LE célèbre roman de Komatsu Sakyo, La Submersion du Japon (Nihon Chinbotsu) publié en 1973 (réédité en édition poche aux éditions Philippe Picquier en 2000), met en scène une catastrophe naturelle de grande ampleur qui submerge l’archipel et détruit tout sur son passage. Une situation qui ressemble à s’y méprendre au tremblement de terre de magnitude 9 et au tsunami qui s’ensuivit, et ravagea les côtes de la région de Sendai dans des proportions quasi inimaginables, le 11 mars 2011. Cette catastrophe vient confirmer que les sociétés les plus avancées, et les plus préparées à combattre les éléments, restent très vulnérables. On pourrait cependant se demander quelle ampleur aurait pris ce tsunami s’il s’était produit dans des régions où le niveau d’alerte n’est pas aussi au point qu’au Japon.
On ne saurait rendre assez hommage à la dignité des Japonais face à une catastrophe d’une telle ampleur, et au civisme qui marque à la fois les opérations de secourisme et les organisations d’approvisionnement en nourriture. Pas de scène de pillage, pas de chaos consécutif à l’incroyable réalité d’un spectacle de fin du monde, et pas de panique. Une véritable leçon de civilisation offerte au reste du monde. Reste que cette catastrophe naturelle de grande ampleur, un peu plus de quinze ans après le tremblement de terre qui avait ravagé Kobe, et sans doute la plus importante au Japon depuis le tremblement de terre qui avait anéanti Tokyo en 1923, risque de plomber un peu plus le moral des Japonais. La submersion du Japon était d’ailleurs, plus qu’un simple roman d’anticipation, une métaphore de la théorie du déclin du Japon et de la disparition de ce pays, la submersion étant ici symbolique. Depuis plusieurs décennies, les Japonais craignent ce qu’ils qualifient de « big one », à savoir la catastrophe naturelle du siècle. Le 11 mars 2011 restera ainsi dans les mémoires.
Le phénomène de submersion est amplifiée par plusieurs facteurs qui indiquent que la catastrophe est arrivée au pire moment – notons cependant ici qu’il ne saurait exister de moment particulièrement favorable pour un drame d’une telle ampleur. Hier triomphant, le Japon est dans une phase de stagnation de son économie depuis maintenant deux décennies. A cela s’ajoute une crise politique historique, avec une valse permanente des gouvernements depuis cinq ans, et une véritable crise de représentativité des élites politiques. D’un point de vue sociétal, le vieillissement de la population désormais consommé se traduit par une baisse significative de la population. Sur la scène internationale, le Japon a récemment cédé sa place de deuxième économie mondiale, et surtout première économie asiatique, au rival chinois. Et plus généralement, la compétition avec Pékin a pour conséquence d’isoler de plus en plus le Japon. Il s’agit certes là de perceptions, mais elles sont basées sur des faits réels, et prennent une ampleur importante dans un pays qui s’inquiète de plus en plus de son avenir. Symbole de ce sentiment de dépit, le Premier ministre Naoto kan a même qualifié la situation actuelle de pire crise depuis la Seconde guerre mondiale. Là encore, une simple déclaration, mais qui en dit long sur le déterminisme qui frappe désormais les Japonais.
Le tremblement de terre, le tsunami, les risques nucléaires, la facture de la reconstruction qui risque d’être historique, et vient s’ajouter à une dette publique déjà abyssale, les risques pour les industries vivant de l’exportation : la liste des maux du Japon au lendemain de sa submersion du 11 mars 2011 est décidément bien longue, et il faudra plus que du courage pour relever la tête. Mais là est peut-être la solution. La submersion du Japon fut publiée à une époque où tout semblait sourire au Japon, et sonnait ainsi comme une sorte d’avertissement – mais aussi comme un appel à la prudence face aux risques de voir la civilisation japonaise disparaître sous les effets de la mondialisation et de l’ouverture à l’extérieur. La modernisation effrénée de ce pays fut ainsi, dans les années 1960 et 1970, l’objet de toutes les craintes concernant les risques de disparition de la culture japonaise et de la souveraineté du Japon, le suicide devant des partisans nationalistes de l’écrivain Yukio Mishima en 1970 en étant l’exemple le plus significatif. En mars 2011, la situation est effectivement, comme l’a remarqué Naoto Kan, plutôt comparable à 1945, et quand on prend la mesure de l’exceptionnelle capacité à se relever qui fut celle du peuple japonais dans les décennies suivantes, on ne peut que leur souhaiter un destin de ce type.
Copyright 14 mars 2011-Courmont
Cet article a été initialement publié sur le site canadien Global Brief où Barthélémy Courmont publie régulièrement Voir
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. Voir l’article de Jean-Emmanuel Medina, "Japon-Chine : Senkaku/Diaoyu, les enjeux du conflit territorial"
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