Djihadistes : quelles actions ?

Par Gérard CHALIAND , le 7 octobre 2014  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Géopolitologue, spécialiste des conflits armés. Gérard Chaliand est régulièrement professeur invité dans de nombreuses universités étrangères (Harvard, Montréal, Berkeley,…). Il est auteur de plus de 30 ouvrages, dont une quinzaine traduits. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique auquel est adossé le Diploweb.com.

Le 29 juin 2014, un groupe de djihadistes annonçait la création d’un Etat islamique en Irak et en Syrie. Sollicitée par le gouvernement de Bagdad, une coalition internationale s’est progressivement mise en place pour stopper l’expansion du "califat". Que peut-on attendre de cette intervention, à laquelle participent plusieurs pays européens ? Doit-on craindre une augmentation du terrorisme islamiste en Europe ? Gérard Chaliand, géopoliticien et spécialiste des conflits armés, analyse les effets de l’implication européenne dans ce conflit.

Le Diploweb.com, dans le cadre de son partenariat avec Touteleurope.eu, est heureux de vous présenter cet entretien initialement mis en ligne le 2 octobre 2014 sous le titre "La capacité d’action des djihadistes va devenir particulièrement limitée".

Toute l’Europe : Quel rôle jouent les Etats européens dans la coalition contre l’Etat islamique en Irak et au Levant ?

Gérard Chaliand : Sur le plan militaire, seuls les Français et les Britanniques participent pour le moment à l’intervention. Pour le reste, nous attendons de voir : les Belges semblent partants et, comme d’habitude, les Allemands vont fournir une aide logistique et humanitaire.

Les forces spéciales doivent apprendre aux Peshmergas à s’entraîner sur un matériel nouveau, dans le cadre d’une stratégie militaire nouvelle.

Les Français sont véritablement en tête : ils ont immédiatement envoyé des forces spéciales et de l’armement lourd chez les Kurdes. Les forces spéciales doivent apprendre aux Peshmergas à s’entraîner sur un matériel nouveau, dans le cadre d’une stratégie militaire nouvelle : ces montagnards habitués à la guérilla se retrouvent maintenant en zone de plaine, dans une guerre où l’affrontement est, la plupart du temps, direct.

Mais l’Europe dans son ensemble, nous le savons, n’a pas de volonté commune. Ses moyens militaires sont très inégaux et les opinions publiques sont très réticentes à toute intervention, sauf en cas de véritable choc psychologique.

Djihadistes : quelles actions ?
Gérard Chaliand, spécialiste de géopolitique et géostratégie

Toute l’Europe : L’intervention militaire internationale peut-elle remplir ses objectifs ?

Gérard Chaliand : Cela dépend de ce qu’on entend par "objectifs". S’il s’agit de limiter la capacité du "califat" de s’étendre, cela va effectivement les gêner énormément. Et peut-être même ralentir l’ardeur des volontaires au djihad, qui pensaient fin juin 2014 que la victoire était à portée de main. L’effet d’annonce est terminé, il va maintenant falloir en payer le coût. Et les djihadistes, cette petite fraction rigide et archaïque de l’Islam, vont désormais faire face à des difficultés croissantes.

Je ne vois pas pourquoi seuls les Français, les Anglais et quelques autres participeraient militairement. Les Hollandais, les Danois, les Italiens ou les Allemands sont eux aussi concernés.

Les bombardements commencent. Je pense qu’ils vont être extrêmement utiles pour priver l’"Etat islamique" de ses moyens économiques. Comme on le sait, ceux-ci proviennent de la revente de pétrole à des compagnies qui ont toutes débouché en Turquie, avec d’ailleurs l’assentiment de cette dernière. Par ailleurs, cette intervention va totalement briser la mobilité qu’ont eu les djihadistes au début du mois de juin 2014. Dans ces zones désertiques en Syrie, et plates en Mésopotamie - comme son nom l’indique, ce "pays entre les deux fleuves" est une plaine. Hormis pour les villes, tout déplacement sur un tel terrain s’avère dès lors extraordinairement risqué.

Ainsi, la capacité d’action des djihadistes va devenir particulièrement limitée et leurs moyens économiques largement appauvris, ce qui est un très bon début. On peut nécessairement faire mieux, en ayant davantage de participants. Je ne vois pas pourquoi seuls les Français, les Anglais et quelques autres participeraient militairement. Les Hollandais, les Danois, les Italiens ou les Allemands sont eux aussi concernés.

Toute l’Europe : Peut-on craindre, comme l’affirmait encore récemment Dominique de Villepin, que cette intervention militaire alimente le terrorisme ?

Gérard Chaliand : Bien sûr ! Ce qu’a déclaré M. de Villepin ne me semble pas inexact, mais il ne décrit qu’un des aspects. L’autre étant qu’on affaiblit sur le plan militaire un adversaire qui, fin juin, paraissait plus menaçant, et qu’il était nécessaire d’agir.

Il faut quand même avoir un minimum de courage : le terrorisme se joue essentiellement dans les esprits et dans les volontés, et les médias se font souvent des "vendeurs d’angoisse" au lieu d’expliquer les phénomènes.

Il y a évidemment des effets collatéraux indiscutables… nous avons déjà eu une forme de réponse, avec la décapitation des deux Américains, d’un Britannique et d’un Français. Ce sont des conséquences, mais toute politique implique des risques. Je ne vois pas comment on peut frapper et imaginer qu’on ne sera pas frappé à son tour ! Nous avons tellement perdu le sens des rapports de force, que n’importe quelle violence qui pourrait nous menacer nous rend tremblants. Il faut quand même avoir un minimum de courage : le terrorisme se joue essentiellement dans les esprits et dans les volontés, et les médias se font souvent des "vendeurs d’angoisse" au lieu d’expliquer les phénomènes. Sans compter ceux qui annoncent une "troisième guerre mondiale"…

Cependant, les risques d’actes terroristes sont limités : que peut faire une poignée d’individus contre un Etat organisé comme la France ou la Grande-Bretagne ? Souvenons-nous des lendemains du 11 septembre 2001, lorsqu’Oussama Ben Laden prédisait une apocalypse… Qu’a-t-on vu depuis douze ans ? Les attentats de Madrid, de Londres, de Boston… c’est finalement très peu de choses. Va-t-on être terrorisés par quelques menaces d’attentats ?

En France, le dernier attentat sérieux a eu lieu en 1996 [probablement perpétré par l’organisation terroriste algérienne, Groupe islamique armé, dans le RER B, ndlr] et depuis nous avons eu l’affaire Merah. La menace a donc toujours existé, mais nos services ont travaillé de manière efficace. Il faut s’adapter aux évolutions de cette menace, comme nous l’avons déjà fait dans les années 1980-1990 - l’arsenal juridique, la durée de la garde à vue ont notamment été modifiés – le tout dans la fermeté et avec le sentiment qu’on fait le nécessaire pour protéger la sécurité de nos concitoyens.

Toute l’Europe : Le terrorisme islamiste constitue-t-il aujourd’hui la principale menace terroriste en Europe ?

La lutte sera de longue haleine, on ne va pas s’en débarrasser aisément.

Gérard Chaliand : Le terrorisme de l’islamisme radical est indiscutablement la menace principale, je ne vois pas d’autres manifestations… La lutte sera de longue haleine, on ne va pas s’en débarrasser aisément. N’oublions pas que ses racines sont idéologiques, et que depuis les années 1970 certains Etats, dont l’Arabie saoudite, ont semé le terreau sur lequel s’est largement développé un islamisme de plus en plus radical, de l’Afrique noire à l’Indonésie. Le tout amplifié par l’intervention malheureuse des Etats-Unis en 2003, qui a complètement marginalisé les Sunnites. Aujourd’hui, le sentiment éprouvé par les Sunnites d’avoir perdu un pouvoir qui était le leur depuis toujours, sert totalement l’Etat islamique.

Toute l’Europe : La coopération des pays européens et le travail des institutions européennes sont-ils efficaces face au terrorisme ?

Gérard Chaliand : Comme vous le savez, l’UE n’est pas un corps politique. Nous avons une économie, mais nous sommes politiquement en rang dispersé. Nous faisons ce que nous pouvons en tenant compte de ces disparités et des voix discordantes. Peut-être qu’une augmentation de la menace peut amener les pays européens à se coordonner davantage ?

Toute l’Europe : Face au terrorisme, l’Union européenne veut promouvoir les programmes de déradicalisation, qu’en pensez-vous ?

Gérard Chaliand : La déradicalisation, c’est l’affaire des imams musulmans, c’est une affaire interne… Ce n’est pas à des séculiers d’expliquer pourquoi la version radicale n’est pas une version acceptable de l’Islam, qu’elle est archaïque et dévoyée…

Copyright octobre 2014-Chaliand/Touteleurope.eu

Cet entretien sur le site de Touteleurope.eu


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