"La guerre des ruines. Archéologie et géopolitique", J.-P. Payot, Paris, Choiseul

Par Gérard-François DUMONT, le 12 novembre 2010  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Recteur, Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne, Président de la revue Population et Avenir, www.population-demographie.org.

S’appuyant d’abord sur ses observations de terrain, le Recteur Gérard-François Dumont présente le livre de Jean-Pierre Payot, La guerre des ruines. Archéologie et géopolitique, Paris, Choiseul.

Ce livre montre à quel point l’archéologie peut être prise au piège d’intentions qui souvent la dépassent. Illustré par de nombreux exemples, l’ouvrage innove par son exploration de cette face peu explorée de l’archéologie qu’est sa dimension géopolitique.

NAGORNO KARABAGH, région à majorité arménienne que les Soviétiques ont attribué à l’Azerbaïdjan. Les quatre ans de guerre 1990-1994 se sont apaisés jusqu’à un cessez-le-feu toujours provisoire. À l’est de ce territoire, dans la partie située avant la ligne de cessez-le-feu, dans les années 2000, une fondation arménienne privée finance des fouilles archéologiques. Elles débouchent sur la découverte d’une très ancienne ville arménienne, Tigranakert, attestant de l’ancienneté de la présence arménienne dans cette région. Un argument de poids pour les Arméniens qui veulent que le Nagorno Karabakh ne relève pas à 100% de la souveraineté azerbaïdjanaise. Ce seul exemple montre les interactions possibles entre archéologie et géopolitique.

"La guerre des ruines. Archéologie et géopolitique", J.-P. Payot, Paris, Choiseul
Tigranakert

Les fouilles archéologiques de Tigranakert, à quelques centaines de mètres de la ligne de cessez-le-feu entre le Nagorno Karabakh et l’Azerbaïdjan © Cliché Gérard-François Dumont, 2007

Mais on peut aussi faire référence des images qui parfois envahissent notre petit écran. Des chars au beau milieu de ruines, des sommets au cours desquels des représentants de pays réclament à d’autres la restitution de vestiges, des foules en révolte contre un chantier de fouilles ou détruisant un monument au nom de leur dieu ou de leur idéologie… Autant de faits qui relèvent de la géopolitique. Autant d’événements qui relient de manière évidente deux disciplines qui, a priori, n’ont guère en commun et qui, pourtant, ne sont pas si éloignées l’une de l’autre. Tout le mérite de l’ouvrage intitulé La guerre des ruines est de mettre en perspective les liens fondamentaux entre archéologie et géopolitique. Multipliant les exemples, présentés de manière vivante et choisis sur tous les continents, l’auteur met en perspective les multiples usages de l’archéologie à des fins géopolitiques.

Un phénomène ancien

Dans l’Antiquité déjà, un certain nombre de souverains n’ignoraient pas les possibilités qu’offrait à leur pouvoir une utilisation subtile de l’archéologie. Les Babyloniens savaient à quel point l’investissement symbolique dans le patrimoine archéologique pouvait servir leurs desseins géopolitiques. Autre exemple, les empereurs de Rome n’hésitèrent pas à construire leurs palais à l’endroit même où Romulus, le fondateur légendaire, avait, selon la tradition, construit le sien. Ainsi le peuple romain était-il avisé de la continuité, inscrite dans le territoire, du pouvoir légitime.

L’époque contemporaine, avec son cortège de régimes totalitaires, n’a pas manqué, à son tour, d’instrumentaliser les ruines à des fins géopolitiques. De nombreux archéologues nazis ont, en effet, été sollicités pour apporter des preuves matérielles à la construction de « l’espace vital » cher à l’idéologie de Hitler.

Le Moyen-Orient : une région emblématique

Toutefois, les liens archéologie-géopolitique semblent prendre de nos jours une ampleur particulière dans certaines régions du globe marquées par des conflits récurrents. Le Moyen-Orient est emblématique d’un type de manipulation de l’archéologie souvent « détournée » de sa visée scientifique. Dans cette partie du monde, l’enjeu est tel que l’archéologie peut difficilement conserver son caractère neutre. Le nationalisme, largement entretenu par des régimes autoritaires, comme des religions plus ou moins militantes, entretiennent à l’égard du patrimoine archéologique, des liens forts qui aboutissent à placer l’archéologie au cœur des enjeux géopolitiques. Parfois, la guerre vient compliquer le jeu. De nombreux monuments peuvent être pris en otage par telle ou telle partie. Leur destin est alors fonction de stratégies ou d’intérêts le plus souvent idéologiques. Par exemple, en Afghanistan, comment expliquer la destruction des Bouddhas de Bâmyân sinon par la volonté des Talibans d’affirmer de manière spectaculaire leur contrôle sur le territoire ? Ici, religion et politique sont étroitement mêlées. Il en va de même en Palestine géographique, et en particulier à Jérusalem, où patrimoine culturel et archéologie sont l’objet de tensions sans cesse renouvelées. Or, derrière cette « guerre des ruines », se profile la question de la légitimité de l’existence même de l’Etat d’Israël.

Trafic et restitution des vestiges

Plus modestement, mais non moins éclairante, est la situation des innombrables artefacts qui circulent, souvent de manière illicite, dans le monde. Le trafic des objets archéologiques est, lui aussi, révélateur d’enjeux de nature géopolitique. Le pillage des musées qui accompagne certains conflits, ou la prédation organisée de patrimoines nationaux dans certains pays du Sud reviennent en effet à priver les États concernés de la possession de pans entiers de leur identité.

Aussi, les demandes de restitutions, fréquemment à l’ordre du jour, témoignent-elles de la volonté de certains pays de remodeler leur image sur la scène internationale. La Chine, par exemple, est de plus en plus pressée de recouvrer la possession légale d’objets qui lui ont été subtilisés à une époque où elle n’était guère en mesure de s’y opposer…

Archéologie et justice internationale

Le XXe siècle a été marqué par des épisodes criminels contre des groupes humains, dont certains sont reconnus comme des génocides. Derrière ces événements dramatiques, se dessine en particulier l’univers macabre des charniers. Des charniers qui, après les conflits qui les ont provoqués, constituent, aux yeux de la justice internationale en charge de poursuivre leurs auteurs, autant d’éléments propres à déterminer la part de chacun dans les responsabilités des massacres. Or, dans ce cadre, l’archéologie intervient a posteriori. En usant des mêmes techniques que pour des fouilles classiques, les archéologues, auxiliaires précieux des médecins légistes, arrivent à reconstituer avec précision les circonstances des crimes. Leurs découvertes aident à « dire le droit » et apportent ainsi leur contribution dans l’analyse des termes géopolitiques qui ont présidé au déclenchement des génocides ainsi qu’à leur mise en oeuvre.

Le livre La guerre des ruines montre à quel point l’archéologie peut être prise au piège d’intentions qui souvent la dépassent. Illustré par de nombreux exemples, l’ouvrage innove par son exploration de cette face peu explorée de l’archéologie qu’est sa dimension géopolitique.

Copyright Novembre 2010-Dumont



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