Matthieu Jeanne est docteur en géographie mention géopolitique. Il a soutenu sa thèse à l’Institut Français de Géopolitique (IFG) en novembre 2015 sous la direction de Béatrice Giblin. En 2016, il a été finaliste du concours Ma thèse avec le Diploweb en 7 minutes (MTD7).
Dans quelle mesure le pouvoir municipal parisien représente-t-il un champ de rivalités qui déterminent, en grande partie, les dynamiques sociales, urbaines et électorales de la capitale française ? Matthieu Jeanne démontre brillamment que ces rivalités se déploient à plusieurs niveaux : au niveau de la ville pour le contrôle du pouvoir municipal, au niveau du quartier quand se développent des conflits d’aménagement et au niveau de l’agglomération pour les enjeux de gouvernance. Illustré d’une carte sous deux formats, JPEG et PDF.
La publication de cette étude sur le Diploweb.com s’inscrit dans le contexte du 9e Festival de Géopolitique de Grenoble, " Le pouvoir des villes », du 8 au 11 mars 2017. En effet, Matthieu Jeanne y donne une conférence sur ce thème.
APRES plus d’un siècle de tutelle étatique, Paris est de nouveau une commune avec un maire élu en 1977. Les rivalités géopolitiques qui ont animé la capitale jusqu’à la Libération (1944) changent alors de nature : elles ne concernent plus le contrôle policier de la ville mais, désormais, son contrôle électoral. En effet, pour les formations politiques contrôler la mairie de Paris devient un enjeu majeur du fait de la visibilité de la capitale et de l’opportunité que la ville offre d’établir un fief politique. En outre, le transfert des compétences en matière d’urbanisme du pouvoir central au pouvoir municipal renforce les conflits d’aménagement qui deviennent des enjeux électoraux majeurs. Enfin, depuis dix ans, de nouvelles rivalités concernant la gouvernance de la capitale sont apparues entre le pouvoir central, le pouvoir municipal parisien et de puissantes collectivités territoriales franciliennes au sujet de la mise en place d’une nouvelle communauté urbaine, la Métropole du Grand Paris. Ces multiples rivalités trouvent leur origine dans le « fait capitale » : Paris est un lieu de pouvoir en même temps qu’un lieu d’activité et de résidence. Aussi convient-il de comprendre dans quelle mesure le pouvoir municipal parisien représente un champ de rivalités qui déterminent, en grande partie, les dynamiques sociales, urbaines et électorales de la capitale ? Ces rivalités se déploient à plusieurs niveaux : au niveau de la ville pour le contrôle du pouvoir municipal, au niveau du quartier quand se développent des conflits d’aménagement et au niveau de l’agglomération pour les enjeux de gouvernance.
La géographie électorale et la science politique ont longtemps négligé les rivalités pour le contrôle électoral de la ville dans l’explication du vote, préférant s’attacher au poids des invariants, en particulier celui des données sociologiques. Ainsi, à Paris, les politistes s’attachent à mettre en valeur la permanence du clivage spatial très fort entre l’ouest et l’est de la capitale (Ranger, 1977). Puis, dans les années 2000, une nouvelle lecture sociologique s’impose : la défaite de la droite aux élections municipales de 2001 est présentée comme le résultat des mutations sociales de la ville sous l’effet de l’arrivée de nouveaux électeurs plus jeunes et plus diplômés, acquis aux socialistes et aux écologistes.
Néanmoins, ces analyses occultent les discordances électorales majeures observées entre les scrutins nationaux et les scrutins locaux. Ainsi, lors des élections municipales de 1983, les listes conduites par Jacques Chirac sont majoritaires dans tous les arrondissements du Nord et de l’Est parisien, alors même que, dans ces territoires, François Mitterrand y devance largement Valéry Giscard d’Estaing deux ans plus tôt. Au contraire, lors du scrutin municipal de juin 1995, la droite perd six arrondissements dans lesquels s’était imposé Jacques Chirac lors des élections présidentielles qui se déroulent deux mois plus tôt. Aussi, l’analyse du fait électoral impose-t-elle, en réalité, de prendre en compte l’ensemble des rivalités complexes qui opposent les acteurs politiques : les choix tactiques opérés par les candidats lors des compétitions électorales tout autant que les politiques d’aménagement stratégiques qui modèlent le territoire et sa population.
Jacques Chirac est le premier à mettre en place, à partir de 1983, un système cohérent constitué de stratégies électorales et de politiques publiques territorialisées qui implique l’ensemble des élus de la capitale et de nombreux acteurs locaux. Ce système géopolitique local doit permettre au mouvement gaulliste de s’assurer du contrôle politique total de la mairie de Paris, afin d’en exploiter massivement les ressources humaines, matérielles et financières. Ainsi, pendant douze ans, l’ensemble des services de la Ville de Paris est transformé en une véritable machine au service des ambitions présidentielles du candidat gaulliste.
Le système géopolitique chiraquien repose sur un rééquilibrage stratégique de Paris à l’est. Jacques Chirac envoie sa jeune garde rapprochée dans les arrondissements du Nord et l’Est parisien, acquis de longue date à la gauche : Jacques Toubon (13e), Alain Juppé (18e) et Didier Bariani (20e). Ces derniers l’emportent face à des candidats socialistes affaiblis, au niveau national, par l’impopularité de la politique menée par le gouvernement de Pierre Mauroy et, au niveau local, par la crise durable des structures militantes communistes.
Dans ces territoires, Jacques Chirac déploie un programme ambitieux de politiques publiques, le Plan-Programme de l’Est parisien. Celui prévoit de vastes programmes de rénovation de l’habitat, la création de nouveaux espaces verts, de services publics de proximité, des équipements culturels. Au total, la Mairie de Paris consacre plus de 60 % de ses investissements aux arrondissements du nord et de l’est avec pour objectif de valoriser ces territoires, mais aussi de participer à leur embourgeoisement. Cette politique d’aménagement stratégique n’est pas nouvelle : le pouvoir gaulliste l’a entamée à la fin des années 1960, avec les opérations de rénovation massive dans les 13e et 20e arrondissement qui cherchent à accélérer le départ des industries polluantes remplacées par des activités tertiaires. Enfin, Jacques Chirac constitue de puissants réseaux clientélistes auprès du tissu associatif local et des bénéficiaires des logements sociaux.
Ce système géopolitique a une efficacité électorale réelle. La politique d’aménagement est parvenue à modeler le territoire parisien et son électorat. Aussi, Jacques Chirac réalise-t-il à deux reprises le grand chelem : en 1983 et en 1989, il contrôle l’ensemble des arrondissements du nord et de l’est, qui sont pourtant des fiefs historiques de la gauche. La droite devient hégémonique dans la capitale. En 1995, Jacques Chirac profite du tremplin parisien : il est élu président de la République. Pourtant, alors que la droite semble solidement implantée dans la capitale, face à une gauche affaiblie par l’éviction progressive des classes populaires, elle perd, en deux scrutins, l’essentiel de ses positions électorales. Ici aussi, l’analyse géopolitique est la plus féconde pour comprendre la déroute électorale de la droite parisienne.
En premier lieu, dès 1995, celle-ci affronte une gauche au discours renouvelé, centré sur la démocratie locale. Les socialistes exploitent avec succès les oppositions aux projets d’aménagement portés par la municipalité chiraquienne, en particulier dans le quartier de Belleville et dans le 13e arrondissement autour du projet Paris Rive-Gauche. En second lieu, Jean Tibéri, qui succède à Jacques Chirac, ne parvient pas à s’imposer dans son propre camp. La multiplicité des positions de pouvoir qui avait la force du système chiraquien fait désormais le lit des rivalités fratricides.
A l’issue de ses deux mandats, Bertrand Delanoë a atteint son objectif : l’ensemble de l’Est parisien est devenu un fief solide pour la gauche. Grâce à cela, Anne Hidalgo est élue maire en 2014, dans un contexte national pourtant difficile de rejet du gouvernement socialiste.
Ainsi, en 2001, la gauche rassemblée autour de Bertrand Delanoë remporte une victoire historique. Elle, demeure toutefois minoritaire en voix. C’est pourquoi la nouvelle équipe municipale met en place, à son tour, un système géopolitique qui ambitionne de conforter son assise territoriale. Elle concentre ses moyens humains et financiers dans les arrondissements du nord et de l’est parisien. Là, elle engage une politique ambitieuse d’embellissement de la ville. De nouveaux équipements culturels sont créés (6 nouvelles bibliothèques ou médiathèques, la Gaîté Lyrique, le 104, la Philharmonie, le Louxor). L’espace public est transformé pour réduire la place de l’automobile, essentiellement sur les boulevards extérieurs des Maréchaux et à l’occasion du réaménagement de la Place de la République. La municipalité met en place une politique inédite de manifestations culturelles (le festival Paris-Plage sur les berges de la Seine, la Nuit-Blanche) qui participent à la naissance de nouvelles centralités culturelles et ludiques (Bassin de la Villette). Et enfin, un effort considérable est consenti en matière de construction de logements sociaux.
Toutes ces politiques publiques cherchent en priorité à satisfaire un électorat fidèle aux socialistes : les gentrifieurs. Une population jeune, diplômée, assez hétérogène socialement, et qui partage les mêmes pratiques urbaines et le même choix résidentiel. Aussi, ces politiques traduisent-elles les représentations des gentrifieurs de l’espace parisien : une ville moins polluée, plus conviviale et plus festive. Surtout, stratégiquement, elles contribuent à rendre l’Est parisien plus attractif. Ce fief de gauche voit alors son poids démographique et électoral renforcé au sein de la capitale. En 2014, lorsque la représentation politique des arrondissements au sein du Conseil de Paris est actualisée les arrondissements contrôlés par la gauche gagnent 5 sièges.
Ainsi, à l’issue de ses deux mandats, Bertrand Delanoë a atteint son objectif : l’ensemble de l’Est parisien est devenu un fief solide pour la gauche. Grâce à cela, Anne Hidalgo est élue maire en 2014, dans un contexte national pourtant difficile de rejet du gouvernement socialiste. Face à elle, faute d’avoir su renouveler son discours et ses pratiques, la droite ne parvient pas à reconquérir les territoires de l’Est parisien devenus stratégiques pour le contrôle de la mairie. Néanmoins, depuis 2001, malgré la popularité du maire et son habile communication, le système mis en place est fragilisé par des divisions internes. Socialistes et écologistes portent des représentations divergentes de la ville et s’opposent sur certains aménagements : l’extension du stade Roland-Garros ou la construction de nouvelles tours dans Paris.
À Paris comme dans le reste du territoire français, la décennie 1970 marque une rupture dans l’acceptation de la politique d’aménagement (Subra, 2016). Dans la capitale, les premières critiques concernent les opérations massives de rénovation votées à la fin des années 1960 : Front de Seine (15e), Italie (13e) et Hauts-de-Belleville (20e). Au-delà des critiques unanimes d’ordre esthétique, ce nouvel urbanisme est lu comme l’affirmation du pouvoir technocratique sur la ville : le « jouet du pouvoir centralisateur » qui accentue la ségrégation dans la ville. Néanmoins, ces critiques restent dans un premier temps confinées aux sphères intellectuelles et militantes. Le premier conflit d’aménagement concerne le projet d’aménagement des Halles et traduit la naissance de nouvelles revendications en matière d’urbanisme et de cadre de vie. En juin 1971, les pétitions lancées contre la destruction des Pavillons Baltard réunissent plus de 100 000 signatures.
L’élection du maire de Paris au suffrage universel en 1977 apaise pendant quelques années la conflictualité liée à l’aménagement de la capitale. Le nouveau pouvoir municipal paraît beaucoup plus réactif aux demandes des Parisiens concernant l’espace public et le nouveau maire abandonne quelques projets d’aménagement emblématiques contestés, en particulier la construction de la « radiale Vercingétorix » un axe autoroutier prévu le long du faisceau ferroviaire de Montparnasse. Ce sont les nouveaux projets d’aménagement entamés dans les années 1990 qui cristallisent les oppositions et fragilisent durablement le pouvoir municipal parisien : le projet Paris-Rive-Gauche (13e) la ZAC Ramponeau-Belleville (20e). Annoncée en 1990 et portée par la municipalité gaulliste, celle-ci traduit une double ambition. En premier lieu, un objectif économique et territorial : la ZAC a pour objectif de développer un nouveau pôle d’attraction économique en lieu et place du quartier populaire du Bas-Belleville marqué par un habitat ancien dégradé. Le projet doit permettre de rééquilibrer la ville vers l’est. Il prévoit, entre autres, la construction d’un centre international de conférences, d’une galerie marchande, de logements neufs et de parkings et la création de quelques milliers d’emplois. En second lieu, le projet sert un intérêt géopolitique : conserver l’arrondissement à droite, en accueillant des habitants plus aisés, censés être plus favorables à la municipalité en place. Aussi l’opération se veut-elle un vecteur de la gentrification du quartier.
Néanmoins, ce projet est à l’origine d’un important conflit d’aménagement public qui oppose des associations locales, formées à l’origine par des copropriétaires menacés par la rénovation, soutenues par la gauche et les écologistes au pouvoir municipal. La municipalité est d’autant plus fragilisée que les associations remportent une première victoire judiciaire en mars 1993, quand la délibération du Conseil de Paris est annulée par le Tribunal administratif.
Au total, l’opération d’aménagement est un fiasco géopolitique pour la droite. Le conflit d’aménagement a soudé une partie des habitants contre la municipalité gaulliste sortante. En outre, il permet à la gauche, jusqu’alors fragilisée et désunie, de se rassembler en se faisant le porte-parole des nouvelles revendications liées au cadre de vie et à la sauvegarde du patrimoine architectural parisien. En 1995, la gauche remporte la mairie du 20e arrondissement avec cinq autres mairies du nord et de l’est parisien. Elle obtient ses meilleurs résultats dans le quartier de Belleville, fortement marqué par le conflit d’aménagement. Une brèche est ouverte dans le système géopolitique chiraquien.
Quinze ans plus tard, c’est autour du logement social, devenu le moyen privilégié de la politique de mixité sociale promue par l’équipe municipale socialiste, que se nouent de nouveaux conflits d’aménagement dans l’ouest de la capitale. En effet, à partir de 2001 Bertrand Delanoë ambitionne de mieux répartir spatialement le parc social de logement pour, d’une part, diversifier le peuplement des quartiers les plus populaires – en développant du logement intermédiaire à destination des classes moyennes –, et, d’autre part, développer le logement social dans les quartiers aisés, pour espérer en limiter l’embourgeoisement. Aussi, l’équipe municipale socialiste choisit-elle d’engager plusieurs projets de logements sociaux dans le 16e arrondissement : l’offre y est très déficitaire – en 2001, on ne compte que 1473 logements dans le cadre de la Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, soit 1,74 % des résidences principales –, il y demeure quelques parcelles de foncier disponible, et ce territoire incarne aux yeux des Parisiens l’archétype de l’entre-soi spatial de la bourgeoisie parisienne. Au total, la municipalité finance plus de 1600 logements sociaux entre 2001 et 2014 dans ce territoire.
Ces nouveaux conflits d’aménagement se distinguent-ils de ceux apparus dans les années 1990 : l’ensemble des acteurs politiques locaux – autant l’équipe en place à la mairie de Paris que les élus de droite de l’ouest parisien – les alimentent et les exploitent efficacement à des fins électorales.
Mais cinq opérations de grande ampleur, soit près de 400 logements, sont suspendues ou annulées grâce à la mobilisation de riverains au sein d’associations engagées dans des procédures judiciaires efficaces, relayée par la municipalité de droite du 16e arrondissement. Un ensemble de 210 logements sociaux à destination des personnels soignants de l’APHP, prévu en lisière du parc Sainte-Périne, est ainsi abandonné, en partie grâce à l’association opportune des élus de droite et des écologistes opposés au déclassement partiel du parc. Une autre opération de plus vaste ampleur dans l’ancienne gare d’Auteuil, mêlant logements sociaux et équipements collectifs, est, quant à elle, retardée. À ces oppositions s’ajoutent d’autres conflits concernant des équipements sportifs (rénovation du stade Jean-Bouin et extension du Stade Roland-Garros) ou des équipements sociaux (centre d’hébergement d’urgence en lisière du Bois de Boulogne), faisant du 16e arrondissement un véritable un foyer de tensions géopolitiques locales.
Chacun de ces conflits met en scène un enchevêtrement d’acteurs aux représentations divergentes et aux modes d’action différents. Les associations de riverains agissent discrètement en mobilisant des dons conséquents servant à financer les procédures judiciaires. Elles se défendent d’incarner le réflexe « Pas dans mon jardin », Not in My Backyard (NIMBY) et préfèrent afficher un discours environnementaliste très consensuel (lutte contre la densification immobilière, protection des espaces verts publics…). Les élus municipaux issus de la droite du 16e arrondissement soutiennent, quant à eux, politiquement et financièrement ces contestations, espérant gagner les faveurs de l’électorat conservateur, hégémonique dans le 16e arrondissement, en affichant leur opposition au pouvoir municipal parisien socialiste. Enfin, ce dernier profite de la médiatisation de ces conflits pour mettre en scène, auprès de l’ensemble des Parisiens, la volonté de la municipalité de répartir équitablement les équipements sociaux. Ces conflits permettent aussi d’enfermer l’opposition de droite dans la défense catégorielle de l’Ouest parisien, la privant ainsi de la légitimité à incarner l’intérêt général.
Aussi, ces nouveaux conflits d’aménagement se distinguent-ils de ceux apparus dans les années 1990 : l’ensemble des acteurs politiques locaux – autant l’équipe en place à la mairie de Paris que les élus de droite de l’ouest parisien – les alimentent et les exploitent efficacement à des fins électorales.
Depuis l’instauration de la Conférence métropolitaine par l’équipe municipale de Bertrand Delanoë en 2006 s’est ouvert un nouveau débat sur la gouvernance de la métropole parisienne, source de nombreuses rivalités entre le pouvoir central et l’ensemble des collectivités territoriales d’Île-de-France. Paris, la ville-centre, dialogue de nouveau avec les collectivités voisines après des décennies d’ignorance. À l’origine de cette rupture se trouve un changement majeur des représentations géopolitiques développées jusqu’alors. En premier lieu, du fait de l’affaiblissement des positions de pouvoir communistes et de la conquête de la municipalité parisienne par le socialiste Bertrand Delanoë, la crainte d’une capitale encerclée par la banlieue rouge disparaît. Cette représentation, d’abord à l’origine de la réorganisation territoriale de l’agglomération parisienne en 1964 visant à faire de la capitale un « isolat politique » conservateur, a façonné la politique de Jacques Chirac pendant ses trois mandatures à la mairie de Paris. Le nouveau maire gaulliste ne noue quasiment aucun lien avec les communes et départements limitrophes. En second lieu, jusque dans les années 1990, la plupart des acteurs politiques nationaux partagent une même représentation géopolitique : la capitale prédatrice fait face à une province appauvrie. Autant l’influence de l’ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français (1947) dans le champ intellectuel et politique, que l’idéal autogestionnaire et la critique de la centralisation jacobine, apparue à gauche à partir des années 1960, contribuent à façonner cette représentation consensuelle. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que, progressivement, le territoire parisien n’est plus considéré par le pouvoir central et l’ensemble des acteurs politiques comme une capitale nationale dont il faut limiter le poids, mais comme une ville mondiale dont il faut développer l’attractivité et préserver le rang face à ses concurrentes.
C’est dans ce nouveau contexte géopolitique que s’inscrit le projet de communauté urbaine insufflé par Nicolas Sarkozy à partir de 2007. Assumant la volonté de promouvoir le développement économique de l’ensemble de l’agglomération parisienne, le nouveau président de la République entend réformer la gouvernance de la métropole parisienne en mettant en place une nouvelle communauté urbaine rassemblant Paris et les communes de la Petite couronne. Au-delà de l’ambition réformatrice, l’objectif géopolitique est clair : Nicolas Sarkozy espère offrir à son camp politique le contrôle électoral de la région capitale et affaiblir durablement par la même occasion les positions de gauche en Île-de-France. Les conseils généraux de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne contrôlés par les communistes doivent être fondus dans la nouvelle communauté urbaine et le poids politique de Paris largement affaibli. Néanmoins, le renforcement des positions électorales de la gauche à Paris et en banlieue lors des élections municipales de 2008 invalide le scénario prévu par Nicolas Sarkozy, et, face à la contre-offensive menée par les collectivités territoriales fédérées par la Mairie de Paris au sein du syndicat Paris-Métropole, le projet de communauté urbaine est abandonné. Il demeure toutefois un projet d’aménagement et de transport très ambitieux, le Grand Paris Express, piloté par un nouvel établissement public, la Société du Grand Paris.
Droite et gauche : une même volonté, celle du pouvoir central de contrôler politiquement le territoire métropolitain francilien.
Un second projet de communauté d’agglomération, la Métropole du Grand Paris (MGP) est porté le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault dans la loi de MAPTAM promulguée en janvier 2014. Dans un périmètre élargi, celle-ci, en plus de s’attacher au développement économique de la région, ambitionne de s’attaquer à la réduction des inégalités territoriales en développant une politique de logement au niveau métropolitain. Le projet de loi rencontre de multiples résistances chez les élus franciliens. À droite, certains élus redoutent que la nouvelle structure intercommunale ne les contraigne à construire des logements sociaux. À gauche, les socialistes sont accusés de faire de la MGP un outil pour réduire à néant les positions de pouvoir de leurs partenaires communistes, en particulier les communautés d’agglomération. À l’issue d’une rude bataille parlementaire à laquelle se livrent les élus franciliens, l’idée d’une métropole forte et intégrée s’impose avec toutefois des compétences moindres qu’une communauté urbaine classique. Néanmoins, à la suite des élections municipales de mars 2014, la gauche est devenue minoritaire dans le futur conseil métropolitain. Aussi, plusieurs élus socialistes se rapprochent-ils opportunément des élus de droite réfractaires à la métropole forte pour imposer des dispositions affaiblissant la future métropole : autonomie maximale des territoires, limitation des transferts financiers, réduction des compétences pour la métropole en matière d’urbanisme. De fait, la MGP est en place depuis le 1er janvier 2016, mais le transfert des compétences stratégiques n’interviendra qu’au courant de l’année 2017. Nombre d’élus semblent jouer la montre, espérant qu’une alternance politique au niveau national pourrait remettre en cause la métropole.
En définitive, si les deux projets de réorganisation de la gouvernance diffèrent dans leur approche politique – le projet sarkozyste donne la priorité à l’ouverture économique du territoire métropolitain quand le projet socialiste met l’accent sur la réduction des inégalités socio-spatiales – ils relèvent néanmoins d’une même volonté : celle du pouvoir central de contrôler politiquement le territoire métropolitain francilien, en offrant une nouvelle position de pouvoir au camp politique dont ses représentants sont issus. En ce sens, ces opérations géopolitiques ont échoué, l’une comme l’autre. Initiée par le pouvoir socialiste, la MGP est présidée depuis janvier 2016 par Patrick Ollier (UMP) et, pour les formations politiques, elle n’apparaît pas encore comme un enjeu aussi important que le contrôle de la région Île-de-France ou celui de la mairie de Paris.
L’analyse des rivalités de pouvoir qui s’exercent sur le territoire parisien éclaire l’ensemble des dynamiques à l’œuvre dans la capitale. La première, sociale, touche aujourd’hui toutes les métropoles européennes depuis plus de quarante ans. Le mouvement de gentrification transforme la population et le bâti de la ville. Mais si celui-ci est initié par la concentration des activités tertiaires stratégiques dans la capitale, il est accompagné ou encouragé par les stratégies des acteurs politiques dont les politiques publiques façonnent la ville. Aussi, les politiques d’aménagement doivent-elles être lues comme des moyens mis au service de systèmes géopolitiques locaux. Aujourd’hui, la politique municipale ambitieuse de réduction de la place de l’automobile menée dans la capitale en est un exemple : elle est autant une réponse à une demande sociale forte qu’un moyen d’assurer la cohésion de la majorité municipale réunissant socialistes et écologistes.
La seconde dynamique, politique et institutionnelle, concerne la mise en place de la Métropole du Grand Paris. Celle-ci doit être lue comme le résultat de fortes rivalités géopolitiques entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux. Aujourd’hui de fortes tensions demeurent autour du périmètre des compétences de la MGP ainsi que des ressources fiscales qui lui seront allouées. Pour la mairie de Paris, l’enjeu est de taille. Au-delà du discours de solidarité affiché entre la ville-centre et la banlieue, les élus parisiens rechignent à remettre en cause ce qui forge « l’exception parisienne » : des ressources humaines et financières conséquentes qui permettent de financer des politiques d’aménagement et de redistribution ambitieuses capables d’assurer la solidité d’une position de pouvoir unique en France.
Copyright Février 2017-Jeanne/Diploweb
Publication initiale sur Diploweb.com le 23 février 2017
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Le Festival de Géopolitique de Grenoble présenté sur Diploweb.com
Matthieu Jeanne a été finaliste de Ma thèse avec Diploweb en 7 minutes, de quoi s’agit-il ? Réponse en vidéo
La première édition de Ma thèse avec le Diploweb en 7 minutes (MTD7), s’est tenue le 25 mai 2016 sur le campus parisien de GEM, en partenariat avec le CSFRS. Plus de 140 personnes ont assisté à un concours de très haute tenue et à un grand moment d’intelligence du monde. Tous les candidats ont offert une prestation de très haut niveau.
Ma Thèse avec le Diploweb en 7 minutes (MTD7’) est une initiative du Diploweb.com, en partenariat avec GEM et le CSFRS.
Elle s’inscrit dans notre tradition de découvreur de talents. Ce projet s’inspire directement de "Ma Thèse en 180 secondes", organisé par le CNRS.
Ce “concours” offre aux doctorants et jeunes docteurs la possibilité de prendre la parole pour partager leur passion pour leur sujet et la recherche avec un public profane.
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. le Prix du Diploweb : Un chèque de 1.000 € pour le lauréat du Prix du Diploweb ; Publication d’un article sur le Diploweb ; Diffusion de la prestation (vidéo) sur le Diploweb ; Invitation à présenter le travail au Festival de Géopolitique de Grenoble (GEM) .
. Le Prix du CSFRS : Un chèque de 1.000 € pour le lauréat du prix du CSFRS ; Publication d’un article sur le site du CSFRS ; Invitation à présenter le travail aux Assises du CSFRS.
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Pour attribuer le Prix du Diploweb et le Prix du CSFRS, nous avons réuni un jury indépendant :
. Eric Danon, Ambassadeur, Directeur général du Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégiques.
. Catherine Durandin, Historienne, ancienne élève de l’ENS, ancienne auditrice de l’IHEDN, professeur émérite à l’INALCO et membre du Centre de recherches CREE.
. Thierry Garcin, Producteur délégué à France-Culture (Les Enjeux internationaux), docteur en science politique et chercheur associé à Paris-Descartes.
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