Qatar / Algérie : quelles relations ?

Par Mehdi LAZAR, le 18 mars 2013  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Inspecteur de l’Education nationale, docteur en géographie, diplômé d’études approfondies en géopolitique et chercheur associé au laboratoire Géographie-cités. Il est l’auteur de l’ouvrage Le Qatar aujourd’hui (Michalon, mars 2013) et de Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012)

Après deux années de relations froides, le Qatar devient "un partenaire privilégié" de l’Algérie au moment où l’aire géopolitique de l’Afrique du Nord et du Sahel subit des secousses politiques profondes dans lesquelles le Qatar a été impliqué.

OFFICIELLEMENT la visite du 7 janvier 2013 de l’émir Hamad à Alger était destinée à procéder à l’évaluation de la coopération bilatérale et à signer des accords de partenariat entre l’Algérie et le Qatar. Cette visite a frappé par le ton cordial qui régnait entre les chefs d’Etat alors que les tensions entre les deux pays étaient réelles après deux années de refroidissement dues notamment aux divergences concernant les printemps arabes.

Le déplacement avait été précédé d’une visite à Alger du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, le cheikh Hamad Bin Jassim, en août 2012. Sa présence avait pour but de faire évoluer une relation qui reste ambivalente et complexe. La relation bilatérale tourne en effet autour des questions internationales, énergétiques et économiques mais a aussi pris un tournant très électrique depuis le début des printemps arabes. La question syrienne a d’ailleurs été évoquée lors du déplacement du ministre des affaires étrangères en août. Il s’agissait selon lui de parler d‘une “des questions les plus importantes pour les deux pays et pour le monde arabe et dans le cadre des décisions de la Ligue arabe”. A ce titre, le rapprochement récent des deux Etats pourrait laisser entrevoir une certaine inflexion de la politique étrangère du Qatar et de l’Algérie, le premier dans la perspective de l’échec de sa stratégie en Syrie, le second en raison de son isolement dans la région suite au dossier libyen.

Passant ainsi de la passion à la raison, ces deux Etats pourraient capitaliser sur leur relative stabilité pendant les printemps arabes tout en profitant de la convergence de leurs économies dans un contexte énergétique en évolution rapide.

1. Des relations ambivalentes avant les printemps arabes

Les relations entre le Qatar et l’Algérie ne sont pas simples. Si en apparence les deux Etats « frères » s’entendent correctement, leurs relations sont plus ambivalentes qu’on ne peut le penser.

Les deux Etats ont des relations anciennes. L’Algérie est devenue indépendante en 1962 et supporta l’indépendance de l’émirat acquise en 1971 après l’annonce du retrait des Britanniques du Golfe. L’émir Hamad est connu pour avoir longtemps admiré la lutte des Algériens pour leur libération, puis les positions diplomatiques ambitieuses du pays sur la scène internationale dans les années 1960 et 1970. D’ailleurs, le Qatar fut considéré pendant longtemps comme l’un des principaux alliés arabes de l’Algérie. Depuis l’accession au pouvoir de l’émir Hamad bin Khalifa en 1995, ce dernier a régulièrement effectué des visites à Alger – tout comme son ministre des Affaires étrangères, Hamad bin Jassem. De plus, jusqu’en 2011 – et les révoltes « de jasmin » – l’alliance Alger-Doha-Damas faisait contrepoids au puissant axe Riyad-Le Caire. D’ailleurs, au sein de la Ligue arabe, l’Algérie et le Qatar se trouvaient souvent sur des positions semblables sur les grands dossiers comme celui de la Palestine.

Le Qatar est également un investisseur important en Algérie et les relations économiques entre les deux Etats sont bonnes. Par ailleurs l’émirat accueille une large diaspora algérienne et d’origine algérienne qui travaille dans de nombreux secteurs : les services, les médias, le sport, les hydrocarbures, etc [1]. L’actuel chef de l’Etat Algérien, Abdelaziz Bouteflika, connait d’ailleurs bien les Etats du Golfe où il a passé une partie de son exil dans les années 1980. Et depuis son élection en 1999, de nombreux princes du Moyen-Orient – dont de nombreux Qataris – ont été invités en Algérie, notamment pour les fameuses parties de chasse à l’outarde (une espèce protégée dans le pays). D’ailleurs lors de la visite de l’émir Hamad en janvier 2013 à Alger, les deux dirigeants se sont mis d’accord pour créer un centre d’élevage d’outardes dans la région d’El Bayadh. Au-delà de ces éléments, les relations de l’Algérie avec les Etats du Golfe – dont le Qatar – ont été bien évidemment largement dominées par les intérêts énergétiques et notamment la sécurisation de leurs intérêts communs dans le cadre de l’OPEP.

Toutefois, sur le plan politique régional, l’Algérie se méfie des monarchies du Golfe qu’elle juge trop alignées avec le Maroc [2] – en raison du partage de leur système institutionnel – pour leur faire entièrement confiance, surtout à la suite de l’invitation faite par le Conseil de coopération du Golfe (CCG) au Maroc et à la Jordanie pour les rejoindre en 2011. Ainsi, au-delà des réels facteurs de proximité, d’autres éléments politiques ont rendu les relations entre les deux Etats difficiles. C’est par exemple le cas de la couverture médiatique de l’Algérie par Al-Jazeera [3] : le bureau de la chaine dans la capitale algérienne fut en effet fermé en 2004 [4] (officiellement en raison d’un manquement à la loi du correspondant local, mais une émission diffusée quelques jours plus tôt était en fait en cause [5]). Puis, à la suite des attentats d’Alger du 11 avril 2007 et de la diffusion par la chaine de vidéos du GSPC et d’Ali Benhadj, numéro 2 de l’ex-FIS, les relations entre les deux pays se sont de nouveau tendues. Ce fut encore le cas suite aux attentats du 11 décembre 2007, lorsque la chaine Al-Jazeera avait fait un sondage sur « l’opportunité ou non » de ces attentats [6]. Ce sondage a été finalement retiré par la chaîne qui a présenté ses excuses à l’Algérie [7].

Les relations entre les deux Etats s’étaient cependant réchauffées politiquement à la fin des années 2000 et le retour de la chaîne à Alger devait être favorisé par ce rapprochement entre l’Algérie et le Qatar. Ainsi en janvier 2009, le président Bouteflika avait pris part au sommet de Doha sur Gaza et il avait alors passé trois jours au Qatar où il avait eu de nombreux entretiens avec l’émir Hamad. A l’époque, pour le Qatar le retour d’Al Jazeera à Alger aurait signifié la récupération d’un partenaire régional important dans le domaine politique, sécuritaire, culturel voire sportif. Cette position a cependant de nouveau changé avec la rupture des printemps arabes commencée avec l’immolation du jeune Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid en Tunisie en décembre 2010.

Malgré tout, la chaîne qatarie reste très regardée en Algérie même si elle est très critiquée. Ainsi, dernièrement Alger a trouvé la couverture de l’élection parlementaire de mai 2012 très négative [8]. Al-Jazeera évoquait en effet la possibilité d’une seconde guerre civile, ce qui fut très mal reçu en Algérie dans le cadre régional crispé des printemps arabes.

2. La séquence tendue des printemps arabes

Le nouveau contexte en place depuis 2011 en Afrique du Nord et dans la bande sahélienne suite au déclenchement des printemps arabes a créé des situations difficiles pour le régime algérien. Or l’implication du Qatar dans certains dossiers régionaux a complexifié les relations entre les deux Etats.

Dans ce contexte inédit des printemps arabes, le maintien des paradigmes diplomatiques classiques algériens – tournant autour de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures – est devenu difficile à tenir. L’hostilité du gouvernement algérien à l’égard de l’intervention étrangère en Libye a été vue par beaucoup comme motivée par le désir de prévenir ou de limiter la contagion démocratique à ses frontières [9]. Et le fait que Doha ait joué un rôle important dans le renversement du régime du colonel Kadhafi en Libye a de fait éloigné les deux pays qui ont alors eu des intérêts très différents. En effet, le pouvoir algérien avait tout d’abord soutenu le consensus qui émergea début 2011 et qui consistait à soutenir l’action de l’ONU pour protéger les citoyens libyens contre les menaces du colonel Kadhafi. Toutefois, lorsque l’OTAN a pris le contrôle de l’action, l’Algérie fut plus réservée pour un certain nombre de raisons. Ainsi, alors que le conflit libyen a évolué au cours de l’été 2011, l’Algérie a même été soupçonnée, sans aucune preuve claire, de soutenir la lutte du régime de Kadhafi pour sa survie [10]. A la fin de l’été 2011, le gouvernement algérien a accordé l’asile à la femme de Kadhafi, à sa fille et à ses deux fils, au motif que leur demande ne pouvait être refusée selon la tradition musulmane.

Les motifs pouvant expliquer les réserves de l’Algérie vis-à-vis du renversement du colonel Kadhafi étaient nombreux. Tout d’abord, avoir des forces occidentales si près de ses frontières immédiates était pour Alger rédhibitoire. Mais d’autres considérations stratégiques ont compté dans la décision du régime algérien de ne pas soutenir l’action de l’OTAN. En premier lieu, une intervention en raison de la « responsabilité de protéger » aurait marqué un dangereux précédent pour les régimes autoritaires de la région. De plus, l’Algérie a basé sa diplomatie depuis 1962 sur les deux paradigmes de la non-ingérence et de la souveraineté des Etats. Par ailleurs, Alger craignait que les équilibres régionaux soient changés avec cette intervention [11] – ce qui a été confirmé par la suite, notamment au Sahel – et l’Algérie redoutait que le nouveau régime libyen rejoigne l’axe pro-Maroc, affaiblissant ainsi sa domination régionale [12].

L’intervention évidente du Qatar dans l’affaire libyenne fut ainsi vue par Alger comme indésirable, crispant les relations entre les deux pays et aboutissant à des positions diplomatiques opposées. Ainsi en 2011 l’Algérie a attendu plusieurs mois avant de reconnaître le Conseil national de transition, tandis que le Qatar a été le premier pays arabe à le faire [13]. De plus, l’émirat joua aussi un rôle important dans les événements en Syrie, leur ancien allié avec l’Algérie. Là encore, la position du Qatar ne concorde pas avec les intérêts algériens, un pays qui veut sauver le régime de Bachar Al-Assad. Dans ce cas, l’opposition diplomatique entre les deux Etats fut très claire. Alger, comme la Russie (un important partenaire commercial et militaire de l’Algérie et de la Syrie) se méfie des positions interventionnistes de l’ONU tandis que le Qatar est un allié des Etats-Unis dont il accueille la plus grande base à l’étranger. En outre, l’Algérie comme le Qatar sont membres du comité chargé du dossier syrien à la Ligue arabe (le Qatar pilote le comité) dans lequel ils se sont largement opposés [14]. Par exemple, lors d’une session de la Ligue arabe, l’ambassadeur du Qatar avait interdit au ministre algérien des Affaires étrangères de prendre la parole. L’opposition s’est poursuivie dans d’autres organes comme à l’UNESCO où l’émirat a reproché à Alger d’avoir empêché l’expulsion de la Syrie.

Enfin, l’Algérie se méfie de l’activisme régional du Qatar et de son appui à certains mouvements islamistes en Afrique du Nord, comme lorsqu’en 2011 l’émirat a fourni un appui financier et diplomatique au parti Ennahda en Tunisie. Pour Alger en effet, le soutien du Qatar aux groupes islamistes issus de la mouvance des Frères musulmans [15] implique le genre de risque de déstabilisation que le pays a connu dans les années 1990 [16]. Un refrain récurrent en Algérie est donc que certaines puissances occidentales et leurs alliés du Golfe, en particulier le Qatar, sont la principale force motrice derrière les révolutions des printemps arabes [17]. Ainsi, dans ce contexte, Alger s’inquiète du rôle grandissant du Qatar auprès d’une partie de l’opposition algérienne en exil, notamment les réseaux de l’ex-FIS. Abassi Madani vit en effet dans l’émirat où il est régulièrement reçu par l’émir en compagnie d’autres responsables islamistes du Maghreb. Grâce au Qatar, Abassi Madani a par exemple noué des relations avec le CNT libyen. Cette relation pourrait d’ailleurs expliquer en partie la persistance des tensions entre Alger et le CNT [18]. Car Alger a malgré tout été touchée par la vague des printemps arabes avec des appels à manifester en janvier et février 2011, notamment de la part de la coordination nationale pour le changement et la démocratie qui souhaitait un « changement du système » [19]. De plus, Abassi Madani souhaite pouvoir rentrer en Algérie [20]. Officiellement, l’ex-chef du FIS âgé de 80 ans veut pouvoir passer les dernières années de sa vie dans son pays natal, mais un tel retour étant donnée la conjoncture actuelle ne peut qu’inquiéter l’Algérie.

Alors, si en apparence les relations entre l’Algérie et le Qatar sont cordiales, de nombreux incidents ont émaillé les rapports entre les deux Etats ces deux dernières années. Cependant Alger se garde de critiquer publiquement Doha même dans un contexte tendu. Par exemple, lorsque les rumeurs faisant état d’une aide financière du Qatar aux mouvements islamistes armés au Nord du Mali sont apparues [21] (alors que l’Algérie a des otages retenus par Mujao au Sahel [22]), il n’y a pas eu de réaction algérienne. Les facteurs de crispation sont donc nombreux et les récentes visites de l’émir du Qatar à Alger semblent indiquer que la péninsule souhaite recentrer sa relation avec l’Algérie sur le plan de la coopération économique, des investissements et des échanges d’avis sur l’avenir du monde arabe. Cela permet de limiter les effets d’une relation versatile et de contourner les nombreux points d’achoppement.

3. Des relations économiques qui s’étoffent sur fond de nouvelle conjoncture énergétique

La visite de l’Emir du Qatar en janvier 2013 à Alger a été marquée par la signature de sept accords de partenariat dans les domaines de l’énergie, des mines et de l’industrie. Le plus emblématique de ces accords est la signature d’un mémorandum d’entente pour la création d’un complexe sidérurgique dans la zone industrielle de Bellara (Wilaya de Jijel) d’une capacité de cinq millions de tonnes par an qui permettra à l’Algérie d’importer moins d’acier – ces importations coûtent au pays environ dix milliards de dollars par an – et de créer environ deux mille emplois [23]. Il semble également que l’Algérie et le Qatar veulent créer un fonds commun pour la réalisation de projets mixtes à l’étranger [24] et les deux pays ont également conclu un accord de coopération pétrolière et gazière [25].

Ces accords majeurs ont été signés alors que les relations politiques entre les deux Etats sont tendues mais que des facteurs de convergence géoéconomiques existent. En effet, avec l’impact de la découverte et de l’exploitation de plusieurs gisements de gaz de schiste dans le monde, le paysage énergétique global est profondément modifié. Les Etats-Unis deviennent un acteur majeur du secteur et devraient être indépendants énergétiquement à l’horizon 2030. Les conséquences sont donc importantes pour les importateurs et exportateurs de gaz. C’est en partie ce qui pousse ces deux pays producteurs de gaz à poursuivre activement la diversification leurs économies afin de moins dépendre de la conjoncture mondiale et des mono-exportations d’hydrocarbures. Ainsi, alors que le Qatar semble développer une stratégie économique globale – avec un volet méditerranéen [26] – afin de diversifier ses actifs, l’Algérie souhaite attirer de plus en plus les investissements étrangers. Or le Qatar voit en l’Algérie un pays jeune et un marché important offrant de nombreuses opportunités économiques et une certaine stabilité politique, notamment par rapport aux autres pays arabes. La convergence d’intérêts autour de la production gazière existe par ailleurs entre les deux Etats. Le Qatar est le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfie et l’Algérie est un acteur important de ce secteur. Et dans ce nouveau paysage énergétique, face à la concurrence mondiale existante – la Russie et l’Iran – ou émergente – les Etats-Unis – il reste important de créer des alliances.

De plus, l’Algérie reste au niveau régional un pays incontournable. Le pays possède le plus gros budget de défense sur le continent africain (10,3 milliards de dollars en 2012), de fortes capacités de projection de puissance (en raison de sa grande flotte d’aéronefs) et une expertise reconnue de lutte contre le terrorisme. Alger est également membre fondateur de plusieurs forums de lutte contre le terrorisme régionaux et mondiaux [27]. Le rapprochement économique entre les deux Etats pourrait alors être vu comme un moyen pour le Qatar de faire pression sur l’Algérie pour tenter de changer ses positions vis-à-vis de certains conflits, notamment en Syrie. Ce rapprochement est donc aussi politique comme l’expliquait l’émir Hamad en janvier 2013 : « Ma visite traduit notre attachement permanent à la concertation et à l’échange de vues entre les dirigeants des deux pays frères sur les développements de la situation sur les scènes arabe et internationale, outre l’examen des moyens de renforcer les relations fraternelles solides entre nos deux pays dans les différents domaines au mieux de nos intérêts communs » [28]. Ainsi l’intensification de la coopération économique – qui est très avantageuse pour les deux pays – est aussi un moyen d’aboutir à un approfondissement des relations politiques qui ont été assez troublée ces dernières années [29]. En quelque sorte, ces accords servent de levier vers l’établissement d’une relation qui soit plus raisonnable entre les deux Etats. Et celle-ci pourrait faire évoluer la diplomatie régionale des deux pays. Pour le Qatar, l’impasse de la question syrienne peut inciter l’émirat à se recentrer sur ses fondamentaux des médiations – comme au Nord-Mali où il s’est déclaré disponible –, de la résolution pacifique des conflits et de la « diplomatie du chéquier », tandis que l’Algérie pourrait assouplir ses positions – comme elle l’a déjà fait avec le Mali – et ses paradigmes diplomatiques.

Conclusion

Après deux années de relations froides, le Qatar devient ainsi "un partenaire privilégié" de longue durée de l’Algérie au moment où l’aire géopolitique de l’Afrique du Nord et du Sahel subit des secousses politiques profondes dans lesquelles le Qatar a été impliqué [30].

Ainsi, alors que les relations entre les deux Etats semblent cordiales mais sont en fait marquées par une grande complexité, les événements récents des printemps arabes avaient assombris les rapports entre les deux Etats. Opposés autour de l’intervention en Libye et de la reconnaissance du CNT, puis par rapport à la crise syrienne, l’Algérie et le Qatar semblent vouloir dorénavant normaliser leurs relations.
Le renouveau de la situation régional semble offrir l’opportunité de ce rapprochement. La guerre au Mali affaiblit en quelque sorte le Qatar, qui est indirectement accusé de soutenir les djihadistes et n’est pas favorable à une intervention occidentale – probablement pour se repositionner de façon plus neutre en référence à sa diplomatie traditionnelle – tandis que l’Algérie qui a ouvert son espace aérien et souffert d’une attaque terroriste sort plutôt renforcée de cet épisode. En outre la situation en Afrique du Nord est suivie de très près par les États-Unis et l’Europe, inquiets de la propagation du terrorisme notamment depuis l’assassinat du diplomate américain Christopher Stevens.

Enfin, dans le monde arabe la stratégie du Qatar en Syrie est un échec : plus de vingt mois après le début de la crise, la Ligue arabe est incapable de trouver une solution et l’Algérie tente d’y isoler le Qatar [31]. Utiliser le levier économique reste donc une méthode très intéressante pour l’émirat afin de décrisper la situation. Car ce rapprochement est utile aux deux Etats qui doivent développer et diversifier leurs économies et qui bénéficient d’un contexte gazier favorable mais en rapide évolution. C’est pour cela qu’un rapprochement stratégique énergétique parait le bienvenu et sert de moyen d’amorcer un rapprochement politique. Permettant ainsi de passer d’une relation de passion à raison.
Copyright Mars-2013-Lazar/Diploweb.com


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Mehdi Lazar publie Le Qatar aujourd’hui, éd. Michalon, 21 mars 2013.

Incontournable Qatar. Agaçant, visible, ambitieux : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier un émirat qui ne laisse pas indifférent. De la chaîne de télévision Al-Jazeera à ses investissements massifs dans le sport, l’industrie et la finance en passant par son activité diplomatique, l’émirat qatari est omniprésent dans les médias. Que cherche donc le Qatar ? Comment et pourquoi un pays géographiquement et démographiquement aussi faible est-il devenu aussi visible ? La réponse est à la fois dans la géographie du Qatar et dans l’histoire du Moyen-Orient.

L’émirat a considérablement changé au cours de ces cinquante dernières années. À quoi ressemble-t-il aujourd’hui ? Immensément riche de son gaz, certes, l’émirat est avant tout composé à 85% d immigrés. Un État très visible sur la scène internationale malgré son faible poids géographique et démographique. Un pays où l’avènement de la société de consommation ne s’est pas traduit par un changement des structures sociales. Un pays où le poids des fragilités géographiques et géopolitiques pèse sur les choix diplomatiques et économiques. Un pays, enfin, qui s’interroge sur le rythme à donner aux réformes politiques.

Dans cette étude complète et détaillée, Mehdi Lazar propose de retracer la montée en puissance de l’émirat à travers ses lignes de force et de faiblesse et tente ainsi de comprendre les raisons de sa surexposition.

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[1Pour l’anecdote, on raconte souvent à Alger que c’est en grande partie grâce à Zinedine Zidane, un Franco-Algérien, que l’émirat a obtenu en 2010 l’organisation du Mondial 2022 de football. D’ailleurs, le jour de l’annonce de cette attribution, l’émir du Qatar s’était rendu à Alger pour, avait-on interprété à l’époque, partager sa joie avec le président Bouteflika et les Algériens.

[2Mamoun Fandy, Uncivil War of Words : Media and Politics in the Arab World, Praeger Security International, 2007.

[3Al-Jazeera a été créée en 1996 à Doha afin de faire concurrence aux médias en langue arabe situés en dehors du Golfe et de rendre l’émirat plus visible à l’étranger.

[4Anis Rahmani, « Le bureau d’Al Jazeera à Alger gelé », in El Khabar, 30 juin 2004.

[5Samia Lokmane, « Al-Jazeera, une chaîne au service du GSPC - La chaine qatarie fait l’apologie du terrorisme », in Liberté, 10 mai 2007. Les autorités reprochaient notamment à la chaine qatarie de donner régulièrement la parole à d’anciens déserteurs de l’armée comme le colonel Mohamed Samraoui ou d’anciennes figures de l’ex-FIS comme Mourad Dhina ou Abassi Madani, par ailleurs en exil au Qatar.

[6Ce n’est pas un acte isolé et de nombreuses capitales arabes – et occidentales comme Washington – ont été agacées par la couverture de leur pays par la chaine. Ainsi, le bureau d’Al Jazeera à Rabat est fermé le 20 octobre 2010, à cause du temps d’antenne accordé à l’opposition marocaine, notamment islamiste. Agacés par l’activité de cette chaîne, l’Irak, le Koweït, le Bahreïn et l’Autorité palestinienne ont aussi fermé son bureau sur leur sol tandis que la Tunisie (2006) et l’Arabie Saoudite (2003) sont allés jusqu’à rappeler leurs ambassadeurs au Qatar.

[7Sonia Lyes, « Médias : vers la réouverture du bureau d’Al Jazeera à Alger », in Tout sur l’Algérie, le 9 mars 2009.

[8Fouad Kemache, “Algeria and Qatar relations”, in Your Middle East, 19 janvier 2013.

[9Anouar Boukhars, “Algerian Foreign Policy in the Context of the Arab Spring”, in Combatting Terrorist Center – West Point, 14 janvier 2013.

[10Claire Spencer, “Strategic Posture Review : Algeria”, in World Politics Review, 25 juillet 2012.

[11Alger craignait que l’intervention extérieure en Libye ressuscite les revendications identitaires touarègues et kabyles dans le pays mais aussi fragilise la Lybie et entraine au niveau régional des mouvements de réfugiés, la prolifération des armes, et retour des combattants touaregs dans leurs pays d’origine.

[12Anouar Boukhars, 2013, op.cit.

[13Fouad Kemache, 2013, op.cit.

[14Farid Alilat, « Des dollars du Qatar pour financer un khalifa islamique aux frontières d’Algérie », in Dernières nouvelles d’Algérie, 6 juin 2012

[15Et par ailleurs le soutien officiel ou officieux de l’Arabie saoudite à différents groupes salafistes – comme en Egypte – est ressenti de la même façon.

[16Claire Spencer, 2012, op.cit.

[17Anouar Boukhars, 2013, op.cit.

[18Samir Allam, « Alger s’inquiète de l’influence grandissante du Qatar auprès d’une partie de l’opposition algérienne », in Tout sur l’Algérie, 15 novembre 2011.

[19Sidi-Mohammed Nehad et Mehdi Lazar, « Pourquoi l’Algérie ne connaît pas son printemps arabe », in Slate Afrique, 9 mai 2012.

[20Doha est aussi le siège de la chaine de télévision "Al Maghribia" créée par le fils d’Abassi Madini et fortement critique vis-à-vis du pouvoir algérien.

[21Farid Alilat, 2012, op.cit.

[22Mehdi Lazar, “Qatar intervening in Northern Mali”, in Open democracy, 19 décembre 2012.

[23Hamid Guemache, « Le Qatar tisse sa toile en Algérie », in La Tribune, 8 juillet 2012.

[24« Algérie-Qatar : L’Emir Hamad Ben Khalifa Al-Thani en décembre à Alger », in El Moujahid, 8 novembre 2012

[25Rédaction Jeune Afrique, « L’Algérie et le Qatar signent huit accords de coopération », in Jeune Afrique, 8 Janvier 2013.

[26En référence aux investissements récents du Qatar tout autour du bassin méditerranéen, en Italie, en Grèce, en France, etc.

[27Anouar Boukhars, 2013, op.cit.

[28Cité dans Le temps d’Algérie, 7 janvier 2013.

[29Cité dans l’article de Mohamed Mouloudj, « L’émir du Qatar à Alger », in Liberté, 8 janvier 2013

[30Rédaction Le Matin, « Le Pentagone, le Qatar et Bouteflika... », in Le matin, 11 juillet 2012.

[31Fouad Kemache, 2013, op.cit.


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