Dans ses projections mondiales pour 2016, le FMI prévoit que tous les pays avancés seront individuellement en croissance – une première depuis 2007, alors que la croissance des économies émergentes et en développement continuerait de décélérer pour la cinquième année consécutive.
Cependant, un spectre continue de hanter les vieilles puissances économiques, sans épargner désormais les économies émergentes, un spectre aux multiples apparences : déflation, stagnation séculaire, saving glut , désendettement, lowflation , new normal , etc. Ce sont là les symptômes d’un malaise qui étreint la plupart des pays, alors que l’économie mondiale peine toujours à s’extraire des effets de la « grande récession » de 2008-2009 et que persistent les menaces de reprise des délétères séquences – marasme économique, troubles sociaux, paralysie politique, tensions géopolitiques – qui ont suivi la Grande Dépression des années 1930.
Les craintes de déflation proprement dite, vives à l’hiver 2014-2015 mais apaisées ensuite dans les pays avancés sinon dans les pays émergents [1], ont été ravivées par la dégradation des perspectives de l’économie chinoise. De fait, en restant au plan économique, les indices inquiétants abondent : langueur de la reprise des économies développées ; persistance du chômage de masse dans plusieurs pays européens ; découragement durable des travailleurs marginaux outre-Atlantique ; inflation nulle dans la zone euro, négative en Suisse et au Japon, et inférieure à l’objectif de la Banque centrale aux Etats-Unis et dans plusieurs autres pays ; stagnation voire baisse des salaires réels et parfois nominaux ; inertie de l’investissement des entreprises en dépit d’un niveau de profits et de cours de bourse historiquement élevés. Les pays émergents ne sont guère mieux lotis : la plupart souffrent de l’épuisement de leur modèle de croissance et peinent à trouver de nouvelles sources de dynamisme durable.
Le signal le moins troublant n’est pas la baisse des taux d’intérêt à des niveaux sans aucun précédent historique s’agissant des taux sur les emprunts d’Etat à moyen et à long terme, nuls voire négatifs dans de nombreux pays européens, pays du cœur de la zone euro, comme l’Allemagne et la France, et pays hors de la zone euro, comme la Pologne ou la Suisse.
Le Japon, le pays des "décennies perdues", offre l’exemple-type, répulsif et fascinant, de la déflation moderne, des erreurs de politique qui l’ont enclenchée, des difficultés à en sortir, de ses effets plutôt indolores sur le niveau de vie et le bien-être d’une population vieillissante et en déclin, mais aussi de son impact géopolitique négatif, en raison de la perte de stature autant que de statut que la déflation provoque.
Le débat sur les causes du malaise et sur les politiques à mener pour en sortir est particulièrement nourri outre-Atlantique bien que le malaise et la mélancolie qui l’accompagnent soient plutôt européens. Il fait écho, ce n’est pas fortuit, à des réflexions formulées dans le sillage de la grande dépression. Comme à cette époque, et au-delà du consensus sur le rôle du vieillissement de la population, il met aux prises des opinions contrastées. Les unes, d’inspiration classique, mettent l’accent sur les « vents contraires » qui freinent irrémédiablement la croissance potentielle. Les autres, plutôt keynésiennes, insistent sur l’insuffisance de la demande et le risque de retour à une situation de « stagnation séculaire », sans que s’esquissent à ce stade les termes d’un nouveau paradigme, porteur d’une nouvelle synthèse.
Les craintes de la déflation ou du retour de la stagnation séculaire ont produit des effets dans le monde réel. En dépit de la baisse des taux d’intérêt, qui assouplit les contraintes de soutenabilité de la dette, les Etats, contraints par le niveau historiquement sans précédent de l’endettement légué par les politiques de lutte contre la grande dépression, sont empêchés de mener les politiques de stimulation budgétaire de la demande qui seraient optimales en pareilles circonstances.
Le soutien à l’activité repose sur les politiques non-conventionnelles des banques centrales. Celles-ci ont agi comme si elles étaient confrontées au risque d’une trappe à liquidité, situation dans laquelle la politique monétaire conventionnelle perd toute efficacité. Après des décennies d’efforts pour juguler l’inflation, les banques centrales mènent aujourd’hui, et probablement pour longtemps, des politiques monétaires visant à porter l’inflation au moins jusqu’à des niveaux (2 à 3%) jugés nécessaires pour "graisser les rouages" et faciliter les ajustements de prix relatifs sans imposer des baisses de prix nominaux.
Les banques centrales ont réussi à endiguer les risques de déflation profonde, type années 1930, mais non sans dommages collatéraux pour les économies nationales (excès de liquidité favorisant les bulles sur les prix des actifs mobiliers et immobiliers), pour l’économie internationale (effets de débordement des politiques nationales sur les changes et les prix d’actifs des pays tiers), et pour la coopération internationale (primauté des objectifs de croissance nationale, perte d’appétit pour la coordination des politiques).
La période actuelle favorise le repli sur le marché domestique, éventuellement prolongé par la promotion de regroupements préférentiels. Les exemples abondent. À l’initiative de pays avancés : TTP en Asie-Pacifique, TTIP entre les Etats-Unis (EU) et l’Union européenne (UE) ; même l’UE, région phare de l’intégration, semble tentée par le remodelage (Brexit, Grexit, réflexions sur des groupes pionniers restreints mais plus soudés à l’intérieur de la zone euro (ZE). A l’initiative de pays émergents : Banque des Brics, AIIB, Route de la soie, Union eurasiatique, etc.
On sait que l’intensification des relations économiques n’a pas suffi dans le passé à contenir les tensions politiques et à prévenir les conflits armés entre nations. Il reste à espérer que les nouveaux dérèglements de l’économie mondiale ne joueront pas comme facteurs d’aggravation des tensions géopolitiques.
Manuscrit clos le 2 novembre 2015
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[1] Voir Artus, Patrick (2015), « Le monde est-il en train d’entrer en déflation ? », Flash Economie, n° 611, Natixis, 24 juillet.
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