainsi qu’à Londres, de la cellule « Progrès ».

« Czerniawski n’a dévoilé l’existence du réseau « Progrès », dont il était le chef, qu’en 1961, dans son livre « The Big Network » (Ed. George Ronald, Londres, 1961). Avant d’obtenir l’autorisation de paraître, l’ouvrage, selon Czerniawski, a été censuré par les autorités britanniques. Bien que dépendant formellement de la Centrale O II du Commandant en chef à Londres,  « Progrès »  était  sous les ordres du M.I.6, et du Commander Dunderdale. Cette cellule « collaborait avec les services de renseignement de la Russie soviétique ». Un Wing Commander polonais, le pilote et chef du contre-espionnage des Forces Polonaises Aériennes à Londres, le capitaine S. Losinski, enregistra, le 15 mai 1986, un témoignage qui est conservé à l’Institut polonais Sikorski à Londres :

« Le major Czerniawski n’était pas un agent double, mais quadruple. Il travaillait pour les Polonais, les Anglais, mais aussi pour Vichy et pour la Russie soviétique. Lorsque son réseau fut liquidé par les Allemands en 1941, il apparut que plusieurs de ses agents étaient des agents de la Russie Soviétique, dont le chef était Léopold Trepper, de « l’Orchestre Rouge »…. Cependant que la remplaçante d’ « Armand », lorsque celui-ci était absent, souvent à Londres, « La Chatte » (Mathilde Carré) appartenait au Bureau des menées antinationales BMA de Vichy, et était traitée par le capitaine Simoneau, décoré après la guerre. Telles furent les complexités de cette époque qui débouchèrent souvent sur des drames humains au détour de l’acquisition et du traitement des informations, par tous les moyens, pour la Victoire sur Hitler ; mais aussi pour la victoire de Staline.

Voyons comment le général Henri Navarre, chef du 2ème Bureau du général Weygand à Alger (dépendant de Vichy), puis chef de réseau de la résistance, décrit le réseau de Czerniawski : « Vers le mois d’octobre 1940, s’installa à Paris un réseau dépendant de l’IS, « L’Interallié », commandé par un officier polonais, le commandant Czerniawski (pseudo : Armand). D’Autrevaux fut chargé d’établir avec ce réseau une liaison, assurée au début par M. Laboureau, un ancien sous-officier de l’Armée de l’air. Les renseignements recueillis étaient transmis à P2 (Vichy, Bureau des menées antinationales BMA – AV) qui, en retour, formulait critiques et recommandations, pour ne pas dire directives, puisque celles-ci devaient en principe venir de Londres. Ce réseau rayonnait sur l’ensemble de la zone occupée, disposait de gros moyens financiers, et entretenait avec Londres des liaisons radio en « broadcast ». (31) (31 Cf. Henri Navarre et un groupe d’anciens membres du SR, « Le Service de Renseignements, 1871-1944 », Ed. Plon, Paris, pp. 158-159).

Tous ces rapports et ces clivages, où les informations, les désinformations, les sous-entendus et les non-dits étaient également importants, prenaient une signification et une portée politiques difficiles à comprendre pour les simples combattants et même pour des initiés de l’époque. L’analyse des historiens reste elle-même réservée.

Nous devons signaler encore un aspect mal connu de la résistance polonaise en France : les rapports actifs, cordiaux et respectueux du général Giraud et du général polonais Juliusz Kleeberg, chef de l’OW, Organizacja Wojskowa (l’Organisation militaire) en zone libre. « Organisation très semblable à l’Armée Secrète Française à qui l’unissait une profonde communauté d’origine et de pensée. Exclusivement militaire, issue de l’Armée Polonaise en France de 1940 et d’évadés divers, l’OW s’était spécialisée dans les filières d’évasion vers la Grande Bretagne et se contentait, par ailleurs, d’un attentisme dans l’action en tout point analogue à celui de l’ASF », écrit la Revue Historique des Armées. Cette revue a publié en 1977 trois documents, du 22 août, 18 septembre et 21 septembre 1942, dans lesquels le Commandant en chef des Forces Armées Polonaises, et Premier ministre du Gouvernement Polonais à Londres, le général Sikorski, considérait le général Juliusz Kleeberg comme le chef des Forces Polonaises en France. C’est une délégation de pouvoirs et une nomination au commandement militaire polonais en France que dévoilent ces pièces. Sans doute, ces documents auraient infléchi l’histoire si le choix des Alliés s’était porté sur le général Giraud plutôt que sur le général de Gaulle comme chef de la France Libre ; et si le général Sikorski n’avait pas péri dans un accident, ou attentat, à Gibraltar. Mais, l’histoire s’est déroulée autrement. (32) (32 Cf. Colonel Zaniewicki, « Les rapports Giraud-Kleeberg en automne 1942 », in Revue Historique des Armées, n° 3, 1977, Ed. Ministère de la Défense, pp. 64-65 et passim).

De la même façon, on ne sait plus grand chose d’un épisode qui dévoile aujourd’hui, après la honte reconnue du régime stalinien et la chute du système communiste soviétique, vaincu notamment par la Pologne, la tentative d’une fraction de la communauté polonaise immigrée de créer en France-même un Comité Polonais de Libération Nationale (CPLN) ou PKWN. Un Comité portant le même nom que le CPLN (PKWN) qui venait d’être importé de Moscou à Lublin, en Pologne, et qui était le noyau du nouveau pouvoir communiste dans le pays qui allait devenir la Pologne Populaire (PRL) ou RPP sous tutelle soviétique. C’est le 25 octobre 1944, que « des membres influents des organisations de l’émigration polonaise » du Nord-Pas-de-Calais ont fait une demande en bonne et due forme auprès des Autorités françaises pour obtenir l’autorisation de former un tel Comité, chargé d’organiser, « dans les départements habités par les Polonais », et un peu tardivement à notre avis, après la libération de Paris, « la lutte contre l’envahisseur » !

Automne 1944, c’est le moment où Staline (après avoir ordonné en septembre-octobre à l’Armée rouge de ne pas respecter ses engagements d’Allié et de laisser les armées nazies écraser la bataille de l’Insurrection de Varsovie, où combattait et périssait la Résistance polonaise) a installé les communistes soviétiques et polonais au pouvoir à Varsovie. C’est donc, peut-être, un combat contre l’hitlérisme qui motivait la demande de cette fraction polonaise en France, mais c’est une collaboration avec le stalinisme qui était à la clé, sans doute par suite d’une désinformation ou d’une intoxication, qui font encore l’objet d’un non-dit. Mais, les Polonais n’étaient pas les seuls désinformés et intoxiqués. Allant dans le même sens, d’éminents intellectuels français, qui n’étaient pas, non plus, à l’abri de la manipulation des agents du Kremlin, soutenaient cette « nouvelle armée polonaise patriotique » : pur vocabulaire soviétique imposé contre la « ci-devant » Armée Polonaise de la IIème République, comme le proclamait la propagande communiste, qui imposait aussi à Paris-même le mensonge sur les massacres soviétiques des officiers à Katyn et ailleurs en URSS, ainsi que le silence sur la liquidation physique de la Résistance de l’Armia Krajowa (AK) qui se déchaînait en Pologne.

« Sous l’impulsion de l’association des intellectuels polonais en France, et d’un groupe d’intellectuels français, parmi lesquels MM. Frédéric Joliot-Curie de l’Institut, Gustave Monod, Directeur de l’Enseignement Secondaire, ainsi que M. Coornaert du Collège de France, auxquels s’était joint en dernier Alphonse Juge, membre de l’Assemblée Consultative provisoire, se créait l’amitié franco-polonaise ». L’initiative d’ « amitié » organisée entre les deux nations était fort respectable. Le CPLN de France finit par englober plus de 20 organisations tout à fait respectables, elles aussi, qui offraient un champ d’action privilégié à des agissements moins limpides. Les formes d’organisation étaient particulières : « On formait des comités locaux dans les quartiers polonais des cités minières, qui eux-mêmes se subdivisaient en groupes de la Milice patriotique polonaise, dont le nombre atteignit rapidement 5000 hommes ». D’autre part, ce CPLN qui voulait représenter l’immigration polonaise s’opposait à l’entente de la Résistance en France avec le Gouvernement Polonais en exil à Londres « et plus particulièrement avec le groupe du général Sosnkowski ». Staline avait, en effet, exigé des Alliés la mise à l’écart du général, Commandant en chef des Forces Armées Polonaises, et adversaire résolu de la soumission de la Pologne à l’URSS.

Prenons quelques citations d’une étude dactylographiée, qui ne porte malheureusement pas de nom d’auteur, mais dont le titre est « Enjeux politiques rivaux et divisions concernant la vie clandestine de la communauté polonaise en France ». Le texte comporte de nombreuses citations de déclarations, et des références, notamment aux documents du ministère français des Affaires étrangères. On y lit que le CPLN cherchait à convaincre ses troupes que les Polonais de Londres ne voulaient pas poursuivre leur combat aux côtés des Français, alors que le CPLN, lui, le voulait. On y lit aussi que le CPLN a tenté d’accuser la Résistance polonaise en France (autre que le CPLN lui-même) d’antisémitisme. La conclusion de l’analyse est la suivante :

« Le CPLN en France attirait l’attention du ministère des Affaires étrangères sur les agissements des cercles et des organisations relevant du Gouvernement polonais de Londres avec la conviction que leurs procédés (de la résistance dépendant de Londres – AV) étaient nuisibles aux intérêts de la Pologne au même titre qu’à ceux de la France. Cette attitude se comprend puisque le CPLN était d’origine communiste et dépendait idéologiquement du Gouvernement Provisoire de Varsovie. Son objectif, après la victoire sur les Allemands, était de ramener le plus de Polonais possible pour « construire la nouvelle Pologne ». L’instruction donnée aux Polonais par le CPLN prévoyait qu’une fois la mobilisation réalisée, « toute l’armée devait se transporter au plus vite sur le territoire de la Pologne ». Face à cette position du CPLN, le Gouvernement émigré de Londres prenait des dispositions d’un tout autre ordre : en date du 15 septembre1944, un détachement comprenant une grande partie des enrôlés fut expédié à la caserne Bessières vers l’Ecosse ». (33) (33 Cf. Archives du MAE, Pologne, volume 46, du 25 octobre 1944 au 17 juin 1945, CPLN du 25 octobre 1944 ; cf. aussi A. Viatteau, « Staline assassine la Pologne, 1939-1947, op.cit., pp. 195-223).

Ainsi, les compagnons d’armes polonais étaient exilés, mais mis à l’abri des répressions et liquidations communistes succédant à la victoire de Staline en Europe centrale.

La main mise de la Russie stalinienne n’épargnait pas, non plus, dans une certaine mesure, la France. Parlant à Rennes, le 27 juillet 1947, le Général de Gaulle déclarait :

« Sur notre sol, au milieu de nous des hommes ont fait vœu d’obéissance aux ordres d’une entreprise étrangère de domination dirigée par les maîtres d’une grande puissance slave.

« Il s’agit en réalité de plier notre beau pays à un régime de servitude totalitaire où chaque Français ne disposerait plus ni de son corps, ni de son âme et par lequel la France elle même deviendrait l’auxiliaire soumise d’une colossale hégémonie ».

Léon Blum s’inquiétait aussi, dans son livre « A l’échelle humaine » des visées communistes d’un « parti nationaliste étranger ». Et Pierre Mendès-France affirmait dans « Le Monde » du 28 septembre 1954 :

« Lorsque après la guerre nous comptions des communistes parmi les membres du gouvernement nous avons pu constater qu’ils n’ont pas agi de façon loyale – ils ne se sont pas comportés comme ministres prenant part dans un travail commun -, ils ont agi comme des chevaux de Troie, travaillant exclusivement pour le parti communiste et non pour le pays ». (34) (34. Cf. Jean Rochet, « 5 ans à la tête de la DST, 1967-1972. », op.cit., pp.278-279)

Le travail d’historien est un garde-fou en politique. Qui perd, ou laisse se perdre la mémoire, perd la partie contre des falsificateurs, dont l’objectif est toujours de s’emparer de l’avenir. Pour célébrer dignement le Jour de l’Union européenne et la victoire de la démocratie sur les totalitarismes, pourquoi ne pas célébrer la Victoire de 1945 à Paris et à Varsovie ensemble ?

Alexandra Viatteau

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Date de la mise en ligne: mai  2006

 

 

 

   

 

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