Canada. Photo-reportage : Vivre par très grand froid au Québec

Par Estelle MENARD, le 6 février 2018  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Diplômée d’un Master 2 Relations internationales et Action à l’étranger de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne. Etudiante en Master 2 Géopolitique - Territoires et enjeux de pouvoir à l’Institut français de géopolitique (IFG, Université Paris VIII). Canadienne, Estelle Ménard réalise un stage au Diploweb.com depuis septembre 2017.

Quand Paris s’inquiète du moindre flocon de neige, au Québec la vie continue sous la neige et par -35 ° Celsius ! Estelle Ménard était à Montréal en décembre-janvier lors d’un épisode de très grand froid et nous en rapporte ce photo-reportage saisissant qui vaut autant par ses photos que son texte documenté et la carte réalisée pour l’occasion.

LA vague de froid intense et les importantes chutes de neige que connaissent régulièrement le Canada et les États-Unis suscitent beaucoup de curiosité en France et à l’étranger. Quels risques posent ces grands froids et comment la ville de Montréal y fait-elle face ? À travers ce reportage photo réalisé à Montréal en décembre 2017, nous voulons donner à voir la vie quotidienne par très grand froid.

Canada. Photo-reportage : Vivre par très grand froid au Québec
Le Mont-Royal en hiver
Canada, Québec, Montréal, décembre 2017. Le Mont-Royal, en plein cœur de la ville de Montréal, reste un espace de rencontre et de détente, été comme hiver. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb
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Au Québec, on dit que les hivers s’éternisent. C’est une conséquence probable des dérèglements climatiques. Cependant les froids extrêmes, eux, ne datent pas d’aujourd’hui. En 1976, Montréal enregistrait une température de -49°C (avec le refroidissement éolien [1]). Au nord du Québec, ces températures peuvent tomber à -52°C, comme ce fut le cas en 2004. Ce froid présente des risques pour la santé (hypothermie, gelures), plus élevés chez les personnes vulnérables comme les personnes âgées, les enfants, les travailleurs extérieurs et les sans-abris.

Carte. Canada, Québec. Où est localisé l’hébergement des personnes itinérantes à Montréal ?
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Carte grand format. Canada, Québec. Où est localisé l’hébergement des personnes itinérantes à Montréal ?
Cliquer sur la vignette pour voir la carte grand format, Canada, Québec : où est localisé l’hébergement des personnes itinérantes à Montréal ?
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Un vendeur du magazine L’Itinéraire, dont la mission vise la réinsertion sociale des personnes itinérantes, toxicomanes et sans emploi, nous explique que « plusieurs mesures sont prises par la ville et par différentes organisations pour assurer la sécurité des personnes sans domicile fixe. La Société des transports de Montréal, en association avec des organismes comme Médecins du Monde et Mission Old Brewery, met en circulation des navettes leur permettant d’accéder rapidement aux centres d’hébergement avec une meilleure visibilité sur les places disponibles ».

Canada, Québec, décembre 2017, Montréal
Canada, Québec, décembre 2017. Un trottoir à Montréal déneigé après tempête devant le parc Lafontaine. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb.
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La quantité des précipitations de neige varie en fonction des régions. L’Ouest canadien, bordé par l’océan Pacifique, est moins touché par les chutes de neige que l’intérieur des terres, comme dans les Rocheuses et le golfe du Saint-Laurent, où les accumulations de neige peuvent atteindre 6 mètres. On observe des bourrasques de neige dans les zones avec d’importants plans d’eau comme la région des Grands Lacs et le golfe du Saint-Laurent.

Pour le Coordonnateur de sécurité civile de l’agglomération de Montréal, une tempête est « exceptionnelle » dès lors qu’il tombe, pendant celle-ci, au moins 60 cm de neige, ou encore 45 à 59 cm en plus de deux phénomènes aggravants, comme le facteur de refroidissement éolien, la vitesse d’accumulation de la neige au sol ou une chute de pluie verglaçante de 25 mm et plus. Ces tempêtes sont incommodantes pour les pannes d’électricité qu’elles peuvent générer et la perturbation du trafic routier. Ce qui est problématique pour la circulation des véhicules d’urgence. Bien que les accidents de la route demeurent plus nombreux entre décembre et mars, le nombre d’accidents mortels a été divisé par deux depuis 2008, année depuis laquelle les automobilistes sont obligés de munir leurs véhicules de pneus d’hiver [2].

Montréal en hiver
Canada, Québec, décembre 2017. Montréal en hiver, -35° Celsius. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb
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« Les opérations de déneigement coûtent chaque année environ 200 millions de dollars canadiens à la ville de Montréal, sur un budget total de 6 milliards », nous explique Maeva Vilain, conseillère d’arrondissement du district Jeanne-Mance dans le Plateau Mont-Royal. Il existe quatre types d’opération : l’épandage de fondants (sels de voirie) ou d’abrasifs (pierre concassée, calcium) sur les chaussées et les trottoirs pour éliminer la glace, le déblaiement des voies, l’enlèvement de la neige entassée en bordure de rue et son chargement par des camions qui la déplacent vers des sites d’élimination situés à l’extérieur de la ville. La neige y est amoncelée et éliminée par fonte. Une partie de ces opérations est prise en charge par les fonctionnaires de la ville, comme le déneigement, et l’autre par des entreprises privées.

Camion de déneigement de la municipalité de Montréal
Canada, Québec, décembre 2017. Camion de déneigement de la municipalité de Montréal. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb
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Le déneigement fonctionne selon un système de priorisation des rues : d’abord les artères principales et les lignes d’autobus prioritaires, ensuite les circuits de bus réguliers et les débarcadères d’école, où les enfants montent et descendent de l’autobus scolaire, et enfin les quartiers résidentiels, les secteurs industriels et les zones à faible débit de circulation. Cela a souvent donné lieu à des déviations de trajets et à des retards d’autobus dont l’accès à certaines rues est bloqué, créant des tensions chez des riverains limités dans leurs déplacements pendant un certain temps.

Les trains canadiens circulent généralement par grand froid
Canada, Québec, décembre 2017. Les trains reliant les banlieues au centre-ville de Montréal sont généralement fiables même en cas de tempête, ces voies étant considérées comme prioritaires. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb.
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Ces opérations sont coûteuses et ne sont pas sans risques environnementaux. Pour l’épandage, 140 000 tonnes de fondants et d’abrasifs et 300 appareils sont utilisés chaque hiver. On compte quelque 300 000 voyages de camions de chargement de neige par année pour l’ensemble de la ville, et 2 millions de mètres cubes de neige sont éliminés sur 28 sites à l’extérieur de la ville. Les risques environnementaux sont de plus en plus préoccupants. Les gaz à effet de serre émis par ces camions sont considérables. Une alternative à ces longs transports de neige est d’utiliser des souffleuses repoussant la neige directement sur les terrains des maisons. Par ailleurs, les particules fines émanant de l’utilisation d’abrasifs et de sels de voirie durant l’épandage contribuent au « smog » hivernal, aggravant les symptômes des maladies cardio-respiratoires. Il y a, enfin, la contamination des eaux de ruissellement ou de l’eau de fonte récupérée sur les sites d’élimination : chargée en abrasifs, en fondants et en débris, elle doit être traitée avant d’être rejetée dans différents cours d’eau, ce qui n’est pas toujours le cas.

Montréal. Une rue en hiver après l’épandage de fondant
Canada, Québec, décembre 2017. Une rue de Montréal déneigée après épandage de fondants. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb
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Ces très grands froids expliquent un certain tropisme pour le sud chez les Québécois. C’est le phénomène des snowbirds, un terme anglais typiquement nord-américain qui caractérise les personnes retraitées « migrant » en roulotte vers le sud des États-Unis, le Mexique ou les Caraïbes pour échapper à l’hiver et au froid, entre novembre et mars. On observe ainsi une importante communauté de snowbirds en Floride.

Canada, Montréal, les vélos sous la neige
Un stationnement de vélo enneigé près du métro Mont-Royal, Montréal.
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Le froid est-il pour autant un frein à l’immigration au Québec ? Ce ne semble pas être le cas, si l’on se fie aux nombreux Français rencontrés dans les rues de Montréal, même l’hiver. Parmi eux, deux Toulousains arrivés il y a trois ans ne se disent pas excessivement incommodés par le froid : « on s’habitue à la température. Il faut simplement s’habiller chaudement, avec plusieurs couches de vêtements pour couper le vent, et prévoir un budget pour le taxi car le réseau de transport est parfois inadapté aux longues distances à pied dans certains quartiers ».

Montréal, l’hiver rien n’est pareil
Canada, Québec, décembre 2017. Dans le métro, une affiche de la Société de transport de Montréal. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb.
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Inversement, certains Québécois diront qu’ « on ne s’habitue jamais vraiment au froid ». Il rend casanier, les possibilités d’être actif sont plus limitées et les courtes journées sont parfois la cause de dépression saisonnière.

Montréal en hiver. « L’hiver ne t’aime pas non plus »
Canada, Québec, décembre 2017. Art urbain à Montréal : « L’hiver ne t’aime pas non plus » (traduit de l’anglais « Winter doesn’t like you either »). Crédit photographique E. Ménard/Diploweb.
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Les sports d’hiver peuvent toutefois briser cet isolement, comme en témoigne Julie Perrault, journaliste à Radio-Canada, qui rentre du Mont-Royal, couverte de six épaisseurs de vêtements – « le système multicouche » dit-elle – afin de poursuivre ses activités sportives quand la température le lui permet : « à -20 ou -30°C, c’est trop dangereux, mais s’il fait aux alentours de -11°C, c’est possible ». On peut y retrouver une grande communauté de sportifs se prêtant au jogging, au hockey ou à la randonnée.

Montréal. Faire du jogging par grand froid
Canada, Québec, décembre 2017. Un joggeur pour qui le froid bouleverse peu les habitudes. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb
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Des mesures sont prises par la ville pour donner d’autres alternatives au déplacement : « le transport de skis de fond dans le bus et le métro est désormais autorisé et le déneigement des pistes cyclables est une des priorités de la nouvelle administration », nous dit Maeva Vilain.

Montréal par grand froid, ça roule !
Canada, Québec, décembre 2017. Certains cyclistes adaptent leurs vélos à l’hiver. Crédit photographique E. Ménard/Diploweb.
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L’hiver québécois porte ainsi son lot d’inconvénients et pose des risques pour les individus vulnérables. Mais quand Gilles Vigneault chante « mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver », on comprend bien que les Québécois ont l’habitude. L’État applique un protocole et prend des mesures adaptées pour assurer la sécurité de la population, en coordonnant les différentes activités de la ville. Les adeptes des sports d’hiver, quant à eux, attendent la saison froide avec impatience. Ainsi, la ville est loin d’être immobilisée entre décembre et mars. Les rudes hivers ont toutefois tendance à occulter le phénomène des chaleurs extrêmes durant l’été : lors des canicules, avec le facteur d’humidité, la température peut grimper jusqu’à 40°C. Ces variations sont aussi observables à l’intérieur d’une même saison : l’hiver, les périodes de grand froid sont très souvent entrecoupées par des épisodes de redoux, entraînant rapidement la fonte de neige et la reconstitution de glace. C’est un vrai problème pour les patinoires naturelles qui voient leur état se dégrader, comme le déplore Maeva Vilain. Les dérèglements climatiques étant une cause très probable de ces phénomènes extrêmes, l’administration a adopté, en 2009, des mesures visant la réduction des gaz à effet de serre à l’horizon 2020.

Copyright pour le texte, les photos et la carte Février 2018-Ménard/Diploweb.com


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[1Formulation québécoise pour le facteur vent.

[2Marie-Ève Cousineau, « Deux fois moins d’accidents mortels l’hiver au Québec qu’il y a 10 ans », Radio-Canada, 16 février 2015.

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