Voici la première étude d’envergure consacrée à la diversité institutionnelle de l’Europe. De façon localisée, précise et référencée, Gérard-François Dumont publie sur le Diploweb.com un document novateur. Celui-ci démontre combien l’organisation régionale de l’Union européenne est contradictoire. D’une part, les régions, quelle que soit leur nature, bénéficient de façon égale du cadre réglementaire communautaire de la politique régionale de l’Union européenne et, à ce titre, sont traitées comme si elles étaient semblables. D’autre part, l’examen des Constitutions et des réglementations nationales des différents pays européens montrent qu’elles ne s’alignent nullement sur un mode institutionnel identique. La question régionale en Europe entre donc dans le respect du principe de subsidiarité.
DEUX éléments pourraient a priori laisser penser que l’Europe présente un ordonnancement régional comparable dans tous les pays. D’abord, l’Union européenne publie périodiquement des données régionales, notamment dans le cadre d’Eurostat, comme l’Eurostat regional yearbook [1]. Mais un examen détaillé de ces publications montre qu’elles ne reflètent nullement l’existence d’un échelon régional comparable dans tous les pays. En effet, ces publications sont fondées sur des « régions » dont le périmètre est déterminé dans le cadre d’une « Nomenclature commune des unités territoriales statistiques (nuts) [2] » qui a été introduite pour permettre la collecte de données statistiques territorialisées dans un cadre harmonisé, lesquelles servent notamment de base aux décisions relatives à la mise en œuvre de la politique européenne de cohésion. Ces unités statistiques sont réparties en trois niveaux supposés respecter des fourchettes démographiques. Les régions relevant de la nomenclature nuts-1 ont entre 3 et 7 millions d’habitants, les régions nuts-2 entre 800 000 et 3 millions d’habitants et les régions nuts-3 ont moins de 800 000 habitants et au moins 150 000. Mais ces fourchettes démographiques ne sont pas toujours respectées par les délimitations définies par Eurostat. Par exemple, la région Île-de-France, qui compte plus de 11 millions d’habitants, est considérée comme une région nuts-2, alors que le Land de Brême en Allemagne, avec moins de 800 000 habitants, est classé comme une région nuts-1. En outre, comme tous les pays n’ont pas des unités administratives correspondant à ces seuils, certains niveaux n’y sont pas utilisés et se réduisent à un seul dans le niveau supérieur ou inférieur. Le règlement de l’Union européenne n° 1059/2003 du 26 mai 2003, qui organise cette nomenclature, n’a donc aucune vocation institutionnelle ; il précise seulement que les unités territoriales statistiques sont, à chaque niveau, définies sur la base des limites administratives internes de chaque État (article 3).
Quant au lecteur qui s’aventure dans les statistiques régionales d’Eurostat, il est rapidement étonné. Par exemple, la cartographie à l’échelle des nuts-2 présente une géographie de l’Europe des régions où la France métropolitaine dispose d’un découpage régional correspondant à ses 22 régions alors que l’Allemagne n’est pas représentée selon ses 16 Länder, territoires correspondant aux régions françaises, mais selon 41 districts (Regierungsbezirk). Or, ces districts ne possèdent pas le statut de personne morale de droit public ; ils sont gérés par des personnes désignées par le gouvernement du Land, donc non par des élues. Par leur superficie moyenne (8 700 km²), ils sont plus proches des départements français de France métropolitaine, au nombre de 96, dont la superficie moyenne est de 5 750 km², et de 6 045 km² si l’on excepte les huit départements de l’Île-de-France, que des régions françaises métropolitaines, dont la superficie moyenne est de 25 091 km². [3]
La géographie proposée dans les cartes régionales d’Eurostat repose donc sur des unités territoriales définies uniquement pour les besoins statistiques. Ces unités ne constituent pas forcément des unités administratives officielles, mais souvent des groupements de ces unités administratives, en fonction de leur population résidente moyenne dans le pays correspondant. Cette géographie statistique non fondée sur des logiques institutionnelles régionales ne permet donc pas d’appréhender la réalité institutionnelle des régions d’Europe.
Mais un second élément doit être examiné. Il existe, au sein de l’Union européenne, un organe institutionnel dont l’intitulé, Comité des régions [4], pourrait laisser penser que les différents pays de l’Union européenne disposent tous d’une organisation régionale semblable. Ce Comité des régions est une assemblée consultative instaurée [5] le 9 mars 1994 en application du Traité de Maastricht de 1992. Or, en dépit de son intitulé, le Comité des régions n’est nullement un représentant exclusif des régions d’Europe, mais de l’ensemble des collectivités territoriales, locales et régionales des pays de l’Union européenne. Il compte 344 membres [6], nombre équivalent à celui du CESE (Comité économique et social européen), avec une répartition identique du nombre de sièges attribué à chaque pays reflétant approximativement sa population. Certains de ses membres sont certes des élus régionaux dans les pays où de tels élus existent (régions en France, en Belgique ou en Italie, Länder en Allemagne…). Mais d’autres membres du Comité des régions représentent des collectivités ou organisations territoriales propres à chaque pays : grandes villes ou communes rurales en France ; Kreise et municipalités en Allemagne ; communautés et communes en Belgique ; comtés, conseils généraux et municipalités en Suède...
La composition de ce Comité des régions laisse subodorer l’extrême diversité des structures territoriales des États. En réalité, cette diversité, souvent sous-estimée [7], de l’échelon régional tient aux héritages historiques et aux choix institutionnels variés effectués par les différents pays. C’est pourquoi une typologie des régions d’Europe conduit à mettre en évidence un éventail extrêmement large d’ordonnancement régional, allant de l’absence d’un échelon régional spécifique à des régions dont la nature institutionnelle est celle d’États fédérés ou confédérés, en passant par de nombreuses situations intermédiaires.
En outre, l’étude de la nature institutionnelle des régions selon les pays européens est complexifiée par les changements législatifs ou réglementaires décidés périodiquement dans différents pays.
La comparaison des structures régionales en Europe fait ressortir pas moins de dix types, à commencer par des pays n’ayant pas créé d’organisation régionale.
Gérard-François Dumont. Crédits CRDP Amiens
Dans ces pays européens, l’existence d’un échelon régional résulte non de l’institution d’un niveau administratif nouveau, mais d’une simple extension de compétences de collectivités territoriales existantes ou de leur coopération. Ainsi, aux Pays-Bas, pays composé de 12 provinces [8], au fondement historique ancien [9], qui sont traitées au niveau nuts-2, le mot région est utilisé pour désigner des circonscriptions administratives infra-provinciales, ou pour caractériser un cadre de coopération intercommunale en milieu urbain [10], ou un espace de coopération plus large pouvant associer différents niveaux d’administration. En Suède, pays qui compte 21 divisions administratives territoriales (nuts-1), correspondant à des départements français ou à des provinces belges, les 8 régions (nuts-2) à qui sont déléguées les politiques de développement régional sont des organismes regroupant les communes dans le cadre du comté, sauf dans les conseils de comtés élargis. En Finlande, le niveau régional défini en 1994 forme dix-neuf unions de communes. Au Portugal, les régions de Lisbonne et de Porto sont aussi des aires de coopération intercommunale.
Dans d’autres pays européens, l’État a décidé de créer un échelon régional qui est soit un niveau d’intervention de l’État, soit une coopération entre les départements, les villes les plus importantes et l’administration d’État.
En effet, certains pays européens n’ont jamais eu d’échelon régional, même s’ils disposaient d’un échelon infranational entre l’échelle nationale et les communes. Or, les politiques communautaires de développement régional les ont obligés à définir un tel échelon pour bénéficier de ces politiques qui souhaitaient s’appliquer à un nombre de périmètres territoriaux plus réduit que celui des départements, des provinces ou des districts existant dans les-dits pays.
Ainsi, la Hongrie possédait, et possède toujours, 19 départements (Comitats) plus Budapest, selon une logique géographique faisant penser à la France. En effet, la superficie moyenne de ces départements hongrois est de 4 650 km2, soit un ordre de grandeur semblable à celui des départements de France métropolitaine (5 750 km2). Puis la Hongrie, pour entrer dans la logique géographique prévalant dans le cadre de la politique régionale de l’Union européenne, a défini, en 1999, soit 5 ans avant son entrée officielle dans l’Union, 7 régions réunissant chacune un ou plusieurs départements. Ces régions ne sont pas des collectivités territoriales, mais de nature économico-statistique, se voulant seulement une échelle d’action et de coordination des pouvoirs publics, notamment en termes d’aménagement du territoire et de développement économique. Ces régions hongroises sont venues se glisser dans la nomenclature NUTS 2, niveau le plus fréquemment utilisé dans les statistiques européennes.
De même, la Bulgarie possédait et possède toujours 28 départements (oblasti) d’une superficie moyenne de près de 4 000 km2. Chacun des 28 oblasti porte le nom de la ville qui en est le chef-lieu, où siège un « gouverneur régional » (en bulgare et alphabet latin oblasten oupravitel) représentant l’État. Pour se conformer aux méthodes de l’Union européenne et bénéficier de la politique régionale, la Bulgarie a créé, également à la fin des années 1990, six régions de planification, subdivisions de la Bulgarie dont l’un des buts est statistique, puisque ces régions correspondent au niveau NUTS-2.
En 1998, la Roumanie a concrétisé une démarche semblable à celle de la Hongrie et de la Bulgarie en définissant huit régions de développement, divisions régionales mises en place en Roumanie dans le but de coordonner la politique de développement régional conforme à l’intégration à l’Union européenne [11]. Ces régions correspondent aussi aux divisions de niveau NUTS-2 pour l’établissement des statistiques régionales de l’Union européenne. Elles n’ont pas de statut juridique puisqu’elles ne possèdent ni conseil législatif ni corps exécutif, mais sont un niveau de coordination des projets concernant les infrastructures régionales.
Dans les pays ci-dessus, les régions résultent donc de définitions récentes à des fins de développement régional et statistique. Le niveau régional ne dispose pas d’organe élu directement représentatif de la région, et il est administré par une autorité administrative nommée par le pouvoir central, même s’il existe dans certains pays des conseils de développement régional, organes mixtes de l’État et des collectivités locales, dotés de la personnalité morale et d’un budget comme en Hongrie.
Ainsi, dans différents pays, sans la décision d’adhérer à l’Union européenne et l’existence d’une politique régionale communautaire, l’échelon régional n’existerait probablement pas. La situation est différente dans d’autres pays européens où un échelon régional a été effectivement défini récemment pour satisfaire le cadre communautaire, mais ces pays avaient disposé dans le passé d’un échelon régional. La région y est donc davantage une recréation qu’une simple création.
Certains pays ayant subi un régime communiste n’avaient plus d’échelon régional. Le processus d’entrée dans l’Union européenne les a conduits à remettre en place un tel échelon qui avait déjà existé dans leur histoire. C’est le cas de la République tchèque qui compte 13 régions administratives (kraj au singulier et kraje au pluriel) devenues, depuis le 12 novembre 2001, des collectivités territoriales, avec une assemblée et un exécutif élus. À ces treize, s’ajoute une quatorzième région, la ville-capitale (Prague), avec un statut spécial. Les armoiries des ces quatorze régions témoignent de leur profondeur historique, même si leurs limites administratives ne respectent pas toujours les frontières anciennes. En effet, outre les 7 régions tchèques situées entièrement en Bohême et les 2 régions situées entièrement en Moravie (partie orientale de la République tchèque), deux régions sont à cheval entre la Bohême et la Moravie et les deux dernières entre la Moravie et la Silésie [12]. Toutefois, Eurostat place au niveau NUTS-2 non ces quatorze régions, mais un découpage de la République tchèque en huit territoires.
Autre pays auparavant derrière le rideau de fer, la Pologne, sous régime communiste jusqu’en 1998, disposait de 49 voïvodies fondées autour des villes principales. La réforme territoriale mise en place en 1999 a réduit ce nombre à 16 régions administratives appelées également voïvodies (województwo) [13], mais selon un découpage reflétant en grande partie les divisions territoriales de la Pologne héritées de l’histoire.
Chaque voïvodie regroupe l’administration de l’État et l’administration décentralisée de la collectivité régionale, aux compétences complémentaires et clairement séparées. Le gouvernement polonais y est représenté par un voïvode qui dirige les services déconcentrés de l’État. Depuis 1999, chaque voïvodie dispose d’une assemblée délibérante, appelée diétine, dotée de pouvoirs propres. Les diétines élisent un conseil exécutif (zarząd województwa), dirigé par un « maréchal » de la voïvodie.
Outre les trois types institutionnels d’échelon régional ci-dessus, un quatrième type s’inscrit dans une refonte plus large de l’organisation territoriale.
En effet, dans certains pays, les décennies précédentes ont été marquées par une volonté de régionalisation dans le cadre d’une décentralisation. Il s’agit de pays à passé souvent centralisé, sans héritage fédéral dans leurs gènes, ce qui rend tout véritable fédéralisme impossible. Mais le souci de déverrouiller les excès du centralisme en décentralisant s’y est accompagné de la mise en œuvre d’un processus de régionalisation. Ce type de régionalisation s’inscrit non dans un texte unique, constitutionnel ou législatif, mais dans un processus scandé par diverses décisions politiques.
En France [14], le premier pas de ce processus est, après plus d’un siècle et demi d’organisation territoriale fondée et sur le découpage départemental décidé en 1790 [15] et sur l’héritage communal issu de celui des paroisses d’ancien régime, un décret du 2 juin 1960 qui définit en métropole 21 circonscriptions d’action régionale (CAR), correspondant aux délimitations des programmes d’action régionale (PAR) arrêtés par l’État en 1955 dans le cadre de la planification. En 1970, le nombre de CAR passe en 22 lorsque la Corse est détachée de Provence-Côte d’Azur-Corse pour devenir à son tour une circonscription d’action régionale, tandis que l’intitulé Provence-Côte d’Azur-Corse devient Provence-Alpes-Côte d’Azur. Puis la France donne un statut juridique aux régions en instaurant, par la loi du 5 juillet 1972, des établissements publics régionaux intitulés « régions ». Ensuite, étape la plus importante de la régionalisation, la loi du 2 mars 1982 consacre ces établissements en les transformant en collectivités territoriales, maintenant et confirmant donc le découpage géographique décidé lors des décennies précédentes. Le périmètre des régions respecte en effet les frontières départementales, puisqu’il réunit les aires géographiques de plusieurs départements, de deux (Alsace et Nord–Pas-de-Calais) à huit (Midi–Pyrénées et Rhône-Alpes) en métropole. Cette régionalisation en France doit-elle être considérée comme une émergence ou comme une résurgence ?
La réponse à cette question conduit à une analyse partagée. Il paraît en effet difficile de parler de résurgence, alors que le statut et la géographie des régions françaises sont souvent fort éloignés des situations historiques. Avant l’absolutisme royal, les provinces d’Ancien Régime connaissaient des pratiques, des institutions et des législations (lois et coutumes) fort différentes. La monarchie n’ayant guère eu moyen d’imposer des règles unifiées, le pouvoir royal central composait avec les réalités territoriales secondes, qu’il laissait subsister. Puis, avec l’absolutisme, les provinces furent vidées de leur substance.
Les régions aux limites consacrées par la loi de 1982 sont des institutions réglementairement équivalentes entre elles, dont la marge d’intervention est relativement modeste, et qui n’ont guère la possibilité de déroger au principe de l’unicité nationale. La philosophie de l’unité l’emporte largement en France sur l’esprit de diversité, limitant l’application du principe de subsidiarité. La pratique administrative et politique française conserve une manière très unitaire d’aborder les questions, notamment en raison de l’existence de grands Corps d’État [16]… sans oublier l’Ecole Nationale d’Administration qui occupe une part considérable non seulement dans les administrations centrales mais aussi dans tout gouvernement, dans les partis politiques, et désormais dans les directions générales des collectivités territoriales. Et la fonction normative, en France, reste largement centralisée et centralisatrice.
À l’instar du statut, la géographie régionale souligne des différences qui, sauf exception, invitent à écarter la notion de résurgence de frontières anciennes. La France avait connu au cours de son histoire une remarquable stabilité de son découpage territorial. Les provinces « étaient des combinaisons spatiales plus complexes [que les « pays » gallo-romains], constituées pour l’essentiel à l’époque féodale, et que la pratique des apanages, en les réattribuant périodiquement à des princes de rang, a contribué à stabiliser jusqu’à leur réunion définitive au domaine royal. Elles se sont maintenues dans les divisions administratives de la monarchie absolue, particulièrement sous la forme des grands Gouvernements de 1789 » [17]. Les régions apparaissent loin de ce schéma. Certes, la mer, les montagnes ou les frontières, tout autant ou plus que les choix opérés, imposent certaines réalités territoriales avec la Bretagne, l’Alsace, la Lorraine ou la Franche-Comté. Mais, même dans ce cas, l’histoire n’est pas ressuscitée. La Bretagne actuelle n’est pas la Bretagne du début du XVIe siècle, définitivement annexée à la France par le mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII, puis avec Louis XII, et l’union de sa fille Claude avec François Ier. Il lui manque ce qui formait son Sud-Est avec Nantes.
Plus généralement, les frontières régionales suppriment ou modifient nombre des frontières provinciales. Par exemple, le dessin de la région Midi-Pyrénées ne correspond guère aux découpages historiques. Il englobe des territoires qui appartenaient au Comté de Foix, une partie du Languedoc, une partie de la Guyenne, et enfin une partie de la Gascogne. De son côté, la région Centre, à la dénomination si banale, semble avoir été constituée par défaut de départements pour lesquels l’État ne parvenait pas à définir un clair rattachement régional.
Ainsi, émergence semble un terme plus approprié que résurgence. Néanmoins, sa généralisation à toutes les régions reste dangereuse : ne faut-il pas faire la différence entre, d’une part, la Bretagne, la Bourgogne, la Corse ou l’Alsace et, d’autre part, les régions Rhône-Alpes ou Midi-Pyrénées ? Les premières ont un nom unique, qui baigne dans l’histoire, qui donne sens. La Bretagne sait qu’elle vient de l’Armorique. L’Alsace connaît ce qui la distingue, en particulier une langue régionale. La Corse reste héritière de son esprit insulaire. Pour de telles régions, le terme résurgence paraît mieux adapté que celui d’émergence. Certes, des voix s’élèvent pour rendre Nantes à la Bretagne, ou pour réunir les deux Normandie. Nice éprouve des réticences à être en partie dirigée de Marseille, c’est-à-dire de la Provence. Mais ces questionnements n’annulent pas les fondements historiques de ces régions.
Aussi entrevoit-on une dualité entre des entités régionales ayant partiellement recouvré leur dimension spatiale mise entre parenthèses pendant deux siècles et d’autres issues d’un découpage territorial nouveau. La réalité identitaire de ces dernières pourrait laisser songer à certains Etats issus de la colonisation et qui éprouvent des difficultés à trouver leur identité. Mais ces régions (Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées), dont les frontières ne correspondent guère à celles d’anciennes provinces, regroupent à l’intérieur de leurs limites des territoires porteurs d’histoire et d’identité. Les régions françaises actuelles ne résultent donc pas d’une volonté territoriale ex nihilo. D’une part, elles illustrent la permanence de l’idée d’une organisation provinciale de la France qui a survécu, facilitant dans les années 1970 et 1980 « l’apprivoisement » des Français à l’idée régionale. D’autre part, elles couvrent une aire incluant de nombreuses traces identitaires.
La régionalisation française, en dépit de certaines décisions de recentralisation, s’est trouvée à nouveau affirmée en 2003-2004 dans ce qui est appelé l’acte II de la décentralisation, incluant une nouvelle étape de régionalisation. La doctrine de cet acte II avait été définie le 10 avril 2002, à Rouen, lorsque le candidat au renouvellement de son mandat à la présidence de la République, Jacques Chirac, précisait : « Entre l’étatisme jacobin et un fédéralisme importé plaqué sur nos réalités, contraire à notre histoire comme à notre exigence d’égalité, une voie nouvelle doit être inventée ». La réforme de l’acte II écarte donc l’idée de copier l’esprit fédéraliste qui préside aux destinées d’autres pays européens.
Cet acte II comporte d’abord une réforme constitutionnelle qui se présente comme une démarche historique au regard de la longue tradition jacobine française. Le Congrès vote le 17 mars 2003 la seizième révision de la Constitution du 4 octobre 1958. Après la décision du Conseil constitutionnel la validant le 26 mars 2003, cette révision devient officiellement la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, « relative à l’organisation décentralisée de la République ». L’article premier de la Constitution est complété par l’ajout : « Son organisation (celle de la France) est décentralisée ». Cela signifie l’abandon - de jure mais non de facto - de la centralisation comme principe d’organisation de la république. Le nouvel article 37-1 prévoit que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Le nouvel article 72 précise que les collectivités territoriales « ont vocation à prendre des décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être prises à leur échelon ». C’est implicitement reconnaître, et pour la première fois dans le texte constitutionnel français, que le fonctionnement de la France devrait être régi par le principe de subsidiarité, même si la frilosité jacobine ne permet pas d’employer officiellement le terme. En outre, le nouvel article 72 consacre, également pour la première fois dans une Constitution française, l’existence « des régions » en sus des communes et des départements. Le principe d’autonomie des régions est ainsi conforté.
Une nouvelle étape légale est franchie avec le vote définitif, le 16 juillet 2003, de deux lois organiques sur le référendum local et l’expérimentation. Après sa validation par le Conseil constitutionnel, cette dernière devient la loi organique du 1er août 2003, « relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales ». Elle consiste à ajouter un chapitre au Code général de collectivités territoriales pour « déroger à titre expérimental aux dispositions législatives régissant l’exercice de leur compétence… pendant une durée qui ne peut excéder cinq ans » [18]. Le vote de deux lois en juillet 2004, l’une détaillant les « responsabilités locales » et fixant les compétences transférées par la réforme de la décentralisation, l’autre précisant les conditions de mise en œuvre des financements, constitue une autre étape légale impliquant notamment, au 1er janvier 2005, le transfert des compétences de 40 000 agents de l’État aux régions (et départements).
Outre ces étapes légales, l’année 2004 marque une autre importante innovation pour la régionalisation à l’occasion des élections des 21 et 28 mars 2004 : pour la première fois, les conseillers régionaux sont élus sur une liste régionale unique, répartie en sections départementales, avec un système électif à deux tours dans l’objectif d’assurer une majorité. L’électeur choisit donc clairement pour la première fois son Président de région.
En France, la régionalisation, qui est déjà trop pour ceux qui s’y opposent, reste à parfaire pour ceux qui souhaitent l’approfondir
Dans le cadre des étapes de décentralisation, la France, après plusieurs siècles de centralisme d’État, a effectivement mis en place une organisation régionale, confortée, depuis 2003, par une formulation fondamentalement nouvelle de la Constitution. Mais, comme l’attestent les comportements, le recul des gouvernements sur certains points, les décisions de recentralisation, ainsi que les modalités limitant considérablement les marges de manœuvre des régions, la régionalisation, qui est déjà trop pour ceux qui s’y opposent, reste à parfaire pour ceux qui souhaitent l’approfondir [19].
Outre la France, un autre pays européen a déployé un processus de régionalisation : l’Italie. En 1972, dans la partie non périphérique du pays, là où n’existent pas de régions autonomes, comme exposé ci-dessous, l’Italie met en œuvre un processus de régionalisation en créant 15 régions dites ordinaires. Ces dernières bénéficient d’un transfert de fonctions administratives de la part de l’État italien. En 1990, ce processus de régionalisation est complété par une loi no 142 du 8 juin, intitulée "Nouvelle réglementation des autonomies locales", qui transfère de nouvelles compétences aux régions, dont l’établissement et la détermination des fonctions dévolues aux provinces et aux communes. La loi prévoit aussi la création de 9 "Villes métropolitaines" (Turin, Milan, Venise, Gênes, Bologne, Florence, Rome, Bari et Naples) à la place des provinces correspondantes, mais elle n’est pas appliquée. Le processus de régionalisation s’affirme en 1999 avec l’élection d’élus régionaux au suffrage direct. Chaque région dispose d’un Conseil Régional qui exerce les pouvoirs législatifs régionaux et d’une junte régionale (Giunta Regionale) qui est l’organisme exécutif. La Giunta est dirigée par le Présidente della Régione, élu au suffrage universel direct (sauf si les statuts particuliers en décident autrement) [20]. Parallèlement, en 1997-1999, le processus de régionalisation de l’Italie est complété par les lois dits Bassanini (du nom du ministre les ayant préparées) : reconnaissance du principe de subsidiarité et mise en place du "fédéralisme administratif". Ces lois définissent un « noyau dur » de compétences de l’État ; les autres compétences sont transférées aux régions, qui doivent elles-mêmes en transférer une partie aux provinces et aux communes.
La réforme de la Constitution italienne de 2001, approuvé par référendum le 7 octobre, confirme ce « noyau dur » de compétences de l’État et, donc, l’intervention des régions dans tous les autres domaines, avec des pouvoirs en matière de législation pour les régions italiennes ordinaires. Mais leurs recettes budgétaires sont largement issues de l’État central, ce qui limite la portée du régionalisme italien.
Pour plusieurs parties du territoire italien et dans d’autres pays, un cinquième type d’institution régionale existe au profit de régions périphériques. Il s’agit d’un type originel dans la mesure où il a été défini dès la première rédaction de constitutions démocratiques.
Ainsi, en Italie, après la période fasciste de Mussolini, l’après-guerre débouche sur une Constitution démocratique qui entre en vigueur le 1er janvier 1948. Cette dernière institue une touche de fédéralisme [21] au profit de quatre régions périphériques, désignées « régions autonomes », bénéficiant d’un statut institutionnel spécial. Ce statut a notamment pour objectif d’écarter le risque de séparatisme dans deux régions « historiques » et « insulaires », la Sardaigne et la Sicile, cette dernière se trouvant en 1946 en situation pré-insurrectionnelle [22], et de protéger des spécificités linguistiques dans deux autres, le Trentin-Haut-Adige, qui compte une importante population germanophone et une minorité ladine, et la Vallée d’Aoste, dont la majorité des habitants est francophone. Le texte donne à ces régions autonomes des pouvoirs législatifs et une autonomie budgétaire importante leur permettant parfois de conserver une part importante des impôts perçus sur leur territoire. Quinze ans plus tard, en 1963, le statut de région autonome est accordé à une cinquième région, Frioul-Vénétie Julienne, dont la population comprend des minorités linguistiques frioulane, slovène et germanophone et qui devint ainsi tenue, comme le Trentin-Haut-Adige et la Val d’Aoste, de protéger les particularités linguistiques. Les cinq régions autonomes d’Italie sont dans une position périphérique.
Toutefois, parmi ces régions, le cas du Trentin-Haut-Adige [23], composé de deux territoires à majorité linguistique fort différente, le Trentin étant largement italophone et le Haut-Adige ou Sud-Tyrol étant surtout germanophone, est particulier. Aussi, à compter de 1970, l’autonomie régionale est-elle largement transférée aux deux provinces autonomes de Trente et Bolzano, décision désormais actée dans l’article 116 de la Constitution italienne.
Un autre pays du Sud de l’Europe a adapté ses institutions à une géographie comprenant des territoires insulaires, donc périphériques : le Portugal. Dès la démocratisation de ce pays, en vertu de la Constitution de 1976, deux régions, soit les Açores, archipel de 2 247 km2 composé de neuf îles situé à 1 500 km du continent [24], et Madère, archipel de 794 km2 situé à près de 1 000 km au sud-ouest de Lisbonne, acquièrent un statut spécial de régions insulaires autonomes, avec un exécutif propre et une assemblée législative régionale. Par exemple, les Açores disposent d’un gouvernement régional installé à Ponta Delgada, sur l’île de São Miguel, ville qui est aussi la capitale économique. L’État portugais y est représentée par un haut fonctionnaire appelée représentant de la République, dont les bureaux sont à Angra do Heroismao, sur l’île de Terceira, la capitale historique.
En revanche, dans le Portugal continental, les tentatives de régionalisation « à la française » ont été envisagées sans succès, notamment du fait d’un référendum doublement négatif en 1998. La majorité des électeurs a repoussé la création de régions et, par ailleurs, la participation des électeurs aurait été insuffisante (49 %) pour valider un vote positif.
Dans d’autres pays européens, l’autonomie concédée à des régions périphériques n’est pas le résultat d’un choix institutionnel initial mais d’une évolution géopolitique interne obligeant le pouvoir central à réagir face à des demandes d’autonomie ou d’indépendance, en transférant des compétences à des régions périphériques [25]. C’est le cas au Royaume-Uni.
Pour comprendre les institutions régionales actuelles au Royaume-Uni, il faut d’abord rappeler les actes d’Union (The Acts of Union), actes parlementaires anglais et écossais passés respectivement en 1706 et 1707, conséquence logique de la réunion des couronnes d’Angleterre et d’Écosse de 1603. Ces actes ont associé les royaumes d’Écosse et d’Angleterre dans le royaume de Grande-Bretagne. Ils se sont traduits par la dissolution des deux Parlements respectifs, soit du Parlement d’Angleterre et du Parlement d’Écosse, et de la création d’un Parlement commun, le Parlement de Grande-Bretagne.
Et l’Écosse ?
Dans les siècles suivants, le Royaume-Uni, qui n’a pas à proprement parler de Constitution, fonctionne selon un mode plutôt centralisé, même si l’Écosse garde des institutions spécifiques : système judiciaire, système éducatif et église presbytérienne. Mais, à compter des années 1970, après la découverte du pétrole et du gaz de la mer du Nord et la conversion de l’économie écossaise à l’industrie des services, émergent des mouvements pour l’indépendance de l’Écosse et un Scottish National Party (parti national écossais) demandant pour l’Écosse une certaine autonomie. Le 3 janvier 1979, un référendum sur l’autonomie recueille 51,6 % des voix, mais n’a pas de valeur institutionnelle en raison d’une trop faible participation s’expliquant par le caractère ambigu du texte proposé. Puis, en raison des revendications accentuées d’autonomie, Londres est obligé d’enclencher un processus appelé « dévolution ». Le 9 novembre 1997, un nouveau référendum organisé en Écosse approuve à 74,29 % des voix la demande de recréation d’un parlement écossais, sans suppression de la présence d’élus écossais à la Chambre des communes. En conséquence de ce résultat, le parlement britannique vote une loi, le Scotland Act, qui instaure un parlement écossais électif, disposant de larges compétences sur des affaires intérieures de l’Écosse. En 1999, les premières élections à ce nouveau parlement écossais, comptant 129 députés, sont organisées. Le Parlement reçoit une partie des pouvoirs législatifs qui relevaient auparavant du Parlement britannique. Parallèlement, le gouvernement de Londres transfère un certain nombre de compétences et de responsabilités administratives à une Écosse disposant désormais d’un exécutif.
Depuis 1999, les partisans de l’indépendance continuent à penser que le Parlement et l’exécutif écossais ne sont qu’une étape intermédiaire dans un processus qui doit mener à terme l’Écosse au statut d’État-nation indépendant. Et ces partisans remportent des succès électoraux puisque le Scottish National Party est devenu le premier parti aux élections de 2007 puis a obtenu en 2011 la majorité absolue des sièges (69 sur 129). Aussi le Premier ministre écossais, Alex Salmond, a promis l’organisation d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse avant la fin de la législature, précisément le 18 octobre 2014, à l’issue des jeux du Commonwealth qui auront lieu en Écosse. Certains commentateurs [26] considèrent que le résultat du vote devrait être négatif car l’indépendance n’engendrerait pas que des avantages.
La régionalisation, ou plutôt la « dévolution » au Royaume-Uni, concerne une autre région historique, le Pays de Galles, intégré à la couronne anglaise en 1536, mais sans système judiciaire ou éducatif propre. Depuis 1999, dans le cadre d’une dévolution au sein du Royaume-Uni, la principauté de Galles dispose d’institutions spécifiques : une Assemblée nationale (National Assembly for Wales ou Welsh Assembly) et un gouvernement local. L’Assemblée nationale n’est pas une autorité souveraine car ses pouvoirs lui sont donnés par le Parlement de Westminster en vertu d’une loi votée à Londres en 2006, le Government of Wales Act 2006 (Loi sur le gouvernement de Galles), théoriquement modifiable.
Dans un autre pays européen, la démocratisation s’est traduite par la décision d’accorder à des échelons régionaux historiques des éléments d’autonomie, ce qui pourrait évoquer une logique fédérale. Toutefois, comme l’autonomie s’est appliquée aussi aux régions à moindre profondeur historique, mais de façon inégale, il s’agit d’un système d’autonomie régionale différenciée et non de fédéralisme, formant un septième type dans la grande diversité institutionnelle européenne.
Le principe de l’autonomie régionale a été acté en Espagne par la ratification de la Constitution lors du référendum du 6 décembre 1978. L’article 2 précise : « La Constitution est fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles ». Plus loin, l’article 143 indique : « 1. Dans l’exercice du droit à l’autonomie reconnu à l’article 2 de la Constitution, les provinces limitrophes présentant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes, les territoires insulaires et les provinces constituant une entité régionale historique pourront accéder à l’autogouvernement et se constituer en communautés autonomes conformément aux dispositions du présent titre et de leurs statuts respectifs. »
Compte tenu des premiers débats postérieurs à la mort de Franco (1975), l’autonomie devait être accordée aux seules « nationalités historiques », soit la Catalogne, le Pays basque et la Galice, trois régions avec de fortes identités régionales qui s’étaient vu accorder le statut d’autonomie pendant la Seconde République espagnole (1931-1936).
Mais, alors que la Constitution était en cours de rédaction et que la possibilité de s’auto-administrer n’allait être accordée qu’à ces « nationalités historiques », l’Andalousie a aussi demandé le droit à l’autonomie, droit finalement étendu aux autres régions qui le souhaitaient. Les « nationalités historiques » se voyaient accorder l’autonomie grâce à un processus rapide et simplifié, tandis que les autres régions devaient se conformer aux exigences énoncées dans la Constitution. Selon celle-ci, une large autonomie pouvait être octroyée aux territoires répondant à l’un de ces trois critères : plusieurs provinces adjacentes ayant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes ; être des territoires insulaires ; avoir une identité régionale historique.
En effet, particulièrement en vertu de l’article 144 de la Constitution, le Parlement espagnol se réserve le droit d’« autoriser la création d’une communauté autonome dont le ressort territorial ne dépasse pas celui d’une province et qui ne réunit pas les conditions du paragraphe premier de l’article 143 », donc même s’il s’agit d’une province unique sans identité régionale historique, comme la Communauté de Madrid, qui appartenait à la région historique de Castille-La Manche. L’article 144 de la Constitution permet aussi « d’autoriser ou de garantir l’autonomie aux entités ou territoires qui ne sont pas des provinces », d’où le statut de villes autonomes à Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles en Afrique du Nord.
Bien que la Constitution ne prévît pas le nombre de Communautés pouvant être créées, le 31 juillet 1981, le Premier ministre et le chef de l’opposition au Parlement signèrent les « Premiers pactes d’autonomie » (en espagnol : Primeros pactos autonómicos) aux termes desquels ils acceptaient la création de 17 communautés autonomes et de deux villes autonomes, avec les mêmes institutions régionales, mais avec des compétences différentes. Entre 1979 et 1983, toutes les régions d’Espagne choisirent de devenir des Communautés autonomes. Même si les communautés autonomes se sont formées en se basant sur les provinces préexistantes, leurs limites correspondent sensiblement à celles des anciens royaumes et régions de la péninsule Ibérique.
Ces communautés autonomes ont d’importants pouvoirs, mais la dévolution de pouvoir aux communautés est différenciée. La Cour constitutionnelle a validé la caractère à la fois semblable et divers des communautés autonomes. Elles sont « égales » dans leur subordination à l’ordre constitutionnel, dans leur représentation au Sénat, et dans le sens où leurs différences n’impliquent pas de privilèges économiques et sociaux des unes par rapport aux autres. Néanmoins, elles diffèrent sur la façon dont elles ont acquis l’autonomie et du fait de spécificités linguistiques variées. Dans l’étendue de leurs compétences, la principale différence, de nature fiscale, concerne le Pays Basque et la Navarre car les chartes médiévales (fueros en espagnol), qui leur avaient garanti l’autonomie fiscale, furent retenues au lieu d’être « actualisées ». Les autres communautés autonomes ne bénéficient pas de l’autonomie fiscale. Une autre différence de compétence concerne la fonction policière, qui est autonome au Pays Basque et en Catalogne. En outre, les deux enclaves espagnoles en Afrique du Nord, Ceuta et Melilla, ont un statut spécial.
Toutes les communautés autonomes disposent d’un Parlement. Mais les institutions des différentes communautés autonomes (c’est-à-dire le Parlement ou l’exécutif) ont des noms propres à la Communauté. Par exemple, les institutions de Catalogne et de la Communauté valencienne sont appelées « Généralité » (Generalitat), le Parlement d’Asturies est appelé Junta General tandis que Junta ou Xunta désigne, en Galice, le bureau de l’exécutif, appelé par ailleurs « Gouvernement ».
Le nom officiel des communautés autonomes peut être indiqué exclusivement en espagnol (castillan), ce qui est le cas pour une majorité d’entre elles, exclusivement dans la langue co-officielle de la Communauté (Communauté valencienne, îles Baléares), ou à la fois en espagnol et dans la langue co-officielle (Navarre, Galice).
Outre des différences linguistiques et de compétences, la principale différence entre la notion de communauté autonome appliquée en Espagne et l’État fédéré réside dans le fait que les communautés autonomes espagnoles ne disposent pas de l’indépendance judiciaire [27]. En effet, alors qu’aux États-Unis, par exemple, les États disposent d’un ordre judiciaire chapeauté par leur propre cour suprême [28], l’Espagne possède une organisation judiciaire unique concernant les communautés autonomes et l’État central. Les tribunaux de justice sont donc compétents pour les délits relevant des lois des communautés autonomes comme pour les lois votées par le Parlement espagnol dites "d’agencement général". En conséquence, l’Espagne n’est donc pas une fédération, les communautés ne sont autonomes que dans l’aspect législatif et exécutif (Art. 148, premier alinéa). Une autre raison justifie de distinguer les autonomies régionales espagnoles du fédéralisme pratiqué ailleurs en Europe : alors que ce dernier a été fixé clairement dès un texte initial, le statut des communautés espagnoles n’est pas définitivement accepté. En particulier, la Catalogne continue de vouloir renégocier le pacte fiscal, c’est-à-dire la contribution de la Catalogne au budget espagnol, avec Madrid. Le 23 janvier 2013, le parlement catalan a adopté une déclaration stipulant que la Catalogne est un « sujet politique et juridique souverain ». Au moment où nous écrivons ce texte, la majorité politique du parlement catalan, élue lors des élections du 25 novembre 2012, semble vouloir organiser, avant le référendum écossais du 18 septembre 2014, un référendum dont la question serait : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant ? ». Une autre dispute concerne les corridas, que le parlement catalan a interdites sur son sol. Mais il se pourrait que les corridas soient déclarées par le Parlement de Madrid comme un « bien d’intérêt culturel », ce qui s’imposerait à la Catalogne. L’évolution institutionnelle de l’Espagne, mais aussi du Royaume-Uni, a d’ailleurs conduit le Parlement européen à nommer une commission chargée d’enquêter sur « les conséquences de la sécession d’un territoire d’un État membre quant à l’appartenance à l’Union européenne ».
L’inégalité constatée en Espagne dans le degré d’autonomie à l’échelon régional ne vaut pas dans les pays européens de nature fédérale que sont l’Allemagne et l’Autriche, qui présentent un huitième type d’institution régionale.
La « République fédérale d’Allemagne », dénomination précisée dès 1949, est organisée, en vertu de la loi fondamentale du 23 mai 1949, selon un mode fédéral. Depuis la réunification du 3 octobre 1990, la République fédérale d’Allemagne est composée de seize Länder. Trois d’entre eux, Berlin, Brême et Hambourg, Länder à part entière, sont des « villes-Länder » (en allemand « Stadtstaat »). Pour Hambourg et Brême, il s’agit d’un héritage du passé de ces villes qui avaient fondé la Ligue hanséatique. Pour Berlin, c’est le fruit de la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a isolé la moitié Ouest de cette ville non seulement de la partie Est où Moscou avait installé un régime communiste, mais aussi de ses périphéries Sud-Ouest, Ouest et Nord-Ouest pendant quatre décennies. Comme Berlin (892 km2), Land résultant de la réunification de Berlin-Est et Berlin-Ouest en 1990, est entouré par le land du Brandebourg (29 479 km2), qui forme une large couronne à son pourtour, les gouvernements de Berlin et du Brandebourg proposèrent en 1995 de fusionner les deux Länder pour former un nouveau Land unifié qui se serait appelé « Berlin-Brandebourg ». Mais, en 1996, la fusion est rejetée par référendum avec une géographie du vote fort différenciée. Les berlinois de l’Ouest votent majoritairement pour la fusion, mais ceux de l’Est [29] ainsi que les électeurs du Brandebourg votent contre. Au total, les « oui » l’ont emporté à Berlin avec seulement 53,6 % mais les « non » sont largement majoritaires au Brandebourg avec 62,7 %. Ce référendum témoigne de la réalité fédérale de l’Allemagne puisque ce n’est pas le Parlement fédéral qui peut se prononcer et, donc, décider d’une éventuelle fusion de Länder.
Verfassung, Landtag, Landesregierung... de quoi s’agit-il ?
Chacun des Länder allemands est doté de sa propre Constitution (Verfassung), dispose d’un Parlement (Landtag) et d’un gouvernement (Landesregierung). Même si les Länder ont la responsabilité de faire respecter les décisions fédérales sur leur territoire, leurs pouvoirs sont vastes. En particulier, ils ont autorité sur les communes et la possibilité d’effectuer des réformes territoriales [30].
Les Länder participent aussi à l’élaboration de la législation fédérale via leurs représentants à la seconde chambre du Parlement, le Bundesrat. Le système fédéral allemand se différencie sur deux points d’autres États fédéraux comme les États-Unis. D’une part, le nombre de représentants des Länder au Bundesrat varie de trois à six en fonction de la population du Land, alors que les entités fédérées états-uniennes ont un nombre égal de représentants au niveau fédéral, quel que soit leur nombre d’habitants [31]. D’autre part, les deux sénateurs élus d’un État américain peuvent émettre des votes différents, alors les représentants d’un Land émettent au Bundesrat un vote identique, au nom du parti ou de la coalition majoritaire qui gouverne le Land.
Un autre pays européen est incontestablement de nature fédérale : l’Autriche, qui compte neuf Länder. Son caractère fédéral est affirmé dans l’article 1er de la Loi constitutionnelle fédérale du 1er octobre 1920 « (1) L’Autriche est un État fédéral ». Quant à l’article 2, il énonce la liste des Länder ou Bundesländer : « L’État fédéral est formé de Länder autonomes : Basse-Autriche, Burgenland, Carinthie, Haute-Autriche, Salzbourg, Styrie, Tyrol, Vienne et Vorarlberg. »
Le pouvoir de réforme territoriale est partagé entre les Länder et l’État fédéral comme l’indique l’article 3 de la Constitution : « (1) Le territoire fédéral se compose des territoires des Länder. (2) Une modification du territoire fédéral qui représente en même temps une modification du territoire d’un Land, ainsi qu’une nouvelle délimitation d’un Land au sein du territoire fédéral ne peuvent s’effectuer - hormis les traités de paix - que sur la base de lois constitutionnelles ».
Le pouvoir législatif des Länder est exercé par les Diètes. Six des neuf États autrichiens, la Basse-Autriche, la Haute-Autriche, la Carinthie, la Styrie, le Tyrol et Salzbourg, existent déjà sous une forme ou une autre depuis le Moyen Âge, sur un territoire non nécessairement identique. La Haute et la Basse-Autriche correspondent à peu près aux deux parties autonomes de l’archiduché d’Autriche, la principauté qui formait le cœur historique de l’Empire. Salzbourg correspond à l’archidiocèse de Salzbourg. La Carinthie est l’héritière du duché de Carinthie, la Styrie du duché de Styrie et le Tyrol du comté du Tyrol. Mais ces trois Länder ont une superficie réduite par rapport à leurs limites historiques, car ils ont dû céder des parties de leur territoire à l’Italie et à la Yougoslavie après la Première Guerre mondiale. Le Vorarlberg est issu d’une entité semi-autonome du comté du Tyrol jusqu’en 1918. Le Burgenland est créé en 1921 à partir de zones essentiellement germanophones de Hongrie, cédées à l’Autriche après les traités de Trianon et de Saint-Germain-en-Laye. Enfin, le Land de Vienne résulte d’une séparation de la Basse-Autriche en 1922.
Chaque Land autrichien possède un Parlement élu, le Landtag, un gouvernement, le Landesregierung, et un gouverneur élu par le Landtag, le Landeshauptmann ou la Landeshauptfrau. La Constitution des Länder détermine, entre autres, la répartition des sièges au gouvernement entre les différents partis, la plupart des Länder ayant un système de représentation proportionnelle basée sur le nombre de délégués au Landtag.
Comparativement à d’autres États fédéraux comme l’Allemagne ou les États-Unis, les États autrichiens ont des compétences moins étendues, car l’État fédéral compte d’importantes compétences (éducation, santé, télécommunications, etc.). En outre, les États autrichiens n’ont aucune compétence judiciaire.
L’échelon régional en Europe se trouve complexifié de façon singulière par un autre pays dans la mesure où son évolution institutionnelle a débouché sur ce que nous appellerons un « double fédéralisme », formant un neuvième type d’institution régionale.
À sa création en 1830, le royaume de Belgique ne se constitue nullement selon une logique fédérale. Le pays est certes plurilingue, mais le français, pratiqué à la fois par les francophones et la bourgeoise flamande, domine la vie politique. Puis, au fil des décennies, des tensions montent entre les flamands et les francophones et la langue flamande devient une langue officielle à la fin du XIXe siècle. La confrontation linguistique devient très vive en 1961, année où les bourgmestres flamands refusent l’organisation du recensement linguistique qui aurait pu entraîner le changement de statut linguistique de plusieurs communes sous l’effet de l’arrivée de migrants francophones.
Cette confrontation débouche en 1963 sur l’adoption de lois linguistiques [32] qui aboutissent à la fixation quasi définitive d’une frontière linguistique encadrant très strictement la territorialité de chaque langue. Ainsi les prémices de l’institutionnalisation d’un premier fédéralisme, de nature linguistique, sont posées. Puis la poursuite de tensions intercommunautaires, marquées par des épisodes parfois violents, conduit à conforter ce premier fédéralisme et à en instituer un second, fondé sur un découpage territorial régional. Le caractère dual du fédéralisme belge se trouve acté dès les premiers articles de la Constitution du 17 février 1994. L’article 1 énonce un « double fédéralisme » : « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions » ; l’article 2 précise le fédéralisme linguistique : « La Belgique comprend trois communautés : la Communauté française, la Communauté flamande [33] et la Communauté germanophone » ; l’article 3 institue le fédéralisme régional : « La Belgique comprend trois régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise ». L’application territoriale du fédéralisme linguistique et du fédéralisme régional conduit aux précisions suivantes dans l’article 4 : « La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande ». Ces quatre régions linguistiques délimitent les territoires avec des langues officielles différentes, mais trente communes, situées près des frontières linguistiques et comprenant une minorité linguistique historique, sont appelées communes « à facilité ». Ceci signifie qu’elles peuvent pratiquer un unilinguisme des services internes (l’administration y travaille dans une seule langue), mais qu’elles doivent appliquer un bilinguisme externe (l’administration utilise deux langues dans ses relations avec le public).
Pour mieux comprendre le fédéralisme linguistique, précisons quelques données sachant que la population de la Belgique est donc composée de trois groupes linguistiques. Les néerlandophones, estimés dans les années 2010 à 58 % de la population, habitent principalement en Région flamande. Il existe également des minorités néerlandophones plus ou moins importantes au sein des communes de la Région de Bruxelles-Capitale et en Région wallonne dans les communes « à facilités ». Les francophones, 41 % de la population belge, sont répartis principalement entre les habitants des communes francophones situées en Région wallonne (quatre cinquièmes du total des francophones) et ceux de la Région de Bruxelles-Capitale (20 % des Belges francophones). S’ajoute une minorité francophone en Région flamande où certaines communes, situées dans l’ex-arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde, dont la scission a été décidée dans les années 2000, sont d’ailleurs majoritairement francophones. Les germanophones, moins de 1 % de la population, soit environ 70 000 personnes, habitent dans 9 communes situées le long de la frontière allemande et appartenant à trois cantons annexés en 1918. La communauté allemande, dont les membres sont souvent traités « d’enfants gâtés de la Belgique », a pour capitale Eupen.
La bonne compréhension du « double fédéralisme » belge suppose de distinguer les compétences des communautés et des régions. Concernant les communautés, leurs pouvoirs sont précisés dans l’article 127 de la Constitution : « § 1er. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret : 1° les matières culturelles ; 2° l’enseignement, à l’exception : a) de la fixation du début et de la fin de l’obligation scolaire ; b) des conditions minimales pour la délivrance des diplômes ; c) du régime des pensions ».
Les communautés sont donc des collectivités politiques fédérées autonomes compétentes en matière d’enseignement, de culture, de politique de santé, d’aide aux personnes et, sauf à Bruxelles, d’emploi des langues. Depuis la fédéralisation de la Belgique, les trois communautés sont représentées par des collectivités politiques fédérées ayant des compétences dans quatre grands domaines : l’enseignement, la culture, les matières dites personnalisables ainsi que l’emploi des langues dans l’enseignement, dans l’administration et dans les relations sociales entre les employeurs et leur personnel (sauf pour la communauté germanophone, à l’égard de laquelle l’emploi des langues en matière administrative et dans les relations sociales demeure une compétence fédérale). Ces institutions ont leur propre parlement et leur propre gouvernement.
Quant aux régions, elles disposent d’une autonomie étendue, en particulier dans les domaines de l’économie, de l’emploi, de l’aménagement du territoire, de l’agriculture, des travaux publics, du logement, du tourisme, de l’énergie, de l’environnement, des voies navigables, des eaux et forêts, de la tutelle sur les pouvoirs subordonnés, de la politique familiale, des handicapés, du troisième âge... Les régions détiennent aussi des pouvoirs sur l’aide aux personnes, l’enseignement (bâtiments, transports scolaires) ou le patrimoine.
Chaque région possède son gouvernement et son Parlement. Le fédéralisme belge est bâti sur le concept de l’équipollence des normes, principe d’organisation d’un État fédéral selon lequel chaque entité constitutive est souveraine dans le cadre de ses compétences particulières telles que celles-ci sont fixées par les textes fondamentaux de l’État fédéral, sans qu’une entité fédérale ait la possibilité d’exercer une quelconque autorité sur les entités fédérées, en dehors, le cas échéant, de certains cas exceptionnels limitativement déterminés. Cela signifie que, de manière générale, le niveau de pouvoir fédéral (belge) n’a aucune préséance par rapport aux entités fédérées pour ce qui concerne les compétences relatives de chacun des niveaux de pouvoir. Ainsi, un « décret », loi votée par un Parlement régional dans le domaine des compétences régionales, ne peut être contredit par une loi belge. De plus, comme les compétences des entités fédérées leur sont exclusives (sur leur territoire), une même compétence ne peut pas être détenue à la fois par les entités fédérées et par l’État belge.
Les notions de région et de communauté se recouvrent-elles ? Du côté flamand, la Région et la Communauté n’ont pas fusionné à proprement parler, mais la Région flamande n’a jamais été « organisée ». Ses compétences sont exercées par la Communauté flamande, ce qui justifie le choix de Bruxelles comme capitale où siègent les instances de la Communauté flamande et donc, ipso facto, de la région flamande. La Communauté flamande comprend des députés élus de la région géographique flamande et des députés flamands élus par des Flamands habitant la région de Bruxelles-capitale. Lorsqu’une question à l’ordre du jour du Parlement flamand ne concerne que la région flamande, ce qui est peu fréquent, les députés bruxellois sortent de l’hémicycle.
Du côté francophone, l’idée d’instances communes entre la région wallonne et la Communauté francophone n’a pas été retenue. Il est vrai que le nombre d’habitants de la région Bruxelles-capitale, qui compte onze communes appartenant à la Communauté francophone, est bien plus élevé que celui appartenant à la Communauté flamande. Dès lors, les Wallons n’ont pas souhaité que ces Bruxellois de la Communauté francophone puissent participer aux débats concernant la Région Wallonne. La solution arrêtée du côté francophone est donc inverse de celle de la partie flamande. En effet, la Communauté française a transféré certaines de ses compétences à la Région Wallonne et à la Commission Communautaire Française (COCOF) de la région Bruxelles-capitale.
Le double fédéralisme constitutionnel de la Belgique s’inscrit donc dans un écheveau institutionnel nullement originel, mais produit par un long processus de différenciation institutionnelle qui n’a pourtant pas totalement apaisé les tensions intercommunautaires.
Enfin, il convient de considérer la Suisse. Certes, ce pays n’est pas membre de l’Union européenne mais ses caractéristiques sont indiquées dans de nombreuses publications de l’Union européenne, dans la mesure où de nombreux accords, comme l’appartenance de la Suisse à l’espace Schengen, marient ce pays à l’Union et ce, malgré le rejet d’une adhésion à l’Espace économique européen (EEE) par référendum du 6 décembre 1992.
Après la naissance de la Confédération suisse par l’acte de Médiation de 1803 et le congrès de Vienne de 1815, la Constitution de 1848 reconnut à tous ses États appelés cantons, aujourd’hui au nombre de 26 [34], un égalitarisme politique et une large autonomie. La superficie des cantons varie entre 37 et 7 105 km2 et leur population va de moins de 20 000 à 1 300 000 habitants.
La Constitution fédérale garantit l’autonomie de chaque canton : ces derniers prélèvent des impôts et adoptent des lois dans tous les domaines qui ne relèvent pas de la compétence de la Confédération. Parmi les domaines gérés uniquement au niveau cantonal, citons par exemple l’éducation (sauf les deux écoles polytechniques fédérales et la Haute école fédérale de sport de Macolin), la gestion des hôpitaux (sauf les hôpitaux communaux et privés), la construction et l’entretien de la majorité des routes (sauf les autoroutes et routes nationales) et la police (contrairement à l’armée), d’autres charges sociales ou encore le contrôle de la fiscalité. Les cantons ont tous leur propre parlement et leur gouvernement. La répartition des compétences entre la Confédération et les cantons est formalisée dans la Constitution fédérale, qui précise les limites de leurs souverainetés respectives. Certaines compétences sont attribuées explicitement aux cantons ou à la Confédération. Le caractère confédéral de la Suisse tient notamment à ce que, depuis l’origine, ce qui n’est pas explicitement délégué à la Confédération est du ressort des cantons. Toutefois, la souveraineté des cantons est limitée par le principe de la primauté du droit fédéral. Les cantons sont tenus d’appliquer non seulement leur droit cantonal, mais aussi le droit fédéral [35].
AINSI, l’analyse des types d’échelon régionaux débouche sur pas moins de dix types selon les pays européens et sur deux enseignements. D’une part, on ne peut parvenir à une définition consensuelle du contenu institutionnel du terme « région ». D’autre part, malgré la généralisation du fait régional en Europe, par suite du souci politique du développement interterritorial, des obligations de la politique régionale communautaire, de la recréation de régions, de décisions de régionalisation ou de dévolution, on ne peut donc pas observer de convergence institutionnelle. Le seul élément commun au fait régional dans tous les pays de l’Union européenne est d’ordre socio-économique : rendre possible des convergences dans les politiques publiques, c’est-à-dire au plan de l’action et non plus des institutions.
L’extrême diversité institutionnelle des régions en Europe peut être résumée en trois types. Le premier concerne des pays dont la régionalisation est seulement administrative, c’est-à-dire où il n’y a pas d’élections régionales conduisant à l’existence d’élus régionaux disposant d’une légitimité démocratique. À l’opposé se trouvent des pays dont l’organisation régionale sous forme autonome, fédérale ou confédérale, est originelle dans la mesure où elle a été instaurée dès la date initiale de mise en œuvre d’une Constitution démocratique. Entre ces deux types opposés, se trouvent des pays ayant entrepris un processus de régionalisation politique, c’est-à-dire de transferts des compétences nationales à des élus à l’échelon régional. Toutefois, ce processus est d’intensité inégale selon les pays. Il n’est pas non plus continu dans la mesure où des pays en processus de régionalisation peuvent parfois prendre des décisions de recentralisation. Par exemple, la grande régionalisation française de 1982 a été suivie des décisions de renforcement de la régionalisation, mais aussi de décisions relevant de ce que j’ai appelé une « régionalisation centralisée » [36] quand il ne s’agit pas d’une recentralisation [37]. Le phénomène est semblable en Espagne, où la trop grande autonomie financière des communautés autonomes a engendré pour certaines d’entre elles un endettement excessif. C’est pourquoi, dès les années 2010, le pouvoir central a souhaité limiter les possibilités d’endettement de ces communautés.
Ainsi, l’organisation régionale de l’Union européenne est contradictoire. D’une part, les régions, quelle que soit leur nature, bénéficient de façon égale du cadre réglementaire communautaire de la politique régionale de l’Union européenne et, à ce titre, sont traitées comme si elles étaient semblables. D’autre part, l’examen des Constitutions et des réglementations nationales des différents pays européens montrent qu’elles ne s’alignent nullement sur un mode institutionnel identique. La question régionale en Europe entre donc dans le respect du principe de subsidiarité, reconnu implicitement sur cette question dans le nouvel article 4.2 TUE issu du traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 : « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale... ». Cet article a ainsi enterré la résolution du Parlement européen de 1988 sur la régionalisation, qui entendait promouvoir un modèle fondé sur les débuts des expériences espagnoles, italiennes et belges. Le Conseil de l’Europe n’est pas davantage parvenu à faire aboutir son projet de Charte européenne de l’autonomie locale [38].
En ajoutant aux considérables différences institutionnelles de l’échelon régional les très importantes variétés en nombre d’habitants comme en superficie, il apparaît clairement que la compréhension de la diversité des régions d’Europe rend impérative la prise en compte des fondements historiques explicatifs de leurs périmètres comme de leur nature institutionnelle.
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[1] Eurostat publie désormais ses études exclusivement en langue anglaise même si la langue française demeure avec la langue allemande pour certains communiqués de presse.
[2] Cette nomenclature concerne d’autres pays que ceux de l’Union européenne, dont ceux de l’Espace économique européen non membres de l’Union (Islande, Liechtenstein et Norvège) et la Suisse.
[3] La superficie moyenne des 16 Länder de l’Allemagne est de 22 313 km².
[4] Sur les motivations de création et les caractéristiques du Comité des régions, cf. Dumont, Gérard-François, Les régions et la régionalisation en France, Paris, Éditions Ellipses, 2004.
[5] À Bruxelles, dans les mêmes locaux que ceux du Comité économique et social européen, un bâtiment très proche du Parlement européen dénommé « Jacques Delors », du nom de l’ancien Président de la Commission.
[6] Page cor.europa.eu/fr/Pages/home.aspx consultée le 8 mars 2013.
[7] Cf. le chapitre « Europe », GRALE et Marcou, Gérard (direction), Premier rapport mondial sur la décentralisation et la démocratie locale, Cités et gouvernements locaux unis, Barcelone, Éditions L’Harmattan, Paris, 2008 ; Marcou (Gérard), « Les régions entre l’État et les collectivités locales. Étude comparative de cinq États européens à autonomies régionales ou à constitution fédérale (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni) », Travaux et recherches du Centre d’études et de prévision, Ministère de l’intérieur, Paris, 2003 ; Idem, « Région et régionalisation dans l’État unitaire en Europe », dans : Gamas Torruco, José, Valadés, Diego et Julien-Laferrière, François, Millard, Éric (direction), Idées et institutions constitutionnelles au XXe siècle, 2007, Ed. Universidad Nacional Autónoma de México / Université Paris 11, 2010 ; Marcou, Gérard, « Le représentant territorial de l’État et le fait régional dans les États européens », Revue française d’administration publique, n° 135, 2010.
[8] La superficie moyenne des 12 provinces des Pays-Bas est de 3 500 km2.
[9] Dumont, Gérard-François et alii, Les racines de l’identité européenne, Paris, Éditions Economica, 1999.
[10] Lois de 1994 et 2006.
[11] Marcou (Gérard), La régionalisation en Europe : situation et perspectives d’évolution dans les États membres de l’Union européenne et dans les États d’Europe centrale et orientale candidats à l’adhésion, Rapport pour le Parlement européen, février 2000, REGI 108 ; Idem, Les structures régionales dans les pays candidats et leur compatibilité avec les fonds structurels (Europe centrale et orientale), Rapport au Parlement européen, Luxembourg, Parlement européen, Direction générale des études, STOA 105 FR, septembre 2002.
[12] La Silésie est une région qui s’étend sur trois États : la majeure partie est située au sud-ouest de la Pologne, à laquelle s’ajoute une partie en République tchèque et une petite partie en Allemagne.
[13] Les entités inférieures sont les districts (powiat) comprenant chacun un certain nombre de communes (gmina).
[14] Dumont, Gérard-François, Les régions et la régionalisation en France, Paris, Éditions Ellipses, 2004.
[15] Mais à fort fondement historique ; cf. Dumont, Gérard-François, « Les régions en France : posture ou imposture », dans : Nonjon, Alain (direction), Grands débats d’aujourd’hui, 150 questions de société, Paris, Ellipses, 2009.
[16] Pensons au Génie rural dans le développement de l’agriculture, aux Ponts et Chaussées dans les infrastructures, même si ces deux corps, réorganisés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) RGPP, constituent depuis le 1er octobre 2009 un corps unique dénommé ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (IPEF).
[17] Planhol, Xavier de, Géographie historique de la France, Paris, Fayard, 1987.
[18] Sur l’analyse juridique de ce texte, cf. Pissaloux Jean-Luc, « Réflexions sur l’expérimentation normative », Droit administratif, novembre 2003 ; Pontier Jean-Marie, « La loi organique relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales », AJDA, 29 sept. 2003.
[19] Dumont, Gérard-François, « Pour une évaluation des politiques territoriales », dans : Saint-Étienne, Christian - Datar, Mobiliser les territoires pour une croissance harmonieuse, Paris, La Documentation française, 2009 ; « Quels scénarios pour les régions ? », Inter Régions, la revue des agences de développement et des comités d’expansion, n° 289, mars-avril 2010.
[20] « La réforme régionale en Italie - Un exemple de décentralisation », compte rendu de la mission effectuée à Rome et à Palerme du 17 au 20 juin 2002 par une délégation du groupe interparlementaire France-Italie du Sénat, Paris, Sénat, 2002.
[21] Article 116 de la Constitution italienne.
[22] Le séparatisme sicilien est alors soutenu par une population insatisfaite, par de grands propriétaires terriens escomptant freiner toute réforme sociale, mais aussi par la Mafia, comme l’attesta le mouvement de lutte armée dirigé par Salvatore Giuliano, « patron » de la zone de Palerme de 1944 à 1950.
[23] Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.
[24] Archipel ayant eu un rôle d’escale pour la navigation aérienne entre l’Europe et l’Amérique jusqu’au début des années 1960.
[25] La France n’entre pas dans cette logique puisque la régionalisation y provient essentiellement du pouvoir central. Le seul cas où des tensions géopolitiques internes expliquent des transferts de compétences accrues à une région périphérique est celui de la Corse. Et encore, cette dernière a repoussé un degré supplémentaire d’autonomie par référendum du 6 juillet 2003 sur la réforme du statut de l’île : le « non » l’emporte avec 50,98 % des voix contre 49,02 % pour le « oui ». La réforme proposait notamment une fusion des deux conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud au sein d’une collectivité territoriale unique. Mais le résultat de ce référendum tient au vote des deux principales villes corses, Ajaccio et Bastia, qui ont voté respectivement « non » à 52 % et 70 % alors que la Corse rurale a voté oui.
[26] Leparmentier, Arnaud, « Le prince Charles peut garder son kilt », Le Monde, 28 mars 2013. Une Écosse indépendante disposerait d’une zone économique exclusive comprenant la quasi-totalité des ressources britanniques en hydrocarbures qui, rappelons-le, se trouvent off shore.
[27] Art. 149 de la Constitution alinéa 5 et art. 150.
[28] En application du Titre VIII de la Constitution.
[29] Paradoxe, puisqu’il n’y a pas eu de rideau de fer entre Berlin-Est et le Brandebourg pendant les 40 années du régime communiste de la république démocratique allemande (RDA).
[30] Sur la diversité des réformes territoriales selon les Länder, cf. Dumont, Gérard-François, « Mythes et réalités de l’aménagement du territoire en Allemagne », La Revue des Deux Mondes, juillet-août 1995 ; « L’aménagement du territoire en Allemagne et en France », Allemagne d’aujourd’hui, janvier-mars 1996
[31] Dumont, Gérard-François, « Une question éminemment géopolitique : le recensement décennal aux États-Unis”, Géostratégiques, n° 29, 4e trimestre 2010.
[32] Notamment la loi du 30 juillet 1963 concernant le régime linguistique dans l’enseignement et les lois du 18 juillet 1966 sur l’emploi des langues en matière administrative.
[33] Notons que la Constitution utilise l’adjectif flamand et non néerlandophone.
[34] Les vitraux du dôme du palais fédéral de Berne représentent les 25 cantons. Le canton du Jura, créé en 1978 seulement, y est représenté à part.
[35] Résultant notamment des cotations (référendums), à l’instar de la votation de mars 2012 modifiant la Constitution sur la question de la lutte contre les « lits froids » à la suite de l’initiative intitulée « Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires ». Il en résulte qu’aucune commune suisse ne sera autorisée à compter plus de 25 % de résidences secondaires parmi ses logements. Les appart-hôtels ne sont pas concernés.
[36] Dumont, Gérard-François, « Quels scénarios pour les régions ? », Inter Régions, la revue des agences de développement et des comités d’expansion, n° 289, mars-avril 2010.
[37] Cf. par exemple Dumont, Gérard-François et Wackermann, Gabriel, Géographie de la France, Paris, Éditions Ellipses, 2002.
[38] Pour une présentation de la Charte : Williams-Riquier (Patrice), « La Charte européenne de l’autonomie locale : un instrument international pour la décentralisation », Revue française d’administration publique, 2007, n° 121-122, p. 191-202.
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