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L'élargissement de l'Union européenne, ça change quoi ? English

par Pierre Verluise, spécialiste de géopolitique 

 

Au vu des chiffres, nul ne peut affirmer que l’élargissement solutionnera les faiblesses démographiques notoires de l’Union européenne.  Au contraire, tout laisse à penser que l'élargissement de l'UE induit une nouvelle aggravation de sa situation démographique. Au vu des prévisions de rattrapage économique, seulement deux pays sur les huit candidats post-communistes dépasseraient d'ici 2015 75% du PIB/hab. de l’UE15.

Si l’avenir n’est pas écrit, il faut au moins éviter d’entretenir trop d’illusions. Les pays candidats n’ont pas l’intention de devenir des membres de « deuxième catégorie » au sein des institutions communautaires. "Ce sera sans arrêt des conflits pour arracher des aménagements ou des subventions supplémentaires", prévoit un diplomate. Souhaitons qu'il se trompe et que l'Union européenne réponde aux attentes de ses "anciens" et "nouveaux" citoyens, à qui nous souhaitons la bienvenue.

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Voir les graphiques de cet articles sur deux pages spécifiques, la première sur la dimension démographique, la seconde sur la dimension économique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir un carte de la population des Etats de l'espace UE25 (2001)

 

 

Comment le nouvel élargissement de l’Union européenne (UE) modifie-t-il les fondamentaux géopolitiques de l’espace communautaire ? Parce qu’« il n’est de richesses que d’hommes », cette étude porte sur les dynamiques démographiques et la production de richesses, via la croissance économique.

Ce qui conduit à prendre conscience des évolutions induites par l’élargissement de l’UE à dix nouveaux pays au 1 er mai 2004 (Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie) et l’adhésion de deux autres pays envisagée pour 2007 (Bulgarie, Roumanie).

L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007 reste à considérer avec précaution. Par ailleurs, les données démographiques ou économiques utilisées ici ne peuvent être qu’antérieures au 1er mai 2004. Ce qui amène à rester prudent sur leur usage. Il faudra refaire nombre de calculs ci-après avec les chiffres arrêtés au 1er janvier 2005 et au 1er janvier de l’année suivant l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie.  Enfin, il importera en temps utile de prendre en compte l’adhésion envisagée des Balkans occidentaux, mise en chantier lors du sommet de Thessalonique (juin 2003). La Croatie, la Bosnie, la Serbie/Monténégro, la Macédoine et l’Albanie doivent d’abord occidentaliser leur vie politique et libéraliser leur économie.  Sans parler de la Turquie, dont la candidature est soutenue… par les Etats-Unis. En l’attente, cette étude s’appuie notamment sur des données issues de l’excellent travail de synthèse rédigé par Jean-Joseph Boillot sous le titre : « L’Union européenne élargie. Un défi économique pour tous », publié à la documentation Française en mars 2003. Les statistiques d’Eurostat et des analyses de la Revue Elargissement publiée par le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie ont également été utilisées.

Carte de l'UE25 au 1er mai 2004

"Non, non, rien a changé" affirmait une vieille ritournelle

L’UE à 25 puis 27 ne saurait être la même que l’UE15, comme en témoigne pour commencer le paramètre démographique.

A l’évidence, l’élargissement de l’UE à dix puis douze nouveaux pays augmente le nombre d’habitants de l’espace communautaire, comme l’indique le graphique 1 : Espace UE 27, population en millions, au 1er janvier 2002. (1)

Table et sources des graphiques en bas de cette page

Le passage de l’UE15 (379, 4 millions d’habitants) à l’UE27 (484,2 millions d’hab.) représenterait sur la base de ces chiffres un gain de 104,8 millions d’hab. Soit une augmentation de 27,6 % . Par rapport à l’UE15, la population communautaire serait multipliée par environ 1,28 via l’élargissement à 27. Les douze nouveaux membres représenteraient alors 21,6% de la population de l’Union européenne élargie. Soit un peu plus d’une personne sur cinq.  L’élargissement déplacerait le centre de gravité de l’Union européenne vers « l’Europe médiane », puisque les candidats se situent pour l’essentiel dans cette direction. L’Allemagne, qui possède une solide connaissance de la Mitteleuropa (2) pourrait en tirer avantage.

Elargie à 27, l’UE compterait  1,7 fois plus de consommateurs que les Etats-Unis, mais leur pouvoir d’achat moyen ne serait  pas le même.

Un espace plus grand mais plus hétérogène

L’intégration de ces douze pays induirait également un gain de superficie du territoire de l’UE. Il passerait de 3,2 millions de kilomètres carrés (UE15) à 4,5 millions de kilomètres carrés (UE27). Soit une croissance de 40,6% . Les douze nouveaux membres représenteraient alors 28,8% de la superficie de l’UE élargie.

Le territoire de l’UE15, qui se limite à 33,3% de la superficie des Etats-Unis, s’élèverait alors à 46,8% de la superficie des Etats-Unis. Le territoire communautaire resterait donc inférieur à la moitié des Etats-Unis. En outre, l’aménagement de la partie orientale de l’UE 27 ne soutient pas la comparaison. L’amélioration des infrastructures constitue d’ailleurs un énorme défi financier pour tirer véritablement bénéfice des gains de population comme de territoire.

Une augmentation du nombre de pays peu peuplés

L’étude de ces données à l’échelle de l’UE15 ou de l’UE27 ne peut permettre de faire l’économie d’une analyse à l’échelle nationale pour tous ces pays. Pour commencer, les effectifs de leurs populations diffèrent. S’il est particulièrement maladroit de parler de « grands » et « petits » pays, il faut bien observer que les 27 pays considérés ne sont pas tous aussi peuplés. Comme en témoigne le graphique 2 : Espace UE27, population en milliers, au 1er janvier 2002.

 

Au vu du graphique 2, il appert que pas un seul pays candidat à l’Union européenne ne dépasse à la date du 1er janvier 2002 une population de 40 millions d’habitants. Pour mémoire, le pays le plus peuplé de l’espace communautaire est l’Allemagne – réunifiée depuis 1989-1990 – avec 82,3 millions d’habitants à la date considérée. Autrement dit, pas un pays candidat n’affiche la moitié de la population de la République fédérale d’Allemagne.

La Pologne est le plus peuplé des pays candidats pour le 1er mai 2004 : 38,6 millions. Elle représente à elle seule près de 52% de la population des dix candidats pour 2004. La Roumanie s’affirme comme le plus peuplé des pays candidats pour 2007 : 22,3 millions. Les autres pays candidats pour la première vague ont tous moins de 10,3 millions d’habitants. Quatre pays se situent entre 10,2 et 3 millions d’habitants, par ordre décroissant : la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Lituanie. Enfin, le dernier groupe a moins de 2,4 millions d’habitants. Il s’agit, par ordre décroissant de la Lettonie, la Slovénie, l’Estonie, Chypre et Malte. (Voir une carte de l'espace UE25: densité brute de population des Etats)

Ainsi, le passage de l’UE15 à l’UE27 se traduirait par une augmentation du nombre de pays peu peuplés. Alors que l’UE15 compte six pays de moins de 10 millions d’habitants, l’UE27 en afficherait quinze. Soit une multiplication par 2,5. Tout laisse à penser que les pays ayant retrouvé depuis peu leur indépendance auront au moins autant que les autres à cœur de faire entendre leur voix, après avoir obtenu le compromis institutionnel le plus avantageux possible. Ce qui pose, à l’évidence, d’importantes difficultés à surmonter pour que l’UE élargie puisse faire entendre une seule voix dans le concert international, notamment en matière de politique étrangère et de défense.

Quelles dynamiques démographiques ?

Après cette étude des données de base, il importe de se pencher sur les dynamiques démographiques des pays membres et candidats, en considérant de manière corrélative l’accroissement naturel, le solde migratoire et l’accroissement total. Le classement hiérarchique des données, selon ce dernier paramètre, fait apparaître trois groupes, comme le visualisent les graphiques 3, 4 et 5.

  Date de la mise en ligne: mars   2004

                       

 

  Le graphique 3 présente les pays qui – du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2002 – ont perdu de 6,2 à 0,4 habitant(s) pour 1000 habitants. Sans aucune exception, il s’agit tous de pays candidats pour 2004 ou 2007.

Dépopulation

Il s’agit des pays d’Europe septentrionale, centrale et orientale suivants : Lettonie, Bulgarie, Estonie, Lituanie, Hongrie, République tchèque, Roumanie et Pologne (3). Les six premiers sont qualifiés de « quasi-puits de dépression » par Jean-Joseph Boillot dans l’ouvrage cité en introduction (p. 139). Dans l’étude mentionnée en note 3, Gérard-François Dumont écrit même : « L’ensemble formé par les Dix (candidats pour 2004) connaît donc une dépopulation. » (p. 7) La situation de ces pays résulte en partie des années 1990, marquées par la « transition ». Ces chiffres s’expliquent notamment de la baisse de la fécondité, du recul de l’espérance de vie et de flux d’émigration nets parfois élevés. Le démographe Alain Monnier tire la sonnette d’alarme dès 2000 : « Depuis la chute du mur de Berlin, le taux de croissance de la population de l’Europe de l’Est, qui était à peu près stable autour de 0,7% par an depuis vingt ans, est passé en moins de dix ans de +0,5% à –0,5% par an, devenant négatif dès 1993. Depuis cette date, l’Europe de l’Est a perdu 8 millions d’habitants. » (4)

Seule une immigration forte pourrait atténuer ces inquiétantes évolutions, mais bien qu’en progression depuis l’ouverture des frontières, elle demeure généralement modérée dans les pays de ce groupe, faute d’une attractivité suffisante au regard de la concurrence exercée par les sept pays suivants : Luxembourg, Espagne, Irlande, Chypre, Portugal, Pays-Bas, France. (Cf.  graphique 5)

L'élargissement induit un ralentissement de la croissance naturelle

L’élargissement apparaît au vu de ces chiffres comme l’intégration de pays inscrits dans des dynamiques de dépopulation. Ce qui aggrave de façon significative  le vieillissement de l’UE, ainsi que les difficultés induites, notamment en terme de retraites et de dépenses de santé. Par ailleurs, la réduction du nombre d’actifs ne favorise pas la création de richesses. Cette configuration démographique pèsera donc à terme sur les conditions de « rattrapage » par les nouveaux membres du niveau de l’UE15. A l’échelle de l’UE27, cela pourrait avoir des incidences sur la dynamique démographique et le niveau général de l’activité économique.

Si l’on considère le seul accroissement naturel, en faisant donc abstraction du solde migratoire, les conséquences de l’élargissement sur la dynamique démographique de l’Union européenne semblent non négligeables. Pour la période considérée (2001-2002), l’accroissement naturel de l’UE15 est de 1,1 / 1000 habitants. Alors que pour les douze pays candidats, l’accroissement naturel tombe à –1,5 / 1000 habitants. On ne peut donc pas affirmer que l’élargissement solutionnera les faiblesses démographiques notoires de l’Union européenne.  Au contraire, tout laisse à penser que l'élargissement de l'Union européenne induit une nouvelle aggravation de sa situation démographique. Gérard-François Dumont, Professeur à l’université Paris-Sorbonne prévoit ainsi : « L’Union européenne à Vingt-cinq est donc une organisation régionale dont la proportion de jeunes pourrait être encore plus faible que celle de l’Union à Quinze, sauf si un regain de vitalité, signe des changements significatifs de politiques et de comportements, venait inverser l’évolution en cours.» (5)

Roumanie. Crédits: Commission européenne

Le solde migratoire n’est pas mentionné sur le graphique 3 pour la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Roumanie et la Pologne, parce qu’il serait de 0, selon Eurostat. Cela ne signifie pas l’absence d’émigration mais plutôt que l’immigration – notamment de l’ex-URSS – serait équivalente.

Prudence sur les chiffres d'émigration

Pour ce genre de données, la plus grande prudence s’impose. En effet, J.J. Boillot écrit : « Selon les données officielles d’Eurostat, le nombre total de personnes en provenance des PECO (dans l’UE15) ne dépassait pas 850 000 personnes en 1998, soit 0,2% de la population de l’UE15, dont 300 000 actifs. Ce chiffre n’excéderait pas 0,8% de la population d’origine des PECO. La prise en compte des flux d’émigration informelle pourrait doubler ces proportions, mais ne change pas fondamentalement les mécanismes à l’œuvre. » (p.42)  Que les chiffres d’Eurostat en matière d’émigration des PECO vers l’UE15 soient à corriger par un coefficient multiplicateur de 2 laisse quand même pantois.

Directeur de recherches à l’Institut National d’Etudes Démographiques, Jean-Claude Chesnais attire l’attention sur une fonction possible des pays d'Europe centrale et orientale dans le système migratoire européen de l’après-guerre froide. « On assiste à l'échelle de l'Europe à un formidable brassage de populations. Ce mouvement est loin d'être terminé. Les pays entrants prochainement dans l'UE peuvent devenir bénéficiaires de ce brassage humain et ethnique. C'est déjà le cas de la République tchèque. Elle a un standard de vie enviable pour un large partie de la planète, certes inférieur à celui des pays d'Europe de l'Ouest, mais finalement assez attractif. Il s'agit d'un pays efficace, bien organisé, capable d'avoir des interstices dans son économie, en particulier dans les services, notamment le tourisme. La Pologne peut aussi faire figure de pays d'appel.

Têtes de ponts de réseaux mafieux ?

D'autant que les réseaux mafieux ne manquent pas de relais dans les pays d'Europe centrale et orientale. Ces réseaux sont animés depuis les Balkans, la Russie, la Chine … Les PECO pourraient devenir des têtes de ponts de réseaux mafieux spécialisés dans l'acheminement d'émigrés illégaux au sein de l'Union européenne ou à sa marge.

Il est possible que les étrangers s'arrêtent sur leur chemin, dans les PECO devenus membres de l'UE en 2004 ou candidats à l'horizon 2007, comme la Roumanie et la Bulgarie. La corruption restant une réalité significative dans les PECO (6), cela offre pour les clandestins des opportunités pour s'insérer assez facilement. » (7) La Pologne recevrait notamment des migrants économiques de Biélorussie, de Russie et d’Ukraine.

La pérennité d'« incohérences » … qui ont leur cohérence

Les incohérences subsistant à ce jour à l’échelle communautaire en matière migratoire et de coopération judiciaire ouvrent un boulevard au trafic d’êtres humains. En fait, beaucoup d’acteurs sont satisfaits de l'arrivée de main d'œuvre bon marché, souvent destinée au textile ou à la domesticité dans les pays de l’UE15. Sans parler de la prostitution. Ce qui incite à fermer les yeux sur la dimension criminelle du trafic. D'une certaine manière, les criminels rendent service au marché. Ce qui peut contribuer à expliquer la pérennité de certaines « incohérences » … qui ont leur cohérence.

Les graphiques 4 et 5 visualisent de manière hiérarchisée « les gagnants » en terme d’accroissement total de la population. Ils distinguent deux groupes. Le graphique 4 rassemble les pays qui gagnent 0,1 à 3,9 hab. /1000, par an. Soit un gain modéré. Le graphique 5 met en avant les pays qui gagnent de 5,1 à 13,1 hab. / 1000, par an. Soit un gain significatif.

   

                      

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  Le graphique 4 présente les douze pays de l’espace UE27 qui gagnent 0,1 à 3,9 hab. /1000 sur la période considérée. Ce groupe compte les deux seuls pays candidats d’Europe centrale et orientale dont l’accroissement total est positif. La Slovénie affiche une position relativement favorable (2,6 hab. / 1000), moins par son accroissement naturel que par son solde migratoire. Ses résultats et ses perspectives économiques étant alors relativement enviables comparées aux autres candidats, cela n’a rien d’étonnant. Les résultats semblent plus fragiles pour la Slovaquie. Cette dernière doit son faible accroissement total positif (0,1 hab. / 1000) à son solde migratoire, puisque son accroissement naturel est négatif.

Avec une autre ampleur, deux pays de l’UE15 font la même opération : l’Allemagne et la Suède. Le solde migratoire de l’Allemagne (2,2 hab. / 1000) lui permet d’afficher un accroissement total positif (1,2 hab. / 1000), alors que son accroissement naturel est franchement déficitaire (-1 hab. / 1000).

Les pays de l’UE15 qui fonctionnent comme des « portes d’entrées »

Le graphique 4 fait aussi apparaître les pays de l’UE15 qui fonctionnent comme des « portes d’entrées » dans l’espace communautaire, pour peu qu’on puisse accorder du crédit à ces données. Par ordre décroissant, il s’agit au sein de ce groupe des pays suivants : Suède, Italie, Royaume-Uni, Grèce, Danemark et Belgique. Il importe de considérer qu’il s’agit ici des entrées de toutes origines géographiques, pas seulement des pays candidats. Il convient de ne pas oublier les autres zones de départ. Cette remarque qui vaut également pour le graphique suivant. 

Le graphique 5 met en avant les sept pays qui gagnent de 5,1 à 13,1 hab. / 1000, du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2002. Soit un gain significatif. Ce groupe compte un seul pays candidat à l’UE : Chypre. Cette île méditerranéenne n’est pas marquée par l’héritage communiste. En revanche, les capitaux en fuite de l’espace post-soviétique y trouvent parfois des facilités bancaires qui peuvent dans certains cas contribuer à son activité économique, donc à son attractivité.

Par ordre décroissant, le graphique 5 fait apparaître les sept pays suivants comme des « portes d’entrée » dans l’espace de l’UE27 : Luxembourg, Espagne, Irlande et Chypre au même niveau (5,2 hab. / 1000), Portugal, Pays-Bas, France. Pour l’espace ibérique, l’apport africain joue probablement un rôle important, mais on y observe déjà des implantations slaves.

La France doit son accroissement total bien davantage à son accroissement naturel qu’au solde migratoire, si l’on en croit ces données. L’Irlande se trouve dans un cas de figure assez proche, mais avec des chiffres plus élevés.

Des « perdants » et des « gagnants »

Ainsi, l’approche démographique de l’élargissement de l’UE15 à l’UE27 met en évidence des contrastes, des « perdants » et des « gagnants ».  L’angle économique fera-t-il mentir cette observation ?

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« Il n’est de richesses que d’hommes », certes, mais à condition qu’ils produisent. A ce sujet, une approche comparative entre pays de l’UE15 comme entre pays de l’UE27 fait apparaître des différences fondamentales, voire structurelles. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’étude s’attache aux indicateurs suivants : Produit intérieur brut, croissance du PIB en 2002, PIB par tête, les programmes communautaires pour la période 2000-2006 et les prévisions de « rattrapage » pour 2010 et 2015 au regard du niveau moyen de l’UE15. 

Commençons par le graphique 6 : Espace UE27, Pib en 2000, milliards $.

Le graphique 6 permet de visualiser ce que des tableaux chiffrés mettent peut-être moins facilement en évidence : les pays candidats – même pour le 1er mai 2004 – affichent des PIB  considérablement inférieurs à la plupart des pays de l’UE15. L’Allemagne dépasse de la tête et des épaules les Etats déjà membres comme les candidats, avec 1 737 milliards $.

Le PIB de l'Estonie est 144 fois inférieur à celui de l'Allemagne

Le plus peuplé des pays candidats, la Pologne, affiche le premier PIB des candidats, mais il reste cinq fois inférieur à celui de l'Allemagne. Le PIB de l'Estonie est 144 fois inférieur à celui de l'Allemagne.

Carte de l'Espace UE25, PIB/hab. en SPA, UE15=100

Cela s’explique par l’héritage de quatre décennies d’économie planifiée sous la férule soviétique et les chocs induits par ce qu’il est convenu d’appeler la «transition ». Sans que l’on précise généralement qui « transite » vers qui, vers quoi et à quelles fins. La première moitié des années 1990 a souvent été très difficile pour les tissus économiques des pays post-communistes, comme pour d’importantes franges des populations confrontées à une grande  précarité.

Des résultats encourageants

Avec juste raison, les pays candidats pourraient faire valoir qu’en 2002, leurs PIB ont augmenté beaucoup plus rapidement que dans les pays de l’UE15, comme l’indique le graphique 7 : Espace UE27, croissance en % du PIB en 2002, pour les 12 pays candidats + moyenne UE15.

Les Baltes font 6 fois mieux que l'UE15... sans parler de la zone euro

Sans exception, les douze pays candidats affichent en 2002 une croissance du PIB supérieure à la moyenne de l’UE15 (1%). Les trois pays Baltes font même 6 fois mieux. Ce qui pourrait – du moins ponctuellement – permettre de contredire les réserves formulées précédemment au sujet des liens entre dépopulation et faible production de richesse. Encore faut-il s’inscrire dans la longue durée. Il n’empêche, la Roumanie et la Bulgarie – « retoquées » par l’UE à l’horizon 2007 – font presque 5 fois mieux que l’UE15. Malte a montré le taux de croissance le plus faible (1,2%), mais a été cependant capable de renverser la tendance négative de 2001. Voilà des raisons d’espérer, et pour les institutions communautaires des arguments pour vanter les vertus des conseils prodigués et les bienfaits des subsides déjà distribués.

Hongrie, usine automobile. Crédits: Commission européenne

Pour autant, la moyenne en 2002 des dix pays candidats pour le 1er mai 2004 est « seulement » de 2,4%, selon Eurostat. Surtout, le plus peuplé des pays candidats – la Pologne - affiche alors une croissance du PIB de « seulement » 1,6%.

Données 2003

Les données plus récentes permettent d’apporter des nuances. En 2003, la croissance moyenne des dix pays en voie d’adhésion « s’élèverait à 3,1% », selon le ministère de l’Economie et des Finances et de l’Industrie (8). La même source ajoute : « Cette robustesse provient en grande partie d’un rebond d’activité plus fort que prévu en Pologne après deux années de quasi-stagnation. En revanche, dans la plupart des autres pays, la croissance serait proche de son niveau de 2002, et même en ralentissement en Hongrie, Slovaquie et Slovénie. Elle serait la plus faible dans les économies dépendant du tourisme (Chypre et Malte) et resterait la plus dynamique en Roumanie-Bulgarie et dans les pays Baltes, toujours en rattrapage rapide après avoir subi les conséquences de la crise russe. » Le réveil de la Pologne ne doit cependant pas masquer le fléchissement de la croissance dans d’autres pays. 

Seulement 4,8% du PIB de l'UE15...

Il importe d’appréhender également ces résultats globalement. Le PIB total des dix pays candidats a été en 2002 de 437,8 milliards d’euros, soit seulement 4,8% de celui de l’UE15.

Enfin, la médiocre performance des pays de l’UE15 est inquiétante pour tous, membres comme candidats. On notera, au passage, que les chiffres de la zone euro sont encore moins flatteurs… Le ralentissement de l’activité économique en Allemagne, en partie du fait des coûts financiers et sociaux de la réunification de 1989-1990, amène à s’interroger sur les capacités prochaines de l’UE à soutenir le « rattrapage » des pays candidats. Si l’Allemagne et la France tiennent rigueur à ces pays de leur soutien aux Etats-Unis durant la marche à la guerre en Irak (hiver 2002/2003), certains pourraient être déçus par la modestie des prochaines enveloppes.

La croissance en 2002 et 2003 des PIB des pays candidats ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt. Ces pays viennent de loin et la mise à niveau de l’UE15 ne semble pas gagnée, loin de là. L’étude des standards de pouvoir d’achat paraît éclairante à ce propos.

Précisons d’abord ce qu’on entend par standards de pouvoir d’achat. Dans l’ouvrage cité, Jean-Joseph Boillot l’explique : « On appelle rattrapage ou convergence le processus économique qui permet à un pays ou à un groupe de pays en retard économiquement de rejoindre les niveaux du groupe de pays en avance par tout un ensemble de mécanismes de tirage du fort au faible. La mesure classique est celle des niveaux de produit intérieur brut (PIB) par habitant exprimés dans une monnaie comparable et surtout dans des prix comparables en valeur intrinsèque (un pain vaut un pain …) Ce que les économistes appellent les taux de change en parité de pouvoir d’achat (PPA), ou en standard de pouvoir d’achat (SPA) quand il s’agit de se situer par rapport à la moyenne des prix dans l’Union européenne. On définit alors un rapport entre le PIB moyen par habitant de l’UE et celui des pays en retard, et on suit dans le temps la trajectoire de cet indicateur sur une longue période. Il y a convergence lorsque le rapport des Pib par habitant se rapproche de l’unité. » (p. 33) Cette définition a le mérite d’être claire (9), même si le concept de « retard » peut contrarier à juste titre les pays concernés, voire induire une forme de déterminisme.

Observons maintenant le graphique 8 : PIB par tête (2002) des pays candidats, en % de standards de pouvoir d'achat (UE15 = 100).

   

                         

NB: Depuis la réalisation de ce graphique, Eurostat a communiqué des résultats préliminaires légèrement différents dans son communiqué de presse n°148/2003 daté du 18 décembre 2003. Le PIB par habitant des pays adhérents serait ainsi à 47% de la moyenne de l'UE en 2002. Soit 1% de mieux.

 

 

Même pas la moitié du niveau de l'UE15

La moyenne des pays candidats à l’UE pour 2004 n’atteint même pas en 2002 la moitié du niveau de l’UE15 (46%) pour le PIB par tête exprimé en pourcentage de standards de pouvoir d’achat. Seulement deux pays dépassent alors 70% : la Slovénie (74%) et Chypre (73%), cette île ne partageant pas l’héritage communiste et les difficultés de la « transition ». Seulement deux pays se situent entre 60 et 57% : la République tchèque et la Hongrie. Comme les précédents, il s’agit de pays relativement peu peuplés.

La Lettonie ferme la marche pour 2004

Le plus peuplé des pays candidats – la Pologne, avec 38,6 millions d’habitants -  accroche à peine 40% de SPA par rapport à l’UE15. A la frontière nord de la Pologne, les trois pays Baltes se trouvent dans des ordres de grandeur assez proches (Estonie : 42% ; Lituanie : 39% ; Lettonie : 35%). La Lettonie ferme donc la marche des pays candidats pour le 1er mai 2004, avec un  PIB par tête exprimé en pourcentage de standards de pouvoir d’achat à peine supérieur au tiers du niveau moyen de l’UE15. Ce graphique permet de comprendre pourquoi la Roumanie et la Bulgarie (25%) ont été renvoyées à plus tard. Ces deux pays bénéficient et bénéficieront de programmes d’aides financières pour améliorer leur situation, a-t-il été décidé en compensation. Ce qui pèse et pèsera sur le Budget communautaire.

A propos, quels sont les pays qui bénéficient déjà des allocations les plus importantes ?

Voici quelques éléments, avec le graphique 9 : Programmes communautaires (Phare, Ispa, Sapard), allocations indicatives maximales et minimales pour 2000-2006 (millions d'euros).

La visualisation des allocations indicatives des programmes communautaires pour les pays candidats apporte – en creux – des informations significatives sur les rapports de forces entre candidats et membres autant que sur les inquiétudes des décideurs. La Pologne – pays le plus peuplé, dont le SPA par rapport à l’UE15 reste en 2002 inférieur à la moyenne des candidats pour 2004 – bénéficie de l’enveloppe la plus importante.

Les deux Etats dont l’adhésion a été repoussée à 2007 viennent ensuite. Enfin, les pays les moins peuplés obtiennent des enveloppes réduites.

Petits jeux européens

Directeur de recherches au Centre d’études et de recherches internationales, Jacques Rupnik, fait le commentaire suivant : « Dans l’Agenda 2000, un montant a été prévu pour l'élargissement. J. Chirac et G. Schröder se sont mis d'accord au mois de septembre 2002 pour réduire cette somme, déjà limitée, d'un milliard d'euros. Il s'agit d'une démarche de gagne-petit croyant faire des économies, pour sauver la Politique Agricole Commune. J. Chirac sortait ainsi G. Schröder de son isolement après sa victoire aux élections sur l'anti-américanisme. Le Chancelier était alors totalement isolé. Il tombe dans les bras du Président français, qui lui fait accepter le principe :"On ne touche pas à la PAC, jusqu'au prochain Budget et on essaie ensemble de rabioter sur le budget prévu pour l'élargissement". En décembre 2002, les pays candidats arrivent au sommet de Copenhague non seulement échaudés par une somme initiale qu'ils considéraient déjà comme insuffisante, mais scandalisés par cette réduction. Ils font alors un numéro de marchandage. Celui-ci n'aboutit pas à l'augmentation du volume global alloué à l'élargissement mais simplement à une réallocation des ressources. Au lieu que cela passe par des projets, ces sommes seront directement accessibles pour le Budget polonais. Ce qui est bien plus avantageux pour le gouvernement, mais peut être moins favorable aux réformes qui devraient être entreprises.  Sur le fond, il s'agit de la même somme, seule le mode de distribution change. Le plus pénible dans cette affaire, c'est qu'elle révèle combien les candidats - la Pologne en particulier - identifient l'UE essentiellement comme une instance économique et pas comme une instance politique. Et à quel point les candidats se sont appropriés ce qu'ils croient être la culture politique de l'Union européenne : "on va à un sommet pour se battre comme des chiffonniers, et on sort à 4 heures du matin en criant victoire!"

"j'ai gagné !", criait le perdant

C'est manifestement ce qu'ils ont appris de la construction européenne, parce que nous leur offrons ce spectacle depuis des années… Ils se sont donc approprié cette idée : chacun se bat pour ses intérêts, puis tout le monde dit : "j'ai gagné !" Et ils ont suivi exactement ce mode opératoire. Ils n'ont rien obtenu en plus - si ce n'est l'accès direct à ces fonds - et le dirigeant polonais a pu rentrer à Varsovie en disant : "j'ai gagné !" » (10).

Reste à savoir ce qu’il advient ensuite des fonds structurels. Jean-Claude Chesnais s’interroge : « L’utilisation de ces fonds sera-t-elle active, attractive, donc positive pour la croissance ? Ou contribuera-t-elle à renforcer des réflexes d’assistance ? » (11)

Sans vouloir être désagréable...

Pour mémoire, les autorités polonaises – et roumaines – ont été sommées de rembourser d’importantes sommes communautaires durant l’été 2002 parce qu’elles avaient été détournées de leur usage normal... Il est vrai que la Roumanie et la Pologne arrivent respectivement au 83e et 64e rangs mondiaux au classement de l’indice de corruption 2003 réalisé par Transparency international. Plus l’indice est élevé, plus la corruption est perçue comme aggravée. Sans vouloir charger la barque, ces deux pays ferment la marche des pays candidats étudiés ici. (12) 

La Commission européenne a conscience de cette difficulté. Dans les rapports rendus publics le 5 novembre 2003, elle attire l’attention sur le taux de corruption qui demeure élevé, voire très élevé dans certains pays candidats. Ce qui pose questions quant à la qualité de l’administration publique et sur les risques de détournements des fonds communautaires. Ceux-ci profitent rarement aux plus honnêtes et aux plus démocrates… Corruption et démocratie font rarement bon ménage. Si l’on y prend pas garde, les fonds communautaires pourraient consolider des forces non-démocratiques, ce qui serait une singulière ironie de l’histoire. On peut très bien imaginer le scénario suivant : une mafia s’étant enrichie grâce au détournement des fonds européens « s’offrant » un homme politique en payant sa campagne électorale, pour avoir ensuite un accès encore plus faciles aux informations sensibles. Ce qui lui permettrait de consolider son emprise.

Les contribuables des pays de l’UE15 risquent de regarder ces programmes communautaires d’assistance avec un autre regard que les citoyens des pays d’Europe septentrionale, centrale et orientale. Ces derniers critiquent déjà la modestie des montants et leurs utilisations.

Prévisions pour 2010 et 2015

Reste que ces assistances pourraient peser sur le Budget communautaire pendant près de deux décennies, au vu des prévisions du Wiener Institut für Internationale Wirtschaft.

Graphique 10. Pib/hab. (UE15=100), prévisions de rattrapage PECO pour 2010 et 2015, selon WIIW (2002).

   

                       

 

  Il importe de ne pas perdre de vue les prévisions de « rattrapage » des PECO pour 2010 et 2015 ne sont que …des suppositions. Si l’exercice est utile, ses résultats dépendent étroitement des hypothèses de départ – tant pour les candidats que pour les pays de l’UE15 –  et des espoirs ou craintes de l’équipe qui réalise ce travail prospectif inévitablement subjectif. L’avenir peut réserver de bonnes comme de mauvaises « surprises ».

Les 7/8  des habitants des pays candidats resteraient en 2015 nettement en dessous du seuil de 75% du PIB/hab. de l’UE15

Il n’empêche qu’à l’horizon 2015 – soit plus de dix ans après l’adhésion des candidats prévue en 2004 – seulement deux pays sur les huit candidats post-communistes dépasseraient 75% du PIB/hab. de l’UE15. Il s’agirait de la Slovénie (1,9 millions d’hab. en 2002) et de la République tchèque (10,2 millions d’hab. en 2002). Soit à peine plus de 12 millions d’habitants, si l’on considère les données de 2002. Ce qui représente à cette même date la population cumulée des agglomérations de Paris, Lyon et Marseille. Rappelons, néanmoins que le graphique 1 indique que la population des douze pays candidats dépasse 104 millions d’habitants. Autrement dit, les 7/8e  des habitants des pays candidats resteraient en 2015 nettement en dessous du seuil de 75% du PIB/hab. de l’UE15. Ce qui mettraient les six pays  concernés en situation d’espérer – voire d’exiger -  diverses aides communautaires. 

Combien d'années faudra-t-il ?

Il appert que le pays candidat le plus peuplé – la Pologne, 38,6 millions d’hab. en 2002 – ne serait en 2015 qu’à 54% du PIB/hab. de l’UE15. Combien d’années faudra-t-il pour accrocher le seuil des 75% ? Nul ne le sait vraiment.

Selon le Wiener Institut für Internationale Wirtschaft, la Lituanie et Lettonie n’atteindraient en 2015 que 40% du PIB/hab. de l’UE15. Enfin, la Roumanie serait à 35% et la Bulgarie à 33% du PIB/hab. de l’UE15.

Roumanie. Crédits: Commission européenne

Il existe au moins une forte probabilité : les diverses aides communautaires aux pays candidats risquent de peser sur le Budget communautaire au-delà de 2020. Prétendre que l’élargissement peut se faire à Budget constant semble donc discutable.

Avec quels moyens budgétaires ?

Les premiers travaux sur les prochaines perspectives financières de l’Union élargie (2007-2013) placent au cœur du débat l’avenir de la politique de cohésion, c’est à dire les fonds structurels, les fonds de cohésion et les programmes de pré-adhésion. Certes, les Conseils Européens d’Edimbourg (1992) et de Berlin (1999) ont fixé implicitement un plafond de 0,45% du PIB européen aux dépenses de cohésion. Pour autant, une publication officielle du ministère de l’Economie et des Finances et de l’Industrie note : « Ce plafond, qui n’est pas atteint à l’heure actuelle, est-il toujours pertinent alors que les écarts de développement entre les pays de l’Union élargie seront considérablement accrus par l’élargissement ? » (13) 

Pourtant, le ton général se veut rassurant. Dans l’ouvrage cité en introduction, J.-J. Boillot concède cependant que les bénéfices économiques de l’élargissement seraient inégalement répartis, à l’avantage des entrants.

« Pour les dix pays candidats, les simulations montrent que leur entrée dans l’UE à partir de 2005 pousserait leur croissance annuelle de 3 % en régime normal à 4 % dans le scénario central et à 4,8 % dans le scénario optimiste. Le gain cumulé dans la décennie (2001-2010) se monterait ainsi à 10 ou 18 points supplémentaires de PIB, selon le scénario retenu.» (p. 34) 

Des calculs sympathiques mais discutables

« Pour l’UE15, le gain macroéconomique est évidemment beaucoup plus faible puisque les PECO ne représentent qu’environ 4 à 5% de son PIB en valeur courante. En cumul sur toute la décennie (2001 –2010), ce gain ne dépasserait pas 0,5 à 0,7 point supplémentaire de PIB, soit à peine + 0,1% par an pour une croissance annuelle attendue de 2-2,5% . Mais en contrepartie, les coûts de l’élargissement apparaissent également assez faibles. S’ils ne sont pas chiffrés précisément par la Commission dans son étude 2001 en raison de négociations non terminées, l’étude du Wifo (14) les estime à 190 milliards d’euros sur la décennie ou 0,15% du PIB de l’UE15, soit une fraction du gain global de croissance. » (p. 35)  

Encore faut-il relever que ces hypothèses sollicitent quelque peu les chiffres pour les besoins de la démonstration. Pour commencer : + 0,10 % de PIB - 0,15% de PIB = - 0,05 % de PIB.  Par ailleurs, quelle est la crédibilité d’hypothèses s’appuyant sur des chiffres aussi infimes, étalés de surcroît sur une décennie ? D’ailleurs, les hypothèses sur « la croissance annuelle attendue » pour l’UE15 (2 à 2,5%) semblent à considérer avec prudence. Pour mémoire, la croissance du PIB de l’UE15 a été réduite en 2001 à 1,6% et en 2002 à 1%, quant à 2003… Enfin, tous les pays de l’UE15 ne tirent pas aussi bien leur épingle du jeu. L’Allemagne semble tirer un plus grand bénéfice économique de l’élargissement que la France.  

*

Si l’avenir n’est pas écrit, il faut au moins éviter d’entretenir trop d’illusions. Les pays candidats n’ont pas l’intention de devenir des membres de « deuxième catégorie » au sein des institutions communautaires.  

"Oui, mais..."

Un diplomate d’un pays candidat confiait ainsi courant 2003, sous réserve d’anonymat : « Nous sommes des Européens convaincus, nous voulons faire partie de l'Union européenne, mais nous ne sommes pas très satisfaits des conditions économiques.  

Nous ne sommes donc pas si enthousiastes que ça, sur le principe Oui, dans la pratique… Il est vrai que les négociations nous ont refroidis. La Pologne a réussi à obtenir  1 milliard d'euros trois jours avant le Sommet de Copenhague (2002). Cela nous a laissé à la fois admiratifs et jaloux. Les Polonais ont fait passer ce que ressent la population. Nous voulons l'Europe, mais pas pour passer sous des fourches caudines ! Comme m'ont confié des entrepreneurs : "Si c'est pour devenir un marché acheteur pour l'économie occidentale, stop ! Nous allons devoir fermer toutes nos industries pour devenir juste un marché de consommateurs ? Nous aussi vous voulons produire et exporter ! Que les concessions ne se fassent pas dans un seul sens".  

Pologne: Cracovie, la halle aux draps. Crédits: P. Verluise

Ce sera sans arrêt des conflits pour arracher des aménagements ou des subventions supplémentaires

Nous allons néanmoins finaliser le processus d'adhésion, parce que nous avons trop souffert par le passé et les gens sont habitués à se résigner. Mais nous râlerons, on tâchera partout d'obtenir un peu plus. Ce sera sans arrêt des conflits pour arracher des aménagements ou des subventions supplémentaires. Pour aller de l'avant, nous avons accepté trop facilement trop de sacrifices. Nous restons cependant très prudents à l'égard des conséquences sur notre vie quotidienne, nous voulons du temps. Il faut comprendre que ces populations sont encore traumatisées. Ces pays sont donc à prendre avec des pincettes. Sinon, il y aura des réactions.» (15)  

La preuve

L’échec cinglant du sommet européen de Bruxelles le 13 décembre 2003 en administre la preuve.  

Affirmer que l’élargissement de l’UE15 à l’UE27, voire davantage, « ne changera rien » ne résiste donc pas à l’analyse de deux fondamentaux géopolitiques : la population et l’économie.  

Dans une société démocratique et pluraliste, un tel sujet aurait mérité - en temps utile - un vrai débat : argumenté, serein et respectueux d’autrui. La stratégie adoptée sciemment pour l’éviter dans les pays de l’UE15 pourrait, à l’image d’un boomerang, réserver à moyen et long termes des effets… imprévisibles.

Pierre Verluise 

Manuscrit clos le 28  décembre 2003.

Lire une étude complémentaire: "Quelles sont les dynamiques socio-économiques à l'oeuvre en Europe ? par Pierre Verluise. Avec deux cartes inédites sur la période 1996-2006.

PS : L’auteur remercie pour leurs observations Jean-Claude Chesnais, démographe, et Bruno Verdet, économiste.

Une version courte de cet article a été publiée en avril 2004 dans le n°7 de la revue Outre-Terre : "Attention Europe !" (éd. Eres)

   

 

 

Notes:

1.

Tous les graphiques ont été réalisés par P. Verluise, les sources sont indiquées en fin d’article, à la rubrique : Table des graphiques.

2.

Stephan Martens, « L’Allemagne, l’Autriche et l’espace centre-européen », PPS, n°850, Paris, documentation Française, 12 janvier 2001, 84 pages.

3.

Pour des études détaillées, consulter « Populations et migrations. CEI, Russie, Europe centrale et du Sud-Est »,  Le Courrier des pays de l’Est, n°1035, mai 2003, Paris, documentation Française. Lire notamment l’article de Jean-Paul Sardon (INED), « Europe centrale. Des trajectoires démographiques inquiétantes », pp. 27 à 42. Lire également l’article de Jean-Claude Chesnais « Démographie : l’Est ne sauvera pas l’Europe », Sociétal, n°41, 3e trimestre 2003, pp. 101 à 104. Voir, enfin, l’étude de Gérard-François Dumont, « Le cinquième élargissement démographique de l’Union européenne », Population & Avenir, n°661, janvier-février 2003, pp. 4 à 8. 

4.

Alain Monnier, « La population de l’Europe : 1950-2050 », Populations et Sociétés, n°353, janvier 2000.

5.

Gérard-François Dumont, « Le cinquième élargissement démographique de l’Union européenne », Population & Avenir, n°661, janvier-février 2003, p.8.

 

6.

Lire à ce sujet Daniel Lebègue, Président de la section France de Transparency International, « La lutte contre la corruption est un travail de Sisyphe », La Quinzaine européenne, 3 novembre 2003, p.12. 

 

7.

Jean-Claude Chesnais, « Géopolitique de l’Eurasie : le point de vue du démographe », entretien avec Pierre Verluise,  avril 2003, www.diploweb.com/p5chesnais1.htm

 

8.

MINEFI – DREE/TRESOR, Revue Elargissement, n°54, 10 novembre 2003, p. 2.

 

9.

Pour en savoir plus lire Eurostat, « Comment sont calculés les PPA et qu’appelle-t-on SPA ? », note méthodologique in Statistiques en bref,  Thème 2 – 20/2003. Prix et parités de pouvoir d’achat, page 3.

10.

Jacques Rupnik, « Géopolitique de l'Europe centrale : Quels passifs ? », entretien avec Pierre Verluise, septembre 2003, www.diploweb.com/forum/rupnik.htm.

11.

Jean-Claude Chesnais, « Démographique : l’Est ne sauvera pas l’Europe », Sociétal, n°41, 3e trimestre 2003, p. 104. 

12.

A titre de comparaison, voici les classements des autres pays candidats : Slovaquie : 59e rang mondial, Lettonie : 57e, République tchèque et Bulgarie: 54e, Lituanie : 41e, Hongrie : 40; Estonie : 33; Slovénie 29; Chypre 27e. Pour les pays membres de l’UE15, la Grèce est lanterne rouge avec le 50e rang mondial ; l’Italie ferme la marche des pays les plus peuplés, au 35e rang. La France  se trouve au 23e rang, derrière l’Allemagne (16e) et le Royaume-Uni (11e). La Finlande, membre de l’UE15 depuis 1995 occupe le 1er rang mondial.

13.

MINEFI – DREE/TRESOR, Revue Elargissement, n°52, 13 octobre 2003,  p. 2.

14.

Fritz Breuss, « Macroeconomics Effects of EU Enlargement for Old and New Members », Wifo  working paper, 143/2001.

15.
Entretien avec Pierre Verluise.

Copyright 28 décembre 2003-Verluise / www.diploweb.com

L'adresse URL de cette page est www.diploweb.com/forum/verluise11.htm

   
 

 

   

Table des graphiques, avec leur source.

   
 

 

 

1.      Espace UE 27, population en millions, au 1er janvier 2002. Source : Eurostat, « Statistiques en bref ». Thème 3 – 19/2001. Cité in Boillot, Jean-Joseph, « L’Union européenne élargie. Un défi économique pour tous », Paris, documentation Française, 2003, page 139. 

2.      Espace UE27, population en milliers, au 1er janvier 2002. Source : Eurostat, « Statistiques en bref ». Thème 3 – 19/2001. Cité in Boillot (2003).

3.      Espace UE27 (2001-2002): les pays qui perdent de 6,2 à 0,4 hab. / 1000, par an. Source : Eurostat, « Statistiques en bref ». Thème 3 – 19/2001. Cité in Boillot (2003).

4.      Espace UE27 (2001-2002): les pays qui gagnent 0,1 à 3,9 hab. /1000, par an.   Source : Eurostat, « Statistiques en bref ». Thème 3 – 19/2001. Cité in Boillot (2003).

5.      Espace UE27 (2001-2002) Les pays qui gagnent de 5,1 à 13,1 hab. /1000, par an. Source : Eurostat, « Statistiques en bref ». Thème 3 – 19/2001. Cité in Boillot (2003).

6.      Espace UE27, Pib en 2000, milliards $. Source : Boillot, (2003), page 19, d’après divers documents de la Commission européenne.

7.      Espace UE27, croissance en % du PIB en 2002, pour les 12 pays candidats + moyenne UE15. Source: Eurostat, « Statistiques en bref ». Thème 2 - 47/2003, page 2.

8.      Graphique 8. PIB par tête (2002) des pays candidats, en % de standards de pouvoir d'achat (UE15 = 100). Source: Eurostat, « Statistiques en bref », Thème 2 - 47/2003, page 7. Voir aussi « Statistiques en bref ». Thème 2,  32/2002 et 20/2003 pour plus d’informations sur la compilation des PPA et les limitations à l’interprétation des chiffres en SPA.

9.      Programmes communautaires (Phare, Ispa, Sapard), allocations indicatives maximales et minimales pour 2000-2006 (millions d'euros). Sources : Agenda 2000 et Commission européenne. D’après, J.-J. Boillot, (2003), p. 28.

10.  Pib/hab. (UE15=100), prévisions de rattrapage PECO pour 2010 et 2015, selon WIIW (2002), Boillot, (2003), p. 36.

   
     

Biographie de Pierre Verluise, spécialiste de géopolitique

   
 

 

 

Pierre Verluise est Directeur du Centre géopolitique qui apporte son soutien au  www.diploweb.com qu'il a fondé en 2000. Le diploweb.com est devenu le premier site géopolitique francophone. Il est notamment conseillé aux Etats-Unis par l'université de New York ; en France par l'Ecole Nationale d'Administration et le Commandement de la doctrine de l’Enseignement militaire supérieur.

Ce site se caractérise par la publication d’entretiens approfondis avec les meilleurs experts étrangers et français: le général américain Vernon Walters, l'Ambassadeur de France Bernard Dorin, le Ministre Conseiller suédois Anders Calmfors, le Ministre plénipotentiaire Georges-Marie Chenu, le Ministre plénipotentiaire belge Bart Ouvry, l’Ambassadeur de Lituanie Richard Backis, le général Lucien Poirier, François Géré, le diplomate danois Hans Braask, Gérard Chaliand, François Heisbourg. En 2003, il met en ligne l'équivalent de 9 livres. 

Une synergie vertueuse entre le site, la recherche et l'enseignement géopolitique

Les relations privilégiées que Pierre Verluise développe depuis plus de vingt ans avec les sphères géopolitiques et décisionnelles donnent au diploweb.com comme à son activité une dimension singulière. Rencontrant régulièrement des responsables, il peut proposer une recherche et un enseignement actualisés sur des questions évolutives.

Il est, depuis 2003, Directeur du séminaire "Géopolitique de l'Union européenne" au Collège Interarmées de Défense. Le CID forme les chefs militaires de demain. Une promotion compte plus de 300 officiers, dont plus d'une centaines d'étrangers, originaires d'environ 70 pays.

Pierre Verluise enseigne également à l'université. Il est chargé du cours de Géopolitique à l'Institut Catholique de Paris, au sein de l'Institut Supérieur d'Interprétation et de Traduction. L'ISIT forme des médiateurs culturels et linguistiques, traducteurs, interprètes et juristes qui travaillent ensuite dans les ministères, les organismes européens ou internationaux, les entreprises internationales.

Pierre Verluise fait régulièrement des conférences à l’étranger comme en France. Il intervient devant des publics d'officiers, diplomates, universitaires, cadres d'entreprises et d’étudiants sur son sujet d’étude depuis plusieurs années : les mutations géopolitiques de l’Europe. Prendre contactP. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France.

 

De nombreuses publications en France et à l’échelle mondiale

Depuis les années 1980, Pierre Verluise participe au débat géopolitique dans les médias français et étrangers par la publication de plusieurs centaines d’articles et des ouvrages. Il intervient notamment sur les sujets suivants : la France dans le monde et en Europe ; la nouvelle géopolitique de l’Europe ; l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale ; l’URSS et la zone post-soviétique, de M. Gorbatchev à V. Poutine.

Trois livres: 

. 2001, "Quelle France dans le monde au XXI e siècle ?", post-face de Gérard Chaliand, publié sur le site www.diploweb.com., accessible depuis la page d'accueil. Grâce au procédé internet, cette enquête bénéficie d’une diffusion mondiale.

. 1996, "Le nouvel emprunt russe", éd. Odilon Media. Un ouvrage de référence sur la dette soviétique.

. 1989, "Arménie, la fracture. Le séisme du 7 décembre 1988", préfacé par Gérard Chaliand, éd. Stock. En 1995, publié en anglais: "Armenia in crisis : the 1988 earthquake", preface Levon Chorbajian, professor at the University of Massachusetts, ed. Wayne State University Press, Detroit, Michigan USA.

Dans la presse écrite:  

Il a notamment publié dans les titres suivants : Le Monde, Politique internationale, La Croix, Défense, La Quinzaine européenne, Transitions & Sociétés, Les Cahiers d'Histoire immédiate, Conflits actuels, L’Express (Canada), Outre-Terre. Pierre Verluise est membre du Comité de rédaction de la revue Outre-Terre.

 

Formation

1995 : Diplôme d'Etudes Approfondies d'Histoire à l'Université Paris I - Sorbonne. Mémoire de D.E.A. d'Histoire contemporaine des Mondes Etrangers et des Relations Internationales réalisé sous la direction de René Girault, à propos de "La dette extérieure soviétique durant les années Gorbatchev".

1983 : Maîtrise d'Histoire des relations internationales, à l'Université Paris I - Sorbonne. Mémoire de Maîtrise consacré à "La crise du système soviétique", sous la direction d’Hélène Carrère d’Encausse

   
         

 

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