L’Islande est candidate officielle à l’Union européenne, mais elle a suspendu ses négociations d’adhésion mi-janvier 2013. Que savons-nous de cette île et des Islandais ? La presque totalité des produits nécessaires à la vie de ce peuple est importée. Le quai est au centre de la vie. Les docks sont donc un observatoire de choix pour poser un regard sur cette société en dix photographies.
LA SOCIETE islandaise fut ravagée par la crise financière de 2008. La situation est moins chaotique aujourd’hui. Après la récession des années 2009 et 2010, accompagnée de la hausse du chômage, la croissance est revenue à plus de 2% en 2012 et le chômage à baissé à 5,3% [1].
Pour autant, la crise a laissé des traces. Les premiers « indignés » ne sont pas Espagnols mais Islandais. Les élus successifs ont été mis face à leur incurie par une population qui les a mis dehors, s’en passer par les urnes, en descendant simplement dans la rue. D’abord un gouvernement de droite, puis celui de gauche qui l’avait remplacé. Le peuple a décidé de rédiger une nouvelle Constitution pour l’été 2011 afin de se prémunir des effets néfastes des jeux financiers et de leurs oligarchies d’agioteurs. Malheureusement, l’élection des 25 citoyens de l’Assemblée constituante (un tirage au sort eut été plus en adéquation avec les voeux pieux de démocratie directe) a été invalidée pas la Cour suprême pour vice de forme. Ces 25 citoyens formeront donc simplement une assemblée consultative, autant dire sans aucun pouvoir décisionnel.
La presque totalité des produits nécessaires à la vie de ce peuple est importée. Le quai est au centre de la vie. Les docks sont un observatoire de choix pour poser un regard sur cette société en dix photographies.
Les docks de l’île sont des lieux aux multiples territorialités. Les habitants viennent y travailler, s’y divertir, arrondir leurs fins de mois. C’est, avec la station essence, un des seuls lieux où, dans un pays d’aussi faibles densités, il y a toujours quelqu’un.
Cette famille vient régulièrement pêcher dans le port de Keflavik. Elle fait le plein de maquereaux. Plusieurs dizaines de kilos sont chargés dans le coffre du 4x4. En grande partie pour leur consommation, paradoxalement, le prix du poisson est très élevé, supérieur à celui de la viande. Le surplus sera vendu dans l’espoir d’amortir les difficultés liées aux remboursements des emprunts. La ville de Keflavik, au sud-ouest de la capitale, connaît le taux de chômage le plus élevé de l’île. En 2006, la base américaine a fermé faisant ainsi disparaîtrent de nombreux emplois dérivés de la présence des GI’S depuis la Guerre Froide.
Beaucoup de travailleurs, notamment des jeunes, sont embauchés dans les usines de poissons, dans les ports. Le secteur est aux mains d’un petit groupe de grandes compagnies. Le poisson d’eau froide reste la principale ressource de l’île et le produit de la pêche est réservé à l’export. Ce sont les Européens qui consomment le poisson d’Islande alors que les Islandais se nourrissent de biftecks géants grillés. C’est l’heure de la pause pour cette ouvrière. Elle gagne très bien sa vie en travaillant sur une chaîne, impensable en Europe de l’Ouest. L’emploi, le plein emploi d’avant 2008 et ses très hauts salaires, permet aux Islandais d’acquérir rapidement leur indépendance. Cette jeune femme a commencé à travailler à 19 ans et s’est installée dans une maison, à crédit, pour fonder une famille.
Parmi les usines qui conditionnent le poisson, certaines récupèrent les déchets. Dans une odeur infecte, des camions circulent sur les docks de Höfn (Sud). Ils emportent les déchets d’un bâtiment vers un autre, où ils sont transformés en farine animale « 100% protéine ». La farine est chargée dans de grands sacs qui, transportés par un essaim de camions, sont déversés dans les cales d’un gigantesque navire à quai qui ressemble à un minéralier. Les sacs sont récupérés, pliés, et retournent à l’usine. Il n’y a que six dockers pour venir à bout du chargement : attacher les sacs aux instruments de levage, les récupérer au sol et les regrouper. La farine vole et recouvre les corps, c’est une puanteur. Ce manège dure toute la journée. Ils sont jeunes, environ 20 ans. Les plus vieux conduisent les camions, sont employés sur le bateau ou travaillent dans les entrepôts et à l’usine. L’entreprise les appelle quand un chargement est prévu. C’est très bien payé. Ils peuvent vivre assez indépendamment de leur famille en attentant le prochain contrat. Ils sont gais et insouciants, certains ont arrêté leurs études (ils comptent sur l’embauche du port), d’autres pas.
Ce chargement est à destination de l’Europe, ils ne savent pas trop où. La farine de protéine sera utilisée pour l’élevage.
La pêche représente la moitié du PIB national. C’est grâce à cette entrée de devises que la population peut importer tout ce qui lui manque. Avec l’énergie géothermique à bas coûts, et les alumineries associées, c’est le triptyque qui fait vivre l’île. Il fallait ajouter, avant 2008, l’activité bancaire : les actifs des trois principales banques représentaient en 2007, 800% du PIB.
Il y a deux types de pêcheurs. Les petits exploitants en survie et les grandes compagnies avec leur flotte de bateaux usines que nous devinons en arrière plan, ici un navire de la société FISK.
Les petits chalutiers familiaux sont autorisés à pêcher du lundi au jeudi, pour une quantité maximale d’environ 700 kg par embarcation. Ils partent dans la nuit et rentrent dans l’après-midi. Ils ne vont pas très loin. Ils accostent et déchargent à quelque centaine de mètres des énormes chalutiers, à quai pour entretien ou pour les vacances. Eux n’ont pas de vacances. La plupart sont âgés. La retraite est à 70 ans en Islande. Leurs enfants ont choisi de s’embaucher chez les grandes compagnies ou font complètement autre chose, après des études à Reykjavik. L’homme qui montre du doigt sa pêche du jour, travaille avec son fils. Ils ont deux bateaux donc ils peuvent ramener 1400 Kg. Ils sont fiers de perpétuer la tradition, même si cela ne leur dégage qu’un salaire tout juste suffisant. Ils sont contraints de vendre le produit de leur travail au marché, dirigé par les grandes compagnies de pêche. L’homme avec son chien est à la retraite, il pêche pour le plaisir, sans contraintes.
Les gros chalutiers restent en mer plusieurs semaines. Le jour du départ, les hommes arrivent en voiture sur le quai avec leur famille. Les embrassades sont tendres, les hommes sont durs. Beaucoup sont habillés en vêtement de ville. Ils fument. Il y a une équipe sur le pont qui est à la manœuvre. Nous devinons bien les tonnes de poissons qui vont être congelées à bord aux piles de cuves qui attendent. Surtout lorsque nous les comparons avec les cinq ou six cuves des petits exploitants. Il faut aller vite car elles entrent, pleines de glace, dans les soutes réfrigérées. Depuis 2006, le gouvernement autorise la reprise de la chasse commerciale à la baleine. Les possibilités d’observation du mammifère ont créé de nouveaux débouchés pour l’industrie du tourisme, très rémunératrice pour de nombreux petits pêcheurs en reconversion. Les conflits d’intérêts aiguisent la controverse.
À Husavik, au Nord, à l’occasion d’un festival, les docks se transforment en espace récréatif. Les pêcheurs et l’Arctique sont à l’honneur. Les cuves uniformisées, symbole de l’industrie mondiale de la pêche, sont empilées telle une forteresse pour abriter une exposition sur l’histoire les peuples du cercle polaire. La Norvège est associée à l’événement. On parle réchauffement climatique, chasse à la baleine, éruption volcanique, quotas de pêche, emprunts.
Cet homme est Estonien. Il s’est installé en Islande, attiré par la vitalité du pays. Il a « tenté sa chance ». Les Polonais composent la plus grande partie de la main d’œuvre immigrée. Pour lui, la langue n’est pas une barrière, l’Anglais est parlé par tout le monde et il apprend facilement l’Islandais. Il travaille à temps partiel dans l’hôtellerie et dans les ports pour se faire de l’argent lorsqu’il en manque. Le reste du temps, il essaye d’intégrer l’industrie audiovisuelle à Reykjavík. Il est monteur. Aujourd’hui, il fête un tournage qui s’est bien passé. Il va être payé pour réaliser le montage. Il a participé aux manifestations de l’automne 2008 pendant lesquelles la population a hurlé son indignation, sans faiblir. Il dit qu’il ne craint pas les remous bancaires car il ne possède rien et n’a pas d’économies. Il ajoute avec ironie qu’il est ici comme un poisson dans l’eau. Et que tout ce qui entre et sort du pays passe forcément, à un moment donné, par les docks. Lui, la crise économique ou le poisson.
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[1] En novembre 2012, le chômage serait à 5,3%, selon Eurostat.
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