« Histoire de l’Europe du Centre-Est » par N. Aleksiun, D. Beauvois, M.-E. Ducreux , J. Kloczowski, H. Samsonowicz, P. Wandycz

Par Jean-Pierre SARMANT, Thierry SARMANT, le 1er décembre 2004  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Jean-Pierre Sarmant est Inspecteur général honoraire de l’Education nationale. Thierry Sarmant est Conservateur en chef du Patrimoine.

Paris : Presses Universitaires de France, 2004 (coll. Nouvelle Clio), 998 pages. Un livre de grande qualité, accompagné d’une vaste bibliographie et d’un atlas historique, qui présente d’une façon renouvelée et accessible l’histoire de la plupart des nouveaux adhérents à l’Union européenne.

L’EXPRESSION "EUROPE DU CENTRE-EST", forgée par des historiens centre-européens des années 1930, n’est pas encore d’usage courant et reste susceptible de plusieurs définitions. Dans cet ouvrage, il s’agit d’abord du « triangle de Visegrad », non pas au sens de la récente entente de coopération entre la République tchèque, la Hongrie et la Pologne, mais considéré comme l’ensemble des terres ayant dépendu des couronnes des monarques qui se réunirent en 1335 en ce même Visegrad.

Le livre traite ainsi de l’histoire de l’actuelle Slovaquie et de celle de la Transylvanie, composantes du royaume de Hongrie, ainsi que de la Croatie, royaume associé au précédent jusqu’à 1918. L’ouvrage incorpore de même l’histoire de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Lituanie, pays qui peuvent être considérés comme des successeurs de la Respublica polono-lituanienne. Ce regroupement est plus naturel qu’il ne semble au premier abord : il s’agit en fait de la chrétienté occidentale non germanique ou, plus simplement, de l’ « espace entre Allemagne et Russie ». Les auteurs reconnaissent volontiers que cet objet d’étude a des contours légèrement flous. On peut par exemple lui incorporer la Slovénie en tant que pays de langue slave ou l’exclure comme composante du monde germanique, privée d’autonomie jusqu’en 1918.

L’unité de l’ouvrage

On a souvent lieu de regretter le caractère artificiel des ouvrages collectifs qui prétendent traiter de l’histoire d’une région en ne présentant qu’une somme disparate d’histoires nationales. Fortheureusement, l’Histoire de l’Europe du Centre-Est ne tombe pas dans ce travers : les auteurs – responsables chacun d’un ou plusieurs chapitres – ont eu la sagesse d’adopter un découpage partiellement chronologique et partiellement thématique qui évite ce défaut. L’unité de l’ouvrage est également perceptible dans les concepts qui sous-tendent les analyses, par exemple la distinction entre nation ethnique et nation politique. Ce distinguo est capital pour comprendre l’histoire de l’Etat polono-lituanien ; il éclaire aussi celle de la Transylvanie, qui prenait en compte les « nations politiques » hongroise, sicule et saxonne et ignorait la nation valaque (roumaine), ethniquement prépondérante dès le XVIIIe siècle. Sans négliger les aspects économiques, démographiques et culturels, les auteurs accordent tout au long de l’ouvrage une importance particulière à l’histoire religieuse. Il s’agit de l’un des domaines où ils mettent à profit la considérable amélioration des conditions de la recherche historique depuis 1989.

Vers une histoire acceptable par tous

Les tabous du marxisme ne sont pas seuls à avoir rendu difficile l’établissement d’une histoire dans les pays de l’ancienne « Europe de l’Est ». Les nationalismes ont été (et trop souvent demeurent) un obstacle redoutable, réduisant cette histoire à l’affrontement de récits mythiques nationaux. Les auteurs abordent cette difficulté de front et mentionnent de façon récurrente le caractère polémique de certains sujets. Par exemple, la révolte de 1648 et les événements dramatiques qui la suivent sont résumés dans leurs versions traditionnelles ukrainienne, polonaise et russe, deux à deux incompatibles, avant de faire l’objet d’une tentative d’analyse dépassionnée.

Ce souci d’une progression dans la direction d’une histoire acceptable par tous, présent tout au long du livre, constitue un élément capital à mettre au crédit de ses auteurs. Dans cette perspective, le dernier quart de l’ouvrage regroupe des études consacrées à des sujets particulièrement controversés, en accordant la première place à l’historiographie. Avec une modestie qui leur fait honneur, les auteurs reconnaissent « qu’une vision sereine globale est loin d’être atteinte » et recensent les nombreux domaines dans lesquels des recherches nouvelles sont nécessaires.

Pour comprendre le poids de l’histoire dans l’actualité

Cette entreprise revêt une grande actualité. Il ne suffit pas en effet de comparer des statistiques de P.I.B. par habitant pour comprendre la « nouvelle Europe », espace où le poids de l’histoire se fait tout particulièrement sentir de façon parfois douloureuse.

S’intéresser à la Hongrie contemporaine impose ainsi de prendre la mesure du traumatisme, encore sensible après quatre-vingt ans, infligé par le traité de Trianon qui réduisit des deux tiers le territoire de la « Hongrie millénaire », en abandonnant au dehors (Roumanie, Slovaquie, Yougoslavie) d’importantes minorités. De même, la « séparation de velours » et ses suites ne sont compréhensibles que si l’on prend la mesure du contraste entre une République tchèque héritière du royaume de Bohème, Etat le plus anciennement constitué et le plus précocement développé de la région tant au plan culturel qu’économique, et la Slovaquie, qui n’était avant 1918 que la « Haute Hongrie », nation sans Etat, restée pendant près d’un millénaire sans aristocratie propre ni autonomie politique, terre paysanne dont les villes étaient peuplées principalement par des Hongrois, des Allemands et des Juifs. Les soubresauts auxquels on assiste depuis 1991 dans une nouvelle Biélorussie indépendante, dont les rapports avec la Russie tardent à se préciser, doivent être mise en relation avec l’émergence tardive de la conscience nationale de ses habitants, tous paysans – hors une noblesse polonisée et une population urbaine largement juive. Aux fonctionnaires du tsar chargés de les recenser, ils répondaient encore en plein XIXe siècle, nous sommes des tutjesi, c’est-à-dire « les gens d’ici » ! Enfin, pour comprendre quoi que ce soit aux événements qui agitent l’Ukraine, il est indispensable de connaître les origines de la distinction entre les orthodoxes et les uniates qui se disputent encore aujourd’hui les églises ; il faut de même distinguer les régions de ce pays, encore très différentes, selon qu’elles ont dépendu au XIXe siècle de la Russie ou de l’Autriche.

On peut souhaiter un succès mérité à ce livre de grande qualité, accompagné d’une vaste bibliographie et d’un atlas historique, qui présente d’une façon renouvelée et accessible l’histoire de la plupart des nouveaux adhérents à l’Union européenne.

Copyright novembre 2004-Sarmant/www.diploweb.com


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