Dans le cadre de ses synergies géopolitiques le diploweb.com est heureux de présenter un entretien avec le général de corps d’armée Benoît Puga publié dans le n°143 de Défense, revue mensuelle de l’UNION - IHEDN, janvier - février 2010, pp. 8-13.
Au moment de cet entretien, le général B. Puga était Directeur du renseignement militaire (France). Par arrêté du 5 mars 2010, du Président de la République, le général de corps d’armée Benoît Puga a été nommé chef de l’état-major particulier du président de la République.
Défense : Sans refaire tout l’historique, depuis la création de la DRM, mon général, comment avez-vous vu cette maison évoluer et à travers cette évolution, comment concevez-vous son rôle, autrement dit, votre cœur de mission à sa tête aujourd’hui ?
Général Benoît Puga : La DRM comme vous le savez a été créée en 1992, à l’issue de la première guerre du Golfe, à l’occasion de laquelle il avait été constaté un manque dans le domaine du renseignement, notamment d’environnement. Dans le contexte de la guerre froide la menace principale venait de l’Union soviétique, et le renseignement militaire était donc centré sur la connaissance des matériels et de l’organisation militaire de l’adversaire. En revanche, la connaissance de l’environnement, du contexte politico-militaire et politico-économique (notamment l’industrie d’armement) était jugée insuffisamment prise en compte pour faire face aux nouvelles formes d’engagement auxquelles étaient confrontées les armées françaises. En 1992, la décision a donc été prise de créer la DRM, la direction du renseignement militaire. Comme l’indique le décret, sa vocation est d’être un organisme interarmées de renseignement d’intérêt militaire à la fois pour informer les plus hautes autorités de l’État et bien sûr le haut commandement militaire du contexte politico-militaire de l’engagement, et de participer directement à l’appui aux opérations dans lesquelles les forces armées françaises sont engagées. Il s’agit de contribuer en amont à la capacité d’anticipation et à l’autonomie d’appréciation stratégique de situation de nos autorités, et, le cas échéant, de participer à la définition d’options stratégiques à proposer au président de la République par le CEMA. Ensuite si un engagement est décidé, il s’agira d’accompagner les forces sur le terrain, en fournissant à temps et au bon destinataire un renseignement adapté.
Depuis, cette mission s’est bien entendu affermie. Aujourd’hui, la direction du Renseignement militaire est réellement « tête de chaîne » pour employer un terme qui, à mon sens, décrit bien la situation. Je suis responsable de la cohérence d’ensemble de la manœuvre du renseignement d’intérêt militaire au profit des hautes autorités civiles politiques et du haut commandement militaire ainsi que de tous les commandants d’opérations. Cela signifie que la DRM travaille au niveau stratégique et au niveau du théâtre. Elle coordonne l’action des moyens renseignement de chacune des armées, pour que du niveau stratégique au niveau tactique, ou dit d’une autre manière, du président de la République et du CEMA jusqu’au grenadier-voltigeur engagé aujourd’hui dans la vallée de la Kapisa, l’ensemble des moyens de renseignement et nos personnels qui participent à la collecte et à l’analyse de ce renseignement agissent de façon cohérente et complémentaire. Voilà le rôle de la DRM. C’est un rôle spécifique. Notre mission réelle est de nous concentrer sur les aspects militaires de ce renseignement. Bien sûr, le renseignement d’intérêt militaire est une notion plus large, qui englobe également des aspects politiques, économiques, sociaux, mais seulement lorsqu’ils ont un intérêt par rapport à l’action militaire.
Défense : Avant de parler du continuum avec les autres acteurs, hormis le renseignement d’environnement, quelle typologie des différents niveaux de renseignement établissez-vous ?
Général Benoît Puga : Le renseignement d’intérêt militaire recouvre deux grands domaines d’action. D’une part, la veille stratégique : anticiper les événements pour mieux les prévenir et appeler l’attention ou donner un signal d’alerte aux autorités, en indiquant qu’à tel ou tel endroit du globe peut se produire une crise. Donc, anticiper les mesures de précaution ou qui pourraient conduire au règlement de cette crise avant qu’elle ne se déclare. Cette analyse se fait de façon concentrique, en partant d’abord de la partie militaire pour l’élargir ensuite aux domaines qui peuvent avoir une influence directe sur la situation sécuritaire.
D’autre part, ce que l’on appelle l’appui aux opérations : une fois que l’engagement est décidé, il faut l’accompagner, et donc fournir un appui renseignement aux états-majors et aux forces concernés en planification puis en conduite.
Dans ces deux domaines, la complémentarité avec les autres services prend toute sa place. Dans leurs domaines de compétence respectifs, ils appuient en effet la DRM dans son action, le renseignement fourni nous permettant en retour d’orienter nos capteurs de manière plus précise.
Défense : Le livre blanc, avec la fusion DST-RG et la création de la DCRI, a passablement bousculé l’édifice, qui nécessite aujourd’hui un nouveau continuum entre la DCRI, la DGSE et la DRM. Pour une meilleure complémentarité et pour gagner en efficacité, vers quelle organisation doit-on tendre ?
Général Benoît Puga : Cela s’organise de façon très claire en fonction des périmètres d’attribution de chacun des services. La coordination de l’ensemble est assurée par le coordonnateur national du renseignement, qui a pour mission principale de hiérarchiser les priorités politiques, de répartir et de coordonner les efforts, ainsi que de s’assurer de la cohérence en termes de ressources humaines et de programmation générale.
La DRM est, pour ce qui la concerne, directement responsable du recueil, de l’analyse et de la diffusion du renseignement d’intérêt militaire (le RIM), qui, par essence, est tourné vers l’extérieur du territoire national.
Elle est dans le cadre de sa mission amenée à coopérer au quotidien avec les autres services de renseignement.
Sur certaines thématiques d’abord, comme par exemple le terrorisme. En effet, si la DGSE et la DCRI sont responsables de cet aspect du renseignement respectivement à l’extérieur et sur le territoire national, il est évident que cette question concerne également directement les armées, en particulier en raison du risque que représente le terrorisme pour les forces déployées en opérations ou à l’étranger. Dans ce cadre, les services coopèrent de la manière la plus transparente avec la DRM. En retour, nous les faisons bénéficier de notre expertise, par exemple dans les domaines de l’armement, des munitions et des explosifs ou des réseaux de type militaire.
Dans certains domaines techniques également, comme les écoutes. Les équipements et les qualifications des personnels sont souvent identiques (notamment les linguistes). Nous avons donc tout intérêt à mutualiser ces ressources, même si ensuite les « cibles » et le renseignement recherché diffèrent.
Défense : Les conflits post guerre froide sont des conflits asymétriques, des conflits sans armées, sans foi ni lois. Compte tenu de la complexité de ces théâtres et de votre connaissance de cet environnement, il est clair que le rôle de la DRM est devenu encore plus important. Est-il pour autant organiquement lié à l’emploi de forces spéciales ou d’autres moyens très adaptés à ces nouveaux types de conflits ?
Général Benoît Puga : Je pense très sincèrement que tout ceci est très complémentaire. Il faut se méfier de lâcher la proie pour l’ombre par rapport à ce que j’appellerai des effets de mode. En effet, je considère que l’essentiel réside dans la complémentarité des moyens et des actions : actuellement, à nos unités qui sont engagées sur le terrain, j‘ai coutume de dire que le renseignement est l’affaire de tous. Il commence par les camarades qui sont sur le terrain, directement intéressés par le renseignement immédiat qui les touche. La DRM doit quant à elle s’assurer de la cohérence d’ensemble. Nous recevons ce renseignement qu’ils collectent et qui nous est utile. Nous leur apportons en plus, par d‘autres sources, des renseignements complémentaires qui leur donnent une image plus complète de l’adversaire auquel ils sont confrontés quotidiennement pour mieux en comprendre les mécanismes d’action, de réflexion, et donc les aider dans la préparation et la conduite de leurs actions. Pour revenir à votre question, tout ceci est complémentaire.
Cette complémentarité est rendue nécessaire par la grande complexité des environnements dans lesquels nous opérons, ainsi que par la diversité des sources de renseignement. Cela nécessite donc de mettre au point ce que l’on appelle « une manœuvre du renseignement », une manœuvre des capteurs du renseignement, depuis le satellite jusqu’à l’unité qui va rechercher un renseignement tactique immédiat. Et entre les deux se déploie tout le panel des capteurs dans chacun des domaines du renseignement, chacun de ces capteurs apportant un élément supplémentaire à la manœuvre d’ensemble.
Dans le domaine du renseignement d’origine image, au-delà du satellite déjà évoqué, on mentionnera les drones et les avions de reconnaissance. Le renseignement d’origine électromagnétique est quant à lui fourni par les moyens d’écoute des télécommunications, ainsi que de détection et d’identification des signaux radars. Enfin, le domaine essentiel du renseignement d’origine humaine permet non seulement de compléter, mais également de confirmer, recouper ou valider un renseignement acquis par d’autres moyens.
Le rôle de la DRM est de faire en sorte qu’à chacun des niveaux – au niveau tactique des régiments, de la compagnie qui est engagée, au niveau du théâtre, par exemple en Afghanistan au niveau du général McChrystal, du ou des généraux français qui sont là bas, et enfin au niveau stratégique, français ou OTAN – chacun obtienne le renseignement qui lui est nécessaire pour sa prise de décision. Pour rester sur l’exemple afghan, on peut dire qu’au niveau tactique, le commandant de compagnie a besoin de notions sur l’environnement général, et d’une connaissance particulièrement fine du contexte local, à l’inverse du président de la République qui, lui, a besoin d’avoir une vision non seulement de l’ensemble de la situation sécuritaire militaire sur le théâtre afghan, mais également dans les pays environnants, et de connaître également la position de chacun des pays membres de l’Alliance par rapport à ce conflit. D’ailleurs au niveau européen comme au niveau otanien, nous échangeons et travaillons avec nos services homologues. Cet échange est indispensable pour affiner notre compréhension de la situation, ainsi que pour identifier d’éventuelles différences d’appréciation.
Défense : Vous facilitez la transition vers l’Afghanistan, théâtre ô combien important. Quelle est votre appréciation sur le retour d’expérience de l’engagement des unités françaises dans cette opération. ? A votre avis, quelques hélicoptères Tigre, Caracal ou Couguar feront-ils la différence à l’avenir dans ce type d’opération ?
Général Benoît Puga : Le retour d’expérience est un travail qui est fait en permanence par le Chef d’État-major des armées, et qui conduit à adapter régulièrement notre dispositif à la réalité de la menace et à son évolution.
Vous savez qu’aujourd’hui, la menace principale militaire contre nos forces sur le théâtre est constituée par les engins explosifs improvisés (IED en anglais). Cette menace représente la part la plus importante des pertes subies par la coalition pour une raison très simple : c’est qu’il est particulièrement facile de mettre en place de tels dispositifs improvisés. Tout système de rébellion sait très bien qu’avec quelques composants chimiques et quelques composants électriques, on peut constituer des engins explosifs de circonstance qui, malheureusement, peuvent coûter des vies humaines. Notre travail, en liaison avec l’état-major des armées a consisté à revoir notre chaîne de renseignement et à voir ce que l’on pouvait apporter pour améliorer la connaissance du milieu, du terrain et de l’adversaire.
Effectivement, nous avons mis en place des hélicoptères, dont la mission est de fournir aux forces déployées un appui en termes de feux et de mobilité tactique, plus que de renseignement. En revanche, les engins non pilotés, les drones, avec leur capacité d’éclairage, que ce soit au niveau tactique, au profit de l’unité au contact, ou bien au niveau plus général de l’ensemble du théâtre, contribuent à une meilleure connaissance du milieu par les chefs tactiques, et les résultats sont déjà sensibles. Je reviens du théâtre afghan, et comme le Chef d’État-major des armées, nous avons pu constater une amélioration très sensible de la qualité du renseignement à chacun des niveaux. En parallèle, nous travaillons de manière continue avec l’ensemble des services alliés pour améliorer l’échange de renseignements et faire en sorte que ce partage soit plus efficace, plus effectif, non seulement pour parvenir à une connaissance plus fine de la situation sur le théâtre, mais surtout pour nous assurer que le renseignement nécessaire à la troupe au contact pour conduire sa mission soit effectivement délivré au chef de l’unité dans les meilleurs délais avec la meilleure précision possible.
Défense : Le partage du renseignement que ce soit dans les opérations pilotées par les Nations unies ou l’OTAN demeure un vrai problème. L’Afghanistan ne devrait-il pas constituer un laboratoire de ce point de vue là pour améliorer les choses en organisant un vrai partage opérationnel ?
Général Benoît Puga : Pour avoir suivi ces opérations depuis le premier jour dans mes fonctions précédentes jusqu’à ce jour, je crois très honnêtement qu’il y a un réel progrès. Tout le monde peut comprendre la sensibilité d’un renseignement, en particulier pour protéger des sources ou la sécurité des opérations. A ce titre, il importe de préserver un minimum de discrétion, en particulier sur nos moyens et nos capacités sur les théâtres d’opérations : il ne faut en aucun cas sous-estimer l’adversaire, qui utilise Internet et l’ensemble des sources ouvertes.
Mais ce qui a été déterminant, en particulier en Afghanistan, c’est que tous nos soldats courent les mêmes risques : ceux d’être blessés ou tués côte à côte. Ceci a permis de nous affranchir entre nous de certaines règles de protection de façon intelligente selon le principe : si tel renseignement est utile pour sauver la vie de soldats, il serait inadmissible qu’il ne soit pas partagé. Je puis vous assurer que ce partage du renseignement ne cesse de s’améliorer.
Simplement, il faut garder à l’esprit que nous ne faisons que tendre vers une connaissance parfaite de l’ensemble des paramètres. Malheureusement on ne croise jamais l’asymptote. Ce serait une vue de l’esprit que de croire que l’on arrive à tout savoir. L’adversaire est astucieux, l’adversaire est intelligent.
Défense : Depuis que la France participe à nouveau pleinement à la structure de commandement intégrée de l’OTAN, vous êtes devenu un acteur majeur dans ce partage allié du renseignement, puisque la France est représentée au sein du centre de fusion du renseignement allié de Molesworth en Grande-Bretagne. Ces nouveaux moyens sont-ils conséquents pour nous ? La DRM de son côté apporte t-elle à nos Alliés un soutien en matière de renseignement militaire ?
Général Benoît Puga : Tout à fait. L’IFC, l’International Fusion Centre auquel vous faites allusion est en fait un organisme hors OTAN mais qui travaille au profit de l’OTAN. Il a été financé par les Américains pour appuyer le SACEUR, le commandant suprême allié en Europe, dans le cadre des opérations conduites par l’OTAN. Il s’est constitué en demandant aux pays volontaires de participer à un partage de l’information en utilisant des outils communs et en particulier un outil informatique de transfert d’informations et de données protégées que nous partageons avec les Alliés. Bien entendu, la France a répondu présent et nous participons à cette fusion du renseignement qui est faite dans cette structure. Tout ceci s’inscrit également comme vous le savez dans les réflexions d’ensemble qui sont conduites pour permettre à l’OTAN de faire face dans l’avenir aux nouvelles menaces du monde moderne. Au même titre qu’en France a été publié à la demande du Président de la République le Livre blanc sur la défense et la sécurité, l’OTAN s’est engagé dans une réflexion sur son concept stratégique, qui devrait conduire à la redéfinition des missions de l’Alliance, et donc à l’adaptation de l’organisation actuelle à ces nouvelles missions et à ce nouvel environnement.
En ce qui concerne le domaine plus particulier des opérations, il est évident que nous échangeons avec nos alliés. Nous l’avons toujours fait et nous continuerons à le faire, et la qualité de nos contributions a été publiquement reconnue.
Défense : Étant donné les missions de la DRM, les moyens humains et financiers dont vous disposez, sont-ils à la hauteur de l’ambition affichée par le Livre blanc ?
Général Benoît Puga : Oui. Tout le monde - en particulier les parlementaires - a pu le constater au moment du vote sur la Loi de programmation militaire. Le Livre blanc élève en effet le renseignement, au travers de la fonction connaissance et anticipation, au rang de fonction stratégique, au même titre que la dissuasion, la protection, la prévention et l’intervention. Ceci est essentiel, et conditionne bien entendu les moyens financiers, techniques et humains qui sont alloués à cette fonction. Pour ce qui concerne l’aspect financier, il est maintenant important que lors de l’exécution budgétaire de la LPM, les ressources soient bien mises en place pour permettre de conduire cet effort dans la durée. Actuellement, c’est le cas.
Mais les moyens sont aussi techniques et humains.
Dans le domaine technique, l’enjeu est de se situer au niveau technologique optimal : mais la course au « tout technologique » n’est pas une fin en soi, il faut que les systèmes soient cohérents avec nos missions et nos capacités de traitement et d’analyse. Pour autant, il importe d’anticiper sur les besoins futurs, compte tenu de la durée de développement des programmes, en définissant nos besoins capacitaires avec précision ; il importe également que les industriels soient au rendez-vous pour livrer au moment adéquat les moyens répondant à ces besoins, afin d’assurer une continuité en termes de capacités.
Enfin, la question de la ressource humaine est essentielle. En effet, nous nous plaçons dans un contexte contraint de réduction des effectifs au sein du ministère de la défense et des armées. La DRM participe, à l’instar de l’ensemble des forces armées, à cet effort de rationalisation, même si logiquement, compte tenu de l’effort fait sur le renseignement, nous subissons moins que d’autres ces restrictions. Mais il s’agit d’optimiser encore notre organisation, en recentrant notre personnel sur son cœur de métier. Par ailleurs, la croissance permanente – exponentielle – de la quantité d’informations à traiter (nouveaux programmes de capteurs, notamment satellitaires, sources ouvertes…) implique de pouvoir compter sur une ressource humaine fiable, et parfois rare (linguistes, interprétateurs image, analystes). Dans ce domaine, nous travaillons en interservices, sous l’égide du coordonnateur national du renseignement, pour améliorer le recrutement, la formation et l’intermobilité entre tous les métiers du renseignement pour avoir des personnels de qualité face aux défis qui sont devant nous.
Défense : On cite souvent le chiffre de 80 à 90% du renseignement en disant qu’il provient de source ouverte. Ce RSO - ou OSINT - constitue t’il un gisement que vous avez les moyens d’exploiter suffisamment ?
Général Benoît Puga : Ce serait prétentieux de ma part que de dire que nous sommes capables de traiter l’ensemble des sources ouvertes. Tout le monde peut comprendre que ces sources ouvertes sont inépuisables et se développent de façon exponentielle.
Bien évidemment, le renseignement de source fermée est le plus difficile à obtenir. Il est donc normal qu’il constitue notre première priorité, car c’est là que nous obtenons les renseignements les plus sensibles qui intéressent directement la sécurité et l’appui de nos forces.
Dans le domaine des sources ouvertes, nous effectuons un travail en commun avec d’autres services français. Nous faisons en sorte de nous répartir la tâche afin d’éviter les doublons et de se concentrer, chacun pour ce qui le concerne, dans son domaine d’expertise ; nous croisons ensuite nos informations pour élargir notre capacité de traitement. C’est également vrai au niveau interallié et européen. Il s’agit donc de partager plus et mieux l’ensemble du renseignement provenant de sources ouvertes, tout en en vérifiant la justesse.
En effet, la simple présence d’une information sur un réseau n’en garantit pas la fiabilité. A l’extrême, sa diffusion peut relever d’une volonté de propagande, comme le montre par exemple l’exploitation faite par certains réseaux insurgés en Afghanistan des engagements de la FIAS, accroissant de manière délibérée et mensongère les pertes infligées à la coalition, voire son impact sur la détermination de nos hommes politiques ou de la représentation nationale. L’enjeu est donc de discriminer parmi le flot d’information ouverte, afin d’éclairer au premier chef la décision de nos décideurs politiques et militaires.
Défense : Vous avez servi longtemps en Afghanistan. Les Talibans sont détestés là bas. A défaut de pouvoir gagner cette guerre ou de trouver une issue politique, comment faire pour ne pas la perdre ?
Général Benoît Puga : Il ne m’appartient pas de répondre à cette question. Ce que je peux faire c’est expliquer le contexte et le comportement de nos adversaires. Comme l’a très bien formulé, de manière séduisante, le général McChrystal lors d’un entretien accordé à un quotidien français, l’adversaire des autorités afghanes et de la Communauté internationale se présente comme « une mosaïque ». Il faut donc se prémunir d’une analyse trop rapide qui aurait tendance à dire que notre adversaire est taliban. Employé comme cela, le terme est commode, mais il recouvre en fait une réalité à la fois très complexe et très composite.
Pour être davantage précis, nous sommes confrontés en Afghanistan à quatre grands groupes d’adversaires. D’une part les réseaux d’Al Qaïda, des réseaux terroristes qui ont été très sévèrement démantelés, combattus, dispersés et désorganisés par la coalition et par l’OTAN. Les talibans proprement dits, constituent quant à eux un bloc très composite dont l’organisation varie au gré des alliances tribales. Adeptes d’un islam radical, ils visent au retrait des troupes de la Coalition et à l’effondrement du gouvernement central, pour instaurer un émirat islamique. Cependant, au-delà du slogan, les talibans ne proposent aucun projet institutionnel ou politique. Les groupes de Jalaluddin Haqqani (proche des talibans, mais conservant une indépendance stratégique et tactique en concentrant ses actions dans certains zones) et de Gulbuddin Hekmatyar (Hezb-e-Islami, proche idéologiquement d’Al Qaïda et rival des talibans, aux intérêts locaux très marqués dans le nord-est) poursuivent leurs propres agendas, tout en gardant une capacité à nouer des alliances locales.
Enfin, et ce point n’est pas à sous-estimer, il faut considérer l’intrication des intérêts claniques et locaux, voire personnels, avec l’insurrection. En effet, soit pour préserver ces intérêts, soit en raison d’alliances traditionnelles plus anciennes, certaines tribus en arrivent à remettre en cause les pouvoirs publics locaux et à s’allier avec les insurgés. Par ailleurs, des réseaux criminels liés au trafic d’opium ont également tout intérêt à préserver dans ce pays des zones sanctuaires.
On voit donc, que, loin de composer un front unifié, les insurgés ne mettent leurs intérêts de côté qu’au profit d’alliances de circonstance.
Face à cette mosaïque insurgée, il importe que la coalition dispose d’une stratégie claire, qui repose sur l’implication totale du gouvernement et des autorités afghanes. Comme le dit très justement le général McChrystal, reprenant en cela les objectifs politiques et stratégiques fixés par nos dirigeants politiques lors du Sommet de l’Alliance à Bucarest, les efforts doivent être globaux et nous devons « afghaniser » davantage, c’est-à-dire, faire prendre en compte les questions de sécurité de plus en plus par les autorités afghanes. C’est ce que la France a fait avec ses partenaires turc et italien en région Capitale, RCC, en transférant progressivement aux Afghans la responsabilité de la sécurité dans et à la périphérie de Kaboul, tout en restant en soutien.
L’autre volet de cette « afghanisation » est la formation de l’armée afghane, à laquelle la France participe depuis le tout début au côté des Américains, des Anglais, des Allemands et d’autres camarades.
L’expérience des unités françaises dans ce domaine, ainsi que dans celui du « mentoring », mérite à ce titre d’être soulignée. Dans la zone de responsabilité de la Task Force française, des unités afghanes, accompagnées par des instructeurs français, opèrent de manière coordonnée avec les unités françaises. L’expérience, la rusticité et la connaissance du milieu très développées du soldat afghan sont irremplaçables, et nous pouvons les aider à former leurs cadres. Faire commander des soldats afghans par des officiers et des sous-officiers français est certes une idée séduisante, mais elle ne répond pas à notre souci de nous inscrire dans l’avenir, c’est-à-dire dans la formation des cadres (dans les unités, mais également dans les écoles – état-major, renseignement, logistique), aboutissant à la prise en compte par les Afghans de la sécurité de leur pays. Ceci donne des résultats évidents, mais ceci nécessite à la fois du temps et de la patience.
Défense : Que pensez-vous de l’envoi de gendarmes français en Afghanistan ? Est-ce une chose utile étant donné la situation ?
Général Benoît Puga : Totalement. Comme cela avait été indiqué par les chefs d’État et en particulier par le président français lors du sommet de Bucarest, l’une des faiblesses de l’administration afghane est précisément le système policier. Un effort de formation a donc été décidé dans ce domaine. C’est pour cela que la France a décidé le déploiement d’unités de gendarmerie plus importantes, avec d’autres alliés européens notamment, pour d’abord participer à la formation de la police puis ensuite accompagner les unités sur le terrain, ce qui commence à être réalisé actuellement. Ceci est indispensable.
Défense : La crise iranienne ayant des répercussions structurantes sur l’ensemble du Proche-Orient, une région où la France a des intérêts, quelle analyse fait la DRM du risque de conflit ouvert dans cette région en particulier sur le Liban et la Syrie ?
Général Benoît Puga : C’est une question difficile et essentiellement d’ordre géostratégique, qui dépasse le simple niveau de la DRM.
La France, aux côtés de cinq autres pays, est engagée dans un processus de négociation avec l’Iran dont nous souhaitons le dénouement positif. Toutefois, on ne peut pas exclure le risque de crise et la DRM s’attache prioritairement, dans son domaine de responsabilité, à en anticiper l’éventuel déclenchement, mais aussi – le cas échéant – le déroulement et les conséquences dans toute la région.
Les forces armées iraniennes sont les plus importantes du Golfe arabo-persique. En cas de crise, l’Iran dispose donc d’une capacité d’action directe, mais également indirecte, sur l’ensemble de la région.
Les deux pays du Proche Orient auxquels vous faites référence seraient donc très clairement touchés par une crise régionale de ce type, compte tenu des liens connus existant entre eux et l’Iran.
C’est donc bien l’incertitude et la volatilité qui prédominent. Nous devons en conséquence consentir de gros efforts de vigilance vis-à-vis de cette région, au profit des autorités politiques et du chef d’état-major des armées, et en parfaite complémentarité avec le ministère des affaires étrangères et les autres services français de renseignement.
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