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"L'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale.

La conditionnalité politique", par Edwige Tucny

 

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Mots clés - key words: edwige tucny, harmattan, union européenne, élargissement, europe centrale et orientale, chute du rideau de fer, mur de berlin, hongrie, pologne, roumanie, slovaquie, lettonie, estonie, lituanie, bulgarie, république tchèque, slovénie, russie, conditionnalité politique, état de droit, transition, économie de marché, héritage soviétique, continuité, rupture, post-communisme, acquis communautaire, pré-adhésion, accords, intégration, dates, conseil européen, commission, conseil de l'europe. éd. Harmattan, "Logiques juridiques", 2000, 186 p.

Voir une carte de l'UE25 au 1er mai 2004

Voici un ouvrage à la fois pédagogique et précis sur un débat d'actualité: l'intégration envisagée de certains pays d'Europe de l'Est à l'Union européenne. Edwige Tucny est allocataire de recherche et moniteur à la Faculté de Droit de l'Université Pierre Mendès France, Grenoble II. Elle est rattachée au Groupe de Recherche sur les Coopérations Européennes et Régionales (GRECER), laboratoire de recherche de l'Espace Europe.

De nombreuses candidatures

En 1989 - 1990, la chute du rideau de fer - dont l'histoire reste en partie à écrire - place les pays membres de la Communauté Economique Européenne devant une situation largement imprévue. L'adhésion à ce pôle de croissance économique devient un objectif pour de nombreux pays d'Europe centrale et orientale. La Hongrie a déposé sa demande d'adhésion le 31 mars 1994, la Pologne le 5 avril 1994, la Roumanie le 22 juin 1995, la Slovaquie le 27 juin 1995, la Lettonie le 27 octobre 1995, l'Estonie le 24 novembre 1995, la Lituanie le 8 décembre 1995, la Bulgarie le 14 décembre 1995, la République Tchèque le 17 janvier 1996 et la Slovénie le 10 juin 1996. En 1998, la Russie fait savoir qu'elle envisage elle-même à long terme son éventuelle adhésion à l'Union européenne ("Le Monde", 1.4. 1998).

Pologne, Cracovie, février 2004. Crédits: P. Verluise

L'adhésion de pays d'Europe centrale et orientale constituerait le cinquième élargissement de l'Union européenne. Jusqu'en 1992, les différends élargissements de l'Union européenne concernent en majorité des Etats caractérisés par un système parlementaire et démocratique, respectant l'Etat de droit et les droits de l'homme, ainsi qu'une économie de marché concurrentielle et libérale. L'adhésion de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal n'a eu lieu qu'après le rétablissement de la démocratie et de l'Etat de droit dans ces Etats. "L'héritage des anciens pays communistes est lourd et présente une grande différence avec le régime économique et politique en vigueur à l'intérieur de l'Union : une économie étatisée, des libertés fondamentales pas ou peu respectées, un système politique peu démocratique" (p. 12). En conséquence, comment intégrer ces Etats alors que leur situation économique et politique ne correspond pas au niveau normalement exigé lors d'une demande d'adhésion ? Quels critères retenir pour accepter - ou refuser - une candidature ? A l'égard des pays d'Europe centrale et orientale abandonnés à l'issue de la Seconde Guerre mondiale à la domination soviétique, l'Union européenne doit-elle - et peut-elle - jouer un rôle pour la consolidation de la démocratie dans ces pays marqués par le soviétisme ?

La conditionnalité politique

Aux critères économiques s'ajoute de manière de plus en plus officielle et formalisée au cours des années 1990 une exigence majeure : la conditionnalité politique. Edwige Tucny en étudie le contenu, de manière à la fois chronologique et juridique. La première partie de son ouvrage concerne "Les critères de la conditionnalité politique : l'acquis communautaire et son extension" ; la seconde analyse "La conditionnalité politique dans les accords de pré-adhésion".

En effet, afin de préparer l'intégration des nouveaux Etats d'Europe centrale et orientale, la Communauté, par le biais d'accords d'association passés avec les Etats candidats, y a inclus la conditionnalité politique. Ces accords, fondés sur l'article 310 TCE constituent désormais un préalable obligatoire à toute adhésion, en mettant en place une période de probation et de mise à niveau des Etats associés.

Que faut-il entendre par conditionnalité politique ? Il s'agit du respect des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la démocratie. Outre sa dimension morale, le respect et la garantie des libertés fondamentales participent et contribuent à la paix en Europe. En effet, l'histoire contemporaine prouve que la démocratie et la paix vont généralement de pair. Pour les PECO comme par le passé pour l'Espagne et le Portugal, la réforme de l'Etat, du Droit, de l'Administration et du Politique constituent les principales conditions d'adhésion.

A travers l'article 6 TUE, en particulier ses alinéas 1 et 2, le Conseil ou le Parlement européen, par le biais de l'avis conforme, pourraient s'opposer à la candidature d'un Etat qui ne respecterait pas les exigences de la démocratie. Reste à savoir comment les responsables en question utiliseraient - ou non - cette possibilité.

Une exigence sans laquelle s'écroule le système démocratique

Le Conseil Européen de Copenhague (1993) pose comme condition politique la stabilité des institutions. Cette stabilité a pour objectif la garantie de la démocratie, la primauté du droit, le respect des droits de l'homme … Se trouve alors posée la condition sans laquelle s'écroule tout l'édifice démocratique : en effet, sans le respect du principe de séparation des pouvoirs, sans une opposition politique réelle et active, sans élections libres et sincères, l'Etat de droit est sérieusement compromis. Ce Conseil ajoute également le respect des minorités dans les pays candidats, ce qui revient indirectement à tenter de réduire les mouvements migratoires vers l'Union européenne.

E. Tucny s'attache aussi à penser le réel. "Si l'une des conditionnalités (politique ou économique ) est tangente, l'autre fera pencher la balance soit du côté de l'adhésion, soit du côté du refus, jouant ainsi la fonction d'un veto. Dans le cas de la Slovaquie, par exemple, la conditionnalité politique n'est pas respectée, mais les critères économiques sont bien remplis. La conditionnalité politique empêche pour l'instant son adhésion. La conditionnalité économique peut aussi empêcher la poursuite des négociations d'adhésion : c'est ce qui s'est passé avec la Lituanie. La conditionnalité politique a été respectée, mais les progrès dans le domaine économique sont insuffisants" (p. 71)

L'auteur illustre par une formule "mathématique" les relations entre ces deux conditionnalités.

  • Si la conditionnalité politique de l'adhérent est supérieure à la conditionnalité politique exigée par l'Union européenne, alors l'adhésion est envisageable.
  • Si la conditionnalité politique de l'adhérent est inférieure à la conditionnalité politique exigée par l'Union européenne, deux possibilités : soit la conditionnalité économique de l'adhérent est supérieure à la conditionnalité économique exigée par l'Union européenne, alors l'adhésion est envisageable ; soit la conditionnalité économique de l'adhérent est inférieure à la conditionnalité économique exigée par l'Union européenne, alors l'adhésion est exclue.

La situation de chaque Etat, au 1er juillet 2000.

Au 1er janvier 2000, sept accords européens ont été conclus avec des pays d'Europe centrale et orientale, en vue d'une adhésion ultérieure. Les signataires sont les Etats suivants : Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie et Slovénie. Les accords de commerce et de coopération conclus avec l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont été complétés en 1995 par trois nouveaux accords de deuxième génération, entrés en vigueur en 1995. Il est à noter que la conditionnalité politique peut être sanctionnée en cas de non respect.

V. Havel. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

Au 1er juillet 2000, quelle est la situation de la conditionnalité politique par Etat ? E. Tucny détaille le cas de chacun (p. 114 - 130). Selon la Commission, répondent favorablement aux conditions : la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque la Slovénie, l'Estonie. Ces deux derniers pays doivent poursuivre des efforts soutenus dans les domaines politiques et économiques pour maintenir leurs chances d'intégration. Il faut, cependant, remarquer que lors du Conseil européen de Feira des 19 et 20 juin 2000, les Quinze pays membres de l'Union européenne n'ont pas répondu favorablement à l'appel lancé par ces cinq pays - formant le groupe dit de Luxembourg - à entrer dans "une nouvelle phase qualitative " des négociations. "Les Quinze n'ont pas envisagé une accélération du rythme des négociations et encore moins fixé de dates d'adhésion", note Laurent Rucker dans sa chronique "L'Est et l'Union européenne" du n°1006 du "Courrier des Pays de l'Est".

Voient leur adhésion repoussée à une date ultérieure : la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Lettonie, la Lituanie. E. Tucny écrit : "En ce qui concerne les "recalés", trois sous-groupes peuvent être constitués : les mauvais élèves, les pays en retard à qui il a manqué du temps, et les pays qui font preuve d'une mauvaise volonté évidente. D'abord les mauvais élèves : il s'agit de la Bulgarie et de la Roumanie. Ces deux pays ne satisfont ni aux critères politiques, ni aux critères économiques, ni à la reprise de l'acquis (communautaire). Dans la catégorie des pays retardataires, on trouve également la Lettonie et la Lituanie, qui sont encore trop faibles dans le domaine économique pour pouvoir résister à la pression concurrentielle, même s'ils remplissent les critères politiques. La Slovaquie constitue une catégorie à part, en raison de son apparente mauvaise volonté qu'elle a montré à se plier aux exigences communautaires, essentiellement dans le domaine politique. […] Dans le cas de la Slovaquie, il semble que la conditionnalité politique a bien joué son rôle de gardienne de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits de l'homme, conformément au modèle européen que l'UE souhaite promouvoir et garantir. Si les seuls critères économiques comptaient, la Slovaquie aurait certainement fait partie du premier train de négociation" (p. 131).

Un débat nécessaire

Dans sa conclusion, l'auteur avance une idée qui peut nourrir le débat. "A trop vouloir en faire, l'Union européenne ne coure-t-elle pas le risque de devoir constater que trop de conditionnalité tue la conditionnalité ? Si l'on attend trop, l'Europe ne risque-t-elle pas de ne jamais pouvoir s'élargir et progresser ?" (p. 147) Et de citer en exemple le Conseil de l'Europe, qui a "peut-être adopté la bonne solution" en permettant l'adhésion immédiate des PECO - et de la Russie - avant même que les conditions indispensables de démocratie, d'Etat de droit, de droits de l'homme et de multipartisme ne soient remplies. "Leur entrée dans cette organisation politique, que certains ont pu qualifier de prématurée, peut permettre la réalisation de progrès rapides dans le domaine de la conditionnalité politique" (p.147). Les Tchétchènes, sérieusement mis à mal par le gouvernement russe en 1999 - 2000 partagent-ils ce même optimisme ?

Plus généralement, les démocraties ouest-européennes ne se perdraient-elles pas elles-mêmes en galvaudant l'évaluation de la conditionnalité politique des pays candidats ? La chute "miraculeuse" du rideau de fer ne doit pas, bien au contraire, faire oublier le projet d'ancrage russe à la sphère de prospérité ouest-européenne , la stratégie russe actuelle et les risques d'instrumentalisation des pays d'Europe centrale et orientale à cette fin, via leur intégration à l'Union européenne. Celle-ci n'a de sens qu'à condition d'être particulièrement vigilant quant à la conditionnalité politique. Il paraît d'autant plus souhaitable d'être cohérent que l'exclusion de l'Union européenne n'est pas prévue dans ses statuts, ce qui confine à l'irrévocabilité de l'appartenance à l'Union européenne.

Indépendamment de ce débat, cet ouvrage offre un outil de travail efficace, avec une bibliographie fort utile pour poursuivre l'étude.

Pierre Verluise

Nous vous conseillons un reportage photographique de l'agence VU : "Ma Pologne (vue par les enfants) à l'adresse suivante http://www.abvent.fr/fall2003/GAZETA/

Mise en ligne octobre 2000
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  . Une mine d'or : le Centre d'Information et de Documentation Internationale Contemporaine (CIDIC), à Paris.  
     

 

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