Professeur émérite à l’INALCO, Catherine Durandin est ancienne élève de l’École normale supérieure. Auteur de plus de vingt ouvrages d’histoire et géopolitique, axés sur la Guerre froide, l’OTAN, la Russie et la Roumanie. De nombreuses années de consultance pour le ministère de la Défense. Elle publie : « Moldavie : le défi, un pari » éditions Pétra.
Les Roumains ont traversé entre le 24 novembre 2024 et le 18 mai 2025, une crise profonde. Au-delà de l’élection d’un président, ce sont les choix idéologiques, culturels et géopolitiques qui se sont posés. Les Roumains ont élu, le 18 mai 2025, un président pro-européen, démocrate, humaniste, Nicusor Dan, avec 53,6% des voix contre de 46,4% à son opposant, George Simion, représentant l’extrême droite. Cette élection s’est jouée après des semaines tourmentées pendant lesquelles interviennent des acteurs étrangers sans que la violence ne l’emporte dans la rue. Il importe de revenir minutieusement sur ces semaines qui mettent en lumière la force défensive de la démocratie occidentale, ses atouts et sa fragilité, face à la puissance de l’extrémisme.
En 1996, la Roumanie de Constantinescu voulait l’intégration dans l’OTAN et dans l’UE. En 2025, la Roumanie de Nicusor Dan est membre de l’OTAN et de l’UE, solidaire de cheminements dont elle est actrice sans en avoir toute la maîtrise. Ces élections roumaines sont riches d’enseignement à propos des tempêtes que nous traversons.
LES ROUMAINS sont appelés aux urnes les 24 novembre 2024 pour les élections présidentielles et le 1er décembre 2024 pour les législatives. Le président Klaus Iohannis, élu en 2014, achève son deuxième mandat. Tout semblait tranquille en ce pays de 19 millions d’habitants, membre de l’OTAN depuis 2004, intégré dans l’UE depuis 2007. Si ce n’est que le ralentissement de la croissance économique, l’inflation, la guerre russo-ukrainienne aux portes, inquiètent une population en apparence calme. Mais la vague de l’idéologie antisystème, l’entente qui se dessine entre le président D. Trump et V. Poutine, secouent la Roumanie. D’un coup, l’aspiration à faire table rase du passé parlementaire et à rompre avec une « normalisation » d’inscription européenne se manifeste avec puissance. Les ressentiments contre ce qui est à présent considéré comme une contrainte exercée par les Occidentaux depuis 1990, l’adhésion à l’OTAN et l’intégration dans l’UE, se manifestent. Une large partie des Roumains se mobilise au nom du retour aux valeurs nationales : la souveraineté, l’attachement à l’église orthodoxe conservatrice, la famille traditionnelle.
Globalement, les résultats des élections législatives du 1er décembre 2024 ne devraient pas surprendre : une montée attendue de l’extrême droite du parti Aur conduit par George Simion, un score encore assuré du vieux parti socialiste (PSD) en dépit de son érosion, un déclin flagrant des Libéraux (PNL), le maintien du parti de la minorité hongroise (UDMR). Quelques signaux de crise pouvaient inquiéter : les scores de partis extrémistes de rupture, SOS România et le parti des Jeunes (POT), avec respectivement, 6% et 7% des suffrages. Le parti SOS România est dirigé par Diana Sosoaca ex sénatrice, députée européenne, bruyamment pro-russe, le parti POT conduit par Anamaria Gavrila, extrémiste de droite. Diana Sosoaca, une habituée de la provocation, portant une muselière au Parlement européen pour dénoncer la censure…, est interdite de candidature à la Présidentielle en octobre 2024 par la Cour Constitutionnelle, exclue pour les élections de mai par le Bureau électoral. Anamaria Gavrila, riche femme d’affaires, est liée au parti d’extrême droite AUR.
Le choc, c’est le résultat des élections présidentielles, avec les 23% du candidat indépendant Calin Georgescu , inconnu du public, face à la candidate Elena Lasconi, à la tête du parti « Union pour Sauver la Roumanie » USR) fondé en 2017, pro –européen, en lutte contre la corruption, tolérant à l’égard des droits des communautés LGTB, favorable à la liberté de l’avortement. Elena Lasconi n’a pas développé une grande carrière politique : journaliste, maire d’une ville moins de 40 000 habitants, Câmpulung, présidente du parti USR, elle fait figure de personnalité nouvelle. En quelques semaines, en avril 2025, elle sera débarquée de sa position de candidate du parti USR, pour les nouvelles élections présidentielles, fixées après l’annulation du premier tour le 6 décembre 2O24 aux 4 et 18 mai 2025 : les sondages ne lui sont pas favorables.
Calin Georgescu n’a mené aucun débat, il déclare n’avoir rien dépensé pour sa campagne. Libre de toute attache partisane, il se présente comme envoyé de Dieu, héros salvateur. Avec insistance, il promet de garantir la paix, l’UE étant dénoncée comme va-t-en-guerre, la sortie de l’OTAN par la voie d’un referendum s’il est élu, en réponse à l’aspiration à la paix, le retour à la Tradition, caracolant à cheval en costume traditionnel. Il annonce être allié de Trump et admirateur de Poutine en qui il voit un patriote et un homme de paix. Il condamne, appuyé par sa femme Cristela, les vaccinations, la chimiothérapie, l’avortement. Dieu a créé l’homme à son image, donc doté d’une immunité naturelle. Sa petite notoriété dans les media, antérieure aux élections de 2024, lui est venue de sites anti vaccins durant l’épidémie du COVID et de la tenue de discours souverainistes inspirés par les propos nationalistes du maréchal Antonescu [1]. Au fil des enquêtes et des informations qu’il fournit lui-même se dévoilent les étapes de la carrière de Calin Georgescu, 62 ans. Sa carrière illustre à la fois les complexités de la transition post communiste et la puissance de Washington depuis l’élection de Donald Trump. Georgescu a appartenu à la haute administration de l’Etat en tant que spécialiste de l’environnement au ministère de l’environnement et des affaires étrangères. Il fut, durant les années 2009-2013, secrétaire général de la branche roumaine du Club de Rome. Son nom a circulé au temps de la présidence Basescu et, en 2020 de nouveau, à l’initiative du parti Aur comme premier ministre potentiel. A ne pas oublier : il fut en relation directe avec des personnalités de la nomenclature de rang élevé de la fin des années Ceausescu (1965-1989) et de la présidence d’Ion Iliescu. L’estime affichée que porte Georgescu à celui qu’il nomme son « mentor », Mircea Malita, diplomate de haut rang, scientifique, académicien, militant communiste dès les années 1950, mérite d’être rappelée : Georgescu se présente à la fois comme homme de la Rupture et met en scène en même temps une affinité avec l’ex nomenclature communiste. La figure de Malita et de son réseau est complexe : ses fonctions successives témoignent d’espaces de continuité entre l’époque communiste de Dej à Ceausescu et les années du post communisme, ensuite. Georgescu conjugue en ses discours filiations sociaux/idéologiques : la filière communiste de haut niveau d’une nomenclature brillante que Ceausescu n’a jamais éliminée, qui va des années 1960 aux années 1989. Cette nomenclature déplore et condamne l’affaiblissement de la souveraineté nationale durant les années de transition post 1989. Ces hommes d’élite opéraient directement comme conseillers auprès d’Ion Iliescu dans les années 1990. Ils étaient pour la plupart issus de l’institut élitiste Stefan Gheorghiu (Institut de sciences politiques de haut niveau du Parti communiste) destiné depuis 1945 à la formation des dirigeants réalistes, conscients de l’effondrement de l’URSS, profondément opposés à la démocratie libérale : il leur semblait opportun de s’ouvrir à l’OTAN pour remettre à niveau technologique leur armée déclinante du Pacte de Varsovie, tout en poursuivant une politique de liens avec Moscou. Leur poids est lisible dans les années 1991-1994 : Iliescu initiait en 1991 un traité d’alliance avec Moscou rendu caduc par l’effondrement de l’URSS. Faisant savoir à plusieurs reprises, en mars et avril 2025, que Mircea Malita fut son mentor et son ami, Georgescu s’inscrirait dans ce courant qui peut plaire à des électeurs du parti socialiste (PSD). Il ne s’inquiète pas d’une contradiction : son attachement à la science et, à contrario, son militantisme anti scientifique sur le terrain médical. Autre contradiction, Georgescu affiche sa filiation avec un haut dignitaire communiste Malita et, dans le même temps, il fait référence avec le parti AUR au nationalisme pro- Légionnaires et pro maréchal Antonescu.
Cette conjonction entre un académicien communiste renommé et la référence au maréchal Antonescu peut sembler bien étrange. Il faut en revenir aux ombres de la fin des années 1980 et au début des années 1990 de la présidence Iliescu. L’on vit alors surgir la réhabilitation du maréchal Antonescu en particulier sous la plume d’un jeune historien américain Larry Watts qui publiait à Munich en 1985 aux éditions Dumitru Verlag, « In serviciul Maresalului », (Au service du maréchal), un Larry Watts, lié à Ioan Talpes, responsable du renseignement du président Iliescu, dès juillet 1990, puis à la tête des services du renseignement extérieur (SIE) de 1992 à 1997. Ces groupes partageaient l’ambition de refonder la Roumanie hors de l’idéologie de la démocratie libérale. Réunissant les deux filiations, nomenclature communiste élitiste et fascisme, Calin Georgescu attire un électorat vaste et, dérouté. La pierre angulaire du discours, c’est l’opposition à l’Union européenne. Mircea Malita, alors très âgé, (1927-2018) s’est exprimé en 2018 encore pour dénoncer l’Union européenne et les étapes de perte de souveraineté de la Roumanie dans la transition : « Jamais, durant les 25 dernières années, nous n’avons eu d’objectif, nous n’avons eu d’intérêt national et nous n’avons jamais formulé un but pour le pays. Les politiques ont été ont été inspirées par nos alliés, ils ont décidé pour nous. Nous en sommes arrivés à être les fonctionnaires de l’UE ». Georgescu, en 2016, affirmait déjà son opposition à l’UE. Au point actuel, cette prise de position est parfaitement en phase avec les déclarations du président des Etats-Unis et de son vice - président, JD Vance. Au vu du parcours de Calin Georges, une question se pose : qui a déclenché et accompagné la candidature de Calin Georgescu ? Quand et où la décision fut-elle prise de lancer Calin Georgescu pour les élections présidentielles du 1er décembre 2024 ? [2]
Le fossé entre les déclarations de Georgescu concernant les 0 centime déboursé pour sa campagne et les révélations tirées des enquêtes du Conseil supérieur de la Défense nationale roumain (CSAT) puis d’une étude de Viginum, service technique de la France chargé de la protection contre les ingérences numériques étrangères rattaché au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, publiée en février 2025, dérange. Le candidat est loin d’être un miraculé du vote. La campagne a été conduite de manière scientifique à travers une coordination savante des réseaux sociaux, soutenue par des financements aujourd’hui dévoilés. Il a été démontré que : Tik Tok est un acteur particulièrement populaire en Roumanie, 9 millions d’utilisateurs pour une population de 19 millions d’habitants ; que d’autres modes opératoires ont été identifiés sur les plateformes du groupe Meta (Facebook et Instagram) ; que la campagne a reposé sur l’action coordonnée de réseaux de comptes et sur l’instrumentalisation de la popularité d’influenceurs rémunérés de manière dissimulée. Les outils de modération des sites ont été empêchés d’être détectés par des consignes sur la manière de manipuler l’algorithme. L’un des financiers de la campagne de Georgescu, l’homme d’affaires Bogdan Peshir qui a fait fortune dans la crypto-monnaie, après avoir été entendu comme l’un des financiers de la campagne de Georgescu, est arrêté le 21 mars 2025. Les réseaux de soutien idéologique et para militaire de Calin Georgescu, sont repérés : Horatiu Potra, ex-légionnaire, garde du corps et homme de mains, à la tête d’un réseau paramilitaire de mercenaires, avec des réservistes de l’armée et de la police roumaine. Potra présente un CV lourd, affaires criminelles sous enquêtes pénales il y a plus de 10 ans, opérations militaires en République démocratique du Congo avec des fonds blanchis via l’Eglise orthodoxe roumaine. En pleine crise post -électorale, Potra fuit la Roumanie. L’Eglise orthodoxe puissante a déclaré ne recommander le soutien d’aucun parti, mais Theodosie, archevêque de Tomis/ Constantza, de son côté, a appelé à voter Georgescu. Conjointement se développe en Moldavie un courant orthodoxe pro-russe. Des mercenaires du groupe Potra, pro-russes passent la frontière à partir de la République de Moldavie, pour revenir en Roumanie, fin mars 2025. Enfin les affinités électives avec des porte- parole de l’extrême droite anti sémite ont été dévoilées : idéologue antisémite tel que Marian Motocu, fondateur du groupe Miscarea 41 pentru România (Mouvement 41 pour la Roumanie), son cas est relevé par l’Institut Elie Wiesel. Calin Georgescu collabore avec une organisation néo légionnaire connue, Fratia Ortodoxa, qui organise réunions et camps de travail au monastère de Paltin. Georgescu est proche de l’association pro légionnaire Gogu Puiu si Haiducii Dobrogei. La propagande dirigé contre « le complot juif étranger » bat son plein, en particulier contre le mécène américain d’origine juive hongroise, G. Soros.
Mi-avril 2025, la question est ouverte : quel mode d’action future décideront Calin Georgescu et ses soutiens entre réseaux sociaux, groupes paramilitaires et idéologues dont l’action séduit une opinion déçue par les partis traditionnels jugés élitistes, conservateurs et corrompus ? Sans oublier que 52, 56% des Roumains seulement se sont exprimés au premier tour des présidentielles. Le paysage politique, en ces semaines de campagne électorale, demeure très volatile : le président par interim, le libéral Ilie Bolojan, contre toute attente, monte dans les sondages comme si dans la tourmente, les électeurs cherchaient un point de repère, fiable ! Mi-avril 2025, 40% des Roumains déclarent ne pas savoir pour qui ils vont voter.
Au vu des premières informations concernant les irrégularités de l’élection du 24 novembre 2024 fournies par l’enquête du CSAT, la Cour de Cassation décide d’annuler les résultats du premier tour des élections, le 6 décembre 2024. Le processus judiciaire visant Georgescu va se poursuivre, en plusieurs étapes instruites par le Bureau Central Electoral et la Cour de Cassation, en réplique aux appels portés par Calin Georgescu, pour aboutir, le 9 mars 2025, à l’interdiction de sa candidature aux élections de mai 2025. Georgescu ne répond pas aux conditions d’éligibilité du fait du mode de déroulement et de financement de sa campagne. Les Américains JD Vance et Elon Musk condamnent l’annulation du premier tour des élections. A leur tour, les Français Bardella, Zemmour et Dupont Aignan s’indignent de l’interdiction de la candidature de Georgescu. Calin Georgescu compare son sort à celui de Donald Trump en 2021 : l’un et l’autre sont victimes « d’élections volées. »
L’annulation du premier tour, l’interdiction de candidature de Calin Georgescu, provoquent les réactions de la rue, à Bucarest, dans plusieurs villes de province, des manifestations des électeurs de la diaspora. Les manifestations se suivent pratiquement toutes les semaines, en janvier. Le 24 janvier, les manifestants à Bucarest, Iasi et Focsani se réunissent « en Unité, Harmonie, et Communion ». A Bucarest, la foule dessine une vaste ronde (Hora) traditionnelle, dénonce un coup d’état exécuté pour plaire à Biden et Blinken ! Les organisateurs, Georgescu et le leader du parti Aur appellent au calme …Les mots d’ordre : Liberté, démission du président Klaus Iohannis, élections volées…La Justice est mise cause : les Juges contre le Peuple.
La Justice a tranché, la résistance s’organise : prolongation de la présidence de Klaus Iohannis jusqu’à sa démission du 10 mars 2025. Alors, le président du Sénat, Ilie Bolojan, assure la présidence par interim comme le prévoit la Constitution. Les partis PSD, PNL et UDMR forment une coalition, ils s’entendent pour choisir un candidat à la future présidence, Crin Antonescu. Antonescu , 65 ans historien, ex professeur, sans beaucoup de charisme, présente un long parcours politique au sein du parti libéral depuis 1992, une expérience de député entre 1992 et 2004, de ministre de la jeunesse et des sports, un échec aux présidentielles de 2009, une initiative de formation d’un parti de centre droit avec Victor Ponta en 2011, avec la tentative échouée d’éviction du président Basescu par voie de référendum en 2012 qui lui vaut d’accéder à la fonction de président intérimaire pour quelques semaines. Ces épisodes ne lui sont pas favorables : la crise politique de 2012 laisse des souvenirs mitigés, le retrait de la vie politique de Crin Antonescu de 2014 à 2024 installé à Bruxelles auprès de sa femme, commissaire européenne aux transports, lui est reproché. Son programme est sans réserve pro- européen et pro – occidental. Il se voit comme futur président : honnête, compétent, dévoué et créatif. « Nous avons eu les chances extraordinaires d’être intégrés à l’UE » déclare-t-il le 21 avril 2025. Il ajoute : « Il n’existe pas de garantie de sécurité pour l’Europe et la Roumanie autre que l’OTAN et les USA. » Crin Antonescu apparait comme le candidat conservateur du système en sa continuité.
Les dates des élections présidentielles sont fixées pour les 4 et 18 mai 2025. Les candidatures s’organisent. Les sondages pleuvent, portant en tête avec environ un peu plus de 30% des suffrages pour le premier tour, George Simion, candidat des droites extrêmes. Nul n’atteint les près de 40% d’intentions de vote dont bénéficiait Georgescu à la date de son interdiction de candidature. Les scores sont fluides pour le deuxième tour. Le gouvernement met en place une série de mesures sous l’égide de l’Ancom, l’équivalent de « l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique française », afin d’empêcher les manipulations électorales sur les réseaux sociaux.
Sous le patronage de Calin Georgescu, photo des trois leaders à l’appui, les droites s’unissent : George Simion (Aur) et Anamaria Gavrila (POT) présentent leurs candidatures, Gavrila se retirant pour céder la place à Simion. Ce projet semblerait tenir la route. Mais des rivalités personnelles fragilisent cette unité : le 26 mars 2025, le parti AUR conduit par George Simion organise une importante manifestation à Bucarest pour célébrer l’anniversaire de Calin Georgescu. Surprise ! Georgescu ne fait pas d’apparition. Sans récuser Simion, il se place à l’écart au -dessus de la mêlée pour déclarer, le 15 avril 2025 : « Christ est ressuscité, bonne nouvelle ! Christ est ressuscité, mauvaise nouvelle ». Que signifie ce message entre espoir et menace ? L’extrême droite se divise. Début avril, le doctrinaire du parti Claudiu Târziu rompt avec Simion ! Il le dénonce comme opportuniste. Simion, militant activiste de droite est apparu sur la scène politique en 2019 comme cofondateur du parti Aur aux côtés de Claudiu Târziu pour en devenir le président alors que Târziu demeure la figure intellectuelle du parti, doctrinaire, écrivain et éditeur [3]. Simion est un militant activiste de longue date, très mobilisé en 2012-2016 par le projet d’union de la Moldavie à la Roumanie. Les références idéologiques des deux leaders, Simion et Tîrziu ne divergent pas. Mi - avril les perspectives de l’extrême droite semblent quelque peu brouillées ; le candidat de AUR, George Simion conserve la première place, autour de 30% des intentions de vote. Simion brandit son entente avec Trump, il fut présent à WDC lors de l’intronisation de Trump, invité comme député européen d’extrême droite. Il est interdit de séjour en Moldavie pour ses violences provocatrices en faveur de l’union de la Moldavie avec la Roumanie, ses provocations en soutien de la minorité roumaine de Bucovine l’ont fait interdire en Ukraine.
Le 15 mars 2025, les candidatures à la présidence sont closes. Onze candidats [4]dont quatre indépendants, deux femmes Elena Lasconi, Lavinia Sandru. Deux nouvelles figures émergent, l’un se disant souverainiste Victor Ponta, l’autre s’affiche comme indépendant, Nicusor Dan, maire de Bucarest élu en 2020 re élu en 2024 avec 47% des voix.
Le phénomène Ponta intrigue. L’homme est connu, ancien premier ministre, il fut mêlé à l’opposition contre le président Traian Basescu en 2012. Il est célèbre du fait du plagiat de sa thèse, dirigée par l’ex Premier ministre Nastase, et pour ses déclarations étonnantes portant sur son intervention lors des inondations du Danube de 2014 : sa décision de laisser inonder quelques villages roumains pour protéger Belgrade des flux du Danube lui aurait valu la citoyenneté serbe ! Candidat aux présidentielles de 2014, il a échoué devant Klaus Iohannis. Ses affaires sont scrutées, il fut à la tête d’une société de consultance économique de 2021 à 2025. Au fil du mois de mars 2025, sa cote monte dans les sondages. Ancien membre du parti socialiste, il peut recevoir l’appui d’électeurs de ce parti. « Souverainiste », il n’exclut pas de gouverner avec le parti AUR.
Nicusor Dan est un nouveau venu à la candidature à la présidence. Indépendant. Un parcours intellectuel brillant, des études de mathématiques en France, à l’Université Paris XIII et à l’École normale supérieure (ENS) avec une thèse de mathématiques, la fondation de l’Ecole Normale Supérieure à Bucarest, un engagement militant citoyen, la création d’un mouvement, Union pour sauver Bucarest puis d’un parti, l’Union pour sauver la Roumanie (USR) en 2016, qu’il quitte en 2019. Nicusor Dan se place mi-avril 2025 autour de 15 à 20% des intentions de vote, avec le soutien de dissidents du parti Libéral. Il se déclare chrétien orthodoxe et éduque ses enfants dans la foi. A la veille du deuxième tour, sa femme confirme que leurs enfants sont baptisés chrétiens orthodoxes. Il est confronté à deux problèmes. Sa position concernant le droit à l’avortement est ambigüe. Il se dit « familialist »et déclare reconnaître le droit des femmes à gérer leur propre corps tout en ajoutant qu’il y a des nuances en fonction de l’âge de la jeune femme ? Quant à la reconnaissance des droits des communautés LGTB, c’est, selon lui, à la société de décider. En outre, la décision de l’USR de renoncer à la candidature de Elena Lasconi en sa faveur, ouvre un débat. Le Bureau Central Electoral décide le 10 avril 2025 qu’il n’est ne peut être le candidat USR n’ayant pas été désigné par ce parti. Enfin, l’opposition à Nicusor Dan se fait forte de démontrer que la trésorerie de la mairie de Bucarest est dans un état catastrophique, le maire s’étant plongé dans la campagne électorale. Elena Lasconi est la perdante de la campagne. Pro-occidental, Nicusor Dan met l’accent sur les questions internes susceptibles d’attacher un électorat désireux de réformes sans rupture révolutionnaire : il promeut la réforme de l’Etat pour plus d’efficacité, la solidarité entre les régions et les générations, un programme de valeurs saines, honnêteté, compétence, travail et courage.
Les partis candidats pro européens, Crin Antonescu et Nicusor Dan, sont très silencieux quant aux enjeux écologiques. George Simion pour Aur condamne l’écologie prônée par les « globalistes » qui engendre la peur du futur et la dépendance. (Il explique avoir, enfant, toujours eu très chaud l’été !)
En dépit des six chefs d’accusation, Calin Georgescu est omniprésent dans les propos de Simion sans descendre dans l’arène politicienne.
La Roumanie, pilier de l’OTAN, est suspendue à l’incertitude des décisions émanant de la Maison Blanche : comment évoluera le rapport entre Washington et Moscou ? L’incertitude pèse sur une opinion hésitante : faut- il préserver le système en le réformant ou faire le saut radical de la rupture ?
Le président par interim Ilie Bolojan a multiplié des déclarations rassurantes : les troupes américaines ne vont pas se retirer de Roumanie. Le partenariat de Bucarest avec les Etats-Unis n’est pas remis en question. La Roumanie est un pilier de l’OTAN sur le flanc Est de l’Europe. La présence des forces de l’OTAN s’est renforcée depuis 2022 [5]. La France est nation cadre du groupement tactique en Roumanie avec des alliés contributeurs, Belgique, Luxembourg et Pologne. En mai 2025, se déploie l’ample opération Dacian Spring, exercices d’entrainement des forces de l’OTAN. Dans un climat où s’exprime une forte volonté pacifiste de la population, l’on pourrait craindre des sabotages. Une alerte ? Le site pro occidental Europa Libera România publie le 23 février 2025 un long article sur le thème : Comment la Roumanie a saboté l’exercice Dacian Spring de mai 2025. La lenteur - 4 ans - de travaux prévus pour la reconstruction d’un pont sur l’Olt nécessaire à la faisabilité du trajet de la gare de Voila au camp français de Cincu à une douzaine de kilomètres, est dénoncée. Incompétence, malveillance ? L’information est reprise par Antena3 CNN.
La coalition au pouvoir, Libéraux, Socialistes et Parti de la minorité hongroise, maintient son soutien à l’Ukraine. Les candidats à la présidence prennent position : pour AUR, George Simion fait savoir qu’il n’est pas question que la Roumanie participe à quelque défense européenne que ce soit. Il déclare vouloir couper toutes les aides pour les réfugiés ukrainiens. Le message est clair : cesser de payer pour l’Ukraine [6]. Mais, le 7 mai 2025, ses points de vue s’inversent : il passe d’une perspective de récupération par la Roumanie des territoires de Bucovine à majorité de population roumaine à des considérations opposées : l’Ukraine ne devrait pas accepter de renoncer à ses territoires ! Simion incarne la posture de l’imprévisible.
Quoiqu’il en soit des postures politiciennes tactiques de l’extrême droite, Calin Georgescu, a opté pour le démembrement de l’Ukraine, « état factice » [7]. Diana Sosoaca pour SOS Roumanie a félicité Poutine en 2022 pour son invasion de l’Ukraine. Les relations entre Kiev et Bucarest, en dépit des règlements du contentieux portant sur le partage des eaux territoriales de 1997 et sur le statut de l’île aux Serpents, furent tendues. Enfin, la tendance à l’auto- protection nationaliste s’oppose aujourd’hui à l’accueil et au soutien aux réfugiés ukrainiens.
La position des partis de droite hostiles à l’Ukraine et l’aspiration à la paix d’une majorité de la population pourraient ne pas déplaire tant à Moscou qu’à Washington. Le 15 avril 2025, une délégation de congressistes américains, républicains et démocrates est en visite à Bucarest : aucune déclaration claire n’est sortie à l’issue de ces rencontres. George Simion [8] a expliqué à la congressiste républicaine trumpiste Anna Paulina de cette délégation, son amie, « le coup d’état contre la démocratie » que représente l’annulation des résultats du 1er tour.
Les temps sont étranges : d’un côté une vague populiste dressée contre la gestion des partis institués, Libéral, Socialiste et Parti de la Minorité Hongroise. De l’autre des attachements d’équilibriste à Washington et à Moscou. Du rapport de force entre Trump et Poutine, dépend l’évolution de la Roumanie. Une partie de l’opinion s’inquiète des avancées territoriales de la Russie, d’une présence russe potentielle à Odessa. En cette ambiance de proclamation fervente de souverainisme, le vécu de la dépendance pousse une partie de l’électorat à condamner l’Union européenne accusée d’avoir imposé des normes étrangères à la nation. L’opinion est déroutée.
Le dimanche 4 mai 2025, les Roumains et leur diaspora votent dans le calme pour le 1er tour des présidentielles. George Simion l’emporte avec 40, 96% des suffrages, suivi par Nicusor Dan avec 20, 99% des voix, Crin Antonescu atteint le score de 20, 07%, Victor Ponta se situe à 13% suivi par Elena Lasconi qui sombre avec 2, 70%. Elle se retire de la direction du parti USR. Les diasporas ont apporté près d’un million de voix, 10% des votants, largement favorables à George Simion, 61% contre 26% à Nicusor Dan. La diaspora roumaine en France a voté à 62% pour Simion. Dans le pays, la participation fut de 53%. La carte électorale témoigne de grands clivages : Bucarest et la grande ville universitaire de Cluj ont voté pour le pro-européen Nicusor Dan. Les départements à la majorité hongroise se sont mobilisés contre le nationaliste Simion. Les régions du Danube, de la mer noire, du Sud de la Roumanie se sont ralliés au candidat souverainiste, anti-guerre, George Simion, avec plus de 50% des voix à Tulcea. Simion avec ses 40% des voix égale le score de Calin Georgescu dans les sondages de février/mars antérieurs à l’interdiction de sa candidature. Les Roumains diplômés ont voté à 45% pour Nicusor contre 19% pour Simion. Les jeunes ont moins voté que prévu. Simion dépasse largement le score de son parti AUR lors des élections législatives du 1er décembre 2024, 18%. Il existe un phénomène Calin Georgescu : Simion a été adoubé par son mentor, ils se sont présentés ensemble au bureau de vote, le 4 mai 2025. Simion, à la sortie du bureau, déclare : j’ai voté pour Calin Georgescu ! Tout comme son mentor qui ne se mêle pas de la politique politicienne, Simion a refusé d’intervenir dans les débats télévisés de la dernière semaine de campagne avant le vote du 4 mai 2025. En filigrane, reste posée la question : quel sera le rôle futur de Georgescu ?
Plusieurs signaux, avant et pendant l’élection, mettent en pleine lumière l’ingérence des Etats-Unis via des « Trumpistes ». Dès le 5 mai 2025, Simion promet la relance du partenariat stratégique avec Washington. Le 28 avril 2025, Trump Junior se trouvait à Bucarest pour une vaste réunion de business après une tournée en Hongrie, Bulgarie et Serbie où il a rencontré, le 27 avril 2025, le souverainiste Victor Ponta. A Bucarest, l’évènement est organisé par Adrian Thiess, homme d’affaires germano-roumain, ex-directeur de la campagne de Calin Georgescu. Trump Junior est l’invité de la chaîne România TV où il souligne les opportunités économiques avec l’Europe de l’Est, l’Ouest croulant sous les règlements. Le 29 avril 2025, l’ambassade des Etats-Unis à Bucarest, a relancé le discours de Munich de JD Vance. Le 4 mai 2025, l’ambassade américaine fait passer un message diffusé dans la presse pour rappeler que la démocratie repose sur le principe sacré du respect des votes des électeurs. Un groupe de diplomates américains visitent une section de vote à Bucarest, proche du parc Herestrau. Washington a envoyé à Bucarest un émissaire vice-président de la Commission Fédérale pour les élections pour superviser les élections. Et, étrange escapade : le 4 mai, dès l’annonce des résultats, Simion quitte Bucarest pour Vienne dont il rentre le lundi 5 pour participer à une victory party auprès de l’américain Brian Brown, président d’une organisation internationale de défense de la famille en liaison avec des cercles russes…La photo de Simion avec Brian Brown circule dans la presse.
Du côté européen, le résultat de Simion est salué par Marine Le Pen et Mario Salvini. Moscou, par la voix de Peskov dit sa satisfaction du vote Simion après « un vote volé ». Paris garde le silence. Le 19 mai 2024, lors d’un meeting à Piatra Neamtz, Simion a déclaré que « la France a des colonies comme la Nouvelle Calédonie et des colonies officieuses, la Roumanie ». Le candidat favori du 1er tour est familier de formules choc : « Le Covid est un complot ourdi par des globalistes dans le but de dominer la population roumaine [9] ». A l’annonce du score de George Simion au 1er tour, le cours du leu, monnaie nationale, s’effondre.
Nicusor Dan et George Simion se lancent dans la campagne pour le 2e tour. Débats télévisés, dès le 7 mai, où se font face Simion et Nicusor. Les électeurs du parti de la minorité hongroise font connaître leur opposition à Simion. Mais Victor Orban se félicite du score de Simion. Simion s’exprime à plusieurs reprises en ce qui concerne les futures fonctions qu’il attribuerait à Calin Georgescu qu’il évoque régulièrement, sans précision définitive, sans que Calin Georgescu ne confirme. Les déclarations se succèdent : Simion annonce lancer une invitation à Netanyahu. Les rumeurs circulent. La chaîne de TV de droite Realitatea TV alerte : des manipulations s’exerceraient sur les électeurs des diasporas, en Moldavie en particulier. Le 9 mai 2025, à Bucarest avec environ 10 000 manifestants, à Cluj, Iasi, Arad, Timisoara et Botosani, des cortèges se forment, drapeaux européens et roumains côte à côte pour la défense de l’engagement européen, contre la Russie, sans débordements.
Le 13 mai 2025, deux sondages surprennent, ils informent d’une montée de Nicusor Dan qui se confirme tandis que Simion se maintient : pour AtlasIntel, qui n’inclut pas le vote des diasporas, les deux candidats se situent l’un et l’autre à 48,2%, pour Curs, Simion reste en tête, 52% contre 48% à Nicusor Dan. Plusieurs éléments éclairent cette évolution : la quasi absence de Calin Georgescu dans le débat durant plusieurs jours est, sans nul doute, dommageable pour Simion. En effet, le héros hors Système Georgescu ne fait aucune référence à Simion lors de deux interventions le 13 mai qui brisent son silence. Sur Facebook, Georgescu lance un appel à ses « Chers compatriotes » pour dénoncer ceux qui menacent les Roumains de l’apocalypse s’ils ne votent pas pour eux. Par ailleurs, il évoque avec émotion, la Famille, la Terre, la grandeur de la Nation. De son côté, Simion perturbe, du fait de propos contradictoires, en va et vient sur la relation avec les Etats-Unis, ou le rapport à l’Ukraine, ou à Poutine. Ses accusations très violentes contre les journalistes lui sont-elles profitables ? Simion manie l’insulte traitant Nicusor Dan « d’autiste, le pauvre » ce qui suscite un tollé de réprobations au nom du respect des handicapés. Enfin, face aux soutiens directs d’influenceurs américains « trumpistes » en faveur de Georgescu et Simion, plusieurs voix américaines de poids se font entendre, de leur côté. Le 12 mai 2025, circule largement une lettre ouverte de 7 ex-ambassadeurs des Etats - Unis en Roumanie, nommés par Clinton, George W Bush, Obama et Donald Trump, très clairement engagée contre le candidat de l’extrême droite : « Les Roumains sont confrontés à un choix historique. Poutine ou l’Amérique ? ». Ils exposent que l’appartenance à l’UE et l’alliance avec les Etats-Unis sont en danger. Nommé par Trump, ambassadeur de 2019 à 2021, Adrian Zuckerman, d’origine juive roumaine, fait passer, le 13 mai 2025, un long message alarmiste contre le candidat Simion pour conclure avec force : « il y a un seul candidat, à présent, Nicusor Dan qui a besoin de votre soutien pour défaire l’extrémisme. » En dernier lieu, face aux annonces vagues de George Simion quant aux décisions à prendre aux lendemains du 18 mai 2025 s’il est élu, Nicusor Dan rassure en faisant savoir qu’il va travailler avec Ilie Bolojan, libéral, président par interim depuis la démission de Klaus Iohannis. Durant les derniers jours de l’entre-deux tours, en dépit de la violence des discours, de la crainte de vastes opérations de fake news, le pays demeure calme. Le vote des diasporas inquiète les uns et rassure les autres : plus d’un million de voix à séduire ! Simion fait campagne à Varsovie à la veille du 1er tour des présidentielles polonaises pour soutenir le candidat souverainiste, à Bruxelles, à Rome et à Paris. Sur la chaîne CNews, Simion, le 15 mai 2025, attaque violemment le président E. Macron et la France : penchants dictatoriaux de Macron, la France, un pays où les ayatollahs décident qui peut gouverner, la France un pays qui a perdu sa relation avec Dieu. Certains milieux d’affaires prennent ouvertement position pour réaffirmer le besoin du maintien de l’engagement euro-atlantiste du pays. Le 14 mai 2025, huit grandes organisations d’affaires dont la Chambre de Commerce américaine de Roumanie et la Confédération syndicale patronale Concordia font circuler une alerte dénonçant la détérioration rapide du climat des affaires et rappelant que l’économie a besoin de confiance et de vision prévisible. A cinq jours du deuxième tour, la décision de Poutine de ne pas se rendre à Istambul où s’ouvrent les contacts russo-ukrainiens avec la participation des Etats-Unis signale l’absence de volonté de paix du côté russe. Or, les Roumains sont profondément attachés à cet espoir de paix : comment Simion pourrait-il ajuster son discours à cette situation ? Le mépris insultant de Moscou affiché à l’occasion de la réunion d’Istanbul le 15 mai 2025 à l’adresse du président ukrainien traité de « pitoyable » et de « guignol » peut-il troubler l’électorat roumain nationaliste ? Le parti socialiste (PSD) n’a pas donné de consigne de vote. Victor Ponta qui, le 10 mai, laissait encore ses électeurs dans le flou, semble le 15 mai prendre quelque distance vis-à-vis de Simion. Georgescu, réapparu, qualifie, le 14 mai, Simion de « jeune protégé » et « partenaire ». Fondamentalement, il semblerait que l’incertitude qui plane sur les négociations décidant de l’avenir de l’Ukraine tétanise l’opinion comme si l’avenir de la Roumanie se jouait aussi au-delà de ses propres frontières…
Le 18 mai 2025 se déroule le deuxième tour. 18 millions de Roumains sont appelés au vote. Dans la matinée, à la section de vote de Mogosoia, (Bucarest), George Simion et Calin Georgescu se présentent ensemble, accompagnés par leurs épouses. A la sortie du bureau de vote, Simion déclare pour le journal Gândul se battre contre « des forces maléfiques et avoir besoin de la protection de Georgescu ». Nicusor Dan vote à Fagaras, sa ville natale, dans le département de Brasov. L’ex- président Traian Basescu, pro-occidental (2004-2014), commente : il s’agit d’un choix pro-Moscou ou pro-euro-atlantisme. Le président par interim Ilie Bolojan fait appel à la nécessité du « bon sens ». A Bucarest comme à Iassi, les étudiants se présentent en nombre. A la mi-journée, plus de 48 % des électeurs se sont exprimés puis, la participation s’essouffle avant de remonter fortement. Pour les diasporas très mobilisées, la participation est plus forte qu’au premier tour et grimpe. Les Roumains de Moldavie sont très nombreux à voter pour Nicusor Dan. En fin d’une longue interview sur LCI à midi ce même 18 mai, Marion Maréchal redit son soutien à George Simion. La journée se déroule sans violence. Lors des premières élections libres après les journées de révolution et coup d’état de décembre 1989, en mai 1990, les électeurs sortis des urnes à Bucarest déclaraient : « Sa fie linistit » (Que tout soit calme).
Les résultats tombent : 53,6% pour Nicusor Dan contre 46,4% pour George Simion. Soit 7,2 points de différence. Soulagement d’un côté, les manifestants pro Nicusor Dan se réunissent pour la fête dans le centre de Bucarest, non loin du parc Cismigiu. Choc, de l’autre : George Simion ne reconnait tout d’abord pas la défaite et annonce qu’il va porter au pouvoir Calin Georgescu. Puis, il cède dans la nuit : « Nous avons lutté seuls contre tous… La lutte continue ». Nicusor Dan appelle à l’Unité : « Il n’y a pas deux Roumanies ». Du côté pro-européen, les présidents Zelenski, la présidente moldave Maia Sandu, le président Macron adressent leurs félicitations à Nicusor Dan.
En novembre 1996, lors de l’élection du démocrate Emil Constantinescu après la présidence post Ceausescu de Ion Iliescu, une large partie de l’opinion croyait avoir tout à fait tourné la page du communisme. Et entrer dans une ère nouvelle. En 2025, se pose la question avec l’élection de Nicusor Dan : quelle page tournée ? L’extrême droite militait et milite pour en finir avec 35 années de régime pro-européen considéré comme décevant : corruption, pas d’accès à la prospérité, perte de souveraineté, décadence des mœurs.
L’élection de Nicusor Dan peut être lue comme un sursaut défensif contre l’extrémisme en sa version Trump/Poutine. Le nouveau président fait face à une droite qui demeure puissante dans la société et au Parlement : 18% pour le parti de Simion, AUR, lors des législatives du 1er décembre 2024, 7,5 % pour SOS România et 6,2% pour le Parti des Jeunes (POT), extrémistes, pro-russes. Sur le plan intérieur, il peut compter sur les Libéraux, le parti USR (Union pour Sauver la Roumanie) et le parti de la minorité hongroise. Les socialistes (PSD) et les élus qui ont rejoint Victor Ponta naviguent en oscillations ambigües. Il sera difficile d’afficher un mode de gestion de rupture avec les anciennes combinaisons parlementaires. Quant à la sécurité roumaine, elle dépend du sort de l’Ukraine et de l’évolution de l’OTAN. Sa ligne identitaire structurante est liée aux rapports de force au sein de l’Union européenne.
En 1996, la Roumanie de Constantinescu voulait l’intégration dans l’OTAN et dans l’UE. En 2025, la Roumanie de Nicusor Dan est membre de l’OTAN et de l’UE, solidaire de cheminements dont elle est actrice sans en avoir toute la maîtrise.
Manuscrit clos le 20 mai 2025
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[1] Le maréchal Antonescu, allié de l’Allemagne nazie, à la tête de la Roumanie de 1940 à 1944.
[2] Les contacts et les activités de Clin Georgescu durant ses années à Vienne de 2012 à 2021 laissent encore beaucoup de mystères quant à ses relations avec des proches de l’entourage de Poutine. Voir G4media.ro/exclusiv-filiera-austriaca-legaturile-lui-calin-georgescu-cu-managerul-de-campanie-al-lui-vladimir-putin
[3] Claudiu Târziu, 53 ans, ex sénateur, député européen, président de l’Association Rost, et du magazine mensuel de culture chrétienne Rost, membre du Conseil National du groupe « Coalition en faveur de la famille ».
[4] Les quatre candidats indépendants : Nicusor Dan, John Ion Banu, Silviu Predoiu, Daniel Funeriu.
[5] Sur la localisation des forces de l’OTAN, nato.int.cps/fr/natoq/topics_136388.htm
[6] Calin Georgescu déclare, selon le quotidien Gîndul le 23 février 2025 : « Cette guerre n’est pas la mienne. »
[7] Le Kyev Post cité par le quotidien România Libera le 3 avril 2025, faisant état de sources du ministère de la Défense de Kiev, signale que Aur lancerait des provocations en Ukraine.
[8] En France, George Simion bénéficie du soutien de Marion Maréchal.
[9] Voir Eugeniu Popescu, Adina Revol, Qui est George Simion ? Du complotisme Covid 29 à la nostalgie de Ceausescu. 10 phrases de l’homme fort de l’extrême droite roumaine. In Le Grand Continent, 3 mai 2025.
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