Chercheur associé au GRIP. David Vigneron travaille en particulier sur les questions liées à la géopolitique en Afrique de l’Ouest (migrations, conflits) et plus largement à la géographie électorale dans le monde.
La victoire de Sadiq Khan aux élections municipales de Londres le 5 mai 2016 tient principalement à l’absence d’alternative politique crédible du côté des conservateurs et au fait que ce candidat travailliste a su tiré parti d’une conjonction d’éléments favorables : une campagne basée sur l’identité, une symbolique unificatrice autour de son nom et un programme favorable aux populations s’estimant désavantagées par des décisions politiques antérieures. Illustré de deux cartes.
L’ELECTION municipale de Londres en mai 2016 a vu la victoire du candidat travailliste Sadiq Khan (Labour Party) au détriment du candidat conservateur Jimmy Goldsmith (Conservative Party). Ce scrutin a surtout été marqué par une dimension identitaire importante. Par exemple, Les conservateurs se sont focalisés sur les relations houleuses que pouvait entretenir le candidat travailliste [1]. Et Sadiq Khan, lui-même, a joué de ces origines pour incarner une forme de renouveau politique. Pourquoi l’identité a-t-elle tenu un rôle si important lors de ces élections ? A contrario, quelle a été la place des programmes politiques dans le débat ? Est-ce que ces derniers ont été supplantés par la question identitaire ? Pour comprendre cet état de fait, nous nous proposons dans une première partie de revenir sur le déroulement de la campagne électorale et les différentes stratégies des principaux candidats en présence. Dans un deuxième temps, nous verrons qu’au-delà de ces origines le candidat Sadiq Khan a gagné la bataille des programmes tout en sensibilisant un électorat « cosmopolite ». Pour finir, nous examinerons l’héritage des décisions politiques antérieures qui ont été favorables à l’élection de Sadiq Khan.
La campagne électorale pour les élections municipales du 5 mai 2016 à Londres a été marquée par les questions religieuses et identitaires. Sadiq Khan a constamment mis en avant « la réussite sociale » qu’il souhaitait incarner. D’origine modeste, il entendait combattre les inégalités sociales et caractériser la diversité londonienne dont il est un des représentants par son identité multiple. « Je suis londonien, un Britannique, un asiatique d’origine pakistanaise, un supporter de Liverpool, un père, un mari, un travailliste et un musulman » [2]. De son côté, Jimmy Goldsmith du parti conservateur, son principal adversaire au second tour a bien tenté d’en esquisser un portrait hostile en le dépeignant comme le représentant d’un « islam radical », mais cette stratégie s’avèrera inefficace car Sadiq Kahn a été élu avec 56,8 % des voix exprimées (London Elects, 2016).
Au-delà de l’utilisation des thèmes identitaires lors de la campagne, cette élection soulève pourtant un paradoxe au regard des résultats obtenus. En effet, beaucoup d’observateurs de ce vote évoquent la victoire du « vivre ensemble » londonien, le succès de « l’Obama british » ou la réussite du « yes he khan » [3], cependant lorsque l’on observe les scores de Sadiq Khan sur les cartes jointes, celles-ci révèlent une corrélation importante entre les scores favorables à Sadiq Khan et l’implantation des communautés d’appartenance selon leur origine à Londres.
N.B. Lors des élections municipales en Angleterre, chaque électeur a le droit à un premier et un second choix au premier tour du scrutin. La carte des résultats électoraux de Sadiq Khan représente le vote lors du second choix au premier tour (Second Choice Spoils). Si aucun des candidats n’obtient la majorité absolue au premier tour, un second tour est organisé avec les deux candidats les mieux classés.
Ainsi, les communautés asiatiques d’Harrow ou de Brent ont fortement soutenu le parti travailliste avec des pourcentages de voix exprimées supérieurs à 24 %. D’un autre côté, le vote pro-Khan est très marqué chez les communautés d’origine africaine (entre 24 % et 35 %) le long d’une bande partant d’Hackney jusqu’à Enfield. Historiquement, l’aire urbaine de Londres est un espace fortement fragmenté produisant de fortes inégalités sociales. Par exemple F. Richard (2001) démontrait dans sa thèse que la cohabitation débutée au XIXe siècle entre la minorité bangladaise, une élite et des descendants de dockers dans l’East End produisait des inégalités sociales très importantes sur un territoire de quelques centaines de mètres carrés [4]. Des disparités pouvant être un élément explicatif des émeutes urbaines de 2011 (à Enfield ou à Croydon). D’une autre façon, le poids économique de la capitale britannique est fortement dépendant de son cosmopolitisme. Ainsi près de 37 % des habitants londoniens sont nés en dehors du Royaume-Uni selon le recensement de 2011 (Census Information Scheme, GLA, 2013). Aux premiers abords, le candidat travailliste a sans doute bénéficié d’une forte mobilisation « communautaire », néanmoins son programme axé autour d’une meilleure accessibilité aux logements et à la lutte contre la saturation des transports en commun a également contribué à consolider sa base électorale.
En allant plus loin, ces résultats favorables à Sadiq Khan révèlent également l’échec de politiques urbaines qui ont été menées jusque-là. Par exemple, le New Deal for Communities (NDC – ou la « construction des communautés ») mis en place en 1998-1999 sous le gouvernement travailliste de Tony Blair proposait d’apporter une réponse à l’exclusion de certains quartiers des grandes villes anglaises. À Londres, l’essentiel des fonds alloués dans le cadre de ce programme a été attribué au secteur du logement. De ce fait, cette réforme a permis à des acteurs privés de s’enrichir tout en offrant des services publics inadaptés (dans les secteurs de l’éducation ou de la santé) pour les usagers. Ce projet a principalement concerné des quartiers qui ont voté massivement pour Sadiq Khan en 2016 (Hackney, Newham, southwark ou Tower Hamlets). En définitive, Sadiq Khan a principalement tiré avantage d’un vote des populations se sentant marginalisées par des années de gestions politiques défavorables pour leur quartier.
Pour conclure, la victoire de Sadiq Khan tient principalement dans le fait que le candidat travailliste a su tiré parti d’une conjonction d’éléments favorables (une campagne basée sur l’identité, une symbolique unificatrice autour de son nom et un programme favorable aux populations s’estimant désavantagées par des décisions politiques antérieures) et surtout par l’absence d’alternative politique viable du côté des conservateurs. Maintenant, le nouveau maire de Londres devra composer avec un électorat divisé pour pouvoir mener à bien son projet politique.
Copyright Juillet 2016-Vigneron/Diploweb.com
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[1] « Il a été reproché à Sadiq Khan d’être apparu à plusieurs reprises aux côtés de Suliman Gani, un imam radical de sa circonscription ». Source : Bernard P. (2016), « Municipales au Royaume-Uni : la bataille des deux Londres », Le Monde, le 6 mai.
[2] Éditorial (2016), « Le maire de Londres ou l’exemple britannique », Le Monde, le 9 mai.
[3] Cf. Bernard P., « Sadiq Khan, le vivre-ensemble à la mairie de Londres », Le Monde, le 7 mai ; Edwards J. (2016), “Britain has found its Obama”, UK Business Insider, le 7 mai ; Blackman D. (2016), “London’s new mayor : Yes, he Khan”, Building, le 10 mai.
[4] Appert M., Drozdz M., Ghorra-Gobin C. (2014), « Les grands projets urbains à Londres : le renouvellement au risque de la fragmentation sociospatiale ? », Festival International de Géographie de Saint-Dié, Compte-rendu, 13 p.
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