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Sécurité, justice et affaires intérieures

 

Deux ouvrages complémentaires pour découvrir et comprendre des aspects méconnus de la construction communautaire.

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Compte rendu par Martine Couderc.

Mots clés - key words : union européenne, sécurité intérieure, wenceslas de lobkowicz, emmanuel barbe, justice et affaires intérieures, documentation française, martine couderc, frontières, immigration, solde migratoire, réfugiés, asile, terrorisme, coopération en matière civile, coopération policière et pénale, coopération intergouvernementale, action extérieure, institutionnalisation, traités européens, maastricht, amsterdam, nice, groupe de trevi, accords de schengen, acte unique, europol, piliers communautaires, troisième pilier, démocratie, moyens, sommet européen de tampere, 11 septembre 2001, droit communautaire, cour de justice, parlement européen, commission, convention de genève, convention de dublin, eurodac, sis, criminalité organisée.

 

"L'Europe de la sécurité intérieure. Une élaboration par étapes", par Wenceslas de Lobkowicz, coll. "Les Études de la Documentation française",Paris, La Documentation française, 2002, 248 p.

"Justice et affaires intérieures dans l'Union européenne. Un espace de liberté, de sécurité et de justice", par Emmanuel Barbe et Hervé Boullanger, coll. "Réflexe Europe", Paris, La Documentation française, 2002, 192 p.

Le point de départ des deux ouvrages que publie la Documentation française est identique : la construction d'une Europe de la sécurité intérieure ne s'est progressivement imposée que dans la foulée du marché intérieur. Celle-ci prévoyait l'abolition de tous les contrôles aux frontières intérieures, y compris pour les personnes. Elle s'est accélérée, par à-coups, sous la pression des circonstances : vagues de terrorisme dans les années 1970, accroissement de l'immigration légale et illégale, afflux de réfugiés des Balkans, d'Afghanistan, du Sri-Lanka, au gré des vicissitudes politiques de diverses régions du monde, choc du 11 septembre 2001...

Spécificités

Ces deux livres s'inscrivent dans deux approches divergentes, mais complémentaires. W. de Lobkowicz retrace avec précision les étapes depuis la simple coopération intergouvernementale dans le domaine concerné jusqu'à l'institutionnalisation de ces travaux dans les traités européens : Maastricht d'abord, puis Amsterdam et enfin Nice. Il décrit pas à pas les difficultés de ce processus de décision qui intègre partiellement la justice et les affaires intérieures dans le processus communautaire. E. Barbe présente un tableau très documenté et clair des politiques relevant de la justice et des affaires intérieures à l'heure actuelle.

- Wenceslas de Lobkowicz

La pression des événements qui pousse les États à agir ensemble est le fil conducteur du livre de W. de Lobkowicz. Au départ c'est à un véritable tabou politique que se heurte les nécessités pour permettre l'abolition progressive des frontières. "L'intégration de la sécurité intérieure diffère du processus classique de la Communauté européenne par l'absence d' "intérêt objectif" - en particulier économique - justifiant cette coopération." (p. 12) L'auteur présente la réalisation progressive de la sécurité intérieure comme une "pyramide inversée" allant de la stricte coopération intergouvernementale hors de tout cadre institutionnel à l'émergence, avec les traités d'Amsterdam et de Nice, d'un "concept politique cohérent".

Le terrorisme, déjà dans les années 1970

La mise sur pied d'une coopération policière dans le cadre du groupe Trevi en 1976 témoigne de la nécessité de répondre ensemble à la flambée de terrorisme qui touche l'Europe dans les années 1970. Informel, avec une structure calquée sur celle du Conseil, ce groupe voit ses réunions ministérielles préparées par des hauts fonctionnaires. Ce qui contribue à un rapprochement de cultures de travail souvent contradictoires.

Lorsque Valéry Giscard d'Estaing propose, en 1977, un "espace judiciaire européen", l'acquis commun est encore faible pour ne pas dire inexistant. Il n'existe alors que deux conventions en matière de coopération judiciaire civile. Parallèlement les négociations en vue de l'accord de Schengen, signé en 1985 et visant à supprimer les frontières intérieures, vont bon train, créant une dynamique purement intergouvernementale.

La signature de l'Acte unique contribue à quelques avancées, parmi lesquelles la signature de la convention de Dublin en juin 1990 pour permettre de déterminer l'État membre responsable d'une demande d'asile.

1991, une date charnière

Face aux problèmes croissants que représentent pour les États les questions d'asile et d'immigration, le Conseil de Luxembourg de 1991 apparaît comme une date-charnière. Le chancelier Kohl y propose un programme de travail sur ces questions et avance l'idée d'un organisme de coopération policière, Europol, dont la convention sera signée en 1995.

Le traité de Maastricht, institutionnalisant toutes les coopérations à Douze (c'est-à-dire en n'intégrant pas Schengen) sous les auspices du "groupe K4" consacre la "spécificité administrative de la sécurité intérieure". De nouvelles normes juridiques et un processus de décision sui generis confirment la spécificité d'un pilier intermédiaire entre la coopération intergouvernementale et le droit communautaire, applicable aux neuf questions d'intérêt commun. La Commission reçoit un pouvoir d'initiative, mais le Parlement n'a que de faibles possibilités d'intervention, en particulier par le biais d'un contrôle financier. La "justice et les affaires intérieures sont devenues une dimension à part entière des travaux du Conseil". Seule une partie de la politique des visas est intégrée dans le pilier communautaire, à l'article 100 C.

Les progrès demeurent limités car "les matières liées à la justice et aux affaires intérieures sont, par nature, politiquement sensibles parce qu'elles touchent à la fois aux libertés publiques et à la souveraineté nationale. C'est la raison pour laquelle les États membres n'ont pas consenti à un transfert de souveraineté mais ont conservé le contrôle de la négociation." (p.64).

Quand un mur séparant deux eaux est abattu ...

Durant les années 1990, les guerres dans l'ex-Yougoslavie ont accéléré le traitement de la question des réfugiés avec la mise en place d'un Fonds européen pour les réfugiés (1997). Puis les négociations en vue d'un élargissement de l'Union ont intégré la réalité du volet "justice et affaires intérieures". Les "nouvelles démocraties (…) sont particulièrement vulnérables, et elles doivent aussi combattre ceux qui voudraient abuser des nouvelles libertés" (p. 90). Dès 1995 des décisions relatives au crime organisé institutionnalisent la coopération avec les pays candidats à laquelle sont consacrés des crédits non négligeables.

Une demande croissante des citoyens

La préparation du traité d'Amsterdam rend manifeste l'enjeu majeur que représentent la justice et les affaires intérieures ; "la réflexion sur la sécurité intérieure (…) doit avoir pour ambition d'améliorer l'efficacité dans ce domaine. Le constat est en effet assez clair : face à une demande croissante des citoyens en matière de sécurité intérieure, quels moyens les États membres sont-ils prêts à mettre en œuvre ?" (p. 99).

Le traité d'Amsterdam va procéder à certaines avancées : faire de la sécurité intérieure un objectif en soi ; éviter les chevauchements de compétences entre piliers ; alléger les structures de travail du Conseil ; généraliser le droit d'initiative de la Commission ; instaurer des normes juridiques claires - décisions et décisions-cadres - et préciser le mode de décision du Conseil (l'unanimité demeurant la règle de principe).

Un nouveau concept

Le renouvellement du cadre juridique consacre l'émergence du concept d'un "Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice", qui sera confirmé politiquement lors du Conseil européen de Tampere en octobre 1999, conseil qui fixe les "jalons" de l'Europe de la sécurité intérieure. La Commission a élaboré depuis lors un instrument permanent permettant de mesurer le suivi des progrès de la création de cet espace et d'informer régulièrement tous les acteurs.

"Ce document se présente sous la forme d'un tableau synoptique présentant les objectifs [des Conseils de Tampere et de Vienne], les actions à entreprendre en distinguant celles qui requièrent une initiative législative, les acteurs auxquels incombe cette responsabilité, les échéances et enfin l'état d'avancement des travaux. Moyen systématique d'analyse du niveau de réalisation de "l'espace", le tableau de bord constitue - comme pour l'achèvement du marché intérieur - un redoutable mécanisme d'observation." (p. 174)

L'accélération donnée par les événements du 11 septembre 2001 conduit le Conseil à affirmer une "capacité de décision à la hauteur des nouveaux défis (…) La capacité du Conseil à adopter des normes juridiques dont la valeur juridique est désormais claire place le législateur communautaire devant une épreuve de vérité : non seulement confirmer les accords politiques antérieurs, mais aussi démontrer que ceux-ci ne constituaient qu'une étape vers le droit communautaire" (p. 177).

- Emmanuel Barbe

Emmanuel Barbe souligne le paradoxe de cet espace européen qui est clairement perçu sans être pour autant achevé. Des événements dramatiques qui font la une des journaux (mort accidentelle de clandestins, conflits familiaux liés à la garde des enfants entre l'Allemagne et la France, poursuite d'auteurs d'attentats) ne cessent de confronter le public au caractère borné de cet espace. Selon l'auteur "l'Europe a très largement permis, à la faveur d'un objectif économique - la création d'un grand marché intérieur - d'abolir les frontières mais ne semble pas en tirer toutes les conséquences…" (p. 12)

Après avoir explicité les mécanismes institutionnels qui entrent en jeu, l'ouvrage se structure autour des quatre grands domaines que sont l'immigration et l'asile, la coopération en matière civile, la coopération policière et pénale, et l'action extérieure qui englobe la dimension élargissement.

Après un bref rappel des "balbutiements" du groupe Trevi et de l'évolution institutionnelle au travers des divers traités et des accords de Schengen, l'auteur s'attache à décrire les structures de prise de décision du troisième pilier où le vote à l'unanimité est peu propice à faire avancer les choses : "l'art du compromis est subtil. Il emprunte en général deux voies : la suppression de la mesure controversée ou sa dilution dans de nombreuses exceptions et contre-exceptions." (p.26)

Les institutions communautaires autres que le Conseil n'ont qu'un rôle très limité, la Commission partageant, jusqu'en 2004, son droit d'initiative avec les États et ne pouvant, comme dans le premier pilier, saisir la Cour de Justice en cas de manquement des États. Elle peut toutefois le faire à propos de l'application ou de l'interprétation des conventions, des décisions et des décisions-cadre qui sont les instruments du troisième pilier. Quant au Parlement il ne dispose que d'un avis consultatif.

Règles particulières

La partie de la politique de la justice et des affaires intérieures passée dans le premier pilier obéit à des règles particulières puisque le vote à l'unanimité est maintenu, ainsi que des comités de travail (comité de droit civil, comité stratégique immigration, frontières et asile ou CSIFA) situés dans le processus décisionnel entre les groupes d'experts et le COREPER. Dans ce domaine s'est aussi mis en place un mécanisme exceptionnel, celui de dérogations dont bénéficient le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark, tandis que des pays extérieurs à l'Union (Norvège et Islande) sont associés à l'acquis Schengen.

L'auteur n'en est pas moins optimiste : "Risquons un peu de politique fiction ! A moyen ou long terme, la suppression du troisième pilier et le transfert de ses politiques vers le droit communautaire paraissent une hypothèse crédible (…)" (p.43). Avec cependant deux réserves de taille puisqu'il estime que la décision à l'unanimité sera maintenue ainsi que le droit d'initiative partagé par tous les États membres.

Asile et immigration

Avec la deuxième partie, E. Barbe aborde le fonctionnement de l'asile et de l'immigration : "la suppression des contrôles aux frontières et la libre circulation des personnes amorcées par l'accord de Schengen représentent… une évolution politique forte, d'une échelle comparable à l'évolution de la monnaie unique (…) bouleversement [qui] concerne d'abord les citoyens européens mais aussi les ressortissants des pays tiers." (p. 46).

Il souligne les problèmes que posera le prochain élargissement de l'Union, qui sera aussi un élargissement de l'espace Schengen et "aura des implications élevées en matière de sécurité intérieure". L'objectif fixé par le traité d'Amsterdam d'une politique migratoire commune vise à harmoniser le traitement de la question des migrants légaux et de celle des clandestins, de plus en plus aiguë. "Malgré tout ce qui a pu être dit sur la forteresse européenne, l'accord de Schengen n'a pas eu d'impact sur le flux des migrations vers l'Europe. Le solde migratoire est même devenu la principale composante de la croissance démographique européenne. En moyenne, sur la période 1990-1998, le taux de migration nette dans l'Union a été de 2,2 %" (p. 55).

L'auteur y voit plutôt un "volet intégrationniste" qui figure à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice en décembre 2000. Volonté d'harmonisation qui se manifeste dans divers projets (de directive sur le statut des résidents de longue durée ou de décision-cadre relative à la lutte contre le racisme et la xénophobie).

Marge de manoeuvre

Quant à l'immigration illégale, les États membres et la Commission tentent de la traiter par des échanges d'informations, des règles d'expulsion de détention et d'éloignement et en essayant par des partenariats avec les pays d'origine d'y fixer les candidats à l'émigration. Quant aux réfugiés menacés dans leur pays d'origine, ils doivent être protégés par la Convention de Genève qui toutefois "laisse une large marge de conduite aux États membres". Des mesures à court ou moyen terme ont été prises principalement dans le cadre de la convention de Dublin de 1990 entrée en vigueur en 1997, et par le règlement du Conseil Eurodac adopté en 2000, qui créera à terme un fichier des empreintes digitales des demandeurs d'asile et des personnes en situation irrégulière arrêtées sur le sol européen. Par ailleurs la création en 2000 d'un Fonds européen pour les réfugiés vise à soutenir les programmes nationaux des États membres.

Parent pauvre : la coopération judiciaire

En matière civile la coopération judiciaire qui est directement reliée à la vie des citoyens semble rester le parent pauvre : "… étrangement, l'attention des médias semble plus focalisée par certaines réalisations pénales qui ont bien peu de chance d'affecter directement la vie des ressortissants européens. Ce décalage semble se répercuter au niveau du Conseil des ministres de l'Union européenne où la coopération judiciaire en matière civile peut parfois apparaître, aux yeux de certains États membres, comme une matière de second plan" (p. 80). Que ce soit en matière commerciale ou matrimoniale, l'ouvrage présente toutes les dispositions applicables au niveau européen, qui cherchent à faciliter le déroulement des procès et à donner aux citoyens un meilleur accès à la justice.

Le nécessaire renforcement des mécanismes

Dans le domaine criminel, des mécanismes anciens de coopération répressive ont fonctionné, comme Interpol. Mais ils deviennent insuffisants dans les conditions actuelles d'ouverture des frontières et d'expansion de la criminalité. Peu à peu, on passe d'une réglementation qui organise les relations bilatérales en respectant le morcellement juridique de l'Europe pour aller vers une coopération judiciaire qui intègre le principe de reconnaissance mutuelle et développe des mécanismes de coopération intégrée.

L'accord de Schengen prévoyait déjà un renforcement de la coopération policière, avec l'instauration d'officiers de liaison et de commissariats communs, et un système d'information, le SIS.

D'autres innovations appartiennent au troisième pilier, comme la création de l'office européen de police Europol qui, selon toute vraisemblance, devrait se transformer en police judiciaire européenne.

L'entraide judiciaire pénale

Les différentes dispositions d'entraide judiciaire pénale sont ensuite passées en revue par l'auteur ; elles portent sur des techniques telles que les "livraisons contrôlées", les "équipes d'entraide commune" ou encore la visioconférence. D'autres avancées tels le mandat d'arrêt européen, le réseau judiciaire européen ou la décision créant Eurojust ne peuvent que renforcer l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Celui-ci "doit compter avec son environnement; (…) Le territoire de l'Union européenne est en effet un point d'attraction pour des zones géographiques limitrophes sensibles. Elles connaissent d'une part de fortes poussées migratoires, impliquant une immigration clandestine massive, d'autre part une criminalité organisée endémique (…)" (p. 168). La reprise de l'acquis par les pays candidats, les mécanismes d'aide à l'adhésion, vont dans le sens de cette prise en compte, à l'instar de la coopération avec des grandes puissances (Etats-Unis, Canada, Chine, Russie) ou avec les organisations internationales.

Martine Couderc

Responsable éditoriale de la collection "Réflexe Europe" à la documentation Française

PS: E. Barbe a également publié "La sécurité intérieure: un nouvel objectif de l'Union européenne au XXI e siècle", in "Questions internationales", n°2, juillet 2003, p. 76 (éd. Documentation Française)

NDLR. Lire également l'étude de Patrick Mabrier: "Depuis la chute du Rideau de fer, quelle politique l'Union européenne met-elle en oeuvre face à la criminalité organisée d'Europe de l'Est ?"

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Date de la mise en ligne: décembre 2002

   

 

   
   

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