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Dublin, nouvelle extrémité occidentale de la "Banane bleue" ? 

par Philippe Brillet, Docteur en Géographie  

 

En 1988, le géographe français Roger Brunet donnait à l'ovale incurvé que dessinent les territoires concentrant la richesse de l'Europe le nom de "Banane Bleue".

 

La question de l’articulation de l’Irlande avec ce noyau dur de la richesse européenne se pose devant sa très grande prospérité actuelle, qui est d’autant plus remarquable - et remarquée - qu’elle a rompu en quelques années à peine avec une longue histoire de pauvreté. L’Eire est en 2005 au deuxième rang de l’Europe pour la richesse par habitant. C'est dire que l’ancien sobriquet d' "âne vert" n'est plus de mise, et que l'Irlande est bien devenue un "Tigre Celtique". Une telle réussite a irradié hors du champ économique, et a investi notamment celui du politique. En sus de la légitime fierté des Irlandais, on note la double satisfaction de Bruxelles à pouvoir justifier du bon emploi des fonds communautaires auprès des pays contributeurs et à pouvoir présenter aux nouveaux membres une histoire d'intégration qui s'est accompagnée d'un fort développement.

 

Pour autant, l’Eire a-t-elle véritablement réussi à vaincre la « malédiction » de sa position périphérique et attirer jusqu'à elle l'aire de prospérité européenne?  Pour répondre à cette question, l'auteur commence par un bilan de la réussite du "Tigre Celtique", dans ses aspects économique, démographique, culturel, et politique puis, enfin, dans sa dimension européenne. Il tente alors une première réponse à la question posée, avant d’examiner son évolution probable dans le proche avenir.

Cette étude est illustrée de plusieurs figures dont des cartes.

Vous trouverez également des photographies de Carole Le Mouël illustrant la modernité de Dublin.  

Bibliographie du sujet et biographie de l'auteur en bas de page.

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Lire une étude de Christophe Gillisen, Maître de conférences à l’Université Paris IV-Sorbonne : "La présidence irlandaise du Conseil européen au premier semestre 2004".

 

 

 

 

Notes sur le lexique et les données :

1- Cet article, consacré principalement à la république d'Irlande, la désigne de quatre façons différentes afin de limiter les répétitions : Eire, son nom officiel, République et Sud, dans la mesure où ces deux termes sont peu susceptibles d'être ambigus dans le contexte de ce travail, et enfin Irlande, ce qui est bien entendu impropre puisque ce mot devrait être réservé à l’ensemble de l'île. Ce dernier emploi semble toutefois d’autant plus licite qu’il est devenu courant dans les publications officielles de l'état.

Toute référence à l'Irlande dans son ensemble est dûment signalée.

 

2- De façon comparable le nord de l'île, qui est resté uni à la Grande-Bretagne, est appelé soit Irlande du Nord - parfois Nord seulement – soit Province. Le premier terme est géographiquement sans ambiguïté, mais il a longtemps été récusé par la majorité protestante du territoire précisément en raison de sa référence à l'Irlande. Le second est plus neutre politiquement, mais il se devait d'être signalé d'emblée car moins connu hors des Îles Britanniques.

Le terme d'Ulster, enfin, ne saurait être employé. Il désigne l'une des quatre provinces historiques de l'Irlande, celle qui fut partagée en 1921 : trois de ses neufs comtés appartiennent à la République, les six autres forment précisément la Province. Désigner cette dernière comme Ulster est donc impropre géographiquement.

 

3- Le terme d’Unionistes désigne ceux des habitants de ce territoire qui veulent conserver l’union actuelle avec Londres, telle qu’elle existe à travers le « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ». Ces Unionistes appartiennent, pour la plupart d’entre eux, à la majorité protestante de la Province.

 

4- Le terme Union désigne ici la Communauté Européenne, et non le lien anglo-irlandais que l’on vient de rappeler. Employé sans précision supplémentaire, il se réfère à l'Europe actuelle, élargie à 25 depuis 1er mai 2004. Lorsque ce terme désigne l’Union à une étape antérieure de sa construction, le nombre des pays membres est alors précisé. Le terme Europe est parfois employé comme synonyme d'Union, bien qu'il soit plus vaste afin, comme précédemment, de limiter les répétitions.

 

5- Les données chiffrées sont normalement les plus récentes disponibles. Elles se réfèrent en règle à 2003, parfois à 2004 quand cela est possible, et par défaut à des années plus anciennes.

Les données qui sont présentées sans repérage dans le temps sont de 2003.

 

Introduction 

En 1988, le géographe français Roger Brunet donnait à l'ovale incurvé que dessinent les territoires concentrant la richesse de l'Europe le nom de "Banane Bleue". Si l'on met à part le débat sur la pertinence du nom choisi, nul ne contesta que l'ensemble ainsi mis en lumière rassemblait les régions les plus riches et les métropoles les plus puissantes du continent. Mis en lumière est d'ailleurs un terme particulièrement adapté, puisque la "Banane" concentrait également les hautes densités de population et se détachait nettement du reste de l'Europe par sa brillance nocturne sur les images prises par satellite. Un tel concept, pour en être récent, n'en reproduisait pas moins la permanence dans le temps long de territoires qui avait su attirer, puis conserver, la richesse et le pouvoir. L'idée nouvelle était la continuité même de ces territoires, certes évidence topographique mais réalité masquée par une lecture de l'Europe privilégiant longtemps l'échelle nationale.

 

Que la perception de cette réalité impose de faire abstraction de la Mer du Nord et des glaciers alpins généra alors des critiques d'autant plus vigoureuses, en France notamment, que les querelles internes au monde de la géographie étaient particulièrement vives à cette époque. Sans entrer ici dans un débat qui fut longtemps plus idéologique que scientifique, notons simplement que le volume des biens qui transitent chaque jour par le Pas-de-Calais, vers ou depuis les ports du Range, est tel qu'il semble étrange de refuser à la partie concernée de la Mer du Nord son appartenance à la "Banane". Point n'est besoin ici d'invoquer des champs d’hydrocarbures qui sont à une autre extrémité de cette mer. Notons également que si l'on refuse d'emblée au concept la possibilité de franchir les espaces maritimes, la question de l’intégration éventuelle de Dublin ne saurait se poser!

 

Plus scientifiquement, le débat national porta d'une part sur les problèmes posés par le caractère excentré de ce que l'on pourrait appeler la "Grande Ile-de-France" par rapport à cette Banane et, d'autre part, sur la possibilité de la région lyonnaise à y être incluse à terme. Ces deux questions sont rappelées ici, malgré leur caractère apparemment très franco-français, car ce sont très précisément leurs équivalents qui se posent aujourd'hui pour l'Irlande, fût-ce à une autre échelle :

- le caractère excentré d'un territoire constitue-il un obstacle irréductible à son appartenance à l'aire de puissance européenne, même lorsque sa richesse invite à l’inclure?

- une ville qui ne saurait être qualifiée de "très grande" peut-elle, lorsque ses capacités dépassent sa démographie, être considérée comme l'un des pôles de cette aire ?

Pour cette seconde question, le parallélisme entre Lyon et Dublin vient de leur classement rigoureusement identique au terme d’une nouvelle étude réalisée à l'université de Montpellier pour la DATAR (Rozenblat, Céline, Cicille, Patricia, Les Villes Européennes Analyse comparative, Paris, La Documentation Française, 2003), étude dont l’ambition explicite était de revisiter le travail fondateur de Roger Brunet, réalisé quinze ans plus tôt au même endroit.

 

Ces deux questions sont d'autant plus pressantes dans le cas de l'Irlande que sa position est, indéniablement, extrêmement excentrée et la population de Dublin est encore limitée : 1,123 million d'habitants seulement lors du recensement de 2002, pour l'agglomération au sens le plus large possible (et 496 000 pour la ville stricto sensu). Une telle distance, à la fois topographique et démographique, entre Dublin et la Banane Bleue ne peut d'ailleurs qu'interroger l'intérêt même du présent questionnement. La question de l’articulation de l’Irlande avec le noyau dur de la richesse européenne se pose pourtant devant sa très grande prospérité actuelle, qui est d’autant plus remarquable - et remarquée - qu’elle a rompu en quelques années à peine avec une longue histoire de pauvreté. L’Eire est aujourd’hui au deuxième rang de l’Europe pour la richesse par habitant. Une telle transformation interroge donc, malgré la petite taille du pays. Il ne contribue en effet que pour 1,4 % au total du PIB communautaire. C'est dire que l’ancien sobriquet d' "âne vert" n'est plus de mise, et que l'Irlande est bien devenue un "Tigre Celtique" (cf. infra). Une telle réussite a irradié hors du champ économique, et a investi notamment celui du politique. En sus de la légitime fierté des Irlandais, on note la double satisfaction de Bruxelles à pouvoir justifier du bon emploi des fonds communautaires auprès des pays contributeurs et à pouvoir présenter aux nouveaux membres une histoire d'intégration qui s'est accompagnée d'un fort développement.

 

Ce dernier point constitue en fait le cœur de la question posée. Rappelons qu'en 1988, la Banane Bleue coïncidait approximativement avec le tiers nord-est d'une Union alors à douze membres, et que rares étaient ceux qui imaginaient alors que son extension vers l'Est allait devenir possible quelques mois plus tard, avec la chute du Mur de Berlin. Le travail de Roger Brunet fit prendre conscience que l'Europe occidentale, fût-elle bien plus développée que celle de l'Est, était elle-même économiquement partagée entre une "Banane" prospère et ce qui apparaissait ainsi comme un reste ou, au mieux, des marges. La question de leur rattrapage fut, dès lors, perçue par les pays en cause comme une urgence, ce que traduisit notamment la création, dès 1989, par la plupart des régions concernées, d'une instance de coordination qu'elles appelèrent "Arc Atlantique". Mais un tel volontarisme - national et régional - n'eut guère de traduction macro-économique, même si la redistribution communautaire à leur profit augmenta substantiellement. Bien plus, l'unification allemande détourna vers l'Est, dès l'année suivante, l'énergie et les ressources financières du principal contributeur de l'Union. En 1995 l'entrée simultanée de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande déporta bien davantage encore le centre de l'Europe vers le Nord-Est. Elle apporta à la partie prospère de l'ensemble communautaire la profondeur territoriale qui lui manquait jusque-là, rejetant plus encore à la périphérie un large Sud-Ouest, dont la Grèce et l'Irlande étaient les extrémités.

 

Mais, en cette même année 1995, le décollage économique de cette dernière était devenu patent. Sa richesse par habitant devait rattraper celle du Royaume-Uni, fait hautement symbolique pour les Irlandais, dès l'année suivante. Une telle rupture avec le monde des régions périphériques fut d'autant plus remarquée qu'elle fut longtemps la seule à pouvoir y être observée. L'économie de l'Espagne connaît certes actuellement un certain décollage mais ce phénomène, récent, est encore limité. Le centre géographique de l'Union vient encore d’être déporté davantage vers l'Est, en 2004, avec l'entrée de dix nouveaux membres. Leur pauvreté qualifie ces pays pour une large part de l'aide communautaire, auparavant dirigée d'abord vers l'Ouest et le Sud. Dans ces derniers espaces, l’abaissement du seuil d’inéligibilité aux fonds de cohésion en exclut même complètement de nombreuses régions, bien qu’elles soient encore pauvres dans l’absolu. C'est dire que la question de la convergence de l'Europe ne se limite pas à sa partie orientale, mais que la crainte d’un déclassement est maintenant vive également dans les franges les plus occidentales de l’Union.

 

Dans ce contexte morose, dont la prise de conscience fut stimulée par la publication de Roger Brunet, l’espoir de reproduire les succès et le décollage de l'Irlande apparaît à ces territoires comme l'une des rares perspectives positives. Il devient donc essentiel de savoir si l’Eire a véritablement réussi à vaincre la « malédiction » de sa position périphérique et attirer jusqu'à elle l'aire de prospérité européenne. Pour cela, nous allons commencer par un bilan de la réussite du "Tigre Celtique", dans ses aspects économique, démographique, culturel, et politique puis, enfin, dans sa dimension européenne. Nous tenterons alors une première réponse à la question posée, avant d’examiner son évolution probable dans le proche avenir.

 

Irlande, Dublin. Le bâtiment historique de la General Post Office et the Spire. Cette lance de 120m de haut a été inaugurée début juillet 2003. Son sommet est équipé d'un signal lumineux. Ce monument a été conçu pour célébrer l'entrée de l'Irlande dans le 21ème siècle. Précédemment à cet endroit se trouvait la colonne de Nelson. Cette dernière fut détruite lors d'une explosion en 1966. Crédits: Carole Le Mouël

 

1. Une prospérité remarquable par son importance et la rapidité de son installation 

Établissons tout d'abord sans ambiguïté que la république d'Irlande est aujourd'hui l'un des pays les plus riches de l'Union européenne, par habitant du moins. Une telle prospérité est d'autant plus remarquable qu'elle contraste avec un long passé de pauvreté, voire de misère. Au moment de l'Indépendance de 1922, les taudis de Dublin étaient ainsi connus comme étant parmi les pires de toute l'Europe Occidentale. Lors de son adhésion en 1973, le PIB par habitant de l'Eire était voisin de celui du Portugal et de la Grèce, et nettement inférieur à celui de l'Espagne (cf. figure 1 infra). Dans l'esprit des étrangers, l'Irlande était d'autant plus facilement associée à ces trois pays méditerranéens que sa vie publique, et dans une certaine mesure la vie privée de ses citoyens, dépendaient alors assez largement d'une église puissante. Il en résulta une longue persistance du mythe des Irlandais comme des "Latins du Nord". Les intéressés en étaient d'ailleurs parfaitement conscients ; on peut lire ainsi dans l'introduction du volume des Statistiques Nationales pour 2004  :

En 1973 l'Irlande était perçue comme un petit pays à la périphérie de l'Europe occidentale, le dernier morceau du Vieux Monde avant les États-Unis, terre de la modernité américaine.

 

C'est dire également que la prospérité irlandaise est également remarquable par la rapidité de son implantation. La figure 1 ci-dessous montre clairement que l'Eire s'est détachée, au cours de la seule première moitié des années 1990, des trois autres pays qui formaient alors avec elle le groupe dit des "Pays de la Convergence".  

Figure 1 : Évolution du PIB/habitant de quelques pays de l'Union entre 1973 et 1998

La moyenne de l'Union constitue la base 100 de chaque année

Source des données : Eurostat

 

Ces derniers n'ont certes bénéficié de l'aide communautaire que plus tardivement (la Grèce n'ayant adhéré qu'en 1981, puis l'Espagne et le Portugal conjointement en 1986), mais ils ne semblent guère suivre l'exemple irlandais. Alors même que l'entrée de dix nouveaux membres vient d'abaisser la valeur moyenne du PIB par habitant dans l'Union, seul celui de l'Espagne atteint presque cette dernière, dont il représentait 97,8 % en 2003. La Grèce (80,9 %) et le Portugal (74,7 %) ne progressent que très lentement, ce qui met d'autant plus en relief la spécificité de l'Eire. Cette dernière s'est installée dans le groupe des nations riches dès la seconde moitié des années 1990, le rattrapage du Royaume-Uni en 1996 étant un résultat en soi, d'autant plus appréciable que jugé inaccessible quelques années plus tôt. En 2003, ce PIB par habitant de la République d'Irlande était même devenu le deuxième plus élevé de toute l'Union européenne, à parité de pouvoir d'achat. Il en dépassait la moyenne de près d'un tiers : + 32,5 %. Cet excellent résultat était d'autant plus net que le seul pays précédant l'Irlande était le petit Luxembourg et que la République distançait assez nettement ses poursuivants immédiats : le Danemark n'était qu'à 22,6 % au-dessus de la moyenne, l'Autriche à 22,2 %, les Pays-Bas à 21,0 % et le Royaume-Uni enfin à 18,5 %.

 

Les autres grands agrégats, s'ils ne classent pas toujours aussi excellemment l'Irlande, lui sont tous - au minimum - très favorables. Ainsi, l'Eire est l'un des pays d'Europe qui réussit le mieux à attirer les investissements étrangers directs. Ces derniers représentaient 17 % de son PIB en 2003, soit dix fois plus que la zone Euro dans son ensemble (1,7 %). Là encore l'Irlande ne le cède qu'au Luxembourg, complètement atypique avec un pourcentage de 341,5 (!), et elle distance assez nettement les pays qui la suivent. Le ratio des investissements étrangers directs sur le PIB n'est en effet que de 10,3 % en Belgique, de 9,9 % en Estonie, de 9,1 % à Chypre, de 6,1 % à Malte, de 3,8 % aux Pays-Bas et, enfin, de 3,0 % en Espagne.

 

       Cette capacité du pays à attirer les investissements étrangers se conjugue avec l'importance de ses échanges internationaux, ce qui fait de l'économie irlandaise l'une des plus ouvertes d'Europe. Ses exportations représentent ainsi en valeur 83,7 % de son PIB, soit plus du double de la moyenne de l'Union à vingt-cinq : 35, 9 %. Seuls, le Luxembourg (encore et toujours) mais aussi la Belgique font mieux. Il en va de même pour les importations, même si trois pays supplémentaires devancent l'Irlande : Malte, l'Estonie et la Slovaquie. La valeur des importations de l'Eire représente ainsi 68,2 % de son PIB, atteignant presque exactement le double de l'Union à vingt-cinq : 34,6 %. Il est difficile ici de résister à la tentation de citer Marx, dans une lettre à Engels datée de 1867 :Dès que les Irlandais seront indépendants, la nécessité fera d'eux des protectionnistes.

       Ce commerce extérieur est largement bénéficiaire (cf. tableau 1 infra), la valeur des exportations (82,2 milliards d'euros) représentant 173 % de celle des importations (47,5 milliards d'euros), soit un solde positif de 34,6 milliards. Notons qu'en 1973, année de l'entrée dans la Communauté, les exportations de l'Irlande n'étaient que d'1,1 milliard et ses importations de 1,4 milliard ! Notons également que la structure de ces exportations est devenue très moderne. En 1973 les produits agricoles venaient en tête, pour 43,5 % du total, la chimie étant alors troisième, loin derrière avec 6,8 %. En 2003 la chimie est de loin le premier secteur, avec par coïncidence 43,5 % de l'ensemble des exportations en valeur, après une multiplication par un facteur proche de 500. L’agroalimentaire n'est plus qu'à la troisième place, avec 8,3 %, mais cette diminution relative ne doit pas cacher sa croissance absolue, par un facteur 14. Le secteur des machines conserve en 2003 la deuxième place qu'il avait en 1973, ce qui de même ne doit pas cacher son formidable développement : croissance absolue par un facteur supérieur à 200, production aujourd'hui largement dominée par les ordinateurs, et une contribution au total des exportations qui est passée d'un peu moins de 10 % à presque 30 %.

 

La rigueur constante des gouvernements successifs, qui s’est poursuivie même lorsque la grande prospérité était devenue patente, explique l'excellente situation des finances publiques. Le budget de l'état est ainsi constamment excédentaire depuis 1996, même si l'année 2002 a vu un très léger déficit de 0,2 % et si l'excédent de 2003 n'a été que très modeste : + 0,1 %. La dette publique de l'Irlande est l'une des plus basses de l'Europe. À 32 % du PIB, elle est presque inférieure de moitié à celle de l'Union (63,3 %). La comparaison avec celle de l'Eurozone (70,7 %) lui est encore plus favorable. Seules celles des pays Baltes et du Luxembourg sont significativement inférieures, celle de la Slovénie étant du même ordre. Le caractère relativement modéré de cette dette est récent, il résulte de la volonté gouvernementale de lui affecter une part significative des ressources du "Tigre Celtique". La dette représentait encore un peu plus de 80 % du PIB en 1995, et même 88 % en 1990.

 

Alors que les individus peuvent s'adapter à des changements, même sensibles, s'ils se déroulent sur la durée, la mutation des "Latins du Nord" en citoyens du "Tigre Celtique" a été trop rapide pour se limiter à la seule sphère économique. Elle a également diffusé dans la vie sociale. Cet article n'a certes pas pour objet d'explorer la nouvelle modernité irlandaise dans son ensemble mais examinons néanmoins, pour conforter notre propos, deux domaines qui sont à la frontière de l'économique et du sociétal : la démographie et le niveau de vie. 

 

2. Une amélioration non moins sensible du niveau de vie et une croissance de la démographie en phase avec celle de l'économie

 

En 2004, le taux de chômage de l'Irlande était établi à 4,3 % seulement. Ce pourcentage était le deuxième plus bas de l'Union, derrière (faut-il le préciser) celui du Luxembourg. Il devint même inférieur à la moitié de la nouvelle moyenne européenne le 1er mai, après l'entrée de dix nouveaux membres dont la plupart étaient marqués par un sous-emploi chronique. On remarque de plus que le chômage de longue durée de l'Eire est particulièrement faible, puisqu'il ne représente qu’un tiers de la nouvelle moyenne européenne. La situation de quasi-plein emploi semble devenue structurelle. La proportion de personnes ayant une activité, dans la tranche d'âge 15-64 ans, est ainsi passée de 54 % en 1995 à 65,5 % en 2004. Il s'agit là d'un rattrapage remarquable pour ce pays traditionnellement marqué par le chômage.

 

On remarque également que celui des femmes est le plus bas de l'Union, mais ceci est à rapporter à une proportion historiquement très élevée de femmes dites "inactives". Cette proportion augmente rapidement toutefois. Elle a dépassé en 2004 la nouvelle moyenne de l'Union à 25, ce qui est un premier résultat même si cette moyenne est assez basse, le taux d'emploi féminin en Europe étant aujourd'hui plus faible à l'Est qu'à l'Ouest. Notons enfin que l'écart de salaire entre les sexes, s'il est élevé dans l'absolu (14 %), est l'un des plus bas de l'Union.

 

Le niveau de formation général est le troisième plus élevé en Europe, derrière Chypre et la Belgique, si l'on prend comme indicateur le pourcentage des jeunes accédant à l'Université. 39,4 % de la population irlandaise âgée de 25 à 34 ans a fréquenté ou fréquente l'enseignement supérieur en 2004. Un pourcentage aussi élevé est extrêmement récent puisqu'en 1999 encore, soit cinq ans plus tôt à peine, seuls 27 % des jeunes Irlandais avaient accès au Supérieur. La proportion de personnes hautement qualifiées est en donc en train de croître rapidement, ce qui traduit notamment la volonté du pays de conserver ses emplois dans l'industrie informatique. Les investissements états-uniens, qui ont joué un rôle important dans le décollage économique, avaient en effet choisi l'Irlande pour sa position géographique, son usage de l'anglais, sa paix sociale (assez unique en Europe), mais aussi pour la forte productivité de sa main d'œuvre. Cette dernière était, en 2003 encore, la troisième de l'Union. Mais conserver ce rang impose de compenser l'augmentation actuelle du coût du travail par la qualité des produits et des services, ce qui implique une meilleure formation de la main d’œuvre.

 

Notons enfin, avant d'envisager la démographie, que 82 % de la population est aujourd'hui propriétaire de son logement. Ce pourcentage exceptionnellement élevé traduit certes d'abord un modèle culturel, puisqu'il atteignait déjà presque 60 % en 1961, mais aussi l'élévation du niveau de vie et des ressources disponibles.

 

La population de l'Irlande a augmenté de 12,3 % sur la décennie 1995-2004, pour dépasser les quatre millions d'habitants. Un tel taux de croissance est très supérieur à celui de l'Union à 25 (2,2 % seulement pour la même décennie) et ne le cède qu'à celui de Chypre. Il contraste radicalement avec la croissance très faible de l'Europe médiane et la décroissance de l'Europe orientale. Ce taux ne peut être comparé qu'à celui de certains pays des Balkans, ainsi qu'à celui de la Norvège et de l'Islande, mais il s’agit là de territoires extra-communautaires. Une telle vigueur démographique apparaît à la fois naturelle et migratoire.

        À 1,98, l'indice de fécondité de l'Irlande demeure le plus élevé de l'Union à 25, dont la moyenne n'est qu'à 1,48. On remarque que ce niveau ne permet toutefois pas le remplacement des générations, qui nécessiterait un indice d'au moins 2,2. La croissance naturelle, qui dépasse 0,8 ‰, dépend donc pour l'essentiel d'un taux de mortalité particulièrement bas. Ce taux lui-même n'est pas la conséquence d'une espérance de vie particulièrement élevée, comme nous le verrons, mais traduit d'abord la très faible proportion de personnes âgées dans la population. En effet, les personnes de 65 ans et plus n’en représentent que 16, 4 %. Cette dernière proportion est la plus faible d'Europe, dont la moyenne est presque supérieure d'une moitié : 24,2 %. Enfin, que les personnes âgées soient aussi peu nombreuses en Irlande n'est que le reflet de la très forte émigration passée, émigration qui a amputé constamment l'Irlande d'adultes jeunes qui ne sont pas restés au pays, pour y vivre puis y vieillir.

 

Par ailleurs, l’Irlande nouvelle a vu se tarir brusquement une émigration qui avait été longtemps son unique échappatoire à la misère. On estime qu'avant même la Grande Famine (1845-1850), qui poussa probablement au départ un million de personnes, un autre million d'Irlandais avait quitté l'île pour la seule Amérique du Nord entre 1815 et 1845. L'émigration, plus ou moins provisoire, vers la Grande-Bretagne est une autre tradition, qui est favorisée par la proximité des deux îles et par la présence de fortes communautés déjà implantées de l'autre côté de la Mer d'Irlande (et du Canal du Nord pour celle de Glasgow). Elle est toutefois extrêmement difficile à quantifier, en raison de la liberté complète de circulation entre Eire et Royaume-Uni, du fait que les ressortissants irlandais en Grande-Bretagne ne sont pas traités différemment des sujets Britanniques, et en raison enfin de leur assimilation progressive.

 

Les nouvelles perspectives de l'emploi diminuèrent assez largement le flux des départs et firent revenir d'abord des Irlandais installés en Grande-Bretagne, puis des Irlando- Américains et, enfin, des Européens de l'Est et des Africains. Ces derniers, venus surtout du Nigéria, sont estimés à 10 000 environ. Leur présence transforme le paysage urbain et manifeste la nouvelle attractivité de l'Irlande. 1996 fut la première année où le solde migratoire fut positif, de 8 000 personnes environ. Ce solde augmente et a atteint presque 32 000 en 2004. La quasi-totalité de ces migrants est jeune, volontiers accompagnée d'enfants, ce qui contribue encore à rajeunir l’Irlande. Seule Chypre a une proportion encore plus élevée des moins de 15 ans dans sa population.

 

La prospérité de l'Eire n'est donc pas seulement une réalité économique. C'est également un fait social dont les Irlandais ont pris d'autant plus facilement conscience qu'il fut brusque, sinon brutal. Le concept de "Tigre Celtique" est venu à point pour incarner les mutations de leur pays et manifester avec force ses nouvelles capacités. 

 

Irlande, Dublin. Le LUAS (tramway), le jour de l'inauguration de la deuxième ligne, le 2 octobre 2004 devant la gare de Heuston. Crédits: Carole Le Mouël.

 

3. Le Tigre Celtique ou la force du symbole

L'image du tigre, par son évocation de l'Asie, rompt tout d'abord avec l'image d'un pays européen pauvre, n'ayant que le rêve américain comme espoir. Elle vise ensuite à manifester que son développement rapide, à partir d'une situation extrêmement modeste, est très proche de celui des Nouveaux Pays Industriels (NPI) : Hong-Kong, Singapour, Taiwan et Corée du Sud. Elle est également un symbole inédit de flexibilité et d'efficacité, comme si la très grande richesse symbolique du pays (de la harpe au trèfle, de l'Ile d'émeraude à l'île des Saints...) était devenue soudainement incapable de rendre compte d’une situation inédite. Cette représentation manifeste enfin une certaine capacité à l'agressivité, ce qui marque une rupture avec l’image traditionnelle de pays très catholique.

 

Le tigre est également l'une des représentations du Japon, ce qui nécessite quelques commentaires. Le Japon appartient, comme les quatre NPI, à l'aire culturelle chinoise, dont le Dragon est un symbole majeur. Il y était connu comme "le Dragon Flottant". Cette aire culturelle est aujourd'hui divisée en quatre mondes bien distincts : celui du Dragon lui-même (la République Populaire de Chine), celui de ses épigones (les NPI), celui de pays extrêmement en retard (Vietnam, Corée du Nord) et enfin celui du Japon. Seul ce dernier a réussi à se détacher significativement de l'orbite chinoise et à devenir lui-même une puissance de premier plan, l'image du tigre supplantant celle du dragon pendant la seconde Guerre Mondiale. Cette puissance a réussi à capter l'allégeance des pays émergents de l'Asie non chinoise, Thaïlande, Malaisie, Indonésie et Philippines, pays qui se qualifient eux-même de "bébés-tigres". Le minorant "bébé" manifeste respectueusement la distance qui les sépare du Tigre, car ces pays sont bien plus éloignés économiquement et culturellement du Japon que les NPI ne le sont de la Chine. Aucun pays asiatique ne s’aventure à revendiquer une telle proximité, ce qui a laissé le champ libre à un pays européen extrêmement audacieux : l'Irlande. Cette organisation symbolique est explicitée dans la figure 2 ci-dessous. Notons enfin à ce sujet que le tigre, animal bien réel, véhicule une image plus agressive - et plus efficace - que le dragon à la fois mythique et ambivalent, car parfois bienveillant. 

Figure 2 : Le Tigre Celtique à l'aune de l'Asie 

 

 

DRAGON

TIGRE

Pays référence iconique

CHINE

JAPON

Épigones

Hong Kong, Taiwan,

Singapour, Corée du Sud

Irlande

« Bébés »

______

Thaïlande, Malaisie,

Indonésie, Philippines

Pays de l’aire culturelle

en retard de développement

Vietnam, Corée du Nord

______

 

Une telle référence implicite au Japon semble dépasser de très loin les capacités, somme toute limitées à l'échelle planétaire, du Tigre Celtique. Rappelons cependant que ce terme fut forgé par un journaliste états-unien et non par un Irlandais, et qu'il traduit à l'origine une réelle parenté de ces deux pays dans le dispositif américain. Cette explication, si elle innocente largement les Irlandais de l'accusation de prétention (mais non de celle de complaisance), ne rend toutefois pas compte de l'extraordinaire popularité d'une expression qui est, pour la population de l'île, aussi nouvelle qu'audacieuse. Cette popularité réside sans doute dans le réseau conséquent de traits parallèles que l’on peut repérer entre l'Irlande et le Japon.

 

On observe tout d'abord que ces deux pays insulaires occupent des positions symétriques aux extrémités de l'Eurasie. Ils en sont les ultimes terres émergées, avant un océan valorisé car perçu comme un lieu de mémoire (les origines de la Nation pour les Japonais, le séjour des Morts pour les Irlandais), une richesse économique et, enfin, le lien qui les relient - malgré la distance - à l'hyper puissance américaine dont le soutien leur est aujourd'hui essentiel. Leur seconde façade, intérieure, est également maritime, mais se limite à un bras de mer étroit qui ne les protège guère d’un grand voisin, bien plus puissant qu'eux et volontiers hostile : la Grande-Bretagne et la Chine respectivement. La puissance de ces derniers est d’abord démographique, avec dans les deux cas un rapport qui est aujourd'hui presque exactement de dix à un. Par le passé, un tel écart suggéra bien souvent au Roi d'Angleterre (le Lion) et à l'Empereur de Chine (le Dragon) de dominer - voire d'occuper - ce qu'il percevait comme une périphérie isolée, bloquée par l'océan et appartenant légitimement à son aire d'influence. Il semble également, mais ce point est extrêmement sensible pour toutes les parties concernées, que le rôle de l'Écosse dans les relations anglo-irlandaises soit assez largement similaire à celui de la Corée dans les relations sino-japonaises. Notons encore que, si l'on a déjà rappelé que les Irlandais sont perçus comme des "Latins du Nord", le géographe français Philippe Pelletier a pu écrire en 1997 (dans La Japonésie, Géopolitique et géographie historique de la sur insularité du Japon, Paris, Éditions du CNRS) que : Les Japonais sont un peuple du Sud placé par erreur un peu trop au Nord.

 

        Ceci s'est manifesté très clairement pendant la seconde Guerre Mondiale, avec une dépense majeure d'énergie pour la conquête d'atolls de faible valeur tactique, au détriment des théâtres continentaux. Aujourd'hui si le puissant voisin, de l'ouest pour le Japon et de l'est pour l'Irlande, est devenu un enjeu commercial majeur, c'est bien vers le Nord encore que s'exerce les revendications territoriales : les Kouriles du Sud (voire du Nord et la partie méridionale de Sakhaline) pour le Japon, les six comtés perdus en 1921 pour l'Eire.

 

         On voit ainsi que l'image du Tigre traduit un nombre étonnant de similitudes avec un pays lointain qui en a fait son symbole, d'où la dimension exotique - voire sympathique - de cette image, mais aussi une plus grande capacité à réaliser son projet géopolitique constant qui est, lui, bien européen. Par ailleurs, la République Populaire de Chine, proclamée - comme la république d'Irlande - en 1949, continue opiniâtrement pour sa part à poursuivre la partie de ce projet que l’Eire a réussi à accomplir : rattraper économiquement le Royaume-Uni (qualifié de Tigre de papier !). L’Irlande est donc, malgré sa petite taille, supérieure au Dragon, ce qui est la marque d’un véritable Tigre.

 

Notons enfin que l’Eire devrait être qualifiée stricto sensu de tigre gaélique, celtique renvoyant à une époque où les Celtes dominaient l'Europe et, surtout, à une ambition qui s'adresse d'abord aux autres nations celtes. Il nous faut donc examiner maintenant comment la puissance de l'Eire, puissance à la fois économique, sociale, démographique et enfin symbolique, est utilisée dans le champ politique européen pour réaliser son ambition : achever l'unité et l'indépendance de l'Irlande.

 

4. L'indépendance pour toute l'Irlande, un projet politique aussi constant qu'ambitieux

L'actuelle République est issue d'un long combat contre l'Anglais, dont la colonisation s'était accompagnée dès les années 1550 d'une politique dite de Plantations, sous-entendu de sujets "loyaux" chargés de refouler la population irlandaise. Mais ce combat ancien est dirigé tout autant contre l'Écossais. Le roi d'Écosse Jacques VI, devenu également roi d'Angleterre sous le nom de Jacques 1er à la mort d'Elisabeth 1ère (1603), lança au début du XVIIe siècle des plantations de grande envergure, et d'autant plus violentes que la loyauté, depuis la Réforme, n'était plus seulement une affaire de nationalité mais d’abord de religion. Ces plantations touchèrent particulièrement la province du nord, l'Ulster, où les Écossais furent nombreux à s'installer et où les Protestants dans leur ensemble devinrent progressivement majoritaires. Ceci permit à leurs descendants du début du XXe siècle de s'opposer avec succès à la séparation de leur territoire d'avec la Grande-Bretagne, lorsque les Nationalistes irlandais, dominant le reste de l'île au terme d'une longue et dure guérilla, obtinrent enfin du gouvernement britannique le Home Rule tant désiré. Le Government of Ireland Act de 1920 partagea ainsi l'île en deux entités, Nord et Sud. Majoritaires dans trois comtés seulement au recensement de 1911, les Unionistes obtinrent de Londres que le Nord en inclut trois autres, ce qui fut vécu au Sud comme une trahison supplémentaire. Au Nord, les nouvelles institutions se mirent en place et fonctionnèrent pratiquement sans modification jusqu'aux accords de paix dits du Vendredi Saint (1998), qui diminuèrent considérablement la violence inter-communautaire qui avait éclaté à la fin des années 1960. En 1921 toutefois, la violence était au Sud. Les Nationalistes refusèrent les institutions autonomes prévues, et un nouveau traité signé avec Londres fit de l'Irlande du Sud un "État Libre" mais toujours dépendant de la Couronne. Amputation du Nord et incomplétude de l’indépendance firent qu’une partie des Nationalistes refusa ce traité, ce qui déclencha une nouvelle guerre, civile cette fois.

 

Ce bref rappel ne saurait résumer la longue liste des griefs irlandais, car il manque - au très grand minimum - le comportement des troupes de Cromwell lors de la guerre civile qui éclata en 1642 en Grande-Bretagne, et la grande Famine déjà citée. Son objectif est d'abord de rappeler l'ampleur et l'ancienneté du ressentiment irlandais, qui explique que les préoccupations du peuple et des dirigeants aient d’abord le Royaume-Uni comme objet, États-Unis et Union Européenne n'étant - malgré la rhétorique - guère plus que des moyens. Ce rappel vise ensuite à montrer comment la vie politique du pays est conditionnée par deux objectifs constants, parachever l'indépendance et recouvrir le Nord. Il vise, enfin, à ébaucher l’idée que le Tigre Celtique prolonge l’une des deux traditions qui se sont affrontées dans la Guerre Civile, celle que l’on peut qualifier de « réaliste » et qui domina constamment la vie politique irlandaise, même quand les vaincus de la Guerre Civile gagnèrent les élections. La persistance de l’autre tradition, que l’on peut qualifier de « radicale », permet pour sa part de comprendre la virulence des critiques qui sont adressées à ce modèle de développement (cf. infra), malgré ses résultats flatteurs.

 

Les gouvernements successifs s'attachèrent opiniâtrement à rompre les derniers liens institutionnels avec Londres et à créer progressivement les conditions d’une indépendance économique. Leur efficacité dans ces domaines s'accompagna d'un désintérêt apparent envers le Nord, leur action territoriale se réduisant longtemps à faire de Dublin une véritable capitale et à soutenir un Ouest particulièrement en retard, promu conservatoire des traditions nationales. C'est dire que la création de huit régions-programmes (cf. figure 3 page suivante) constitua en 1994 une véritable rupture.

 

Figure 3 : Régions et Euro-régions de l’Eire

 

Ce fut particulièrement vrai au nord, où les trois comtés d’Ulster de la République étaient jusque-là traités comme un reliquat sans grand intérêt propre, dans une logique d’attente de la réunification. Fondée par leur association à trois autres comtés, la nouvelle région Border (Frontière) dispose de la profondeur qui leur faisait défaut. Sa forme et son absence de véritable centre sont certes des handicaps pour sa vie économique interne, mais constituent autant d’atouts pour la perspective pan-irlandaise que son nom désigne clairement. Cette perspective se renforça puissamment dans la seconde moitié des années 1990, d’une part grâce à l’émergence du Tigre Celtique au Sud, et d’autre part grâce aux Accords de paix de 1998 au Nord. Ces accords ont certes favorisé la vie économique de la Province en réduisant considérablement la violence paramilitaire, ce qui n’est pas sans intérêt pour l’activité frontalière, mais leur contribution essentielle au projet de la République fut d’imposer au gouvernement autonome du Nord un Conseil Inter-Irlandais. Que ce dernier ait pour contrepartie la création d’un Conseil Anglo-Irlandais (incluant également les trois petites îles dépendantes de la Couronne mais non du Royaume-Uni : Jersey, Guernesey et Man) fut jugé au Sud tout à fait acceptable, ce qui manifeste à nouveau le récent sentiment de force du pays. Il restait encore à l’Eire à expliciter son projet territorial, ce qui fut fait en 2002 avec la publication par le Ministère de l’Environnement et de la Décentralisation du document intitulé The National Spatial Strategy 2002-2020 People, Places and Potential. Ce document affiche clairement la visée territoriale assignée à la région Border (cf. figure 4 page suivante) : jouer un rôle de passeur dans l’intégration, économique dans un premier temps, des deux Irlandes.

 
Figure 4 : La région Border vue par la Stratégie Nationale pour les Territoires

Source : The National Spatial Strategy 2002-2020 People, Places and Potential, p. 77

 

Date de la mise en ligne: septembre  2005.

 

Clichés de Carole Le Mouël ajoutés en janvier 2006.

Figure 4

 

         
 

 

 

        Un tel volontarisme vers le Nord n’est pas dénué de résultat. Le nouveau gouvernement autonome issu des Accords de paix s'était, jusqu’à sa suspension par Londres, engagé résolument sur la voie économique tracée par la République, malgré des différences politiques qui restent profondes. Tout d'abord, sa politique fiscale envers les entreprises est largement inspirée de celle du Sud, visant en priorité les entrepreneurs nord-américains, tout en étant encore plus généreuse. Ensuite, ses demandes de soutien communautaire utilisent le savoir-faire acquis par le Sud. Des dossiers sont d’ailleurs parfois réalisés en commun, au titre de la coopération transfrontalière et de l'accompagnement du Processus de Paix. Le caractère exceptionnel de ce dernier permet ainsi de maintenir l'éligibilité du Nord (et dans une certaine mesure de Border), alors même que son réel retard de développement est devenu insuffisant, avec l'entrée de dix nouveaux membres dans l'Union, pour continuer à bénéficier d'une aide majeure.

 

Il nous reste à voir comment l’Eire exerce son influence à l’échelle plus large de l’Europe, et notamment comment elle gère ses relations avec la Banane Bleue. 

 

5. Vers la Banane Bleue, ou le jeu européen complexe de l’Irlande

        Il n’est pas sans intérêt de noter que la toute première figure de la Stratégie Nationale pour les Territoires visait à placer l’Irlande en Europe, en insistant sur ses liens avec un losange Londres-Amsterdam-Francfort-Paris qualifié (cf. figure 5 page suivante) de "Zone économique globale". L’articulation avec le cœur de la richesse européenne est ainsi manifestée, d’emblée, comme étant au centre des préoccupations de l’Irlande. 

Figure 5 : Le contexte géographique international de l’Irlande, vu par la Stratégie Nationale pour les Territoires

Source : The National Spatial Strategy 2002-2020 People, Places and Potential, p. 21

 

Outre ce point fondamental, cette figure est riche d’enseignements. On y remarque d’abord l’absence de la frontière inter-irlandaise. Ceci est rendu possible par l’absence générale de tout marquage de limite d’état, lequel permet en sus d’insister sur les villes et sur les corridors qui les relient. On note ensuite que l’Irlande se place résolument sur un axe est-ouest tendu entre les USA et la Grande-Bretagne, axe anglophone de la modernité. L’Arc Atlantique, qui s’étend en revanche du nord au sud et dont l’Irlande occupe le centre, n’est pas mentionné, ce qui correspond à un désintérêt ancien pour ce que Dublin perçoit comme un club de pauvres. Un arc nord-sud apparaît bien sur la figure, mais il est bien plus fermé que l’Arc Atlantique et pointe de fait vers la Banane. Sa branche septentrionale passe par Belfast, puis près de Glasgow et d’Édimbourg qui n’apparaissent toutefois pas explicitement. C’est que le centre de l’Écosse est devenu récemment une cible privilégiée des attentions de la République, sans que cette dernière affiche trop ouvertement son intérêt.

 

Depuis 1999 l'Écosse dispose, comme l'Irlande du Nord, d'un Parlement et d'un exécutif autonomes. Relativement dépourvues d'expérience, ces nouvelles instances scrutent avec intérêt le jeu diplomatique et la politique économique de la République, qui semble avoir maîtrisé à son profit les problèmes issus d'une situation assez comparable. Dans certains cas, on observe même que les projets de loi écossais s’inspirent assez largement des textes irlandais. Ceci est d'autant plus flatteur pour les citoyens du Sud que les Unionistes du Nord, sources de la Partition, descendent, comme nous l'avons déjà noté, dans leur grande majorité de colons écossais. Un tel magistère envers Édimbourg est d'autant plus précieux que Dublin est aujourd’hui la ville la plus puissante de ce que les géographes britanniques appellent le "Nord". Ce concept récent (Dorling et Thomas, 2003) rassemble l'Irlande dans son ensemble, l'Écosse et la partie septentrionale de l'Angleterre qui échappe à l'attraction directe de Londres. Un tel espace est en train de devenir une réalité économique avec la conjonction de la prospérité de la République et des autonomies concédées par le gouvernement britannique. Il semble même commencer à exister culturellement. La question de son éventuelle capitale est donc en train de devenir un enjeu potentiellement crucial pour Dublin, face à Édimbourg.

 

À l’échelle supérieure, l’intérêt pour Bruxelles n’est, de la même façon, que suggéré. Ce lieu essentiel des décisions communautaires ne figure pas explicitement sur le document, mais il est désigné implicitement par l’intersection des deux axes Londres/Francfort et Paris/Amsterdam, qui coïncide presque exactement avec l’emplacement de la ville. Cette discrétion traduit la complexité du jeu de l’Irlande avec l’Union. D’un côté la République cherche à conserver et - à promouvoir - son image de très bon élève de l'Europe, d’autant que le pays a obtenu la garantie du maintien d’une large part de ses subventions jusqu’en 2006, malgré la vague d’adhésion de 2004. Ceci fut facilité par la création en 1999 d’une euro-région ad hoc (Border, Midlands et Western, cf. figure 3 supra), dont le PIB/habitant était tout juste inférieur au seuil d’attribution des aides ! D’un autre côté l’Eire se montre capable de faire fi des règles communautaires, lorsqu'elle juge que son intérêt vital est en jeu. Citons par exemple la construction - illégale mais à peine discrète - de nouveaux chalutiers alors que l'Espagne détruit les siens sur ordre de Bruxelles, au désespoir de ses pêcheurs, ou encore le maintien à un niveau très bas de l'impôt sur les sociétés, malgré les rappels de la Commission. Le terme de piraterie est sans doute excessif pour le premier exemple, même s’il est couramment employé, celui de dumping correspond exactement à la réalité du second. Une telle liberté avec la Commission n’est sans doute possible qu’en raison d’un poids aujourd’hui relativement modeste de la redistribution communautaire, lequel contraste avec son rôle essentiel à la fin des années 1980.

 

De fait, il semble bien que l’Europe soit à ce jour, sur le plan économique du moins, d’abord un marché pour l’Irlande. Ceci apparaît assez clairement lorsque l'on examine la répartition de son commerce extérieur.

Tableau 1: Le Commerce extérieur de l'Irlande

 

 

EXPORTATIONS

IMPORTATIONS

SOLDE

 

2003

Millions

 

Millions

 

Millions

 

 

d'euros

%

d'euros

%

d'euros

%

Grande Bretagne

13 462

16,4

13 643

28,7

-181

-0,5

Irlande du Nord

1 610

2,0

1 037

2,2

573

1,7

Autres pays

35 470

43,2

11 823

24,9

23 647

68,2

de l'Union

 

 

 

 

 

 

USA

16 924

20,6

7 390

15,5

9 534

27,5

Reste du monde

14 710

17,9

13 632

28,7

1 078

3,1

Total

82 176

100,0

47 525

100,0

34 651

100,0

 

Les échanges sont désormais équilibrés avec le Royaume-Uni, le léger excédent avec la Province compensant le très léger déficit avec la Grande-Bretagne. Ceci correspond à la réalisation d'un objectif politique ancien. La modestie du commerce inter-irlandais, pour sa part, traduit la similitude des productions des deux côtés de la Frontière. Les échanges sont, de même, équilibrés avec ce que le tableau 1 désigne comme le "reste du monde", c’est-à-dire ce qui n’est ni l’Union ni les USA. Ce résultat, qui n'a été possible qu'au prix d'une grande diversification des exportations, montre que l'Irlande est capable de financer directement sa facture énergétique et l'achat de ses matières premières. Le commerce états-unien est encore plus avantageux, puisqu’il dégage un solde positif de plus de neuf milliards d’euros. C’est toutefois le commerce européen qui génère l’essentiel du solde positif global. L’analyse plus fine des données (hors tableau) montre que la "Zone économique globale" de la figure 5 n’absorbe pas moins des trois quarts des exportations irlandaises vers l’Union moins le Royaume-Uni. L’un des pays de cette Zone joue un rôle aussi important que méconnu : la Belgique. Le commerce avec cette dernière dégage pour l’Eire un solde extrêmement positif, puisqu’il est même légèrement supérieur à celui des échanges avec les USA ! Ceci montre bien que si Bruxelles reste très importante pour l’Irlande, c’est au moins autant comme capitale d’état que comme siège de la Commission !

 

L’indépendance économique de la République apparaît donc aussi réussie que son indépendance politique. L’Eire s’est dégagée de la tutelle de Londres, ce que son adhésion solitaire à l’euro prouvait déjà à elle seule. Elle ne dépend plus guère des subventions communautaires, mais se prépare au contraire à profiter des nouveaux marchés à l’Est. Elle a acquis ce faisant une certaine puissance régionale, et concentre ses relations sur une "Zone économique globale" qui n’est autre que la partie la plus proche, jugée utile, de la Banane Bleue. Il ne semble donc pas illégitime à ce stade de penser que cette dernière puisse se prolonger jusqu'à Dublin. L’affirmer implique toutefois une dernière étape : examiner le potentiel spécifique de cette ville et non plus celui de l’Irlande dans son ensemble. 

 

Irlande, Dublin. Vue sur l'IFSC (International Finance Services Centre, à gauche), le quartier des affaires et la rivière Liffey depuis Custom House Quay. Les quais sont en pleine rénovation. Crédits: Carole Le Mouël.

 

6. Dublin, une ville majeure de l’Europe occidentale

        Un tel changement d’échelle ne peut être que périlleux, car il implique de passer de la flatteuse comparaison de l’Irlande avec elle-même, au fil du temps, à une comparaison internationale hic et nunc. Le caractère fulgurant de la croissance du pays a certes été démontré, mais l’on sait que le point de départ de Dublin était extrêmement bas. Rappelons seulement qu’au moment de la création de l’État Libre en 1922, le potentiel économique de Belfast était jugé comme bien supérieur au sien. Que la comparaison internationale déjà citée dans l’introduction, publiée par la DATAR en 2003 et qui examine les 180 villes de plus de 200 000 habitants au sein de l’Espace Économique Européen, crédite Dublin d’un score qui soit presque exactement double de celui de Belfast (47 points contre 24), montre l’ampleur du changement. Ce résultat est d’ailleurs une autre réussite politique en soi pour le Sud. Mais est-il suffisant pour intégrer la Banane Bleue ?

 

        Cette même comparaison, basée sur l’analyse d’un large éventail d’indicateurs, ne place Dublin qu’à la dix-septième place européenne, à égalité avec Lyon rappelons-le. Elle est séparée des villes majeures (Paris, Londres et Milan, mais aussi Madrid, Amsterdam, Berlin et Rome) par un premier cercle qui rassemble Stockholm, Bruxelles, Munich, Vienne et enfin Barcelone, sa seule ville non germanique. Ceci était bien sûr attendu, mais rappelons que la question de l’appartenance à la Banane Bleue se pose déjà pour celles de ces villes que la géographie a placées à sa périphérie. Un second cercle sépare encore Dublin de la Banane. Hors le cas de Cologne, il rassemble des villes pour le moins excentrées : Lisbonne, Athènes et Copenhague. Leur puissance apparaît bien réelle mais elle est, d’abord, régionale. La question de leur intégration au cœur même de l’Europe de la richesse ne se pose guère, ou du moins pas encore, et leur ambition majeure est d’en constituer des relais efficaces, en premier lieu à leur profit. Un tel classement européen, encore très récent, nous conduit donc à conclure que Dublin est certes devenue une ville de premier plan, dont le rayonnement excède de loin son poids démographique, ce qui constitue un retournement historique remarquable, mais qu’elle ne saurait être considérée aujourd’hui comme une composante de la Banane Bleue.

 

        Cette même comparaison montre toutefois qu’un tel objectif a cessé d’être illusoire. Un seul des quinze indicateurs retenus par la DATAR, le nombre d’étudiants, s’était révélé très mauvais. Or nous avons noté plus haut que l’accès au Supérieur des jeunes Irlandais est devenu l’un des meilleurs de toute l’Europe. Ce changement radical ne pourra qu’influencer favorablement - fût-ce à terme seulement - un autre indicateur jugé pour sa part médiocre, le nombre de congrès scientifiques. Par ailleurs l’accessibilité de Dublin, également repérée comme médiocre, a particulièrement profité ces toutes dernières années des compagnies aériennes dites low-cost, dont la principale (Ryanair) est irlandaise. Le même travail de comparaison, s’il pouvait être refait avec les données réelles d’aujourd’hui, montrerait donc probablement que Dublin a déjà rejoint ce que nous avions qualifié de premier cercle, qui est véritablement celui où la question de l’appartenance à la Banane Bleue se pose. Qu’un tel cercle soit germanique ne saurait d’ailleurs être une gêne pour une ville qui a été fondée par les Vikings. Confirmer - ou atteindre - un tel rang, étape indispensable à l’éventuelle intégration de Dublin au cœur même de l’Europe, impose que la croissance différentielle de l’Irlande avec le reste de l’Union se maintienne dans la durée. Cela est-il concevable ? 

 

7. L’avenir incertain du Tigre

L’entrée dans le nouveau siècle a coïncidé avec l’apparition d’une certaine morosité en Irlande. Cette morosité est perceptible tant dans la population que dans la classe politique, et n’épargne guère les géographes (ni d’ailleurs les sociologues et les économistes). La glose autour du Celtic Tiger, qui avait dominé leurs travaux à la fin des années 1990, a fait place à l’analyse de son décès (The Demise of the Celtic Tiger). Cette façon de voir est certes stimulée par une certaine dégradation de la conjoncture internationale et par l’émergence de concurrents sur la même niche, mais elle se fonde d’abord sur la critique du « modèle irlandais », jugé précisément incapable de s’installer dans la durée. Cette critique se développe selon trois axes, que nous allons envisager successivement. Les deux premiers s’adressent aux inégalités, territoriales et sociales, qu’a générées le Tigre et que certains jugent insoutenables dès à présent. Le troisième axe de critique, plus radical, remet en cause les fondements même du modèle irlandais.

 

La prospérité est, de fait, très limitée à Dublin, ce qu’exprime déjà la démographie. La province de Leinster, où elle se trouve, concentre plus de la moitié (54 %) de la population totale. Cette concentration exprime certes l'attraction et le dynamisme de la région-capitale, mais également la grande faiblesse des trois autres. Ces dernières n’ont aujourd’hui, ensemble, qu’une population de 1, 81 millions seulement, inférieure de 60 % à leur effectif de 1841 (date du dernier recensement réalisé avant la Famine). Le Leinster n'a d’ailleurs fait que revenir à sa population de l'époque. L’économie présente des écarts comparables. L'indice de revenu disponible est à 116 dans le comté de Dublin, et ne dépasse la base nationale de 100 que dans deux autres : Kildare, qui est l'hinterland de la capitale, et Limerick, qui bénéficie de l'aéroport de Shannon et d'une part significative des implantations informatiques. Deux espaces apparaissent particulièrement déprimés, avec un indice inférieur à 85 : les finisterres de l'Ouest d’une part et le Centre de l'île de l’autre.

 

Que la capitale d’un pays concentre sa richesse n’a certes rien d’exceptionnel en Europe, mais ceci montre d’emblée les limites de la réserve nationale de puissance dont dispose Dublin, ville dont le décollage fut d’abord le fruit d’interventions extérieures. On a même pu écrire que la production nationale avait été sacrifiée à l’investissement étranger. Le reste du pays ne peut donc guère assister la capitale dans sa course à la croissance. Au contraire, il lui réclame un partage plus équitable des richesses. Dans ce contexte, Belfast est la seule réserve de puissance sur le sol irlandais pour Dublin, mais cette réserve est bien théorique car sa mobilisation nécessiterait une coopération qui n’est guère d’actualité. Si les autorités politiques du Nord s’inspirent volontiers de l’exemple du Sud pour leur propre développement, et si les actions péri-frontalières se multiplient (mais elles sont largement soutenues par l’Union), une véritable coopération n’est mise en œuvre que pour des projets ponctuels, de grande envergure, dont l’intérêt économique est jugé tel qu’ils puissent être présentés sans trop de risque politique à la majorité unioniste de la population, toujours réticente à ce qui pourrait signifier le début d’une intégration. Il a ainsi fallu plus de quarante années de discussion pour refaire tant la route que la voie ferrée qui relient Belfast et Dublin, signe que le concept de corridor entre ces villes devra encore attendre. La récente défaite des modérés de la Province, Catholiques et surtout Protestants, aux élections générales britanniques de mai 2005, ne pourra que retarder encore sa réalisation.

 

On pourrait objecter que les inégalités territoriales de la République ne constituent un frein qu’au développement de la seule ville de Dublin, et non à celui de l’Irlande dans son ensemble. On pourrait même espérer qu’une assise plus large de la richesse soit susceptible, à terme, de relancer plus vigoureusement encore la croissance de la capitale. Mais ces deux remarques positives ne peuvent guère s’appliquer aux inégalités sociales, dont ampleur même met dès à présent en péril le consensus politique national.

 

Notons pour commencer que la proportion des personnes considérées comme menacées par la pauvreté était de 21 % en 2003 ; ce taux était alors l'un des plus élevés de l'Union. Un peu plus de 9 % de la population était dans la pauvreté même, les chômeurs étant particulièrement exposés. En 2004, 8,6 % des Irlandais de la tranche d'âge 18-59 ans vivaient dans un ménage où personne n'avait de travail. Ce pourcentage est certes inférieur à celui de l'Union à 25 (10,4 %), mais il est supérieur à celui de dix de ses pays, avec de plus une légère tendance à l’augmentation. Par ailleurs, la montée de l'inflation pose d'autant plus de problème aux plus pauvres que les prix au détail de l'Irlande, qui était parmi les plus modérés de l'Union jusqu'en 1995, sont devenus en 2003 les plus élevés de toute l'Europe, après ceux du seul Danemark. La proportion de personnes bénéficiant des diverses formes de l'aide sociale reste importante, et a crû légèrement ces dernières années : 23 % en 2000, 23,5 % en 2001, 24 % en 2002, 24,1 % en 2003. Malgré cela, l’effort national consacré aux divers systèmes de protection sociale est particulièrement faible dans le contexte européen, ce qui rend les versements individuels d’autant plus modestes qu’ils sont donc nombreux. Les dépenses de protection sociale de l'Irlande ne représentent en effet que l'équivalent de 18, 0 % de son PIB. Ce taux est inférieur d'un tiers à celui de l'Union à 25 (27, 3 %), et n'est supérieur qu'à celui de la Lettonie et de l'Estonie (14, 3 % pour chacun d’eux). Ce pourcentage était le plus faible de l'Europe développée des Quinze et n'atteignait alors que la moitié que celui de la Suède. De plus, il a baissé exactement d'un sixième de sa valeur au cours de la décennie 1994-2003.

Par ailleurs, la question du système de soins est, pour la population irlandaise, l’une des plus sensibles de tout le champ social. Si les dépenses totales de santé augmentèrent dans l’absolu de 86,7 %, en sus du rattrapage de l'inflation, entre 1994 et 2003, cette augmentation conséquente ne permit pas à l'Eire de rejoindre le niveau moyen des 25 pays qui forment aujourd'hui l'Union. En 2002, le pays n'investissait en effet pour la santé que 7,3 % de son PIB, contre 8,7 % en moyenne. Un tel retard cumulé se manifeste sans ambiguïté par le caractère catastrophique des indicateurs de santé concernant les nouveaux-nés. Ces derniers dépendent en effet presque exclusivement du système de soins, qui n’est que l’un des intrants de l’état de santé des adultes. Le fait que la mortalité périnatale de l’Irlande ait constamment été la pire de l’Europe des Quinze suffit donc à démontrer l’ampleur de l’insuffisance du système national de santé. De même, et cet autre fait interroge non moins vivement la société dans son ensemble, il apparaît que les divers indicateurs de la santé des femmes sont très médiocres, avec notamment une espérance de vie féminine inférieure de presque une année à la moyenne européenne. Pour cet indicateur, l’Eire a constamment occupé l'avant-dernière place de l’Europe des Quinze, devant le seul Danemark.

 

Notons enfin que si les universités bénéficient de l’effort très substantiel noté plus haut, les dépenses d’éducation dans leur ensemble restent faibles. Elles ne représentaient en 2001 que 4,4 % du PIB, soit un pourcentage assez inférieur à la moyenne de l'actuelle Union à 25 : 5,1 %. Seules les républiques Slovaque et Tchèque dépensaient encore moins. On comprend dès lors qu’un nombre croissant de voix s’élèvent dans le pays pour demander une meilleure redistribution, sociale et territoriale, de la richesse déjà acquise. La plupart d’entre elles vont toutefois plus loin, et remettent en cause le modèle même qui a fondé le Tigre Celtique et sa croissance fulgurante.

 

La critique fondamentale porte sur la dépendance du pays à l’investissement étranger, lequel est par essence volatil. L'Irlande est ainsi unique en Europe par l'ampleur de l'écart qui sépare son Produit Intérieur Brut de son Revenu National. Ce dernier ne représentait en 2003 que 83,8 % du premier, très loin derrière le Luxembourg (88,5 %), l'Estonie (93,7 %), la Hongrie (94,9 %), la République Tchèque (95,4 %), la Lituanie (96,6 %) et enfin la Pologne (98,3 %). La conjonction de l’ampleur de l’investissement étranger et de la réussite commerciale examinée plus haut démontre certes que l’Eire a brillamment réussi sa mission, qui était de convertir les capitaux états-uniens en produits pour le marché communautaire. Mais que sa balance des paiements soit restée constamment négative prouve de la même façon que le pays n’a pas la maîtrise de ce processus et qu’il n’en profite guère. De plus, ce déséquilibre de la balance des paiements s’accroît lentement. Il correspondait à 1,4 % du PIB en 2003, ce qui plaçait l’Irlande au niveau des pays méditerranéens, ainsi qu’à celui du Royaume-Uni, deux références qui sont jugées particulièrement déplaisantes dans le pays. L’ampleur même de sa grande réussite commerciale constitue certes une garantie pour la République contre un désengagement des multinationales, mais pour le (très) court terme seulement, d’autant que certains des nouveaux pays membres de l’Union leur offrent de multiples opportunités. Ainsi le décollage actuel de Prague, ville remarquablement bien placée, n’est pas sans rappeler celui de Dublin quinze ans plus tôt, tant par ses fondements que par sa rapidité.

 

De nombreux auteurs estiment ainsi que, s’il est peut-être excessif d’estimer que le Tigre Celtique soit déjà mort, la période de grande prospérité du moins est terminée et que l’Irlande doit se préparer à entrer dans une ère qui sera probablement connue comme celle du « Post-Tigre », ce qui implique de redistribuer sans attendre ce qui peut encore l’être. On trouvera en bibliographie quelques-uns des très nombreux titres qui développent cette perspective : (i) Après le Tigre Celtique, des défis à relever. (ii) Croissance, le Cancer Celtique. (iii) Le Tigre Celtique en détresse, ou la croissance inégalitaire de l’Irlande. (iv) Le Tigre Celtique, ou le mythe du partenariat social en Irlande. Citons par exemple l’auteur du dernier ouvrage noté, Kieran ALLEN (enseignant de sociologie dans l’une des universités de Dublin) dans un article publié dans la dernière livraison (Printemps 2005) de la revue Studies, éditée par les Jésuites d’Irlande :"L’Irlande a une économie du Premier Monde et un niveau de dépenses publiques du Tiers-monde. Ceci est une conséquence inévitable de la très faible imposition. Notre niche dans l’économie globale est d’être un paradis fiscal, à la marge de l’Europe pour les entrepreneurs d’outre-Atlantique. L’état ne prélève globalement que 34 % du PIB, ce qui est le pourcentage le plus bas de l’OCDE, à l’exception du Mexique, de la Corée et du Japon. "

 

Conclusion

La Commission Européenne ne dit pas autre chose, même si elle emploie des termes plus choisis, pour critiquer le faible taux d’imposition des sociétés (12,5 % à ce jour), qu’elle considère comme une distorsion de la concurrence entre les pays membres. L’augmentation de ce taux, sans doute inévitable devant la conjonction de pressions internes et externes, apportera d’ailleurs dans un premier temps à l’état une partie des recettes qui lui sont nécessaires pour le développement régional et pour l’amélioration des prestations sociales et du système de santé, qui n’ont guère profité de la prospérité. La question fondamentale sera alors celle de la gestion de l’équilibre entre une attractivité financière moindre et une compétitivité, on l’espère, encore meilleure qu’aujourd’hui. L’exercice sera difficile, surtout dans la durée, mais il n’a rien d’impossible.

 

C’est dire que si le Tigre Celtique est sans doute extrêmement menacé dans sa forme actuelle, prédire sa mort - à bref délais de surcroît - paraît l’expression d’un pessimisme excessif, oublieux de progrès que nul n’imaginait possible il y a quinze ans et dont le commentaire a occupé une large part de cet article. Reste que la croissance irlandaise va très probablement se ralentir dans l’absolu, alors même que d’autres pays de l’Union vont probablement entrer à leur tour dans un cycle de développement soutenu. La croissance différentielle dans la durée qui aurait été nécessaire à Dublin pour devenir véritablement la nouvelle extrémité de la Banane Bleue a peu de chances d’être au rendez-vous. Mais peut-être s’agissait-il là, à l’inverse, d’une ambition bien excessive ?

Philippe Brillet, Docteur en Géographie

(Biographie en bas de page)

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    Bibliographie de la question, par Philippe Brillet    
   

À l'image du conflit Nord-irlandais, le "Tigre Celtique" a suscité une production extrêmement abondante de travaux. La bibliographie suivante est donc nécessairement très sélective. Elle est présentée par thèmes, afin de rendre compte de la façon la plus simple possible des aspects multiples de la question posée.

 

A) Sur la puissance économique actuelle de l'Irlande

On consultera avec profit la base statistique la plus récente (mars 2005), dont les analyses fournissent de plus la vision officielle du gouvernement actuel de l'Irlande.

CENTRAL STATISTICS OFFICE, Measuring Ireland's Progress 2004, Dublin, Stationery Office, 2005.

L'ouvrage suivant peut être chargé gracieusement sur le site de l'Office irlandais des Statistiques (CSO) qui en est l'éditeur : www.cso.ie/principalstats/yearbook2004.html

CENTRAL STATISTICS OFFICE, Statistical Yearbook of Ireland 2004, Dublin, Stationery Office, 2004.

Concernant le cas particulier mais emblématique de l'industrie informatique :

STERNE, John, Adventure in Code The History of the Irish Software Industry, Dublin, Liffey Press, 2004.

 

B) Sur l'attraction que la République exerce sur le Nord

Consulter en priorité le (très) petit livre suivant, co-écrit par l'un des meilleurs économistes irlandais actuels :

BRADLEY, John, BIRNIE, Esmond, Can the Celtic Tiger Cross the Irish Border?, Cork, University Press, 2001.

Pour la comparaison économique entre le Nord et le Sud, se référer à :

NORTHERN IRELAND STATISTICS & RESEARCH AGENCY, CENTRAL STATISTICS OFFICE, Ireland, North and South, A Statistical Profile, Belfast/Dublin, NIRSA/CSO, 2003.

Pour la coopération entre le Nord et le Sud, voir :

GROUTEL, Anne, La coopération économique entre les deux Irlandes, Caen, Presses Universitaires, 2003.

Pour l'impact économique des "Troubles" :

PEYRONEL, Valérie, Économie et Conflit en Irlande du Nord, Paris, Ellipses, 2001.

 

C) Sur les relations irlando-britanniques et leur l'impact politico-territorial

L'ouvrage collectif suivant constitue une synthèse remarquable et très récente :

COAKLEY, John, LAFFAN, Brigid & TODD, Jennifer, Renovation or Revolution, New Territorial Politics in Ireland and in the United Kingdom, Dublin, University College, 2005.

Le suivant explore la rémanence de la dimension post-coloniale dans l'Irlande contemporaine :

HOWE, Stephen, Ireland and Empire, Colonial Legacies in Irish History and Culture, Oxford, University Press, 2000.

 

D) Sur l'intégration européenne de l'Irlande

On ne saurait trop conseiller la synthèse qui est à la fois la plus récente et la plus complète sur ce sujet en français :

CONSIDERE-CHARON, Marie-Claire, Irlande, Une singulière intégration européenne, Paris, Economica, 2002.

ainsi que la vision des géographes irlandais, à la veille de la Grande Prospérité puis aujourd'hui :

KING, Russel, Ireland, Europe and the Single Market, Dublin, Geographical Society of Ireland, Special Publication n°8, 1993.

HOURIHANE, Jim, Ireland and the European Union: the First Thirty Years 1973-2003, Dublin, The Lilliput Press, 2003.

 

E) Sur la dimension transatlantique du jeu économique et politique de l'Irlande

L'ouvrage suivant est l'un des plus complets, même s'il date un peu :

O'HEARN, Denis, The Atlantic Economy, Britain, the US and Ireland, Manchester, University Press, 2001.

 

F) Sur l'aménagement régional en Irlande

Si l'Irlande indépendante a longtemps suivi la tradition britannique dans son faible intérêt pour la planification, cette dernière n'était pas totalement inconnue, notamment pour la ville de Dublin, ce qu'a le grand mérite de rappeler et d'analyser l'ouvrage suivant :

BANNON, Michael J., Planning, the Irish Experience 1920-1988, Dublin, Wolfhound Press, 1989.

L'article suivant met en valeur l'émergence du concept même de politique régionale dans le pays, et analyse les plans gouvernementaux qui sont cités à sa suite :

O'LEARY, Eoin, Irish Regional Development, A new Agenda, Dublin, The Liffey Press, 2003.

MINISTRY FOR FINANCE, Ireland, National Development Plan 2000-2006, Dublin, Stationary Office, 2000.

DEPARTMENT OF THE ENVIRONMENT AND LOCAL GOVERNMENT, The National Spatial Strategy 2002-2020, People, Places and Potential, Dublin, Stationary Office, 2002.

Pour les régions au sein du Royaume-Uni et le nouveau concept de "Nord" dans l'espace britannique :

DORLING, Daniel and THOMAS, Bentan, People and Places, a 2001 Census Atlas of the UK, Bristol, The Policy Press, 2004.

 

G) Sur la critique des inégalités économiques et sociales actuelles

Ce sujet est à l'origine de nombreux ouvrages, dont les titres mêmes sont très évocateurs:

ALLEN, Kieran, The Celtic Tiger, The Myth of Social Partnership in Ireland, Manchester, University Press, 2000.

CLINCH, Peter, CONVERY, Franck, WALSH, Brendan, After the Celtic Tiger, Challenges Ahead, Dublin, The O'Brien Press, 2002.

DOUTHWAITHE, Richard, JOPLING, John, Growth, the Celtic Cancer, Dublin, Feasta, 2004.

KIRBY, Peadar, The Celtic Tiger in Distress, Growth with Inequality in Ireland, Basingstoke, Palgrave, 2002.

TALLON, Fintan, Ask Not for Whom the Tiger Roars, Dublin, Oak Tree Press, 2000.

 

H) Sur l'histoire économique et sociale de l'Irlande d'avant le Tigre

Quelques classiques :

BROWN, Terence, Ireland, a Social and Cultural History 1922-1985, London, Fontana, 1981.

HOPPEN, Theodore K., Ireland Since 1800, London, Longman, 1989.

KENNEDY, Kieran A., GIBLIN, Thomas, McHUGH, Deidre, The Economic Development of Ireland in the Twentieth Century, London, Routledge, 1988.

LYONS, F. S. L., Ireland Since the Famine, London, Fontana, 1971.

 

I) Sur l'évolution de Dublin

Un rappel d'une grande pauvreté pas si ancienne :

KEARNS, Kevin, Dublin Tenement Life an Oral History, Dublin, Gill&MacMillan, 1994.

Une histoire de la ville, qui ne prend toutefois pas en compte les temps présents :

BORAN, Pat, A Short History of Dublin, Cork, Mercier, 2000.

Un "beau livre" sur le renouveau architectural actuel de la ville :

McDONALD, Franck, The Construction of Dublin, Kinsale, Gandon, 2000.

 

J) Sur les perspectives territoriales en Irlande et la géographie de l'île

Deux contributions remarquables :

HOURIHANE, Jim, Engaging Spaces. People, Place and Space from an Irish Perspective, Dublin, Lilliput, 2003.

JOHNSON, James H., The Human Geography of Ireland, Chichester, Wiley, 1994.

 

K) Sur la géographie culturelle de l'Irlande

Quelques exemples représentatifs de l'application à l'Irlande des méthodes des "Cultural Studies" :

GRAHAM, Brian, In Search of Ireland, a Cultural Geography, London, Routledge, 1997.

GRAHAM, Colin, Deconstructing Ireland, Identity, Theory, Culture, Edinburgh, University Press, 2001.

KIRBY, Peadar, GIBBONS, Luke, CRONIN, Michael, Reinventing Ireland, Culture, Society and the Global Economy, London, Pluto Press, 2002.

 

L) Sur la genèse de la "Question d'Irlande"

Deux classiques :

DARBY, John, Northern Ireland, The Background to the Conflict, Belfast, Appletree, 1983.

STEWART, A. T. Q., The Narrow Ground, The Roots of Conflict in Ulster, London, Faber & Faber, 1977.

 

M) Sans oublier les introductions en français à la civilisation et à l'histoire irlandaises :

BRENNAN, Paul, PEYRONEL, Valérie, Civilisation Irlandaise, Paris, Hachette, 1995.

DUFFY, Sean et al., Atlas Historique de l'Irlande Passions et Tumultes, Paris, Autrement, 2002. (traduction d'un ouvrage britannique)

HUTCHINSON, Wesley, La question irlandaise, Paris, Ellipses, 1997.

   
   

 

   
    Biographie de Philippe Brillet, Docteur en Géographie    
   

Né le 05/01/1959 à Orsay (91), France.

 

Maîtrise d’Informatique et de Statistiques (Paris, 1990)

DEA de Sciences de Gestion (Lyon, 1991)

DEA de Géographie Tropicale (EHESS, 1992)

Doctorat en Géographie (Angers, 1998)

Qualifié aux fonctions de Maître de Conférences des Universités en géographie (2000)

Directeur-Fondateur du Cours International de Géographie de la Santé (depuis 1990)

Ancien enseignant de géographie quantitative à l’université d’Angers (1993-1997)

Expert en géographie numérique à l’État-Major de la Marine (depuis 1998)

 

Doctorat en Médecine (Tours, 1988)

Ancien Interne des Hôpitaux de Tours, Major du Concours National de Praticien Hospitalier

Médecin Spécialiste en Santé Publique (1991)

Ancien responsable du Département de Santé Publique, Faculté de Pharmacie d’Angers

(1991-2001)

Ancien Directeur de l’Observatoire Régional de la Santé, Tours (1991-1994)

Ancien Chef du Service de Santé Publique, Hôpital Nord Deux-Sèvres (1994-2004)

Maîtrise de Parasitologie (Tours, 1995)

Médecin Spécialiste en Pathologie infectieuse et tropicale (1995)

Enseignant associé de Médecine Tropicale et Santé Internationale, Faculté de Médecine de Marseille (depuis 2000)

 

Maîtrise d’Anglais (Paris, 1994),

CAPES d’Anglais (2003)

Qualifié aux fonctions de Maître de Conférences des Universités en Anglais (2005)

 

Équipes de recherche :

Groupe de recherche en Études Irlandaises (Paris III, Pr W. HURCHINSON)

Programme de recherche interdisciplinaire sur les Iles Britanniques (EHESS Paris,

L. DOWNS Directrice d’Études)

Centre de Formation et de Recherche en Médecine et Santé Tropicales (Marseille,

Pr J. DELMONT)

 

Membre du comité de lecture de la revue Médecine Tropicale

 

Co-auteur de l’Annuaire des Formations Francophones en Épidémiologie, Santé Publique et Médecine Tropicale, Paris, Publisud, 1990, 656 p.

 

Articles récents sur la géopolitique de l’Irlande :

La paix en Irlande, entre blocages et progrès. in Études, 2002, 2 : 157-167.

Quel avenir pour la neutralité irlandaise ? in Sources, 2003, 15 : 44-54.

Regards sur les territoires en république d’Irlande. in Études Irlandaises, 2004, 2 : 91-106.

   
   

 

   

 

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