Democratization officer au sein de la mission de l’OSCE au Kosovo, de 2000 à 2002, Odile Perrot est docteur en science politique. Sa thèse analyse les moteurs et les enjeux du processus de démocratisation mis en place par la communauté internationale. Elle a été distinguée par le prix de la Fondation Varenne et publiée à la LGDJ sous le titre Les équivoques de la démocratisation sous contrôle international. Le cas du Kosovo (1999-2007).
Géopolitique des Balkans occidentaux. Ces pays n’en sont pas tous au même point dans leurs relations avec l’Union européenne. L’auteur présente de manière claire la diversité des parcours de l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie. Cet article est illustré de trois tableaux présentant la chronologie des relations de ces entités avec l’UE.
LIBERALISATION du régime des visas, sommet UE-Balkans à Sarajevo, négociations d’adhésion avec la Croatie : les Balkans occidentaux sont plus que jamais à l’ordre du jour européen. C’est d’ailleurs l’Union européenne qui les a réunis sous une même appellation, cherchant à labelliser un groupe de pays situés à ses portes et potentiellement instables, qui partageaient le même passé et la même aspiration à rejoindre l’Europe. Toutefois, cette communauté de destins ne doit pas faire illusion, car l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie ont des parcours différenciés et empruntent des voies différentes vers l’adhésion.
Prenant acte de cette diversité, les instances communautaires considèrent chaque pays séparément dans une approche différenciée de l’intégration. Les États engagés dans la transformation de leur économie et la réforme de leurs institutions obtiennent des garanties d’association et, à terme, l’ouverture de négociations d’adhésion, tandis que ceux qui peinent à s’aligner sur les exigences communautaires et sont plus « indisciplinés » doivent attendre plus longtemps. L’idée est que les progrès des uns auront un effet d’entraînement positif chez les autres ; le risque est d’intensifier la course au premier arrivé.
Cette « approche au mérite » garantit les mêmes conditions pour tous au départ, mais elle ne présage pas de la date d’arrivée. Par exemple, dans le cas de la Croatie, les observateurs estimaient en 2007 que le pays rejoindrait l’UE en 2009. Mais à la fin de l’année 2009, l’échéance a été repoussée à fin 2011 et 2012 est de plus en plus envisagée comme une date possible. De nombreux facteurs interfèrent et compliquent, en effet, le processus d’adhésion : les « questions bilatérales » (limites territoriales, réfugiés), les exigences de certains États membres en position de force vis-à-vis du pays candidat, la crise économique qui favorise l’euroscepticisme, la reform fatigue qui caractérise l’effritement des motivations européennes chez les pays candidats. C’est pourquoi, en attendant l’adhésion, l’UE a mis en place des accords préférentiels spécialisés qui définissent des espaces d’association dans les domaines du commerce, de la libre circulation, de l’énergie, etc. Ces espaces regroupent tantôt certains pays, tantôt d’autres, et tracent de nouvelles frontières, non plus géographiques mais thématiques, pour répondre aux priorités de l’Union européenne.
La stratégie de l’UE vis-à-vis des Balkans occidentaux a considérablement évolué durant ces dix dernières années. Au départ, l’enjeu était d’éviter les conséquences d’un « trou noir » aux marches de l’Europe. Il s’agissait d’user de la puissance régulatrice communautaire dans la région, sans nécessairement promettre une adhésion. L’expression « Balkans occidentaux » est d’ailleurs apparue dans la terminologie communautaire à partir de 1999, au moment où la stabilisation de l’espace du sud-est européen était devenue une priorité. Elle désigne les pays balkaniques qui n’étaient pas membres de l’UE (comme la Grèce) ni en voie de l’être (comme la Roumanie et la Bulgarie), mais qui bénéficieraient d’une stratégie européenne globale : le Processus de Stabilisation et d’Association. En ce sens, les « Balkans occidentaux » définissent moins une zone géographique qu’ils ne renvoient à une réalité politique.
Le Processus de Stabilisation et d’Association a été lancé au sommet de Zagreb,en novembre 2000. Pierre angulaire de la politique de l’UE vis-à-vis des Balkans, il offre une relation contractualisée basée sur un partenariat formel, par le biais de l’Accord de Stabilisation et d’Association (ASA), aux pays dont les réformes politiques et économiques ont suffisamment avancé et dont la capacité administrative s’est suffisamment améliorée. Il s’agit donc d’un processus différencié (chaque pays avance à son rythme et est évalué selon ses mérites propres) et conditionné (les candidats s’engagent à consolider leurs institutions démocratiques avant d’obtenir la récompense promise). Premier sommet UE-Balkans, Zagreb est considéré comme le point de départ d’une nouvelle approche communautaire dans une région enfin pacifiée. Il a affirmé la perspective européenne des pays participant au Processus, ainsi que leur statut de candidat potentiel. Néanmoins, il a introduit une « conditionnalité additionnelle », ajoutant trois nouveaux critères à ceux de Copenhague : coopération avec le TPIY et respect des accords de paix, coopération régionale, respect de l’État de droit et lutte contre la corruption et le crime organisé. Aucune échéance officielle quant à l’ouverture des négociations d’adhésion n’a été formulée, mais la dynamique de rapprochement n’en était pas moins lancée.
Elle a été prolongée et élargie trois ans plus tard, à Thessalonique, où les responsables européens et balkaniques ont rappelé que « l’avenir des Balkans est dans l’Union européenne ». Cette affirmation a donné une perspective d’adhésion concrète aux Balkans occidentaux. A ceux-ci, en contrepartie, de relever le défi que représente l’adoption des normes européennes. Ils disposent à cette fin d’un Processus de Stabilisation et d’Association renforcé grâce aux « Partenariats européens » établis avec chacun d’entre eux [1]. L’UE, elle, reste fidèle au « consensus renouvelé sur l’élargissement » formulé en décembre 2006, tout en adaptant ses instruments. La « capacité de mise en œuvre » des réformes législatives a été revalorisée et une attention plus « précoce » [2] est accordée à la lutte contre la corruption et le crime organisé. Puisant dans l’expérience des précédents élargissements, la stratégie européenne est ainsi balisée et modulée en fonction de la pluralité des routes vers l’Europe.
Premiers États des Balkans occidentaux à avoir obtenu le statut de candidat officiel, la Macédoine et la Croatie ont vu leurs ambitions européennes freinées par les exigences d’un État membre. Une situation d’autant plus difficile pour Skopje, dont les négociations sont au point mort.
Tableau 1. Chronologie / UE pour Croatie et FYROM
La Croatie a longtemps été bloquée par un contentieux avec la Slovénie relatif à la baie de Savudrija-Piran. Comme l’espace maritime slovène est enclavé par les eaux territoriales italiennes et croates, Ljubljana a demandé à la Croatie de lui céder une partie de ses eaux territoriales. Mais, cette dernière a rappelé sa juridiction sur la « Zone de Protection Ecologique et de Pêche » (ZERP). La querelle s’est enlisée et la Slovénie a opposé son veto à l’ouverture de certains chapitres des négociations d’adhésion. Les chances pour la Croatie d’intégrer l’UE dans un avenir proche s’éloignant, c’est finalement l’appât de l’adhésion qui a fait la différence. En novembre 2009, Zagreb et Ljubljana ont trouvé un compromis et s’en sont remis à un tribunal arbitral ad hoc dont elles se sont engagées à accepter le verdict. Cet accord d’arbitrage officiel a été immédiatement ratifié par la Croatie. En Slovénie, il a bénéficié d’une triple approbation lui conférant une forte légitimation : entre mars et juin 2010, il a été validé par la Cour constitutionnelle, ratifié par le Parlement et approuvé par référendum populaire. On peut regretter que le déséquilibre des rapports de force entre un État membre et un autre souhaitant le devenir ait freiné la bonne marche du candidat vers l’UE, mais on peut aussi se réjouir que, par delà les intérêts de chacune, les parties aient accepté une solution juridique à une impasse politique.
Cela dit, ce déblocage n’exclut pas de nouvelles difficultés. Non seulement les trois derniers chapitres des négociations d’adhésion qui viennent d’être ouverts (justice et droits fondamentaux, concurrence, PESC et PSDC) sont délicats, mais une nouvelle pomme de discorde avec la Slovénie est apparue au sujet de l’établissement de la banque slovène NLB en Croatie. Zagreb devra également faire montre de coopération avec le TPIY, de ses capacités de contrôle de la frontière extérieure et de l’adaptation de sa politique de sécurité et de défense. La clôture des négociations est attendue pour la fin de l’année 2010 mais, en ce domaine plus qu’en d’autres, les dates ont prouvé leur volatilité. La propension du futur État membre à jouer un rôle de pont entre l’UE et les autres Balkans occidentaux reste aussi à vérifier.
Autre candidat officiel en butte aux oppositions d’un État déjà membre, la Macédoine a proclamé son indépendance dans le calme, en 1991, mais elle n’a pas su intégrer les 25% de sa population que représentent les Albanais. Elle est longtemps restée un État binational dans les faits, mais pas dans la Constitution. Lassés que les droits politiques et culturels des Albanais ne soient pas reconnus et soutenus par certains militants du Kosovo voisin, les indépendantistes ont déclenché une guerre civile au premier semestre de l’année 2001. Inquiète de ce regain de tensions et de ses conséquences possibles dans la région, l’Europe est intervenue pour rétablir la paix et a obtenu la signature des Accords d’Ohrid en août 2001. Quelques mois auparavant, un Accord de Stabilisation et d’Association avait été signé. C’est donc la résurgence des conflits qui a motivé l’engagement européen.
La Macédoine a obtenu le statut de candidat officiel en octobre 2005 et la Commission a recommandé l’ouverture des négociations d’adhésion à la fin de l’année 2009. Mais, exceptionnellement, le Conseil n’a pas donné suite à l’avis de la Commission. L’élan communautaire vis-à-vis de la Macédoine est en fait enrayé par le contentieux bilatéral qui oppose Skopje à Athènes au sujet de sa dénomination. La Grèce s’oppose à l’usage du nom « République de Macédoine » qui impliquerait des visées territoriales sur les régions administratives grecques de Macédoine occidentale, centrale et orientale. Le jeune État a donc été admis à l’ONU, en 1993, sous le nom provisoire d’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) – Former Yugoslav Republic of Macedonia (FYROM). Il a renoncé au soleil de Vergina à 16 branches sur son drapeau pour un symbole à 8 branches et a modifié les dispositions de sa Constitution jugées trop expansionnistes. Les négociations entamées afin de définir le nom officiel du pays se sont succédées en vain, malgré les tentatives du médiateur onusien, Matthew Nimetz. En juin 2010, un espoir est né avec la proposition du nom de "République de Macédoine de Vardar" [3], mais cela reste à confirmer. Quoi qu’il en soit, la querelle onomastique a déjà bloqué l’accession de la FYROM à l’OTAN. Au sommet de Bucarest en avril 2008, alors que la Croatie et l’Albanie recevaient l’invitation officielle pour devenir membres, l’Alliance a estimé que la Macédoine ne pourrait rejoindre l’Organisation tant que le différend avec la Grèce ne serait pas résolu. Pour la Macédoine, le parcours semble donc semé d’embûches et seule la récente libéralisation des régimes de visa, accordée en décembre 2009, a rendu la perspective européenne un peu plus concrète.
Candidats impatients de recevoir la réponse des institutions européennes, le Monténégro, l’Albanie et la Serbie ont quelque peu bousculé le calendrier officiel et pris de court les Vingt-sept. En général, un État dépose sa candidature une fois l’ASA entré en vigueur et en concertation avec l’UE. Le Conseil européen se prononce ensuite sur la candidature à l’unanimité et demande à la Commission d’élaborer un avis ; la Commission prépare alors son avis sur la base du questionnaire d’adhésion dûment rempli par le pays candidat et donne son opinion sur la date possible d’ouverture des négociations ; la décision finale revient au Conseil, qui accorde le statut officiel de pays candidat et décide de la date d’ouverture des négociations à l’unanimité.
Tableau 2. Chronologie / UE pour Monténégro, Albanie, Serbie
Le Monténégro, dernière république à quitter la Yougoslavie, a tôt fait valoir son ancrage européen. Son président, Milo Djukanović, s’est opposé à Slobodan Milošević à la fin des années 1990, au moment où la communauté internationale ne soutenait plus un chef de l’État yougoslave discrédité sur son territoire et engagé dans l’offensive du Kosovo. Toutefois, il a accepté de patienter et s’en est remis aux arrangements internationaux pour obtenir l’indépendance. En 2002, l’Accord de Belgrade a organisé le passage de la République fédérale de Yougoslavie [4] à la « Serbie-et-Monténégro », une union artificielle qui a été maintenue jusqu’au référendum de mai 2006. 55% des 86% de Monténégrins s’étant rendus aux urnes ont voté en faveur de l’indépendance, remplissant ainsi les conditions de validité imposées par l’Union européenne, l’OSCE et le Conseil de l’Europe. Le nouvel État monténégrin s’est immédiatement inscrit dans un processus de rattachement à l’Europe. En 2007, retirant les fruits de la twin track approach selon laquelle les négociations européennes étaient séparées de celles avec la Serbie, il a signé un ASA qui est entré en vigueur en mai 2010. Il avait toutefois déposé sa candidature à l’UE dès décembre 2008. La Commission, dont les rapports se sont inquiétés du niveau de corruption et de criminalité organisée, ainsi que de la faiblesse de l’administration publique, devrait prochainement donner son avis sur l’attribution du statut de candidat officiel [5].
Seul pays du groupe des Balkans occidentaux à n’avoir pas appartenu à la Yougoslavie, l’Albanie a suivi un parcours unique en son genre. Dirigée d’une main de fer par le dictateur stalinien Enver Hoxha, elle a vécu en autarcie pendant un demi-siècle.
Albanie, bunkers hérités de la Guerre froide. Copyright O. Perrot 2010
Elle est sortie du communisme très appauvrie et privée d’une classe politique instruite, responsable et honnête, comme l’atteste la multiplication des affaires impliquant les membres du gouvernement [6]. Mais, là encore, c’est la résurgence des conflits régionaux qui a poussé l’UE à regarder vers les Balkans, offrant à Tirana la possibilité de retrouver une place dans le concert européen. Lors de l’opération au Kosovo en 1999, l’Albanie a servi de base arrière aux troupes de l’OTAN et a accueilli les réfugiés kosovars fuyant l’offensive serbe. Surtout, elle a accepté de ne pas soutenir les irrédentistes albanais prêts à se battre pour le projet d’une « Grande Albanie ». Toutefois, le rapprochement euro-atlantique ne s’est pas fait sans heurts. L’ouverture des négociations en vue d’un ASA a été maintes fois reportée, notamment parce que le droit albanais dans les domaines liés à la reprise de l’acquis communautaire (droit de la concurrence, politiques communes, politique étrangère et de sécurité commune, coopération « justice et affaires intérieures ») était à l’état embryonnaire. L’Albanie a donc signé l’Accord en juin 2006, soit cinq ans après la Macédoine et la Croatie.
Trois ans plus tard, elle a choisi de déposer sa candidature à la veille des élections législatives, même si les Vingt-sept lui avaient demandé d’attendre la fin d’un scrutin considéré comme un test. L’Albanie semblait donc rattraper son retard à grande vitesse, quand la crise politique a éclaté. Déjà, la campagne électorale avait été émaillée de violences et d’irrégularités, mais les observateurs de l’OSCE avaient souligné une nette amélioration par rapport aux scrutins précédents. L’inquiétude est surtout venue du délai pour dépouiller les bulletins. Il a fallu un mois pour connaître les résultats officiels consacrant la victoire du Parti démocrate de Sali Berisha contre le Parti socialiste d’Edi Rama. Dès lors, le chef du PSSh a mené la fronde contre le nouveau gouvernement afin d’obtenir une enquête parlementaire sur les irrégularités des élections et un recomptage des bulletins. Son parti a boycotté les sessions parlementaires pendant plusieurs mois ; des manifestations ont été organisées ; des grèves de la faim entamées. En août 2010, malgré les efforts de médiation répétés de la part du président Bamir Topi, du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et de l’UE, la crise perdure. Au fond, si les facilités européennes encouragent les responsables sur la voie des réformes, leur capacité d’influence a des limites sur des élites au pouvoir qui utilisent avant tout l’UE comme une ressource de légitimation.
Le cas de la Serbie, qui a déposé sa candidature en décembre 2009, est encore différent. Alors que les pourparlers en vue d’un ASA ont ouvert dès l’automne 2005 avec la Serbie-et-Monténégro, ils ont dû être ajournés pour défaut de coopération suffisante avec le TPIY. C’est notamment l’arrestation des anciens responsables de la Republika srpska – Ratko Mladić [7], Radovan Karadžić [8] et Goran Hadžić [9] – qui pose problème. Mais cette exigence n’interdit pas les considérations politiques et électorales. Fin 2007, l’UE a paraphé l’ASA à l’approche des élections présidentielles serbes, afin de soutenir les candidats démocrates en leur offrant sa caution. L’Accord a été signé quelques mois plus tard, au printemps 2008, et a rapidement été ratifié par le parlement serbe. Pourtant, c’est seulement le 14 juin 2010 que le Conseil de l’UE a donné son feu vert aux parlements nationaux pour entamer la procédure de ratification dans les États membres. Il sera intéressant de suivre l’évolution de celle-ci. Par exemple, en Hollande, où la classe politique est soucieuse de préserver la justice internationale en raison du rôle de ses soldats à Srebrenica, et où le parti nationaliste de Geert Wilders (PVV) a fait une percée aux élections législatives de juin 2010. La ratification de l’ASA par la Grèce méritera également attention, dans la mesure où les responsables ont évoqué une intégration des Balkans en 2014, mais ne se privent pas non plus de dresser des obstacles sur la route des candidats.
Quoi qu’il en soit, le Conseil ne s’est pas encore prononcé sur la candidature de la Serbie. Il a clairement signifié que la coopération avec le Tribunal restait une priorité, mais aussi que Belgrade devait adopter une approche plus constructive concernant le Kosovo. Cette deuxième exigence implique non seulement de jouer le jeu de la coopération régionale avec tous les pays voisins, mais aussi de ne pas entraver la mission européenne d’État de droit EULEX, déployée au Kosovo. Ainsi, derrière les effets de manche d’une classe politique locale soucieuse de donner des gages européens à ses citoyens, la réalité de l’association est bien moins effective qu’il n’y paraît et le temps des négociations ne se soumet guère au volontarisme politique.
Enfin, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo constituent le dernier groupe de candidats, dont la qualité étatique fragmentée handicape une prochaine adhésion à l’Europe.
Tableau 3. Chronologie / UE pour BiH et Kosovo
La Bosnie est enlisée dans une impasse institutionnelle héritée des Accords de Dayton. L’État actuel est loin d’être fonctionnel et sa structure institutionnelle est paralysante. Elle est marquée par une très grande dispersion des pouvoirs, entre l’Etat central et les deux entités, d’une part, et au sein même des cantons, d’autre part. L’Etat central est faible, simplement doté de compétences d’attribution, et l’essentiel des pouvoirs relève des entités. Les partis politiques nationalistes ou, plus exactement, communautaristes parviennent essentiellement à s’entendre pour se partager le pouvoir, qu’ils utilisent à des fins d’enrichissement personnel. Enfin, la présence internationale ajoute une strate d’autorité. Dans ces conditions, l’UE attend de la Bosnie-Herzégovine une refonte de ses institutions, de telle sorte qu’elles puissent fonctionner et mettre en œuvre les réformes exigées par le Processus de Stabilisation et d’Association. Elle parie sur la « carotte » de l’UE comme incitatif à l’accélération des réformes et espère que des alliances intercommunautaires (aux intérêts économiques communs) remporteront les élections législatives et présidentielles d’octobre 2010. De la communauté internationale, les Vingt-sept attendent en outre une décision concernant la fermeture du Bureau du Haut Représentant. Ce dernier sera remplacé par un Bureau du Représentant de l’Union européenne, qui aura « une position plus institutionnalisée mais moins influente dans un contexte multilatéral » [10]. Or, cette refonte de la présence internationale a sans cesse été repoussée devant le constat d’échec de toutes les tentatives de réforme constitutionnelle [11].
Comparativement à ce statu quo inquiétant pour la stabilité régionale, la situation au Kosovo apparaît plus simple. Certes, le Kosovo est également confronté à une situation institutionnelle et politique délicate qui limite la réalité de sa perspective européenne. Comme cinq États membres [12] n’ont pas reconnu l’indépendance proclamée le 17 février 2008, il ne peut prétendre pleinement au Processus de Stabilisation et d’Association. Mais l’UE a inventé le Stabilisation and Association Tracking Mechanism (STM), un forum qui rassemble la Commission et le gouvernement du Kosovo pour faire le point sur les progrès accomplis en fonction du Partenariat européen. Ce mécanisme a été suivi du Stabilisation and Association Processus Dialogue (SAP Dialogue), en octobre 2009, qui s’articule autour de réunions plénières et sectorielles réunissant la Commission et le gouvernement. Ces instruments spécifiques ont permis au Kosovo de monter dans le train des réformes mais elles ne garantissent pas la signature d’un prochain ASA, qui nécessitera l’accord de tous les États membres. Ainsi, s’il pallie temporairement les lenteurs des décisions politiques, le technique ne saurait indéfiniment se substituer au diplomatique.
La République du Kosovo est née dans un cadre très particulier, strictement balisé par les chancelleries internationales, qui ont défini l’« indépendance sous supervision internationale » à la suite d’un processus de négociations long de deux ans. Cette émergence étatique inédite a prolongé le contrôle international, qui est accepté et intégré dans la Constitution de juin 2008 [13]. Elle s’articule autour d’une présence internationale aux visages multiples : la mission européenne EULEX, le Bureau de liaison de la Commission européenne, le Bureau civil international et le Représentant spécial de l’Union européenne, qui assume également la fonction de Représentant civil international [14]. Par conséquent, la souveraineté du Kosovo reste limitée et le statut étatique relatif du territoire complique une perspective européenne, réaffirmée par les responsables européens [15] mais entravée par les divergences internes. Les États opposés à la reconnaissance ont ainsi tenu à rappeler leur position, indépendamment de l’avis de la Cour internationale de justice rendu en juillet 2010 et qui a clairement affirmé que la déclaration d’indépendance n’était pas contraire au droit international. Cette situation requiert sans cesse de nouvelles formules de la part de l’UE, afin de maintenir le Kosovo dans la boucle des réformes. Ainsi, le rapport et l’étude annexe de la Commission qui ont été publiés en octobre 2009 envisagent d’établir un accord commercial et de lancer un processus de dialogue sur les visas, afin d’amener le Kosovo « vers la concrétisation de la perspective européenne » [16].
Le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine concentrent les difficultés d’une région où les États sont toujours en construction, alors même que l’Europe favorise le découplage de ses frontières. La stratégie d’élargissement communautaire trace de nouveaux espaces de coopération qui prolongent l’UE et la redessinent. Elle crée de nouveaux ensembles qui se superposent aux unions thématiques et non territoriales déjà existantes de l’UE. Ainsi, les pays candidats formels et potentiels bénéficient du Processus de Stabilisation et d’Association, mais tous ne font pas nécessairement partie de l’espace de libéralisation des visas. L’euro est la monnaie officielle chez certains (Monténégro, Kosovo), alors que certains États membres ne l’ont pas encore adopté. Les Balkans occidentaux sont enfin associés à diverses initiatives régionales (Accord centre-européen de libre-échange, Processus de coopération pour l’Europe du Sud-est, Conseil de coopération régionale, Communauté des transports) pour encourager les relations de bon voisinage. En construisant cette mosaïque à géométrie variable, le bloc européen « cherche à médiatiser son espace » [17]. Il trace une frontière en pointillés, pour étendre son cadre normatif et renforcer les structures étatiques, espérant garantir la stabilité de la région. En ce sens, les efforts de normalisation et les programmes de libéralisation inscrits à l’agenda des Balkans occidentaux concourent à la recomposition des moyens d’action extérieure de l’Union européenne.
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Plus sur le Diploweb.com
. Voir un article de Georges-Marie Chenu, "Balkans occidentaux : espace géopolitique convoité" publié sur le Diploweb.com le 9 décembre 2012 Voir
Bibliographie
. L’UE et les Balkans occidentaux, Rapport présenté au nom de la Commission politique par M. Piero Fassino, président et rapporteur (Italie, Groupe socialiste), Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, 58ème session, document C/2066, 18 mai 2010, 31 p.
. Insights and Perceptions : Voices of the Balkans. 2009 Summary of Findings, Gallup Balkan Monitor, in partnership with the European Fund for the Balkans, Bruxelles, 2009, 40 p. – Disponible sur le site de Balkan Monitor : Voir
. Heather Grabbe, Gerald Knaus et Daniel Korski, Beyond wait-and-see : The way forward for EU Balkan policy, Policy Brief, ECFR/21, European Council on Foreign Relations, mai 2010, 8 p.
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[1] Les Partenariats fixent des domaines d’action prioritaires et un cadre financier. Régulièrement mis à jour, ils débouchent sur un « plan d’action » pour accélérer l’application des objectifs de l’ASA.
[2] Vincent REY, chef-adjoint de l’unité Information et Communication de la DG Elargissement, débat « L’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux » organisé à la Maison de l’Europe à Paris, le 3 juin 2010.
[3] Le qualificatif "Vardar" fait référence au fleuve qui traverse le territoire de la FYROM, il permettrait de distinguer géographiquement la République de Macédoine de la région grecque appelée Macédoine.
[4] Composée de la République de Serbie (dont le Kosovo et la Voïvodine) et du Monténégro, la RFY a été proclamée en avril 1992, sur les ruines de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.
[5] Lors du premier Conseil d’association UE-Monténégro en juin 2010, le commissaire à l’Elargissement a estimé qu’un avis sur la candidature du Monténégro pourrait être rendu en novembre 2010.
[6] En mars 2008, l’ancien ministre de la Défense a été mis en examen dans l’affaire de l’explosion du dépôt de minutions de Gërdec, qui a fait 26 victimes et plus de 300 blessés ; réélu en juin 2009 (et actuel ministre de l’Environnement), il bénéficie de l’immunité parlementaire. En 2009, l’ancien ministre des Transports a été accusé d’abus de pouvoir dans un contrat de construction d’un tronçon de ligne de chemin de fer entre Tirana et Durrës avec la société General Electric. Au début de la même année, le ministre des Affaires étrangères a comparu devant la Cour suprême pour abus de pouvoir dans le projet de construction de l’autoroute qui reliera l’Albanie au Kosovo.
[7] Chef d’état-major de l’armée serbe de Bosnie-Herzégovine, il a été inculpé par le TPIY de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
[8] Président de la Republika srpska de 1992 à 1996, il a été arrêté près de Belgrade et son procès a ouvert en juillet 2008. Il est inculpé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
[9] Ancien président de la Republika Srpska Krajina en Croatie, il est inculpé de crimes de guerre, et de crimes contre l’humanité.
[10] L’UE et les Balkans occidentaux, rapport présenté au nom de la Commission politique par M. Piero Fassino, président et rapporteur (Italie, Groupe socialiste), Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, 58ème session, document C/2066, 18 mai 2010, p. 11.
[11] En novembre 2008, les trois leaders des principaux partis ont signé, à Prud, un accord de principe sur les réformes constitutionnelles nécessaires à l’intégration européenne. En octobre 2009, les représentants de l’UE et des USA ont lancé une série d’entretiens politiques de haut niveau à Butmir ; mais les réformes ont été rejetées par les responsables locaux.
[12] Il s’agit de Chypre, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne.
[13] Voir l’article de l’auteur publié dans la revue Esprit en juillet 2008 : « Les perspectives incertaines de la Constitution du Kosovo ».
[14] Pour une présentation développée de la présence européenne, voir l’article de l’auteur sur ce même site : « Kosovo–EULEX Légitimité technique et ambition politique de la présence européenne ».
[15] En mars 2010, le commissaire à l’Elargissement a déclaré qu’il y avait « un consensus général entre les membres de l’Union européenne concernant la perspective européenne du Kosovo ».
[16] « Kosovo – Vers la concrétisation de la perspective européenne », Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Bruxelles, 14 octobre 2009.
[17] Philippe PERCHOC, « Politique Européenne de Voisinage : politique de puissance ou élargissement masqué ? », article disponible sur le site Nouvelle Europe, 23 mai 2008 - http://www.nouvelle-europe.eu
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