Ministre-Conseiller auprès de l’Ambassade de Suède à Paris, ce diplomate présente l’histoire des relations entre son pays et la construction européenne. Il détaille, ensuite, les thèmes retenus pour la première Présidence suédoise de l’Union européenne, au premier semestre 2001. Enfin, il explique sa conception des relations entre la Russie et l’Union européenne ainsi que la position réservée de son pays à l’égard de l’Union Economique et Monétaire.
PENDANT LONGTEMPS, la Suède a choisi de rester en dehors de la construction de la Communauté Economique Européenne (CEE). Elle préférait alors le cadre de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE) . D’autres pays nordiques comme la Norvège, la Finlande et même l’Angleterre partageaient ce choix.
La position suédoise à l’égard de la CEE a changé assez récemment. Quand nous avons vu la coopération européenne se développer d’une manière très active, nous avons dû - comme d’autres pays membres de l’AELE - repenser notre position en Europe et nos relations avec les pays de la Communauté européenne.
Durant l’année 1990, les autorités politiques suédoises ont pour la première fois évoqué la possibilité de voir la Suède devenir membre de la CEE. Il faut situer cette prise de position dans le contexte de l’Europe du début des années 1990. La Suède se trouve dans une périphérie de l’Europe, avec une situation géopolitique assez spéciale. Durant la Guerre froide, la Suède a été coincée entre les deux grands blocs. Pendant des décennies, la Suède a cherché à se situer entre l’Est et l’Ouest, en conservant une non-appartenance aux alliances militaires dans le monde et en particulier en Europe. Nous avions choisi durant ces décennies une politique de non-alliance en temps de paix, pour essayer de rester neutre en cas de conflit.
A l’évolution de la situation stratégique s’ajoute la prise de conscience d’une Communauté Economie Européenne très active dans notre voisinage, développant une coopération dans de nombreux domaines. Une économie très ouverte comme l’économie suédoise, avec de très grandes entreprises internationales, était concernée par cette coopération mais ne pouvait l’influencer si la Suède restait en dehors de cette organisation. Pourquoi ne pas la rejoindre, afin non seulement de s’adapter à ces décisions mais de les influencer ?
Les changements politiques en Union soviétique et dans les pays d’Europe centrale et orientale ont changé la position géopolitique de la Suède. Pour toutes ces raisons, le gouvernement suédois a pensé que les négociations pour le rapprochement de l’AELE et de la CEE ne suffisaient pas et qu’il fallait peut-être aller un peu plus loin.
Plus, 2022
. Lars Wedin, Pierre Verluise, Membre de l’UE mais hors de l’OTAN, comment la Suède comprend-elle la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec L. Wedin
Historiquement adepte d’une politique hors alliances afin de pouvoir rester neutre en cas de guerre, pourquoi dans le contexte de la guerre russe en Ukraine la Suède « n’exclut pas » depuis le 30 mars 2022 d’adhérer à l’OTAN ? Ancien officier de la Marine suédoise, Lars Wedin répond aux questions de P. Verluise pour Diploweb.com. Un bel exercice de décentrage de nos perceptions et de découverte d’une situation stratégique que nous connaissons mal, par exemple l’île de Gotland. Un éclairage, enfin, des accélérations en cours sous l’effet de la guerre provoquée par la Russie.
A la fin de l’année 1990 s’engage donc l’exploration des possibilités d’un rapprochement voire d’une adhésion à la CEE. Tout s’est ensuite passé très rapidement. Avec l’Autriche, la Finlande et la Norvège, la Suède a engagé des négociations très approfondies qui - dans trois des quatre cas - ont amené à une adhésion en 1995 à l’Union européenne. Ceci après des referendums dans chacun de ces pays, avec une claire majorité dans le cas de l’Autriche, une assez claire majorité en Finlande, une majorité en Suède et un refus en Norvège. Seulement trois pays rejoignent donc les Douze en 1995, qui deviennent alors les Quinze, membres de l’Union européenne.
Durant les années 1995 - 2000, la Suède a vécu une période très intense pour s’adapter à la coopération européenne et trouver sa place au sein de l’UE. Les trois nouveaux pays ont été accueillis très chaleureusement par les autres pays membres. On nous avait attendu pendant très longtemps et on a été très content de nous accueillir dans cette organisation.
La Suède a apporté à l’Union européenne une compréhension et une manière de voir la situation politique au Nord de l’Europe. Notre voisinage et notre proximité de la Russie depuis des siècles, l’expérience d’avoir été longtemps coincé entre les alliances de la Guerre froide, nous donne un regard spécifique qui apporte quelque chose à la réflexion de l’Union européenne concernant cet espace.
Dans d’autres domaines, la Suède a profité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale d’un développement économique remarquable, avec le développement d’un Etat providence qui peut aussi apporter une expérience intéressante à l’UE.
Nous croyons que nous sommes parmi les pays les plus avancés du monde à l’égard de la protection de l’environnement, de la lutte contre le chômage … Ces domaines marquent les ambitions de la première présidence suédoise de l’Union européenne, même si toutes les présidences risquent de voir leur programme bousculé par des imprévus.
Le 1er janvier 2001, la Suède prend pour la première fois la Présidence de l’Union européenne, pour un semestre. Les thèmes prévus par la Présidence suédoise sont les trois E : Elargissement, Emploi, Environnement.
L’élargissement futur de l’Europe est notre première priorité, liée à notre situation géopolitique. Nous avons pour la première fois depuis très longtemps la possibilité historique de voir réunis les pays de l’Ouest et de l’Est de l’Europe dans une coopération élargie de l’Union européenne. Il s’agit non seulement d’une priorité pour la Suède mais pour l’Union européenne. Pour nous suédois, il faut à tout prix saisir la possibilité d’inclure tous les pays d’Europe centrale et orientale - y compris la Russie - dans une coopération aussi étroite que possible, dans l’esprit des fondateurs de la CEE des années cinquante, afin de rendre impossible d’imaginer un conflit comme ce continent en a connu durant le XX e s. Même si la Russie n’est pas candidate de la même manière que les pays d’Europe centrale et orientale, nous voulons absolument durant notre présidence de l’Union européenne faire évoluer la relation entre l’UE et la Russie. Il importe qu’il y ait une bonne compréhension des deux parties et que se développent des liens à tous les niveaux : commerciaux, personnels, politiques, sociaux.. Il faut éviter que des pays d’Europe centrale et orientale se sentent exclus du "club". Pour nous tous ces pays ont vocation de devenir à un certain moment membres de l’Union. Bien sûr, ils doivent faire un grand travail pour les préparer et beaucoup le font. Même pour ceux qui doivent attendre un peu plus, il faut continuellement faire passer le message suivant : "Nous sommes là. Vous êtes les bienvenus, mais dans certains cas les négociations peuvent prendre un peu plus de temps". Pour nous, tous les pays actuellement en négociation ont la possibilité de rejoindre l’Union européenne. C’est à eux de démontrer qu’ils sont prêts pour une adhésion. Ils ont tous la possibilité d’être dans les premiers mais il est évident qu’il y aura un élargissement en plusieurs étapes, probablement en plusieurs groupes.
Nous sommes sensibles à l’emploi, qui constitue notre deuxième priorité. Ce thème a déjà été évoqué lors de sommets européens, notamment à Lisbonne. Lors du sommet de Stockholm de mars 2001, nous voulons boucler plusieurs dossiers concernant le chômage pour que le plus grand nombre possible de personnes trouve une place sur le marché du travail.
L’environnement est notre troisième priorité, non seulement à l’échelle européenne mais aussi à l’échelle planétaire. La France a été récemment touchée par deux accidents maritimes très graves qui ont marqué la population et chacun dans l’Hexagone peut donc comprendre notre motivation. Nous nous intéressons également aux changements climatiques.
Pour nous, la Russie est un grand pays, avec beaucoup de richesses naturelles, donc potentiellement économiquement fort. Cependant, après de longues décennies de gouvernance économique planifiée, ce pays cherche non seulement politiquement mais surtout économiquement la meilleure manière de s’organiser. Après avoir été une superpuissance militaire et politique, la Russie doit aujourd’hui chercher une nouvelle place dans la communauté internationale. Celle-ci sera très certainement très différente de ce qu’on a vécu durant les sept décennies de communisme. Il faudra encore quelques années à ce pays pour trouver la bonne manière de s’organiser le plan économique et pour trouver sa place dans un monde qui a beaucoup changé. C’est un pays qui, pour la Suède comme pour l’Union européenne, se trouve à proximité. En dépit des difficultés, il faut donc trouver des moyens pour coopérer et tout d’abord se comprendre malgré des expériences très différentes. Pour la Suède, il faut impérativement faire évoluer les relations entre la Russie et l’Union européenne, de manière continuelle et évolutive, pour trouver les domaines où créer des liens pour s’entraider.
La Suède a une position particulière à propos de l’Union économique et monétaire. En devenant membre de l’Union européenne, la Suède a dû souscrire à tous les traités, y compris l’UEM. A l’époque - comme aujourd’hui pour les pays candidats - il n’y avait pas de lien direct entre la date d’une adhésion à l’UE et la participation à part entière à l’Union économique et monétaire. La Suède pense que l’UEM est une bonne chose, puisque c’est une organisation conçue pour stabiliser les mouvements des devises en Europe comme dans le monde. Cependant, pour des raisons politiques et économiques, nous avons choisi de ne pas adhérer pour le moment à l’UEM. Economiquement, parce que nous voulons vérifier que l’économie suédoise peut participer positivement à l’UEM, par exemple en ce qui concerne le marché du travail, afin de pouvoir adhérer sans choc pour notre économie. Politiquement, même après l’adhésion à l’Union européenne, l’opinion publique suédoise a gardé un certain scepticisme vis à vis de la coopération européenne en général, mais surtout en ce qui concerne la monnaie unique. Le gouvernement suédois a donc suggéré de prendre le temps de vérifier que l’économie suédoise évolue dans le bon sens pour pouvoir adhérer et demander par un référendum au peuple suédois son opinion à ce sujet. Il n’y a pas de date fixée pour un tel référendum, mais cela pourrait s’envisager vers 2003 ou 2004. Cela peut aussi dépendre de la position d’autres pays. Le Danemark a déjà pris position. Le Royaume-Uni va le faire.
Au-delà de la présidence durant le premier semestre 2001, la Suède peut également apporter à l’Union européenne son expérience en matière de transparence de l’administration au regard de la population. (Voir une carte de la population des Etats de l’Espace UE25 en 2001) Il faut pouvoir montrer aux contribuables ce que l’on fait, ne pas donner l’impression que des décisions sont prises dans des salles fermées, sans transparence. En Suède, l’accès du public comme des journalistes aux documents de l’administration semble plus développé qu’ailleurs. Notre position de principe est l’ouverture, tout en protégeant les secteurs les plus sensibles pour la sécurité du pays. Nous nous attachons donc à faire évoluer la culture de l’Union européenne à l’égard de l’information. Puisque le projet européen doit se fonder sur une volonté des populations, il importe d’avoir la confiance des citoyens. Pour cela, il faut pouvoir montrer ce que l’on fait, pourquoi, comment, dans quel but et avec quels résultats.
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