Recherche par sujet Abonnement à la Lettre du diploweb.com

www.diploweb.com Géopolitique de l'Europe

Depuis la chute du Rideau de fer, quelle politique l'Union européenne met-elle en oeuvre face à la criminalité organisée d'Europe de l'Est ?

par le Chef d'Escadron Patrick Mabrier

(Gendarmerie nationale, France, 11 e promotion du CID) 

 

Depuis la chute du Rideau de fer en 1989, la criminalité organisée au sein de l'Union européenne a changé de visage. De nouveaux acteurs venus de l'Est, de nouveaux liens entre différents acteurs donnent au phénomène une ampleur nouvelle. Ce fléau met en danger de manière sournoise la construction européenne elle-même. Si rien n’est fait, ce sont les mafias qui profiteront de la construction européenne jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Si l’Union européenne échoue, les Etats membres n’en sortiront pas indemnes. Ils perdront en autorité. Or, si les institutions officielles vacillent, le pouvoir devra être occupé. Il le sera alors, sans doute à travers une corruption érigée en principe de fonctionnement, par les organisations criminelles.

Cette étude a été rédigée dans le cadre du Collège interarmées de défense (CID), au sein du séminaire Géopolitique dirigé par P. Verluise.

Bibliographie en bas de page.

Mots clés - Key words: patrick mabrier, 11 e promotion du cid, séminaire géopolitique, pierre verluise, criminalité organisée, europe, union européenne, europe de l’est, domaines d’activités, acteurs, mafias albanaises, mafias russes, clans criminels turcs, liens du terrorisme avec le crime organisé, financement du terrorisme, dispositif législatif et réglementaire, institutions, dispositif juridique au sein de l’union européenne, institutions communautaires, réflexion prospective, propositions pour le niveau européen et pour les états membres, gendarmerie nationale française, dacg, ucram, cildi, uclat, ocrb, craco, tracfin, dnred, dnef, dilti, gafi, sis, appel de genève, sommet de tampere, eurojust, europol, olaf, forum européen.

 

La construction communautaire est un processus difficile. Nombre de facteurs peuvent réduire les efforts des nations à néant. Parmi ces facteurs, se trouve la criminalité organisée souvent négligée, alors qu’il s’agit d’un frein majeur d’autant plus dangereux qu’il est pernicieux.

Depuis la chute du Rideau de fer en 1989, la criminalité organisée au sein de l'Union européenne a changé de visage. De nouveaux acteurs venus de l'Est, de nouveaux liens entre différents acteurs -terroristes et criminels- donnent au phénomène une ampleur nouvelle. Les Etats doivent donc s'en préoccuper de manière beaucoup plus assidue que par le passé. C'est d'ailleurs pour cela qu'un certain nombre de mesures ont été prises récemment.

Définitions

Pour comprendre l'étendue du problème, il convient tout d'abord de définir la criminalité organisée. Selon le Crime Control Act de 1970, destiné à réprimer la criminalité organisée aux Etats-Unis, “ Le crime organisé est une société qui cherche à exercer ses activités en dehors du contrôle des citoyens et de leur gouvernement. Son action n'est pas improvisée mais résulte de conspirations très complexes ourdies pendant de nombreuses années et destinées à procurer le contrôle d'un champ complet d'activités en vue d'accumuler le plus de profits possibles.

Le crime organisé emploie le plus fort pourcentage de ses forces à fournir des marchandises et des services illicites, à promouvoir des jeux prohibés et à encourager la consommation de certains produits tels les narcotiques. Il est aussi profondément enraciné dans les entreprises légales et les unions ouvrières.”

Depuis, différentes instances ont également tenté un essai de définition. En France, le Conseil de sécurité intérieure du le 14 novembre 2000 a défini la criminalité transnationale organisée comme le fait d’un groupe structuré d’au moins trois personnes, qui n’est pas constitué au hasard et s’inscrit dans la durée. Ses membres commettent des infractions graves entraînant des peines privatives de liberté supérieure à quatre ans. Le but du groupe est d’en retirer un avantage financier ou matériel. Il convient d'insister sur le fait qu'à ce niveau, un des problèmes majeurs de la définition consiste à ne pas retenir une définition qui permettrait d'amalgamer le terrorisme au crime organisé, selon le vœu d'un certain nombre d'Etats confrontés à ce phénomène (Tunisie, la Turquie, l'Algérie ou l'Espagne…). En effet, le lien entre les mouvements terroristes et les organisations criminelles est de plus en plus fort. Toutefois, ces deux éléments ne sauraient être amalgamés. En effet, si le profit est l'objectif essentiel du crime organisé, il est théoriquement absent du champ d'action terroriste. 

Au niveau de l’Union européenne, en octobre 1999 (CRIMORG 55, REV 1), la criminalité organisée est définie comme la collaboration de plus de deux personnes pour une période assez longue, indéterminée, suspectée d’avoir commis des infractions pénales graves pour le pouvoir ou le profit. 

L’ampleur de ce fléau dans une Europe conçue au sens large, Russie comprise, met en danger de manière sournoise la construction européenne elle-même. Les pays de l’Europe occidentale ont compris la nécessité de lutter contre ces organisations qui détournent des fonds publics importants à leur profit, et qui exercent des pressions certaines sur les autorités investies du pouvoir de décisions dans certains pays appelés à devenir à moyen terme des membres à part entière de l’Union européenne.

C’est pourquoi il convient d'étudier le dispositif mis en place par l'Union européenne et les améliorations qui pourraient lui être apportées. Il importe de faire le point sur la criminalité organisée contemporaine, ses domaines d’activité, ses acteurs, et son lien de plus en plus étroit avec le terrorisme.

 

I. La criminalité organisée depuis la chute du Mur de Berlin

Cette criminalité a considérablement évolué, non seulement en ce qui concerne à la fois les domaines d'activité, le nombre des acteurs, mais aussi par le renforcement du lien avec le terrorisme.

11. Les domaines d'activité

Le domaine d'action de la criminalité organisée a véritablement changé de physionomie depuis une vingtaine d'années. La progression fulgurante des techniques, et l'ouverture de l'Europe occidentale aux pays de l'Est en sont la cause.

Cette évolution se produit à la fois par la transformation de domaines d'activités traditionnelles et par l'apparition de champs nouveaux d'exercice des compétences.

111. Les domaines traditionnels

Les trois domaines d'activités traditionnelles qui ont notablement changé de physionomie sont les stupéfiants, la traite des êtres humains et la corruption.

1. Concernant les stupéfiants, l'Europe reste une importante source de drogues synthétiques de fabrication illicite. Ainsi, en Europe centrale et orientale, une nette augmentation de la fabrication illicite et de l'abus de stimulants de type amphétamine a été observée.

Par ailleurs, l'Europe reste le deuxième marché du monde pour la cocaïne, après l'Amérique du Nord.

Si le cannabis demeure la drogue la plus largement consommée, de plus en plus d'opiacés provenant d'Asie du Sud-Ouest sont offerts sur le marché, le transit vers l'Europe de l'ouest étant désormais facilité par la disparition du bloc soviétique en 1991.

Il convient de noter, selon les services de détection et de répression de la Fédération de Russie, que le nombre des infractions en rapport avec la drogue commises par de tels groupes a été multiplié par six entre 1996 et 2000. De même, le trafic de drogues dans la région reste sous le contrôle de groupes criminels transnationaux, les réseaux internationaux de trafiquants diversifiant de plus en plus les drogues dont ils font la contrebande.

 

2. Concernant la traite des êtres humains, le trafic de migrants est un phénomène en progression au sein de l’Union européenne. Le Parlement européen estime à 400 000 ou 500 000 le nombre de clandestins entrant tous les ans dans l'Union. S'agissant de la France, les flux migratoires irréguliers d'étrangers, qu'ils souhaitent s'installer en France, ou dans différents Etats d'Europe de l'Ouest, aux Etats-Unis ou au Canada, sont en nette augmentation.

Ils proviennent essentiellement d'Europe centrale et orientale (ex-Yougoslavie, Roumanie, Turquie), mais aussi d'Asie, d'Afrique centrale, et du Maghreb.

Pour le cas particulier de la prostitution, celle-ci s’est également développée de manière inquiétante en Europe de l’Ouest. Profitant à la fois de l’ouverture vers l’Ouest et du différentiel de niveau de vie, les différentes mafias de l’Est (en particulier albanaise) ont mis en place de véritables réseaux de prostitution. Ces criminels, bien organisés, mobiles, violents, utilisent les législations et les politiques pénales mises en œuvre dans les différents pays cibles pour adapter leur dispositif. Comme il n’existe pas de véritable politique au niveau européen, ces réseaux déplacent leur commerce d’un pays à l’autre, cherchant toujours le meilleur rapport coût/bénéfice/risque.

 

3. La corruption est, elle aussi, une des manifestations endémiques de la grande criminalité. L'entreprise est en effet une des cibles favorites du crime international. Ainsi, dans la relation entre le crime et l’entreprise, la corruption, qui fait parfois partie de certaines habitudes commerciales de certains Etats européens, joue un rôle important, amplifié de nos jours par les profits colossaux générés par les activités illicites dans le monde.

A titre d’exemple, les développements de l'opération “Mains Propres ” qui s’est déroulée il y a quelques années en Italie, ont montré l'étendue du phénomène dans un pays où le crime organisé s'est développé depuis le XIXème siècle, et où il semble bien qu'aucun secteur de la vie publique ou économique n'ait été, à un moment ou un autre de l’histoire du pays, épargné. Cependant, le cas de l'Italie n'est plus isolé en Europe. En Russie, on peut dire que la corruption qui prend sa source dans l’existence conjointe du marché noir et de la nomenclature à l’époque communiste a été un des éléments ayant contribué à la naissance des mafias.

 Voir une carte de la corruption dans l'espace UE27 + Turquie en 2003

L'utilisation généralisée de la corruption par les grands groupes de criminalité organisée permet de mettre en lumière leur stratégie de corruption.

Tout d'abord, la corruption mise en œuvre par le crime organisé revêt deux formes: une corruption “fonctionnelle”, pour obtenir des marchés, des autorisations, des dérogations, des informations (espionnage industriel et commercial) et une corruption “ de défense ”, combinée avec la violence, pour obtenir l'impunité (corruption policière), l'acquittement ou une peine légère (corruption judiciaire, corruption de témoins) ou un régime spécial permettant au parrain de poursuivre ses activités en prison (corruption pénitentiaire).

Les méthodes de corruption sont, quant à elles, très diverses. Elles vont de la plus simple (l'enveloppe glissée pour un dossier) jusqu'aux plus sophistiquées (manœuvre des lobbies), ou encore du traditionnel pot-de-vin versé par de pseudo sociétés d'étude sous des prétextes plus ou moins fictifs (honoraires), aux réseaux d'amitié ou d'influence. Elles peuvent ainsi consister à offrir des avantages en argent, des facilités de carrière, et la possibilité de se voir attribuer ultérieurement de gros contrats.

Enfin, la corruption s'exerce dans tous les domaines économiques sans exclusive et vise aussi bien à la prise de contrôle de sociétés après obtention d'informations commerciales, à la pénétration du milieu financier ou bancaire par des capitaux à blanchir, au placement de marchandises contrefaites, qu’à l'obtention de marchés publics (en Sicile), au pillage des matières premières (cf en Russie), à l'obtention des autorisations et dérogations administratives, ou encore, plus simplement, à la recherche d'appuis ou d'influence politique. A ce titre, on estime qu’en Russie, la corruption sévirait dans les milieux politiques au plus haut niveau. 

En réalité, tous les domaines de la criminalité traditionnelle ont été touchés par l’évolution du contexte international de la fin du siècle dernier. Tel est également par exemple le cas du trafic d’armes légères… Parallèlement à cette première évolution, de nouveaux domaines sont apparus.

112. Les nouveaux domaines d’investigation du crime organisé

Du fait du développement des techniques, deux domaines nouveaux sont apparus.

1. Tout comme les organisations légitimes des secteurs public et privé utilisent les systèmes d'information pour leurs communications et leur comptabilité, les organisations criminelles utilisent les nouvelles technologies non seulement pour blanchir l’argent sale mais aussi pour perfectionner leurs activités.

L'informatique est ainsi utilisée pour faciliter le trafic de drogues, le jeu, la prostitution, le blanchiment d'argent, la pornographie impliquant des enfants et le commerce d'armes, dans les pays où ces activités sont illégales. En outre, l'utilisation de techniques de cryptographie permet de mettre l'utilisation des communications à des fins criminelles à l’abri des services de répression, pendant un certain temps.

L'utilisation des réseaux informatiques pour produire et diffuser de la pornographie impliquant des enfants est une question qui retient de plus en plus l'attention des Etats européens. A l'heure actuelle, cette forme de pornographie peut franchir les frontières de manière quasi-instantanée. Si les manifestations les plus visibles de ce type de pornographie sur Internet sont, pour l'essentiel, le fait d'individus, en revanche, certaines formes moins visibles de pornographie faisant intervenir des enfants semblent exiger une organisation plus poussée. Il est possible qu'il existe plusieurs réseaux transnationaux qui utilisent des technologies perfectionnées de dissimulation et qui reposent sur une étroite coordination. On peut citer comme exemple le Wonderland Club, réseau international ayant des membres dans au moins 14 pays en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. Il n'était possible d'avoir accès à ce groupe qu'au moyen d'un mot de passe et le contenu était chiffré. En septembre 1998, l'intervention de la police au cours de l’ Opération Cathédrale s'est traduite par une centaine d'arrestations dans plusieurs régions du monde et par la confiscation de plus de 100 000 images.

Toutefois, les réseaux informatiques peuvent également être utilisés à d’autres fins, comme par exemple les extorsions de fonds. En 1996, le Sunday Times de Londres a fait savoir que plus d'une quarantaine d'établissements financiers britanniques et américains avaient fait l'objet d'attaques électroniques au cours des trois années précédentes.

La « guerre électronique » ne concerne donc pas seulement le champs de bataille, mais la société toute entière. Or, cette guerre nécessite des moyens lourds au niveau des Etats mais pas seulement. Le problème est que la rapidité d’action induite par ce nouveau média joue contre les institutions « lourdes » à manœuvrer que sont les Etats et les institutions internationales. Une véritable prise de conscience est donc absolument indispensable pour mettre en œuvre des dispositifs de lutte efficace. 

2. Le trafic de matières nucléaires est un autre phénomène inquiétant. Sur une quarantaine de cas relevés en 1991, une petite moitié venait de l'Est, les autres affaires plus traditionnelles provenant du continent africain.

Néanmoins, il convient de préciser que ces trafics portaient généralement sur de petites quantités d'uranium naturel ou faiblement enrichi et sur diverses substances radioactives inutilisables pour fabriquer des armes nucléaires. Beaucoup de clients potentiels se sont donc fait extorquer des sommes importantes, pour n’obtenir en fin de compte, en lieu et place de l'uranium hautement enrichi ou du plutonium promis, de l'uranium naturel, de l'uranium faiblement enrichi, du combustible de centrale nucléaire, voire du plomb.

Toutefois, les trafics à partir de l'ex-URSS qui ont commencé à être décelés dès le début des années 1990, se sont par la suite accélérés. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) confirmait l'existence de 130 cas enregistrés entre 1993 et 1996.

Certes, le danger représenté ce trafic ne doit pas être inutilement exacerbé, puisque les vecteurs jouent un rôle déterminant dans l’utilisation efficace des matières, et que la possession et la mise en œuvre de ceux-ci suppose des moyens bien identifiés. Toutefois, les Etats européens doivent être vigilants, puisque c’est la sécurité de leurs populations qui est directement concernée. La mise en place d’un dispositif efficace suppose une étroite collaboration entre les pays de l’Union européenne et les pays de l’ex-Union soviétique. 

12. Une multiplicité d’acteurs

Dans ce domaine également, aux acteurs traditionnels qui ont eux-mêmes évolué au cours de la deuxième moitié su siècle dernier, sont venus s’ajouter, depuis la chute du Mur de Berlin, des acteurs nouveaux.

121. Les acteurs traditionnels 

En Europe, la criminalité organisée n'est pas un phénomène nouveau. Un certain nombre de groupes structurés sont présents depuis longtemps en Europe occidentale.

1. On peut citer à titre d'exemple les mafias italiennes. Ces mafias sont des réalités dynamiques, en perpétuelle mutation, capables de parfaitement s'adapter aux circonstances politiques, sociales et économiques les plus diverses. Leur caractéristique principale est la polycriminalité. Elles sont présentes à l’extérieure des frontière italiennes. Le plus célèbre de ces groupes est sans doute la Cosa Nostra (mafia sicilienne qui comprend plus de 120 “familles”, pour moitié dans la région de Palerme) qui entretient des liens étroits avec la mafia italo-américaine et les cartels colombiens, et qui dispose d'une implantation internationale en Amérique du Nord et du Sud; mais aussi en Allemagne, ou en Turquie. De même, en Europe, la Ndrangheta (150 familles de Calabre) contrôle au sud de l'Allemagne tout un réseau de petites entreprises (voitures d'occasion, garages) et de pizzerias. La Sacra Corona Unita (qui comprend 32 “familles de la région des Pouilles) profite largement des trafics variés (cigarettes, stupéfiants, migrants illégaux, armes, etc.) avec l'ex-Yougoslavie, et entretient des liens étroits avec la mafia albano-kosovare.

 

2. A côté des traditionnelles mafias italiennes, d’autres bandes organisées en provenance de l'étranger s'étaient progressivement implantées en Europe et en France au cours de la deuxième moitié du siècle dernier.

Tel est le cas des Yardies qui figurent parmi les criminels les plus violents du monde. Leur pays d'origine, la Jamaïque, est l'un des trois pays les plus meurtriers (près de 30 homicides par an pour 100 000 habitants), juste après la Colombie et l'Afrique du Sud. Ces Yardies sont regroupés en « Posse », groupes organisés faiblement structurés. Ils disposent de hiérarchies volatiles, sont par nature opportunistes, et mènent des stratégies de court terme. En Grande-Bretagne , la police estime aujourd'hui à 200 le nombre de Yardies armés et “extrêmement violents ”, dans les quartiers chauds de Londres (Brixton, Harlesden, Tottenham, Lam-beth);

De même, les bandes de motards qui versent dans la criminalité se sont répandues dans l’ensemble du monde occidental. Il en existe plusieurs tels les Hells Angels, les Bandidos, les Outlaws et les Pagans, comptant plus de 5 000 membres à travers le monde. Seuls les Pagans sont purement Américains. A eux seuls, les Hells Angels sont organisés en 180 sections (ou “chapitres”) dans 25 pays. Ces bandes ont, bien sûr, des activités légales, liées à la moto : concessions, produits dérivés, presse spécialisée, rassemblements festifs, concerts.... Néanmoins, ces motards ont aussi des activités criminelles dans des domaines très divers: trafic de drogues synthétiques (amphétamines) et de cocaïne; racket, proxénétisme, trafic d'armes et de pièces détachées de moto.

Ces bandes de motards  sont actives dans toute l'Europe occidentale, en particulier dans les pays du nord.

 

3. Il convient de ne pas oublier la criminalité liée la délinquance itinérante qui tient une place particulière en France. En effet, au sein d’une population de près de 200 000 personnes sans domicile ni résidence fixe (SDRF), c’est-à-dire nomade, avec un esprit de clan très marqué, très mobile par nature, il existe un certain nombre de délinquants qui se distinguent par leur organisation, leur rapidité de déplacement et leur violence. Ils opèrent la plupart du temps hors de leur zone de résidence temporaire et effectuent des raids à longue distance. Ils sont impliqués en particuliers dans les vols de fret, les arrachages de distributeurs de billets de banque, les vols d’objets d’art et les agressions de personnes âgées.

Organisés en groupes hiérarchisés, ils mènent des actions de type commando avec en général des véhicules volés, et n’hésitent pas à recourir à la violence à l’encontre de leurs victimes.

Afin d’obtenir un profit rapide, ces délinquants travaillent à la commande. Le butin disparaît alors, soit en étant vendu sur des marchés professionnels, soit dans des filières d’écoulement spécifiques. Ce qui a changé avec la chute de l’empire soviétique, c’est que l’extension du marché a permis à ces délinquants de développer leur activité. Ils travaillent fréquemment pour des clients d'Europe de l’Est, ce qui rend difficile la récupération des marchandises et la résolution des affaires. Il s’agit sans doute là d’une forme de délinquance appelée à se développer, contre laquelle les Etats et la Communauté européenne devra mettre un dispositif véritablement réactif. Il importe de noter que le développement de cette forme de délinquance  entraîne des dommages importants au plan économique, du fait des nombreux dégâts qu’elle occasionne à l’occasion de l’accomplissement des faits délictueux.

 

122. Les nouveaux acteurs

La chute du Mur de Berlin a permis à de nouvelles mafias très actives de s'implanter en Europe de l'ouest. La plupart des groupes criminels viennent d’Europe de l’Est, mais d’autres groupe venant de plus loin profitent de l’ouverture vers l’Orient initiée par cet évènement.

1. La mafia albanophone (Albanais et Kosovars confondus), moins connue que son homologue italienne, est cependant parmi les plus secrètes et les plus violentes au monde, selon les experts d'Interpol et les différentes polices des pays des Balkans. C'est effectivement une mafia, au sens réel du terme, c’est-à-dire une coalition de “familles” où l'on n'entre que par les liens du sang ou du mariage, dotées de hiérarchies très élaborées, et au sein de laquelle règne la loi du silence. Au sommet, les “parrains” entretiennent des liens symbiotiques avec les politiciens albanais, chaque parti important disposant de sa “base d'appui ” mafieuse, du fait de liens claniques ou de complicités nouées bien souvent lors de la période communiste. De plus, les policiers albanais soulignent les liens étroits existant entre mafieux, financiers véreux et chefs des guérillas du Kosovo.

Plus largement, les mafias albanophones sont formées de clans spécialisés dans le trafic de narcotiques, la prostitution, la contrebande d'hydrocarbures, de cigarettes ou de migrants clandestins venus du monde entier, qu’ils soient Kosovars, Kurdes, Africains ou encore Chinois.

Dans toute l’Europe, cette mafia opère au moyen de noyaux criminels albanais de 15 à 20 jeunes individus âgés de 20 à 25 ans, qui se livrent essentiellement au cambriolage, à l'exploitation de la prostitution, au trafic de stupéfiants.

 

2. La mafia russe est sans doute celle dont l’activité s’est la mieux répandue dans toute l’Union européenne. En effet, ce qui fait la force de la mafia russe, c'est sa maîtrise des circuits économiques. Elle a appris toutes les techniques de détournement des richesses, qu'elles soient matérielles ou immatérielles. La situation que connaît la Russie depuis l'effondrement du communisme a favorisé ce type de pratiques délictueuses, en particulier parce que prendre le contrôle d'une entreprise nouvellement privatisée y est simple. Les actionnaires sont obligés de reverser 80 % de leurs profits à l'administration. En conséquence, souvent, ceux-ci ne déclarent que 20 % de leur production. La mafia s'infiltre alors dans l'entreprise et estime le vrai volume de production, généralement connu de la plupart des salariés. Il suffît ensuite de menacer les dirigeants de l'entreprise de les dénoncer pour qu’ils acceptent de verser la moitié de leurs profits aux mafiosi. Beaucoup de chefs d’entreprise ont longtemps considéré qu'un tel racket était préférable à l'imposition de leurs bénéfices à hauteur de 80 % par le fisc.

Ce pays compterait actuellement, selon certaines estimations toujours aléatoires dans ce domaine, quelque 1300 organisations criminelles différentes, contrôlant 48 000 entreprises, 1500 établissements publics et 800 banques. Une étude réalisée en 1995 auprès d'entrepreneurs russes a conclu qu'une entreprise sur quatre était rackettée par la mafia.

De plus, la puissance économique de cette mafia russe se double d'une réelle influence politique. Des liens étroits uniraient les services secrets (le F.S.B.) et la mafia, et plusieurs dizaines de députés de la Douma seraient compromis dans des affaires d'évasion fiscale et de corruption.

Ces groupes criminels sont très bien organisés, et divisés en cellules autonomes de trois ou quatre individus, afin que la police ne puisse cerner facilement l'organisation dans sa globalité.

En Russie, le principal problème consiste dans le fait que le crime organisé a infiltré le système financier, ce qui favorise les fraudes bancaires. En effet, du fait de l'ampleur de la corruption, beaucoup de salariés des banques sont eux-mêmes liés à la mafia. Ce phénomène facilite les fraudes informatiques : les opérations effectuées paraissent normales alors que l'argent est soit détourné au profit d'entreprises russes, soit exporté dans des banques étrangères.

Les fraudes touchent également les opérateurs de services de télécommunications. Ainsi, de vastes fraudes impliquant des numéros de fausses cartes de crédit ont pu être mises en exergue. Par ailleurs, le marché mondial de la drogue intéresse aussi la mafia russe dans la mesure où les bénéfices tirés du marché intérieur se montent à environ sept milliards de dollars, selon les estimations des Nations-Unies. C’est pourquoi les Colombiens se sont alliés avec les Russes pour importer de la cocaïne.

L'expansion de la mafia russe hors de son territoire historique constitue un exemple frappant de la volonté d'hégémonie des groupes criminels organisés. De fait, l'exemple de la mafia russe montre comme il est difficile de lutter contre des organisations qui se caractérisent par une réelle symbiose avec les structures étatiques et bancaires, et comme ces organisations peuvent rapidement gagner en pouvoir. Ainsi, moins de cinq ans après l'effondrement de l'U.R.S.S., la mafia locale était parvenue à contrôler les trois quarts de l'économie de la Russie, et dix ans après à s'exporter en Europe occidentale.

 

3. A la frontière de l'Orient et de l'Occident, une dizaine de clans criminels turcs ou kurdes, Ayanoglou, Baybasin, Cakici, Heybetli, Karaduman, Ulucan, etc., sont aux ordres de “parrains” puissants, très influents auprès de la classe politique : le clan Cakîci est proche des nationalistes pan-turcs, et le clan Baybasin est lié au PKK. Comme dans toute mafia “historique”, les familles criminelles sont liées par le mariage, le cousinage, ou le parrainage.

Du fait de la position géographique de la Turquie les parrains turcs sont souvent des “armateurs”, dont l’activité traditionnelle était , sous l'Empire Ottoman, la contrebande.

Elles vivent aujourd’hui du trafic d'héroïne entre l'Asie centrale et l'Europe, de la contrebande de matériel électronique et vidéo, de la contrefaçon, de la production de faux documents officiels, du jeu clandestin, du racket, de la prostitution, et du piratage de marchés publics.

Désormais, un certain nombre de ces organisations criminelles sont implantées en Allemagne, en Espagne, en Suisse et surtout au Bénélux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg).

 

4. Les mafias asiatiques ont également profité de la chute du bloc soviétique pour se diffuser en Europe. Ainsi, les Triades asiatiques se répandent de manière plus importante en Europe depuis la fin des années 80. Ce phénomène a également été facilité par le rattachement de Hong-Kong à la Chine communiste en 1999.

Ainsi, on signale la présence de la Sun Yee On, du l4 K, Wo Shing Wo et Wo On Lok (de Hong-Kong) et du Grand Cercle (de Chine populaire).

En Europe, leurs bases majeures se trouvent en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, où elles pratiquent d'abord une criminalité endogène dans les Chinatowns (contrôle ou racket des jeux clandestins, du monde du spectacle, de l'audiovisuel piraté, des commerces et restaurants, enlèvements de riches particuliers, etc.), mais aussi la prostitution et le narcotrafic. En mars 1999, Chan King Man, bras droit du chef de la 14 K pour l'Europe, a été condamné en France à seize ans de prison pour un trafic d'héroïne produite au Triangle d'or.

 

Le point capital commun à toutes ces mafias est qu'une telle puissance criminelle génère une masse de capitaux qu'il faut bien recycler. La mafia russe a ainsi pris l'habitude d'en exporter le maximum. Probablement parce que ces organisations mafieuses n'accordent logiquement qu'une confiance limitée à leur propre système bancaire, même si elles le contrôlent en partie. En quelques années, leurs avoirs dans les banques suisses ont doublé. Selon les estimations de ces dernières, les montants déposés par les Russes avoisinent les trois milliards de dollars par an. Au cours de la première moitié des années 1990, elle avait déjà exporté dix milliards de dollars vers les banques helvétiques, et le rythme s'est accru. Cependant, la masse de ces avoirs reste difficile à cerner, en raison du secret bancaire et du caractère occulte de ces transferts, d'où des estimations souvent contradictoires.

En 1996, la mafia Russe a aussi cherché à acquérir une banque espagnole, pour y blanchir son argent. Les investissements colossaux dans l'immobilier sur la côte est de la péninsule Ibérique ne suffisaient plus pour absorber le recyclage de l'argent sale.

La mafia Russe a également établi des liens avec la Grande-Bretagne pour faciliter le blanchiment. La City constitue en effet, par sa position stratégique sur les marchés mondiaux des capitaux, une place de choix.

C’est cette puissance financière qui a permis un rapprochement opportuniste entre les grands criminels et les terroristes.

 

13. Les liens du terrorisme avec le crime organisé

Le lien entre la criminalité organisée et le terrorisme est de plus en plus étroit depuis la chute du Mur de Berlin pour deux raisons majeures. D'abord, le terrorisme a changé de physionomie. Ensuite, le blanchiment a facilité les relations entre ceux qui ont besoin d'argent et ceux qui en disposent. La lutte contre le blanchiment a donc été engagée par les différentes autorités nationales.

131. L’évolution contemporaine du terrorisme 

Le terrorisme est plus que jamais d'actualité. Son faible coût et son impact auprès des populations, l'accès immédiat qu'il procure aux médias quels qu'ils soient, en font un outil idéal de publicité et de chantage. Il a connu plusieurs évolutions.

A la charnière des XIXème et XXème siècles, la première vague de terrorisme était anarchiste ou “nihiliste ”. Dès 1881, le bulletin anarchiste « L'Étendard révolutionnaire » donnait la formule terroriste qui demeure valable aujourd’hui : “La bonne tactique insurrectionnelle : capture des otages, reprise de possession du capital, surprise de l'ennemi à domicile et emploi de moyens scientifiques.” Cet épisode de terreur s'achève avec la Première Guerre mondiale.

La deuxième vague de terreur prend sa source dans les Balkans. C'est la Seconde Guerre mondiale qui  y met fin.

La troisième vague naît à la fin des années 1960, pendant la Guerre froide. L’IRA, les Palestiniens extrémistes, les Brigades rouges et la Fraction armée rouge ne posaient alors aux grands pays que des problèmes de sécurité nationale « modestes »: surveillance des aéroports, maintien de l'ordre en Ulster, travail de police antiterroriste. Sensationnel, certes, le terrorisme de cette époque concernait peu les ministres de la Défense nationale. Ce cycle majeur de terrorisme a pris fin en 1993.  

Aujourd'hui, le terrorisme est partout. Des actions sont menées chaque jour, dans diverses régions du globe. De plus, l’observation des conflits en cours montre que le terrorisme est devenu l'une des composantes majeures de la guerre. A l'aube du XXIème siècle, le terrorisme a donc cessé d'être marginal. Il constitue désormais une préoccupation centrale des gouvernements occidentaux.

En décembre 1997, les 185 pays membres de l'Assemblée générale de l'ONU ont adopté une « convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif », sans avoir réussi néanmoins à définir le terrorisme lui-même, obstacle sur lequel le Comité juridique de l’organisation mondiale butte depuis trente ans. Le texte stipule qu'en aucun cas l'attentat à la bombe ne peut être considéré comme un acte politique. Il oblige ses signataires à extrader les auteurs de tels attentats à un pays tiers, afin de faire disparaître les “ sanctuaires ”.

A sa suite, une autre convention pour la répression du financement du terrorisme a été adoptée en 1999.

Des dispositifs existent donc pour lutter contre ce fléau contemporain. Mais, alors que s’est aboli l'ordre mondial bipolaire, la terreur s’est déplacée de l'aire politico-idéologique vers la grande criminalité organisée. Un exemple de cette situation est représenté par les guérillas du Tiers-Monde corrompues notamment par le trafic de narcotiques. Dans la presse sont donc apparus les termes de “narcoterroriste” ou de “gangsterrorisme ”.

Ce glissement du “politique” vers le “droit commun” est un phénomène inquiétant. En effet, les nouveaux terroristes sont organisés de manière très différentes de leurs prédécesseurs. Les entités permanentes et hiérarchisées ont laissé la place à de petits noyaux temporaires, mobiles, adeptes des hautes technologies. De plus, les freins moraux qui pouvaient exister ont disparu de ces entités fanatisées. Faisant de la terreur aveugle une fin en soi(la destruction de leurs “ennemis ”), ils “justifient” leurs attentats (métro de Tokyo...) par la volonté d'un “prophète ”, ou par la  volonté divine (islamisme), en échange d'une place de choix au paradis. 

La différence capitale entre hier et aujourd’hui tient au fait que dorénavant les Etats adeptes du terrorisme sont affaiblis et dépendent désormais de leurs “alliés” criminels. Il y a là un véritable danger pour l’équilibre géopolitique des différentes régions du globe, d’autant que les terroristes bénéficient désormais de nouvelles ressources financières.

 

132. La problématique du financement du terrorisme

Le terrorisme bénéficie des fruits de la criminalité organisée à travers le blanchiment. On peut constater actuellement la réussite des stratégies d'infiltration dont les réseaux du blanchiment ont été les instruments. De nombreux acteurs mettent en œuvre des techniques variées en cherchant à tirer parti des facilités offertes par le système financier international. En outre, le blanchiment bénéficie d'un contexte général qui est de plus en plus favorable à son développement.

Les actes terroristes du 11 septembre 2001 contre les « Twin-Towers » du World-Trade-Center à Manhattan, par leur ampleur en termes de pertes humaines et matérielles, directes et indirectes (pertes d'exploitation, chute des cours de Bourse, impact sur l'économie...), ont montré quelles pouvaient être les conséquences de l’insuffisance de prise en compte de ce problème.

Le blanchiment et le financement du terrorisme sont de plus en plus associés. Ces deux opérations cumulées ont pour objectif de dissimuler les sources, illégales et légales des capitaux, pour éviter que les autorités de justice et de police ne puissent remonter à elles. Toutefois, le financement du terrorisme pourra être réalisé à partir de ressources financières légales (dons à des organisations caritatives...). Cependant, que les sources soient légales ou illégales, ces capitaux utiliseront les mêmes montages.

En fait, le système économique et financier global s’est laissé contaminé par le blanchiment. Les opérations liées au recyclage de fonds d’origine douteuse sont de plus en plus souvent confiées à des blanchisseurs professionnels. Ces derniers interviennent comme des prestataires de services susceptibles de répondre aux attentes de plusieurs catégories de clients. Ils sont tout autant capables de gérer l’argent de la drogue que de blanchir des fonds reçus en paiement d’une livraison d’armes effectuée en violation d’un embargo. Afin de satisfaire leurs clients, ces professionnels exploitent toutes les facilités offertes par le système financier actuel. Ils mobilisent les ressources variées de l’ingénierie du blanchiment dont ils ont progressivement jeté les bases. Ils choisissent les paradis réglementaires les plus accueillants pour y domicilier les trusts et les sociétés écran qui servent à dissimuler les patrimoines dont ils assurent la gestion. Ils sont parmi les principaux intervenants dans cet univers financier off shore. Si le nombre de ces paradis du blanchiment est en constante augmentation dans un contexte marqué par la globalisation et l’immédiateté des échanges, il convient de noter que les activités financières off shore ne sont pas une exclusivité des petits pays ou des territoires insulaires : elles sont en effet de pratique courante dans plusieurs États américains ainsi que sur les places de Londres et de Dublin. 

Le système financier mondial s’imprègne donc de plus en plus profondément des caractéristiques qui favorisent le blanchiment d’argent en même temps que toutes les autres formes de mouvements de fonds : facilité d’accès et capacité de déplacer l’argent dans le système rapidement et avec un minimum de formalités et de contrôles, avec souvent la complicité d’une banque étrangère qui sert de destination provisoire ou finale aux fonds. Tous les éléments sont dès lors réunis pour blanchir l’argent au profit de bénéficiaires très divers, mafieux ou terroristes.

 

133. Un phénomène pris en compte dans l’urgence

Avant même les événements du 11 septembre, les Etats occidentaux avaient pris conscience de la nature de la menace. Une des orientations qu’ils ont choisi a été de neutraliser l’ennemi en détectant et en gelant l'argent des terroristes.

Ainsi, au plan international, l'assemblée générale de l'ONU a adopté, dès le 9 décembre 1999, une Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. Celle-ci a été signée à New York le 10 janvier 2000.

De même, au niveau européen, le Conseil de l'Union européenne, dans un règlement (CE) n° 467/2001 du 6 mars 200l a pris le relais de la position du Conseil de sécurité en permettant le gel des fonds appartenant à une des personnes physiques ou morales énumérées dans une liste annexée. Ce règlement précise qu'il faut entendre par fonds “les actifs financiers et les avantages économiques de quelque nature que ce soit, autrement dit tout ce qui est comptabilisé à l'actif au passif et en hors bilan ainsi que tout moyen de paiement, de crédit, de financement, de garantie et tout instrument financier ”.

A ce titre également, en France, pays membre de l’Union européenne, plusieurs décrets ont été signés. Désormais, dès qu'une banque trouve une opération informatique susceptible de concerner une personne listée en annexe des décrets qui soumettent à autorisation préalable du ministre de l'Économie et des Finances “les opérations de change, les mouvements de capitaux et les règlements de toute nature entre la France et l'étranger », elle doit communiquer toute information au bureau compétent de la direction du Trésor en vue d'un gel des fonds. En même temps, elle devra faire une déclaration de soupçon à TRACFIN.

Malgré ces mesures qui ont le mérite d’exister, l’évolution de fond en matière financière a conduit à l'apparition d'un système caractérisé par un haut niveau de complexité. Les possibilités de régulation et, a fortiori, de lutte contre le blanchiment apparaissent au fil du temps de plus en plus limitées malgré les proclamations de nombreux responsables occidentaux. Or cette complexité est désormais, à divers titres, l'obstacle majeur pour le succès de toutes les initiatives visant à combattre le blanchiment.

 

II. Le dispositif de lutte communautaire

Le dispositif européen ne peut être isolé. Il s'inscrit dans un ensemble international. En effet, depuis la fin des années 1980, la communauté internationale a élaboré et adopté, dans le cadre de différentes enceintes mondiales, régionales ou sous-régionales, de nombreux instruments de droit pénal, plus ou moins contraignants (selon qu'il s'agisse de conventions, de résolutions ou de recommandations).

S'agissant des conventions internationales, qui, par leur caractère contraignant, constituent en réalité les moyens les plus opérants pour améliorer la lutte contre la criminalité, elles portent jusqu'à présent sur des domaines spécifiques visant la lutte contre certaines activités délictueuses, que celles-ci soient ou non menées par des organisations criminelles. Toutefois, aucune de ces conventions ne visait la criminalité transnationale organisée en tant que telle.

L'ONU a donc orienté son action vers la lutte contre la criminalité organisée dans son ensemble. La convention de Palerme correspond à la nécessité ressentie de disposer d'un instrument international global contre la criminalité transnationale organisée.

Alors que les autres instruments internationaux traitant de la criminalité transnationale organisée sont des instruments ciblés ou thématiques, visant des activités délictueuses spécifiques telles que le trafic de stupéfiants ou le blanchiment, la convention de Palerme cherche à appréhender et réprimer la criminalité transnationale organisée de manière globale, dans l'ensemble de ses activités délictueuses grâce, notamment, à la généralisation de certaines infractions, telles que la participation à un groupe criminel organisé, et au renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale. Le texte de certaines de ses dispositions s'est inspiré de la rédaction des instruments antérieurs. A titre d'exemple, la définition du blanchiment est très largement inspirée des conventions de 1988 sur le trafic de stupéfiants et de 1990 sur le blanchiment.

En Europe, l’essentiel de la lutte est encadré par les dispositifs nationaux , parmi lesquels le dispositif français, et par le dispositif mis en place par les institutions européennes.

 

21. Le dispositif français

Le dispositif national doit être abordé à la fois à travers la législation et la réglementation en vigueur, et à travers l'aspect institutionnel.

211. Le dispositif législatif et réglementaire 

En 2004, la France ne s'est toujours pas prémunie véritablement contre ce péril sérieux qu'est le crime organisé transnational même si des évolutions récentes montrent une réelle détermination en ce sens.

Le droit pénal français n’établit pas de définition juridique autonome de la criminalité organisée. Celle-ci est appréhendée jusqu’à aujourd’hui au travers de la commission d'une infraction déterminée avec la circonstance aggravante de la bande organisée (art.132-71 du code pénal) et sous l'angle de l'incrimination d’association de malfaiteurs, groupement formé par une entente établie en vue de la commission d'un crime ou d'un délit grave. (infraction autonome, art. 450-1 du code de procédure pénale).

La France a choisi d’aller au bout de cette logique avec la loi PERBEN 2 qui devrait être bientôt promulguée. Celle-ci prévoit la création d’un nouveau titre du code pénal dans lequel une liste est dressée de 15 infractions en bande organisée parmi lesquelles le meurtre, le crime de fausse monnaie, la traite des êtres humains, le blanchiment, le vol, l’aide au séjour irrégulier des étrangers.

De plus, les lois PERBEN 1 et 2 de 2003 et 2004 donnent aux magistrats et aux forces de police et de gendarmerie des moyens supplémentaires de lutte contre la criminalité organisée, parmi lesquelles:

- le renversement de la charge de la preuve est établi en matière de blanchiment d'argent. Ce serait alors au mafieux mis en examen d'établir l'origine licite de sa fortune, et non plus au ministère public de prouver sa provenance criminelle;

- pour les infractions portant atteinte aux personnes, la garde à vue est portée à 96 heures avec présence de l’avocat à la 48ème heure. Il devient également possible de perquisitionner de nuit;

- les opérations d’infiltration ainsi que la sonorisation des lieux privés sont autorisées;

- le plaider coupable permettra aux procureurs de proposer une peine privative de liberté à une personne ayant reconnu avoir commis une infraction, sans procès.

 

Toutefois ce système comporte deux faiblesses majeures.

D’une part, la France a choisi de s'attaquer aux malfaiteurs pour la commission d'actes déterminés plutôt que de s'attaquer directement à la structure criminelle elle-même. Ce dispositif ne permet pas d’appréhender judiciairement les structures mafieuses. C’est l’infraction qui est visée et non l’organisation criminelle, contrairement à la loi italienne qui  dispose de l’article 416 bis du Code pénal italien sur l'association mafieuse. 

D’autre part, malgré les avancées, il convient de noter la faiblesse des outils à disposition des magistrats, et des services de police et de gendarmerie. Outre le fait qu’il n’existe pas d'incrimination véritablement spécifique, il n’existe pas de dispositions de procédure pénale adaptées, le plaider coupable ne constituant qu’une modalité de la procédure qui sans doute, suite à l’avis du Conseil Constitutionnel du 2 mars 2004, risque de s’appliquer à tous les auteurs d’une infraction, sans distinction.

 

212. Les institutions

Les moyens institutionnels ont été augmentés année après année, sans jamais s’inquiéter de l'homogénéité du dispositif, ou de sa coordination.

1. Au sein du ministère de la Justice, il existe, à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), une sous-direction des Affaires économiques et financières dans laquelle un bureau “crime organisé” coordonne les dossiers, notamment financiers. Ce bureau participe également à l'élaboration de la politique criminelle dans ce domaine et aux travaux menés dans les enceintes internationales et européennes. Il est en charge de l'analyse et de la coordination du traitement judiciaire des procédures liées à la criminalité organisée, mais il ne dispose d'aucune prérogative d'investigation.

Sur le terrain, la loi du 2 juillet 1998, a renforcé les moyens des tribunaux spécialisés en matière de lutte contre la délinquance économique et financière en créant des pôles économiques et financiers, qui se caractérisent par la concentration d'un ensemble de moyens humains. Des assistants spécialisés, qui sont des fonctionnaires d'autres administrations ou organismes de l'Etat (ministère de l'Economie et des Finances, Banque de France, etc.) ou des personnes diplômées justifiant d'une expérience financière, sont mises à la disposition des juridictions spécialisées.

Il s'agit ainsi de permettre aux parquets et aux juridictions d'instruction de disposer dans des matières techniques et complexes, d'une équipe clairement identifiée et interdisciplinaire de collaborateurs proches les uns des autres afin de faciliter le travail des magistrats. Sept juridictions ont été choisies en priorité pour bénéficier des moyens affectés aux pôles économiques et financiers.

A l’échelon national, est désigné un magistrat de l'administration centrale spécialement en charge de l'animation du réseau judiciaire européen, en liaison avec les juridictions et les bureaux compétents du ministère, notamment le bureau de l'entraide répressive internationale et des conventions pénales, et le Service des affaires européennes et internationales. De plus, le ministère de la Justice dispose de magistrats de liaison en Italie, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis et en Espagne. Leur localisation démontre le souci de coordonner la lutte contre la criminalité en général et la criminalité organisée en particulier.

 

2. Au sein du ministère de l'Intérieur, les organismes prenant en compte le phénomène sont très nombreux.

Une unité de coordination et de recherche antimafia (UCRAM) a été créée en 1993, sur le modèle de l’unité de coordination antiterroriste (UCLAT) qui a pour mission de rapprocher les acteurs spécialisés des ministères de l'Intérieur, de la Défense (Gendarmerie nationale et services spéciaux), de la Justice et des Finances (douanes).

Par ailleurs, de nombreux offices centraux de la police judiciaire s'occupent de criminalité organisée : l'Office central de répression du banditisme (OCRB), plutôt spécialisé dans le “milieu” national. Cet office intègre la CRACO (Centrale de renseignement et d'analyse sur le crime organisé). A ces côtés , six autres offices s’occupent du crime organisé à travers la traite des êtres humains, le trafic illicite de stupéfiants, des biens culturels, des armes, de la grande délinquance économique et financière et du faux-monnayage. Un septième office, chargé de la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre est placé auprès de la Police de l'air et des frontières.

Il convient de noter qu'en 1997 a créée une Cellule interministérielle de liaison sur la délinquance itinérante (CILDI) placée auprès de la Direction générale de la Gendarmerie nationale en charge d'analyser les agissements des criminels itinérants, de proposer des mesures propres à réduire cette délinquance, d'animer et coordonner les investigations, notamment par la mise en place de cellules d'enquêtes adaptées. La décision a été prise par le ministre de l’Intérieur de la transformer en Office central de la police judiciaire, au sein de la Gendarmerie nationale, afin d’améliorer son efficacité.

En outre, il faut observer que la police nationale dispose d'une direction, celle des Renseignements généraux, qui exerce en particulier une mission de contrôle sur les courses hippiques et les jeux de hasard (casinos, etc.), et s'intéresse depuis longtemps au crime organisé, notamment dans le Midi de la France.

 

3. Le ministère de l’Economie et des Finances est également directement concerné par la lutte contre la criminalité organisée, du fait des implications financières de ses activités.

Il dispose d’un organe clé, TRACFIN ( Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers). Cette cellule se spécialise depuis 1990 dans la lutte contre le blanchiment (étude des “déclarations de soupçons” adressées par les banques, bureaux de change, etc., recueil du renseignement sur les circuits de l'argent sale...).

La Douane (Direction nationale de la recherche et des enquêtes douanières (DNRED) et Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) traitent régulièrement de dossiers concernant le crime organisé. La douane est en effet un instrument majeur de lutte contre des trafics (stupéfiants, migrants illégaux, armes, alcool, tabac, contrefaçon, etc.) souvent suscités par des organisations criminelles transnationales.

La loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale a par ailleurs conféré aux agents des Douanes certaines missions de police judiciaire en matière de lutte contre la délinquance économique. Des agents des Douanes spécialement désignés peuvent exécuter, sur réquisition du parquet ou ordonnance du juge d'instruction, des enquêtes judiciaires sur des matières limitativement énumérées relatives à des infractions douanières, en disposant d'une compétence nationale. La loi a également prévu la possibilité pour l'autorité judiciaire de constituer des unités temporaires mixtes, composées d'officiers de police judiciaire et d'agents des douanes pour enquêter sur les infractions de droit pénal en matière de trafic de stupéfiants, de trafic d'armes et de blanchiment.

 

4. Par ailleurs, existent également des structures interministérielles et interdisciplinaires. C'est ainsi qu'en 1993 a été créé le Service central de prévention de la corruption. Dirigé par un magistrat et composé d'agents publics de diverses administrations dont des policiers et des douaniers, ce service est chargé de centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption active ou passive, ainsi que des délits voisins que constituent par exemple le trafic d'influence, ou la concussion. Il est par ailleurs investi d'une mission de conseil auprès des autorités administratives en matière de prévention. Il a également vocation à prêter son concours, sur leur demande, aux autorités judiciaires saisies des faits évoqués ci-dessus, avec cette réserve qu'il ne peut interférer sur les procédures pénales. A ce titre, il doit saisir le procureur de la République lorsque les informations lui paraissent susceptibles de caractériser l'existence d'infractions. Il est alors automatiquement dessaisi.

En ce qui concerne la délinquance économique liée au droit du travail, on peut également citer la création de la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI) qui est chargée de coordonner l'action des administrations et organismes compétents en matière de prévention et de répression du travail dissimulé, et du trafic de main-d’œuvre. Cet organisme comprend un magistrat, des policiers, des gendarmes, des douaniers et des fonctionnaires de différents ministères concernés (Impôts, Travail…). Outre des missions d'information et de formation, il est compétent pour diligenter des enquêtes administratives, soit d'initiative, soit à la demande des administrations. Il doit également porter à la connaissance de l'autorité judiciaire toutes informations susceptibles de donner lieu à l'ouverture de procédures pénales. 

A l’image de la France, chaque Etat européen dispose d’une législation et d’organismes de lutte contre le crime organisé. Ce sont les Etats qui, avec leurs moyens, effectuent la part la plus importante de la répression. Mais tout effort en ce sens est vain s’il n’est pas coordonné, appuyé au niveau du continent.

 

22. Le dispositif européen

Ce dispositif ne se limite pas à celui mis en place par l’Union Européenne. Ainsi, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui s'est fixée, entre autres objectifs, la défense des valeurs démocratiques unissant le monde libre, a élargi ses missions à la croissance économique et sociale, la stabilité financière, l'expansion du commerce international et l'aide au développement. Elle a donc été amenée à se préoccuper de pratiques incompatibles avec les principes de la “bonne gouvernance” (corruption, centres offshore), ou susceptibles de créer une insécurité dans la vie économique (commerce électronique), afin de maintenir un certain équilibre des conditions de la concurrence dans les transactions commerciales internationales perturbées en particulier par le développement croissant de certaines pratiques liées à la corruption. A cet égard, 1'OCDE a notamment élaboré des recommandations qui définissent un programme-cadre pour les Etats afin de lutter contre la corruption et une convention adoptée à Paris le 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption des agents publics dans les transactions commerciales internationales.

Par ailleurs, toujours au sein de l'OCDE, à la fin des années 1980, la nécessité d'une approche financière de la lutte contre la criminalité organisée est apparue évidente à la communauté internationale. Celle-ci a pris conscience que l'action contre les produits financiers du trafic de drogue constituait un moyen efficace pour atteindre et combattre les trafiquants et leurs commanditaires, en complément du travail “classique” des services répressifs visant à démanteler les filières de trafic et à saisir les stupéfiants. Ainsi, les chefs d'Etat et de Gouvernement du G7 ont décidé, en juillet 1989, lors du sommet de l'Arche, de constituer un groupe d'experts internationaux, chargé de proposer des actions concrètes pour lutter contre l'argent sale. La France a été chargée d'animer ce “Groupe d'action financière internationale contre le blanchiment des capitaux ” (GAFI), réunissant 130 experts de 15 pays. Celui-ci a rendu son rapport en février 1990, accompagné d'un catalogue de 40 recommandations visant notamment à faire participer de manière active les organismes financiers à la lutte contre le blanchiment. C'est à cette époque qu'ont été mises en place les procédures d'auto-évaluation et d'évaluation mutuelle qui caractérisent la méthode de travail du GAFI, dont le principe repose sur la pression des “pairs ”. Les activités du GAFI, en dehors des exercices d'évaluation, sont axées sur la surveillance des évolutions des typologies de blanchiment et sur l'étude de contre-mesures qu'il convient de leur opposer.

Son rôle est un rôle d'impulsion de la lutte internationale contre le blanchiment. A ce titre, en juin 2000, il a dénoncé les règles et pratiques dommageables concernant la lutte contre le blanchiment en vigueur dans 29 pays et a publié une « liste noire » de 15 pays « non coopératifs ». De plus, toujours à la suite des attentats terroristes survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, le rôle du GAFI s'est étendu à la lutte contre le financement du terrorisme.

 

221. Le dispositif juridique au sein de l’Union européenne

En octobre 1996, sept magistrats européens ont lancé l'appel de Genève. Ils cherchaient ainsi à alerter les gouvernements et les opinions publiques sur l'archaïsme des systèmes judiciaires en Europe, malgré l'ouverture des frontières  aux hommes, aux marchandises et aux capitaux.

Grâce à cette démarche, l'opinion publique a pris progressivement conscience de l'ampleur des problèmes posés par la criminalité organisée, économique et financière, par les fraudes communautaires, le blanchiment de l'argent sale et la corruption.

Malgré cela, hormis quelques mesures d'ordre essentiellement policier dans les accords de Schengen, rien n'a été entrepris pour unifier ou harmoniser sérieusement les dispositifs juridiques et judiciaires, que ce soit en matière d'enquête ou en matière d'extradition.

Or, les règles de l'organisation judiciaire doivent être profondément révisées si l'on veut que l'Union européenne de demain, qui se construit aujourd'hui, ne soit pas l'Europe du crime et des criminels.

Il existe cependant un début de construction d'un espace pénal européen. Le Conseil européen de Tampere (15-16 octobre 1999), premier Conseil européen de l'histoire consacré exclusivement aux questions de “justice et d'affaires intérieures”, a montré sa détermination à “faire de l'Union un espace de liberté, de sécurité et de justice en exploitant pleinement les possibilités offertes par le traité d'Amsterdam ”. Dans cette perspective, il a déterminé un certain nombre d'orientations concernant la définition de normes minimales pour la protection des victimes, relatives non seulement le renforcement de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice (considérée comme la pierre angulaire de la coopération judiciaire), mais aussi le rapprochement des législations et l'intensification de la coopération dans la lutte contre la criminalité. Le Conseil européen invitait en particulier les Etats membres à engager une action spécifique de lutte contre le blanchiment d'argent. 

1. Dans ce cadre, a été adopté, le 30 novembre 2000, un programme de 24 mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle dont l'objectif est de remplacer la coopération traditionnelle entre Etats. Dans ce programme très complet et précis, la reconnaissance mutuelle des décisions pénales est recherchée à tous les stades de la procédure pénale. A cette fin, un certain nombre d'instruments sont négociés sur cette base.

Le plus important d'entre eux est le mandat d'arrêt européen qui se substituera au système actuel d'extradition entre les Etats membres, et qui doit permettre la remise directe des personnes recherchées d'une autorité judiciaire à une autre autorité judiciaire. Il a été approuvé par le Conseil européen le 21 septembre 2001 à la suite des attentats terroristes de New York, survenus le 11 septembre.

Cela modifie fondamentalement la nature de la coopération judiciaire pénale. Il ne s'agit plus d'une coopération accordée par un Etat à un autre, mais de l'exécution directe d'une décision judiciaire prise dans un Etat dans l'ensemble de l'Union européenne, puisqu’il consiste en une transmission et un traitement directs entre autorités judiciaires.

Ce mandat est applicable pour une liste des infractions qui comprend principalement : la participation à une organisation criminelle, la corruption, la fraude, y comprise la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, le blanchiment du produit du crime, le faux-monnayage et la contrefaçon de l'euro, le crime contre l'environnement, le trafic illicite de biens culturels, y compris d'antiquités et d'œuvres d'arts, l'escroquerie, la contrefaçon et le piratage de produits, la falsification de documents administratifs et le trafic de faux, et enfin la falsification des moyens de paiement.

 

2. Le rapprochement des législations pénales a aussi été l'objet de plusieurs instruments adoptés à la suite du Conseil européen de Tampere, tels que la décision-cadre du Conseil du 28 mai 200l concernant la lutte contre la fraude et la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces, ou encore la décision-cadre du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime.

Sur ce point, on peut donc considérer que le bilan de l'après-Tampere est positif, en particulier dans le domaine de la lutte contre la criminalité financière. L'Union a ainsi ouvert la voie vers la création d'un droit pénal européen qui permettra une approche commune dans la lutte contre les formes les plus graves de criminalité.

 

3. Enfin, un renforcement de la coopération judiciaire a été opéré, notamment à travers plusieurs textes importants parmi lesquels la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 29 mai 2000, qui pose le principe de la transmission directe des demandes d'entraide entre les autorités judiciaires des Etats membres. C'est ici la consécration, au niveau de l'Union, du mouvement de “judiciarisation” de l'entraide amorcée par la convention de Schengen et, de ce fait, il s’agit d’un pas important vers la mise en place d'un véritable espace judiciaire européen.

Cet instrument permet d'exécuter les demandes d'entraide dans les formes prévues par la législation de la partie requise, ce qui permet de donner plus d'efficacité à la coopération, en particulier en matière de recevabilité des preuves recueillies dans un autre Etat membre.

Le texte introduit, par ailleurs, de nouveaux modes de coopération tels que les auditions par vidéo-conférence ou par téléconférence. La convention organise également, au niveau de l'Union, le régime juridique des interceptions de télécommunications, des opérations sous couverture (“enquêtes discrètes”) et des livraisons surveillées, mécanismes particulièrement utiles dans la lutte contre la criminalité organisée. Elle organise aussi le régime juridique des équipes communes d'enquêtes créées, en particulier pour lutter plus efficacement contre le trafic de drogues, la traite des êtres humains et le terrorisme.

 

222. Les institutions

Le dispositif européen de lutte contre la criminalité en général, et la criminalité organisée en particulier s'articule autour de quatre piliers : Eurojust, Europol, l’Office de lutte anti-fraudes (OLAF), et le Forum européen. 

1. Le premier d'entre eux est Eurojust, créé en décembre 2001. Cette unité opérationnelle de coopération judiciaire, est composée de 15 “membres nationaux ” , procureurs, magistrats ou officiers de police ayant des compétences équivalentes détachés par chaque Etat membre. Elle est chargée en particulier de concourir à l'amélioration de la coopération judiciaire pénale et de favoriser la coordination des enquêtes et des poursuites entre les autorités nationales compétentes des Etats membres, notamment en matière de criminalité informatique, de fraude, de corruption, d'infraction touchant aux intérêts financiers de la Communauté, de criminalité au détriment de l'environnement, de blanchiment des produits du crime, de participation à une organisation criminelle et dans tous les types de criminalité traités par Europol.

Sa mission consiste à améliorer la coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites, et à apporter son concours, le cas échéant, aux enquêteurs des différents Etats dans le cadre des enquêtes en cours. Eurojust peut également s’adresser aux autorités judiciaires nationales et leur demander par exemple d'ouvrir une enquête ou des poursuites sur des faits précis.

Cette instance européenne devrait constituer un élément essentiel de la mise en place d'un espace judiciaire européen, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée.

 

2. Le deuxième pilier est Europol entré en fonction le 1er octobre 1998. L’Office européen de police, dont les agents sont des officiers de police originaires des pays membres de l'Union européenne, prend ses orientations du Conseil des ministres de la Justice et de l'Intérieur de l'Union européenne.

Sa mission est celle d'une plate-forme européenne de police davantage que celle d’une force répressive proprement dite. Elle a donc essentiellement pour vocation l'échange d'informations policières, leur analyse, leur stockage et, enfin, leur exploitation, c'est-à-dire la coordination, l’impulsion et l’appui aux opérations des polices des 15 Etats membres.

Son champ d'activité est très étendu : il comprend en particulier la pédophilie et la pornographie impliquant des mineurs, le terrorisme, le faux-monnayage, les trafics de stupéfiants (60 % de son activité), les trafics d'êtres humains, le proxénétisme, les migrants illégaux, les trafics de substances radioactives, de véhicules volés, ainsi que le blanchiment d'argent.

A ces divers titres, Europol peut demander à un Etat membre d'enquêter sur une affaire mais aussi ouvrir un dossier sur une affaire de sa compétence, d'initiative. Il peut surtout accéder au 9,6 millions de données rassemblées dans le Système informatique Schengen (SIS). Surtout, Europol met en place un grand fichier central informatisé européen du crime organisé, outil crucial à disposition des polices des Etats membres.

 

3. Le troisième pilier est l' Office de la lutte anti-fraudes (OLAF) dont la mission est d’une part de lutter contre les atteintes frauduleuses au budget européen et aux intérêts financiers communautaires, et d’autre part de coordonner l'action des services des Etats membres responsables de ces domaines avec les services de la Commission. C'est un instrument de lutte essentiel car les organes de contrôle de l'Union européenne se sont aperçus que les fraudes les plus massives, mais pas les plus nombreuses, étaient toutes ou presque le fait du crime organisé. En effet, si côté recettes, la fraude des organisations criminelles ne représente que 2 % des cas, elle représente en volume 66 % du montant frauduleux. Ce n'est pas négligeable si l'on considère, comme le précise le dernier rapport de l'OLAF (portant sur la période 1 juin 1999 au 31 mai 2000), que le montant total connu de la fraude au budget européen s’élève à 264 millions d'euros.

 

4. Le quatrième pilier est constitué par le Forum européen pour la prévention du crime organisé qui vise à élargir le débat sur la prévention à tous ses partenaires, et à susciter des initiatives et des projets pilotes de dimension européenne. Créé à l'initiative de la Commission européenne, il s'agit d'un cadre pour la mise en réseau d'experts et le lancement d'initiatives.

Ce Forum européen pour la prévention du crime organisé a également pour vocation d’assister les institutions européennes et les Etats membres, sur les questions relatives à la prévention de ce type de criminalité, de contribuer à identifier les nouvelles tendances criminelles, de faciliter l'échange d'informations sur les actions de prévention, et de participer à la mise en place et au fonctionnement de centres d'expertise.

 

23. L'évolution souhaitable

Il importe maintenant de faire quelques propositions, à différentes échelles.  

231. Propositions pour le niveau européen

1. L'avenir d'EUROJUST sera déterminant. Il est souhaitable que cet organisme devienne à terme un véritable Parquet européen. Sans doute le processus engagé figure-t-il la première étape d’une évolution qui devrait aboutir à la création de ce Parquet européen, mais il est sans doute trop tôt pour l'affirmer. Il serait souhaitable en effet qu'un Parquet puisse être mis en place pour traiter les dossiers relevant du droit pénal européen, en particulier dans les cas de criminalité transfrontalière grave, lorsqu'une coordination des poursuites s'avère nécessaire et que des investigations doivent être menées sur le territoire de plusieurs Etats membres.

Cela seul pourra conduire à donner à l'Office européen de police Europol un rôle réellement opérationnel.

 

2. Le rôle d'Europol, de plus en plus présent sur la scène policière, devra se renforcer. Ses capacités devront être améliorées grâce à l'utilisation des équipes d'enquête communes, ce qui n'est pas encore entré dans les mœurs.

De plus, les problèmes juridictionnels graves découlant de l'utilisation croissante par les criminels des avancées des hautes technologies et de l'internet nécessitent que des stratégies efficaces pour lutter contre les activités criminelles transnationales soient mises en place par cette institution.

Il convient d'étendre le mandat d'Europol pour inclure la criminalité informatique et, bien qu'entravées par l'absence de définitions communes, les initiatives prises en ce domaine par Europol ont amenés la plupart des Etats Membres et des organisations internationales à reconnaître la nécessité de mener un travail ciblé dans ce domaine.

 

3. De plus, il est indispensable de poursuivre, voire de renforcer, les analyses stratégiques et opérationnelles conformément à la conclusion X, articles 51-54 du sommet de Tampere, ainsi que les évaluations de la vulnérabilité des pays en pré-adhésion et de certains autres États d'Europe centrale et orientale face au blanchiment de capitaux et à une possible instabilité économique. Seules ces évaluations peuvent permettre de mettre en évidence les points faibles des systèmes bancaires et financiers d’identifier les domaines de la criminalité économique qui freinent le développement global de la région.

 

4. Enfin, il est nécessaire de mettre en place un mécanisme commun d'établissement des priorités dans l'Union européenne pour sélectionner les priorités dans la lutte contre la criminalité sévissant en son sein.

Déjà, des problèmes subsistent concernant l'interprétation des lignes directrices précédemment établies. Il est donc indispensable de prendre des mesures pour une meilleure harmonisation des objectifs, non seulement au niveau européen mais aussi au niveau national, ce qui suppose un renforcement du rôle des institutions européennes. Les Etats étant jaloux de leurs prérogatives en ce domaine, l’évolution ne peut être que progressive. Elle ne se fera que sur la base de l’efficacité reconnue de l’action de ces institutions européennes.

 

232. Propositions concernant les Etats membres

1. Il convient d'encourager dans tous les pays une approche de la lutte qui soit fondée sur l'organisation de la criminalité, et non sur les domaines criminels, car les activités de la criminalité organisée ne se limitent pas à une seule activité criminelle mais concernent un nombre presque illimité de domaines comme cela a été vu plus haut. Etant donné que la criminalité organisée porte de plus en plus sur des crimes à moindre risque, c’est-à-dire encourrant les sanctions les plus faibles, tels que par exemple la contrebande d'alcool et de tabac, la lutte contre la criminalité organisée doit mettre l'accent sur l'organisation de l’action criminelle. Cette approche a généralement été acceptée par l’ensemble des participants à l'étude de faisabilité étayant les discussions sur l'extension du mandat d'Europol. Cette approche est donc de plus en plus acceptée dans les Etats Membres. Toutefois, il reste encore beaucoup de travail à faire pour prouver le bien-fondé de celle-ci tant dans chacun des Etats Membres qu'au niveau de l'Union européenne. En effet, du fait sans doute des habitudes de travail et du poids de la culture, beaucoup d'initiatives et de travail réalisé dans l'Union européenne et ses Etats Membres, sont encore basées sur les « domaines » de criminalité, tels que décrits dans la première partie.

 

2. Il reste que la difficulté majeure qui est apparue au cours des travaux concerne la question de l'harmonisation des sanctions.

Le rapprochement des peines est une nécessité. La création d'un droit pénal européen implique en effet la mise en place d'une véritable politique européenne en matière de sanctions pénales. Créer des incriminations communes sans rechercher un rapprochement au niveau des peines dans les Etats membres risque de conduire à un échec et à la subsistance de “zones sanctuaires” au sein même de l'Union, ce dont les organisations criminelles ne manqueraient pas de profiter. La technique consistant à raisonner “instrument par instrument” sans assurer une cohérence entre les textes par une politique plus globale ne pourra permettre d'aller de l'avant en matière d'harmonisation des sanctions.

 

3. Il est aussi indispensable d’apprendre à travailler à l'échelon européen. Il convient que les Etats Membres exploitent davantage les produits analytiques, en particulier les évaluations des menaces et l'analyse des risques, telles que celles produites par Europol.

Ces produits améliorent non seulement la perspective nationale mais fournissent aussi une perspective européenne sur les questions liées à la criminalité organisée. La dimension internationale d'un problème national ne peut être éludée par les Etats s’ils veulent optimiser l'utilisation de leurs ressources dans un environnement européen. Il est difficile d'évaluer l'utilisation générale des produits analytiques au sein des Etats Membres. On observe cependant un intérêt croissant pour ceux-ci, notamment dans les discussions au sein du réseau de contact et de soutien.

 

4. La coopération entres les forces compétentes, y compris les autorités douanières et judiciaires, dans toute l'Union européenne, mais également le reste de l'Europe, doit être renforcée. L’accent doit être mis en particulier sur les problèmes juridictionnels rencontrés dans leur lutte contre la criminalité, même si la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats Membres de l'Union européenne, adoptée le 29 mai 2000 par le Conseil "Justice et affaires intérieures", a permis de fait des avancées en ce domaine.

De plus, le Collège européen de police a été créé en décembre 2000 pour faciliter la formation des fonctionnaires supérieurs de police des Etats Membres. Sa création vise à accroître la connaissance des systèmes et structures de la police nationale des autres Etats Membres, d'Europol et de la coopération transfrontalière au sein de l'Union européenne, et à renforcer la connaissance des instruments internationaux, en particulier ceux existant coopération en matière de lutte contre la criminalité. Il constitue un début intéressant de rapprochement des forces. 

Toutefois, de la même manière que le Forum européen pour la prévention du crime organisé vise à promouvoir et coordonner le dialogue sur la prévention au niveau européen, des structures de coordination devraient être créées au niveau national lorsqu'elles n'existent pas, tant au sein des administrations publiques que dans la société civile.

La portée et l'effectivité du dialogue entamé au niveau européen dépendra en grande partie du relais que ces structures pourront assurer.

 

233. Propositions concernant à la fois l’UE et les Etats membres

L’amélioration de la lutte contre la nouvelle criminalité organisée en Europe nécessite non seulement d’améliorer le dispositif européen et celui des Etats membres, mais aussi d’adopter une action commune menée conjointement par ces deux types d’entités.

1. En effet, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou des Etats membres, la coopération avec les pays sources et les pays de transit en dehors de l'Union européenne, où les marchandises exploitées par la criminalité organisée sont produites ou déplacées, doit être renforcée. La présence accrue dans les Etats Membres de groupes criminels organisés originaires de pays non européens, ne doit pas affaiblir l'engagement continu dans la prévention et la répression de l'impact criminel des groupes criminels organisés indigènes. 

La participation croissante par les groupes criminels organisés à l'immigration clandestine, à la traite des êtres humains, à la contrebande et à d'autres activités transnationales nécessite des contrôles plus stricts aux frontières et une coopération des pays d'origine. C'est ainsi que le 27 mars 2000, le Conseil "Justice et affaires intérieures" a autorisé Europol à négocier des accords avec des Etats tiers ou des organisations tierces. A titre d'exemple, le 28 juin 2001, des accords de coopération ont été signés avec l'Islande et la Norvège. Un accord avec Interpol a été conclu le 5 novembre 2001. Des traités avec la Hongrie, la Pologne, l'Estonie et la Slovénie ont été signés en octobre 2001. Ont également été entamées à cette époque des négociations en vue de conclure un accord de stabilisation et d'association avec l'ancienne République yougoslave de Macédoine. Par ailleurs, dans ses relations avec les Balkans occidentaux, l'Union européenne a continué de développer son approche régionale à travers le processus de stabilisation et d'association, c’est-à-dire le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est lancé en 1999, et via une assistance technique et financière. De même, l'Union européenne a adopté des stratégies communes pour la Russie et l'Ukraine, dont le but est de soutenir le développement économique et le processus de changement politique en cours dans ces pays.

 

2. Par ailleurs, la lutte contre les organisations criminelles d'Europe centrale et orientale nécessite une meilleure coopération des forces de l'ordre pour accélérer les échanges d'information entre et avec les autorités des forces de l'ordre et judiciaires de ces pays et des Etats Membres de l'Union européenne. Il est nécessaire d'adopter une stratégie et des plans d'action opérationnels communs au niveau européen, ciblant les activités de criminalité organisée d'Europe de l'Est ayant un impact sur l'UE afin de faciliter la lutte conjointe contre cette criminalité organisée. Europol devrait participer activement à ces développements.

Les domaines d'actions opérationnelles conjointes devraient inclure des activités pour lesquelles Europol s’est déjà investie dans cette région, c'est-à-dire:

- le trafic de drogue (les groupes criminels turcs et ethniques, albanais, yougoslaves);

- l'immigration clandestine (en transit à travers la région);

- la traite des êtres humains et la pornographie infantile (ciblée sur l'Europe centrale et orientale);

- les véhicules volés (travail vers l'Europe centrale et orientale).

 

3. De plus, dans le domaine de la lutte contre la délinquance financière, les mesures doivent être renforcées. C’est pourquoi le Conseil européen a souligné la nécessité d'abolir les barrières auxquelles se heurtent les enquêtes judiciaires pour des raisons fiscales et a réaffirmé sa position concernant le secret bancaire: il ne devrait pas pouvoir être invoqué à l'encontre des autorités judiciaires.

De plus, les Etats Membres ont été également invités à créer ou à consolider des organes multidisciplinaires nationaux, centralisés, ayant pour vocation de lutter contre le blanchiment de capitaux.

Il convient de noter que le travail des enquêteurs serait considérablement facilité si, comme le demande la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale, l'abolition du secret bancaire et des comptes numériques concernant les activités criminelles, et la confiscation des biens provenant de sources illicites, étaient généralisées.

 

Conclusion

Les propositions  pour améliorer l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée sont donc nombreuses, et les fronts à traiter simultanément le sont également. Les solutions envisageables peuvent se résumer ainsi : il faut que les Etats membres de l’Union fassent preuve de détermination et d’imagination, et que simultanément l’Union européenne encadre leur action, donne des directives et dispose de moyens d’action réels.

Pour cela, il faut une réelle prise de conscience des gouvernements du danger existant. Or celle-ci n’est pas facile à obtenir, dans la mesure où la presse est en effet peu friande de ce sujet car il nécessite des investigations longues. En outre, les processus ne sont pas faciles à expliquer au grand public. Parler de la prostitution est une manière d'aborder le problème, mais la criminalité organisée n'est abordée qu'à la marge et comme un fait qui ne présente pas de problème en soi. L’opinion publique n’influe donc que très peu sur la classe politique des pays européens. Cela se ressent notamment à travers les difficultés de ratification des conventions, en particulier des conventions européennes, par l’ensemble des Etats concernés. 

Si rien n'est fait...

Or, si rien n’est fait, ce sont les mafias qui profiteront de la construction européenne jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Cependant si l’Union européenne échoue, les Etats membres n’en sortiront pas indemnes. Ils perdront en autorité. Or, si les institutions officielles vacillent, le pouvoir devra être occupé. Il le sera alors, sans doute à travers une corruption érigée en principe de fonctionnement, par les organisations criminelles. 

Le problème de la lutte contre le crime organisé montre donc, pour ceux qui en douteraient encore, que l’intégration européenne est inévitable. Il est de l’intérêt des Etats d’abandonner certaines de leurs prérogatives, sans doute à terme en acceptant la création d’une force de police européenne pour lutter contre ces organisations précisément définies et incriminées. 

S’agissant toutefois d’un domaine où s’exercent les prérogatives régaliennes, ce partage de compétences ne peut se faire que progressivement. La possibilité ouverte aux Etats, par le traité d’Amsterdam, d’instaurer entre eux des coopérations renforcées notamment en matière pénale, est une étape en ce sens. C’est pourquoi, plus que jamais, les principes d’édification de l’Union européenne, posés il y maintenant une cinquantaine d’année par Robert Schuman, demeurent d’actualité.

Le défi est donc le suivant : d’un côté, ne pas brusquer les Etats pour éviter les blocages, sources de perte de temps, mais d’un autre côté, aller suffisamment vite dans le sens d’une plus grande et meilleure intégration, pour éviter que le crime organisé n’atteigne un seuil de développement au dessous duquel il ne sera plus possible de l’éradiquer.

Si les Etats parviennent à relever ce défi, ils survivront, sinon ils ne seront plus que des coquilles vides habitées par des hôtes parasites, avec l’ensemble des dommages que l’on peut craindre pour les populations.

Chef d’Escadron Patrick Mabrier

(Gendarmerie nationale, France, 11 e promotion du CID)

Manuscrit clos en mars 2004

Copyright 20 mars 2004-Mabrier/ www.diploweb.com

L'adresse URL de cette page est www.diploweb.com/forum/mabrier.htm

 

Date de la mise en ligne: janvier 2005.

   

 

Bibliographie sommaire

   
   

"La criminalité économique et financière dans l'Union européenne", dossier documentaire en ligne, réalisé par Marianne Leblanc-Martin.

"La criminalité économique en Europe", par Hervé Boullanger (PUF, 2002), présenté en ligne.

"Notre affaire à tous", Eva Joly (Arènes, 2000), présenté en ligne.

"Sécurité, justice et affaires intérieures", deux ouvrages présentés en ligne.

DELFI. La revue Transitions et Sociétés dirigée par H. Blanc (CNRS) publie dans chaque numéro "Les dossiers du Delfi". Ce groupe de Recherche européen sur la Délinquance Financière et la Crimalité organisée est un département du Centre d'Etude des Techniques Financières et d'Ingénierie de la Faculté d'Economie Appliquée de l'Université d'Aix Marseille (Pour vous renseigner écrire aux éditions Magna Europa, 94 rue Thiers, 92100, Boulogne, France) 

« La criminalité organisée ». Problèmes politiques et sociaux n°874-875 du 10-31 mai 2002.

« Le crime organisé ». Xavier Raufer. Que sais-je ? 2001.

« Mafias du monde ». Thierry Cretin.PUF.2002.

« Criminalité financière » sous la direction de Ludovic François, Pascal Chaigneau, Marc Chesnay. Editions d’organisation. 2002.

« Cybermafias ». Serge Le Doran et Philippe Rosé. Denoël. 1998.

« Dictionnaire des nouvelles menaces » sous la direction de Xavier Raufer. PUF. 1998.

« Le terrorisme » Isabelle Sommier. Flammarion.

« Crimes et lois ». Jean Maillard. Flammarion.

« Le crime international et la Justice ». Alberto Perduce et Patrick Ramael. Flammarion.

Rapport fait au nom de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, par M. André Rouvière, sénateur n0 200, annexé au procès-verbal de la séance du 31janvier 2002.

Projet de loi de lutte contre la criminalité organisée adoptée par l’Assemblée nationale le 11.02.2004.

Le Monde. Articles du 12 février et 3 mars 2004 relatifs à la Loi Perben 2.

M. Chossudovsky, «Comment les mafias gangrènent l’économie mondiale », Le Monde diplomatique, décembre 1996. 

   
   

 

   

 

  Recherche par sujet   Ecrire : P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France

Copyright 20 mars 2004-Mabrier /www.diploweb.com

La reproduction des documents mis en ligne sur le site www.diploweb.com est suspendue à deux conditions:

- un accord préalable écrit de l'auteur;

- la citation impérative de la date de la mise en ligne initiale, du nom de famille de l'auteur et du site www.diploweb.com .

Pour tous renseignements, écrire : P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France