Cette étude donne à réfléchir sur les relations entre risques et société. Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina frappe la côte des Etats-Unis, provoquant la plus grave catastrophe naturelle de l’histoire du pays. Face à ce désastre, les Américains découvrent l’impuissance des pouvoirs publics qui, à tous les niveaux, se montrent incapables de prendre les mesures nécessaires pour gérer la crise, agissant dans la confusion et le chaos. Quatre ans après les attentats du 11 septembre 2001, qui avaient révélé la vulnérabilité extérieure des Etats-Unis, l’ouragan Katrina souligne la vulnérabilité de leur dispositif de sécurité intérieure. Ce qui sanctionne durement le choix de l’administration Bush de ne se consacrer qu’à la seule lutte contre le terrorisme, négligeant ainsi la prise en compte des risques naturels.
Mémoire réalisé au Collège Interarmées de Défense dans le cadre du séminaire "Géopolitique des Etats-Unis" dirigé par Nicolas Kessler.
LE 29 AOUT 2005, l’ouragan Katrina frappe la côte des Etats-Unis, ravageant une zone de 235 000 kilomètres carrés, soit l’équivalent de la moitié du territoire français. Katrina se révèle être l’ouragan parfait, la combinaison de vents puissants dépassant 220 km/h, d’une pression barométrique extraordinairement basse et d’une marée haute provoquant un raz-de-marée pratiquement deux fois plus important que celui causé par l’ouragan Camille en 1969. Aussi, les dégâts sont considérables. Ouragan de catégorie 5, soit la plus haute sur l’échelle de Saffir-Simpson, tuant plus de 1300 personnes, Katrina provoque la catastrophe la plus meurtrière depuis 1928 et sème sur son passage destructions et désolation, l’ensemble des dégâts matériels occasionnés étant évalués à près de 100 milliards de dollars[1]. Si trois Etats sont particulièrement touchés – le Mississipi, la Louisiane et l’Alabama – c’est l’inondation complète de la Nouvelle-Orléans, 35ème ville du pays comptant plus de 470 000 habitants, à la suite de la destruction partielle de son système de digues, qui marque le plus les esprits, nécessitant la mise sur pied d’une gigantesque opération de secours. Face à cette catastrophe naturelle qui apparaît comme la plus destructrice de l’histoire des Etats-Unis, les Américains découvrent avec stupeur la paralysie de leur administration : à tous les niveaux de l’Etat, local, étatique ou fédéral, la confusion règne en maître.
L’Amérique est profondément humiliée. A l’image de la Thaïlande, ravagée quelques mois plus tôt, en décembre 2004, par un tsunami qui avait fait des milliers de morts, la plus grande puissance du monde doit avouer son impuissance face à la colère des éléments et son incapacité à faire face à une crise sur son propre sol. Les médias du monde entier reprennent en boucle les images des survivants hagards de la Nouvelle-Orléans, réfugiés sur leurs toits en attendant d’hypothétiques secours, des cadavres qui jonchent la ville pendant plusieurs semaines et des scènes de violence qui se produisent dans les lieux de regroupement des réfugiés, que ce soit au Superdome ou au Centre de Conventions. Les Etats-Unis sont même obligés de solliciter l’aide internationale, certains de leurs plus farouches adversaires, comme Hugo Chavez au Venezuela ou Fidel Castro à Cuba, s’offrant le luxe de lui proposer leur secours[2].
L’ampleur du chaos provoque une violente polémique sur les choix de l’administration Bush, accusée d’avoir sacrifié à son obsession de la lutte antiterroriste la sécurité de son pays. Comme l’écrit alors Daniel Vernet dans Le Monde, « A quoi sert-il de vouloir garantir la sécurité des Américains en se battant en Irak, voire en tentant d’y implanter la démocratie, si dans le même temps il n’est pas possible de les protéger contre des aléas certes naturels mais dont les conséquences au moins devraient être humainement maîtrisables ? »[3] Pour beaucoup, l’intervention en Irak est une faute majeure, qui a notamment conduit à priver la Garde Nationale d’une partie de ses forces qui lui auraient été précieuses pour pouvoir intervenir plus rapidement sur la scène de crise[4]. Bien que l’étude de l’engagement des moyens de la Garde Nationale démontre le contraire, cet argument porte au but et fragilise profondément l’administration Bush. En outre, cette crise politique se double d’une crise sociale : au pays du melting pot, les Américains découvrent le visage d’une autre Amérique, où les Noirs figurent en grand nombre tant parmi les morts de Katrina que parmi les survivants de la Nouvelle-Orléans[5]. Pour Ross Douhat, de l’Atlantic Monthly, le cyclone Katrina signe « l’anti-11 septembre : il y a quatre ans, tous étaient égaux devant la mort, les financiers et les secrétaires » ; avec Katrina, « les divisions de classe et de race ressortent », le pasteur noir Jesse Jackson évoquant même des images dignes de « la cale d’un bateau au temps de l’esclavage »[6]. L’émoi provoqué par le désastre de Katrina est tel qu’il décide le Congrès à nommer une commission d’enquête parlementaire, composée dans des mêmes proportions de représentants des partis républicain et démocrate, pour comprendre les raisons d’un tel échec, la Maison Blanche procédant de son côté à sa propre enquête au sein de l’administration fédérale.
L’ouragan Katrina a en effet infligé un échec cinglant à l’hyperpuissance américaine. Si la violence de l’ouragan rend aisément compréhensible l’importance des dégâts subis par les Etats dévastés, en revanche, la réaction confuse des pouvoirs publics trahit leur impréparation à une catastrophe qui constitue pourtant une menace habituelle dans un pays frappé chaque année par plusieurs ouragans. Cette impréparation trouve ses racines dans le traumatisme subi par l’Amérique après les attentats du 11 septembre 2001, qui ruinent le mythe de l’invulnérabilité légendaire du territoire des Etats-Unis : dès lors, l’obsession majeure du président Bush comme de l’administration fédérale est de forger un outil destiné à prémunir les Etats-Unis contre la répétition de ce traumatisme, en l’occurrence, le Département de la Sécurité Intérieure[7], conduisant les responsables fédéraux à négliger la prise en compte des risques naturels, considérée comme une menace secondaire, laissée à la charge des Etats et des pouvoirs locaux.
Ceci explique comment, alors même que la menace que représentait Katrina était parfaitement connue, elle n’est pas prise en compte par les pouvoirs publics qui ne se consacrent qu’à la seule lutte contre la menace terroriste. Cette impréparation se paie au prix fort : intervenant au dernier moment dans une crise qu’elle n’a pas su anticiper, l’administration fédérale s’avère impuissante à remédier à la confusion qui règne au sein des pouvoirs publics locaux. Jusque-là considérée comme un pôle d’excellence, l’effondrement de la FEMA[8], l’agence fédérale de gestion de crises, sanctionne l’erreur des choix stratégiques d’une administration davantage préoccupée par les menaces extérieures et la sécurité du monde que la sécurité de son propre pays. Quatre ans après les attentats du 11 septembre 2001, qui avaient montré la vulnérabilité extérieure de l’Amérique, l’échec de l’ouragan Katrina souligne ainsi la vulnérabilité intérieure de l’Amérique et les failles de son dispositif de sécurité intérieure.
« Il est difficile de comprendre le manque de préparation et l’inefficacité de la réponse initiale à un désastre qui avait été annoncé pendant des années et pour lequel des avertissements avaient été donnés pendant plusieurs jours[9] ».
La menace d’un ouragan tel que Katrina est parfaitement connue aux Etats-Unis, dont le sud est régulièrement frappé par des ouragans et des tempêtes tropicales d’une intensité variable. Il convient de rappeler, de ce point de vue, que Katrina n’est pas l’ouragan le plus violent qui ait jamais dévasté le territoire américain, sa puissance étant largement inférieure à celle des ouragans Camille en 1969 ou Andrew en 1992. En revanche, Katrina a provoqué la catastrophe la plus importante de l’histoire des Etats-Unis parce qu’il a ravagé une ville majeure : la Nouvelle-Orléans, 35ème ville du pays à l’été 2005, forte de 470 000 habitants, dont la vulnérabilité était notoire du fait de sa localisation dans un endroit particulièrement exposé aux risques d’une inondation. Au printemps 2004, l’exercice Pam, simulant les effets d’un ouragan tropical frappant la Nouvelle-Orléans, avait démontré avec précision les conséquences d’une telle catastrophe, préfigurant plusieurs mois à l’avance le scénario qui s’est effectivement déroulé à la fin de l’été 2005, fournissant aux autorités américaines - à tous les niveaux, fédéral, étatique comme local – les éléments d’information nécessaires pour se préparer à contrer cette menace.
Ouragans et tempêtes tropicales constituent une menace chronique pour les Etats-Unis, frappant pratiquement chaque année les régions côtières situées entre le golfe du Mexique et l’Océan Atlantique, la saison des ouragans commençant habituellement en juin et finissant fin novembre. Si la Floride est l’Etat le plus touché, d’autres Etats comme le Texas, la Louisiane et la Caroline du Nord ont fréquemment été ravagés par des ouragans violents, qui se traduisent par des raz-de-marée dévastateurs.
En dépit de la violence particulière de l’ouragan Katrina, classé au maximum de l’échelle de Saffir-Simpson[10] pendant quelques heures, il ne s’agissait donc pas pour autant d’une menace inconnue ni exceptionnelle. Au cours des décennies précédentes, les Etats-Unis ont été victimes à plusieurs reprises de cyclones extrêmement violents, qu’il s’agisse de l’ouragan Camille en 1969 (catégorie 5), de l’ouragan Hugo en 1989 (catégorie 4), ou de l’ouragan Andrew en 1992 (catégorie 5).
Cependant, après une saison en 2004 qui avait déjà été jugée exceptionnelle, touchant durement la Floride, la saison 2005 a été une saison hors du commun, fixant un nouveau record du nombre de tempêtes tropicales (26) et d’ouragans (13) dont trois ouragans de catégorie 5, considérés comme le risque suprême et le plus violent dans ce domaine.
En raison de sa localisation géographique, la Nouvelle-Orléans était particulièrement exposée à la double menace des ouragans tropicaux et des risques d’inondations, d’autant que son dispositif de protection souffrait de nombreuses insuffisances et n’était pas en mesure de la prémunir des effets d’un ouragan de la force de Katrina.
2.1 – Une ville construite dans un site extrêmement exposé aux risques naturels
La ville de la Nouvelle-Orléans a été construite, à partir de 1718, dans une région marécageuse, celle du delta du Mississipi, à proximité immédiate d’un fleuve impétueux aux crues imprévisibles et violentes, mais aussi du lac Pontchartrain et du golfe du Mexique, zone particulièrement exposée à la menace des ouragans tropicaux.
Elle est située dans une dépression naturelle, de sorte que 80 % des zones urbanisées se trouvent en-dessous du niveau de la mer, ce qui la rend très vulnérable aux risques d’inondations. Cette vulnérabilité a été accrue par le spectaculaire développement économique de la ville au début du XXème siècle : celui-ci a conduit à coloniser de manière anarchique des terres jugées initialement trop exposées à des risques d’inondation, sans aucun plan d’urbanisme ni aucun contrôle gouvernemental pour s’assurer de la viabilité des nouvelles zones urbanisées et de l’efficacité du système de drainage, essentiellement constitué de trois grands canaux déversant leurs eaux dans le lac Pontchartrain[11].
L’inondation complète de la ville de la Nouvelle-Orléans, à la suite d’une crue du Mississipi en 1927, tout comme les ravages des ouragans Betsy en 1965, Camille en 1969, Georges en 1998 et Lilli en 2002, ont été autant d’illustrations de cette vulnérabilité intrinsèque de la ville.
2.2 – Une protection insuffisante contre les eaux
Pour assurer sa protection contre les eaux, la Nouvelle-Orléans s’est dotée d’un important dispositif de sécurité, sous l’égide de deux agences locales créées spécifiquement dans ce but à la fin du 19ème siècle : le Sewerage and Water Board (SWB), chargé de construire des canaux de drainage, et l’Orleans Levee District (OLD), chargé de construire les digues. Cependant, en 1965, les ravages causés par l’ouragan Betsy sert de révélateur aux failles du dispositif, décidant les autorités à engager un important effort de construction de digues supplémentaires le long du lac Pontchartrain et de murs de protection le long des trois canaux de drainage qui traversent la ville, chantier qui est confié à un troisième acteur, le corps du Génie militaire[12]. Un nouveau partage de tâches s’opère alors, le Génie étant chargé de construire les digues, l’OLD de les entretenir tandis que le SWB ne s’occupe que des canaux de drainage et des stations de pompage, le financement des travaux étant assuré à 70 % par l’administration fédérale, les 30 % restants étant pris en compte par les autorités locales.
Pendant près de 40 ans, le corps du Génie militaire mène ainsi un gigantesque effort de construction de digues, qui nécessite un investissement de 650 millions de dollars, mais qui n’est réalisé qu’à hauteur de 75 %[13] en 2005, faute de crédits suffisants. De fait, si pendant longtemps le travail de lobbying efficace des parlementaires de la Louisiane auprès du Congrès a permis d’assurer sans difficulté le financement du projet, à partir du début des années 2000, l’administration Bush, dès son arrivée au pouvoir, se tourne vers d’autres priorités, à commencer par sa croisade contre le terrorisme, ce qui se traduit par des coupes sombres dans les crédits accordés au Génie pour assurer le dispositif de protection de la ville[14]. Ce problème budgétaire a non seulement entraîné l’inachèvement des travaux mais aussi conduit à privilégier les solutions les moins coûteuses, au détriment de la prise en compte des normes de sécurité, pour mener les différents travaux. Ce choix purement économique sera sanctionné lors de l’ouragan Katrina par l’effondrement de pans entiers des levées et des digues protégeant la Nouvelle-Orléans, contribuant à une inondation rapide de la ville[15].
En outre, ce dispositif de protection était mal construit et mal entretenu. De ce point de vue, le choix de confier la construction, la surveillance et l’entretien des digues à des organismes différents, essentiellement motivé par des raisons financières, permettant un financement conjoint du système de protection, s’est révélé en définitive néfaste, débouchant sur un refus de financer une amélioration des digues par les organismes locaux, son coût étant jugé trop onéreux, mais aussi sur des trous dans le dispositif de contrôle. L’ensemble du système des digues a ainsi été construit selon un véritable patchwork, sans aucune vue d’ensemble et sans respect de normes communes tant de sécurité que de construction. De même, la dilution des responsabilités entre les différents organismes a empêché une prise de conscience de la menace, les organismes locaux ne se souciant que de la partie du système dont ils étaient responsables. Cette hétérogénéité a masqué les zones de faiblesses du système des digues, zones qui se sont ensuite effondrées lors de l’ouragan Katrina, entraînant l’inondation de la Nouvelle-Orléans.
Cependant, la principale faiblesse de ce système de digues tient avant tout au fait qu’il a été conçu par le corps du Génie pour ne résister au maximum qu’à des ouragans de force 3 sur l’échelle de Saffir-Simpson. Ce choix, motivé par le souci de limiter les coûts de construction, reposait sur une étude des risques, un ouragan de force 3 constituant la menace la plus probable. De ce fait, dès lors que la ville était exposée à un ouragan de force 4 ou 5, ce qui sera le cas avec l’ouragan Katrina, il était certain que les digues seraient au mieux recouvertes par le raz-de-marée provoqué par l’ouragan, au pire partiellement détruites, entraînant dans les deux cas l’inondation de la ville. C’est ce qui s’est produit lors de l’ouragan Katrina, l’absence de système de surveillance – les digues n’étant pas équipées d’un dispositif d’alerte – ne permettant pas de surcroît de contrôler la montée des eaux ni de détecter toute faille dans le système de protection.
En décembre 2003, le président Bush avait demandé au tout nouveau Département de la Sécurité Intérieure – Department of Homeland Security (DHS) - de recenser les menaces les plus graves pour la sécurité du pays. Sur les 15 scénarios de catastrophe imaginés par le DHS, douze faisaient référence à des groupes internationaux recourant à des armes de destruction massive et au terrorisme, trois à des menaces liées à des risques naturels. Seul le scénario 10, moins impressionnant mais plus probable, décrivait un ouragan violent frappant une grosse ville du sud des Etats-Unis, de surcroît une destination touristique très populaire, telle que la Nouvelle-Orléans. Le scénario évoquait une vague gigantesque débordant les digues, provoquant un millier de morts en raison d’une évacuation incomplète de la ville, des milliers de sans-abris, et décrivait l’impact économique de l’ouragan sur la région environnante[16].
3.1 – L’exercice Pam
Au printemps 2004, ce scénario-catastrophe sert de base pour mettre sur pied un exercice de simulation, l’exercice Pam, chargé de modéliser sur ordinateur un ouragan parfait, calibré pour être un ouragan de catégorie 4, et d’en étudier ses effets, obligeant les différents responsables tant des gouvernements locaux que des différents services d’urgence à élaborer des réponses réalistes et crédibles.
Officiellement appelé « Southeast Louisiana catastrophic hurricane plan », l’exercice Pam présentait l’avantage de n’avoir pas été élaboré de manière artificielle mais d’être un exercice de planification dans lesquels les responsables des premiers secours – policiers, pompiers, ambulanciers – devaient proposer une solution en fonction des moyens dont ils disposaient effectivement pour faire face à la crise. La réflexion sur l’ouragan Pam avait été provoquée par le passage de l’ouragan Georges qui avait frappé la côte du golfe du Mexique avec violence en septembre 1998. Tuant plus de 600 personnes, les dégâts provoqués par Georges auraient été encore plus meurtriers s’il n’avait pas dévié sa route au dernier moment, épargnant la Nouvelle-Orléans, initialement visée, dont l’évacuation avait été ordonnée en catastrophe et dans le plus grand désordre. Les responsables des services d’urgence de la Louisiane avaient alors pris conscience qu’ils n’étaient absolument pas prêts à faire face à un cyclone de légende, « Big one ». A cette occasion, Georges avait notamment souligné l’absence totale de coordination des secours et des responsables dans l’application des plans de catastrophe tandis que, pour sa part, le gouvernement fédéral ne disposait d’aucun plan d’intervention dans l’hypothèse d’une catastrophe majeure provoquée par un ouragan.
Joué à partir du 16 juillet 2004, pendant 8 jours, l’exercice Pam, suivi par de nombreux responsables du Pentagone, de la Garde nationale, des gardes-côte, des responsables des services d’urgence, simule l’inondation de la Nouvelle-Orléans, transformant la ville en une nouvelle Venise, tandis que 50 000 personnes cherchent refuge au Superdome et que 500 000 personnes se retrouvent sans abri. Seuls 65 % des habitants acceptent de quitter les zones menacées, étant habitués depuis toujours à voir les prédictions concernant les ouragans déjouées à la dernière minute, d’où un bilan catastrophique avec plus de 62 000 morts, dont 20 000 pour la seule Nouvelle-Orléans. Experts et responsables se répartissent alors en groupes de travail, chargés d’élaborer des réponses réalistes – en fonction des seuls moyens effectivement disponibles et mobilisables – aux problèmes posés. Ce travail n’est toutefois pas mené jusqu’au bout, la FEMA (Federal Emergency Management Agency), l’agence fédérale de gestion des situations d’urgence, multipliant les promesses et les engagements verbaux pour aider à résoudre des difficultés.
3.2 – L’absence de véritables leçons pratiques de l’exercice Pam
Davantage qu’une fin en soi, l’exercice Pam était censé constituer un premier dialogue, le début d’une discussion à prolonger sur la manière de faire face à un désastre dont presque personne ne douterait qu’il frapperait la Nouvelle-Orléans. Cependant, un certain nombre de problèmes soulevés lors de l’exercice n’ont pas été véritablement pris en compte par la suite : le retour des habitants dans la ville, l’hébergement provisoire des réfugiés, le prépositionnement de vivres par la FEMA en quantités suffisantes, le problème de l’évacuation des abris de réfugiés (dont le Superdome), la protection de la ville contre les pillards. En effet, les réunions de travail qui devaient se tenir au cours du 1er semestre 2005 sont annulées par la FEMA, qui excipe d’un manque d’argent, prétexte qui sert également à justifier l’annulation d’un deuxième exercice Pam, initialement prévu en août 2005…
En pratique, l’exercice Pam et les travaux des différents groupes d’experts débouche en janvier 2005 sur le Southeast Louisiana Catastrophic Hurricane Plan, qui constitue une première étape vers l’élaboration d’un plan global, destiné à être approuvé et appliqué par tous à tous les niveaux, fédéral, étatique et local. Ce plan a notamment permis d’améliorer les capacités d’évacuation par voie routière, contribuant au succès de l’évacuation de 1,2 million d’habitants dans les 48 heures précédant le raz-de-marée de Katrina.
Pour autant, les enseignements tirés de l’exercice Pam n’ont pas véritablement donné lieu à des mesures pratiques. Se reposant trop sur les promesses de prompts renforts fédéraux, l’Etat de la Louisiane laisse en jachère des problèmes qui méritaient un traitement approfondi dans la foulée de l’exercice Pam : les opérations de sauvetage, l’évaluation des dégâts, l’évacuation médicale, les abris provisoires, le déblaiement. Enfin, aucun centre de commandement unifié n’est mis en œuvre par l’Etat, contrairement aux recommandations de l’exercice Pam, ce qui se traduit, lors de la crise de Katrina, par d’importants problèmes de commandement et de contrôle.
L’exercice Pam avait pourtant clairement mis en évidence les risques liés à une inondation de la Nouvelle-Orléans après le passage d’un ouragan violent. Dans ses conclusions, le rapport de l’exercice soulignait les points suivants, qui font figure de prémonition du futur bilan de Katrina, un an plus tard :
« 300 000 personnes refuseraient vraisemblablement de quitter les lieux. 500 000 à 600 000 immeubles seraient détruits. Les lignes téléphoniques seraient inutilisables, 97 % de toutes les communications devenant impossibles. 175 000 personnes seraient blessées, 200 000 malades, plus de 60 000 seraient tuées. 1000 abris seraient nécessaires pour les réfugiés. Des bateaux et des hélicoptères seraient nécessaires pour procéder à des milliers de sauvetages parce que la plupart des habitants seraient cernés par les eaux (…)[17] »
Le vendredi 26 août 2005, les experts du National Weather Service, le service de météorologie des Etats-Unis, et du National Hurricane Center, le centre d’étude des ouragans, prennent conscience de la menace que représente l’ouragan Katrina, qui s’est formé deux jours plus tôt et qui depuis ne cesse de croître en intensité, faisant l’objet d’un reclassement régulier dans les catégories supérieures de l’échelle de Saffir-Simpson. 56 heures à l’avance, ils déterminent la trajectoire probable de l’ouragan Katrina qui se rapproche à vive allure de la côte des Etats-Unis et calculent que l’ouragan frappera la ville de la Nouvelle-Orléans qui, depuis 1969, a été épargnée[18].
Devant l’ampleur des conséquences potentielles d’une telle catastrophe, le directeur du NHC, Max Mayfield, prend l’initiative d’informer personnellement les plus hauts responsables à tous les niveaux de la situation qui s’annonce et dont nul, depuis les leçons de l’exercice Pam, ne peut ignorer les effets probables. Confrontées à la réalité d’une menace connue et dont les effets sont parfaitement identifiés, disposant d’un délai de 56 heures pour réagir, les autorités se montrent pourtant incapables de prendre les mesures qui s’imposent de manière à organiser l’évacuation de la population des futures zones sinistrées et à prépositionner les moyens fédéraux nécessaires pour faire face.
Cette « paralysie de l’initiative », comme le qualifiera ainsi le rapport d’enquête de la commission parlementaire, est le reflet de l’impréparation des autorités publiques à la gestion d’une crise majeure sur le sol des Etats-Unis, faute d’avoir su suffisamment prendre au sérieux la menace pourtant réelle des risques naturels, relégués à un rang secondaire après 2001 du fait de l’obsession antiterroriste qui caractérise à partir de moment l’administration Bush.
Dans un pays très attaché au fédéralisme, la gestion des crises a longtemps été l’apanage des seuls pouvoirs locaux. Par tradition, c’est d’abord aux maires des villes et surtout aux gouverneurs des Etats qu’il incombe de faire face aux risques naturels. A la fin des années 70, plusieurs grandes catastrophes convainquent toutefois l’administration fédérale de la nécessité de se doter d’un outil de gestion de crises, la Federal Emergency Management Agency[19] (FEMA).
Si, sous l’impulsion de plusieurs directeurs énergiques, la FEMA s’affirme rapidement comme un outil d’expertise en matière de gestion de crises, témoignant d’un savoir-faire incontestable, sa capacité opérationnelle est toutefois remise en cause par son absorption dans la nouvelle structure créée au lendemain des attentats du 11 septembre pour améliorer la sécurité des Etats-Unis : le Department of Homeland Security (DHS). Tout entier tourné vers la lutte contre la menace terroriste sous toutes ses formes, le nouveau ministère néglige ouvertement la prise en compte des risques naturels, réduisant les crédits de la FEMA, qui perd une partie importante de ses compétences et de son efficacité.
Lorsque l’ouragan Katrina frappe le sol des Etats-Unis le 29 août 2005, le DHS ne s’est donc absolument pas préparé à faire face à une telle situation. La situation est d’autant plus préoccupante que le nouveau ministère, trois ans après sa création, reste un chantier inachevé en pleine restructuration, confronté à d’importantes difficultés de commandement et de coordination qui obèrent significativement sa capacité opérationnelle.
1.1 – La prééminence des Etats et des pouvoirs locaux
Aux Etats-Unis, la gestion des catastrophes relève traditionnellement des attributions des gouverneurs et des pouvoirs locaux, qui bénéficient en cas de besoin du soutien de l’administration fédérale. Cette prééminence des gouverneurs et des pouvoirs locaux s’explique par leur connaissance approfondie des besoins spécifiques des citoyens et des territoires qu’ils administrent, qui les met à même d’évaluer rapidement et avec efficacité les actions nécessaires à mener, en se soutenant entre Etats si nécessaire. Le gouvernement fédéral ne joue en la matière qu’un rôle secondaire, se contentant de pourvoir aux besoins que les Etats et les gouvernements locaux ne sont pas en mesure de satisfaire, en veillant à respecter la souveraineté des Etats et à ne pas interférer avec les directives données par les gouverneurs.
Cette conception classique de la gestion des crises aux Etats-Unis est dans l’esprit du fédéralisme qui caractérise la nation américaine, la Constitution opérant un strict partage de tâches entre les Etats fédérés et le gouvernement fédéral. De fait, le pouvoir appartient d’abord aux Etats, dont la Constitution souligne l’égalité juridique, qui se dessaisissent d’une partie de leurs attributions au profit du gouvernement fédéral dans les domaines où ils considèrent que ce dernier est le mieux placé pour les exercer au nom de l’intérêt commun. En vertu de cette répartition des pouvoirs, le gouvernement fédéral est ainsi chargé d’assurer la défense, la politique des affaires étrangères et de veiller au commerce extérieur. En revanche, c’est aux Etats et aux gouvernements locaux qu’il revient de prendre en charge au premier chef les troubles civils et les atteintes à la sécurité publique.
1.2 – Pull system et push system
Si l’histoire des Etats-Unis a montré la nécessité d’une montée en puissance de l’intervention du gouvernement fédéral dans les catastrophes nationales, le Robert T. Stafford Disaster Relief and Emergency Assistance Act (Stafford Act), qui est depuis 1974 le support juridique majeur de toute intervention fédérale, réaffirme cette prééminence des Etats et des pouvoirs locaux sur le gouvernement fédéral. Selon les termes du Stafford Act, l’intervention fédérale ne peut se faire d’initiative mais seulement à la demande des gouverneurs des Etats frappés par une catastrophe dès lors qu’ils estiment qu’ils ne sont plus en mesure de faire face seuls à la crise (« pull system »). En pratique, ces demandes se font soit par anticipation, lorsque la gravité prévisible de la catastrophe rend certaine la nécessité d’une intervention fédérale, soit après la catastrophe, après une première estimation des dégâts. Il appartient alors au président de procéder à une déclaration d’état d’urgence ou de catastrophe majeure, qui permet à l’administration fédérale de fournir une aide aux Etats et aux populations touchées par une calamité publique, nommant un responsable fédéral, un Federal Coordinating Officer (FCO), chargé de coordonner la gestion des secours fédéraux. Depuis 1974, 38 catastrophes majeures sont déclarées chaque année, l’année 2004 constituant un record avec 68 déclarations présidentielles de catastrophes majeures et 7 d’état d’urgence[20].
Un tel dispositif, guidé par le principe de subsidiarité, est parfaitement adapté à la plupart des catastrophes de faible ou moyenne intensité qui se produisent chaque année aux Etats-Unis, permettant de monter progressivement en puissance le volume des moyens à engager en fonction de l’importance de la situation. Pour fonctionner correctement, il suppose cependant que les responsables locaux des premiers secours, les first responders, soient en mesure de gérer la phase initiale de la catastrophe le temps de bénéficier de renforcements de la part de l’administration fédérale. Cette procédure montre en revanche toutes ses limites dans le cas de catastrophes d’ampleur, comme Katrina :
. d’une part, l’ampleur des dégâts dès le début de la crise a été telle que les responsables locaux ont été paralysés, se montrant incapables de réagir et d’évaluer leurs besoins, subissant toute la phase initiale de la crise pendant les 5 premiers jours ;
. d’autre part, elle conduit à une certaine passivité de l’administration fédérale qui a attendu d’être saisie pour intervenir, perdant un temps précieux alors qu’une action de planification en amont des effets possibles aurait permis une action efficace dès le lundi 29 août, contribuant ainsi à limiter l’inondation de la Nouvelle-Orléans et les souffrances des victimes.
Ce problème avait été clairement identifié par les responsables fédéraux. Il est intéressant de noter que, renversant l’approche traditionnelle en matière de gestion de crises, le dernier plan fédéral destiné à coordonner la réponse globale en cas de catastrophe, le National Response Plan, approuvé au début de l’année 2005 par Georges Bush, permettait justement dans certaines circonstances à la réponse fédérale de se faire d’initiative (« push system »). Une annexe du NRP, la Catastrophic Incident Annex (CIA) prévoyait spécifiquement l’hypothèse que la gravité des dommages causés par une catastrophe soit telle que les premiers responsables des secours ainsi que les gouvernements locaux soient incapables de demander l’assistance fédérale dès les premiers instants, nécessitant une intervention d’initiative de l’administration fédérale.
L’ampleur de la catastrophe annoncée de Katrina justifiait largement le recours à une telle disposition pour légitimer l’intervention fédérale dès l’annonce de la menace de l’ouragan par les météorologues du National Weather Service. C’est au contraire la passivité qui a prévalu, laissant libre cours au drame qui se joue à partir du 29 août 2005.
2.1 – L’obsession antiterroriste et ses conséquences
Les attentats du 11 septembre 2001 mettent un terme au mythe de l’invulnérabilité du territoire des Etats-Unis, provoquant un traumatisme durable au sein de la population américaine. Dès lors, la lutte contre la menace terroriste devient une priorité nationale, reléguant toutes les autres menaces à un rang secondaire, voire négligeable[21].
Décidée en novembre 2002, la création du Department of Homeland Security (DHS) a d’abord pour vocation de prendre en compte cette menace et de remédier aux failles du dispositif de sécurité intérieure des Etats-Unis face à d’hypothétiques attentats terroristes[22]. Le DHS regroupe 22 agences fédérales, en totalité ou en partie, des Gardes-Côtes aux Douanes en passant par le Service Secret et la FEMA, formant un gigantesque ensemble de 180 000 employés qui représente la plus importante réorganisation de l’administration fédérale depuis la création du Département de la Défense (DOD) dans les années 40.
Si le DHS se présente comme un nouvel instrument de gestion de crises, censé favoriser une réponse globale, permettant de faire face avec succès à toute menace, il est clair qu’en réalité son seul souci est la lutte contre la menace terroriste, qui mobilise l’essentiel des énormes crédits dont est pourvu généreusement le nouveau ministère. C’est ainsi que désormais tous les exercices sont organisés selon des scénarios comprenant une menace terroriste, comme en témoignent les exercices TOPOFF[23], coûteux exercices de simulation de crises organisés au profit de hauts fonctionnaires fédéraux, qui mettent en scène tantôt les effets d’une explosion nucléaire à Seattle, tantôt une attaque biologique à Chicago, thème de l’exercice TOPOFF 2 en mai 2003. A contrario, les risques naturels ne constituent plus une priorité, constat qu’illustre la faiblesse du budget qui est consacré à leur prévention et leur prise en compte, qui ne représente que 100 millions de dollars sur un budget total de 31 milliards de dollars. Malgré la probabilité de la menace d’une inondation d’une ville majeure à la suite d’un ouragan géant, seuls quelques millions de dollars sont consacrés au financement d’un exercice étudiant l’inondation de la Nouvelle-Orléans, l’exercice Pam, tandis qu’un second exercice conçu sur le même thème, prévu pour l’été 2005, sera en définitive annulé faute de financement[24].
Cette obsession du DHS pour le terrorisme est dénoncée par de nombreux Etats, comme l’Alabama, dont les experts estiment alors qu’ils sont davantage concernés par des menaces naturelles : tornades, tremblements de terre, inondations, cyclones, ouragans qui frappent l’Etat avec régularité. En pratique, cette obsession conduit à systématiquement rejeter les demandes de subventions lorsqu’elles ne sont pas relatives à une mesure de lutte contre le terrorisme. Un an avant Katrina, la Nouvelle-Orléans se voit ainsi refuser une demande d’équipement de la police et des pompiers concernant l’achat d’une flotte de bateaux en aluminium à fond plat, pourtant destinés à permettre l’évacuation de populations prises au piège par les eaux, car cette demande ne permettait pas de contribuer à la lutte contre les menaces biologiques ou chimiques…[25]
2.2 – L’échec d’une tentative de réponse globale
Les attaques terroristes de septembre 2001 font prendre conscience au gouvernement fédéral de la nécessité d’adopter des mesures complémentaires pour assurer une coordination efficace avec les gouvernements locaux et étatiques et améliorer sa capacité à faire face aux situations d’urgence. En juillet 2002, dans la National Strategy for Homeland Security, le président Bush annonce ainsi l’élaboration d’un système national de gestion de crises et l’intégration des différents plans fédéraux dans un seul plan global prenant en compte tous les risques possibles, mission qu’il confie au nouveau Department of Homeland Security. Quelques mois plus tard, en février 2003, la Homeland Security Presidential Directive 5 (HSPD-5)[26] fixe les lignes d’action suivantes au Secrétaire à la Sécurité Intérieure :
. créer un système de gestion de crises national, un National Incident Management System (NIMS), destiné à fournir une approche de niveau national permettant aux gouvernements fédéral, étatiques et locaux de travailler ensemble de manière efficace afin de se préparer, de réagir et de gérer les conséquences des crises intérieures, quelles qu’en soient les causes, la taille ou la complexité ;
. élaborer et appliquer un National Response Plan (NRP), plan d’action national reposant sur le NIMS, fournissant structures et procédures nécessaires à une action politique nationale et à un engagement opérationnel de l’administration fédérale en soutien des responsables des systèmes de crises des Etats et des gouvernements locaux[27].
L’élaboration du NIMS n’a pas suscité de réelles difficultés, étant facilitée par l’existence préalable d’un système de commandement de crises, l’Incident Command System (ICS), mis au point notamment dans la lutte contre les grands incendies dans les Etats de l’Ouest et favorisant la coordination des responsables des secours des trois niveaux, fédéral, étatique et local. Approuvé en mars 2004, reprenant les principales dispositions de l’ICS, le NIMS établit des procédures et des protocoles opérationnels destinés à tous les responsables d’une crise, fournissant un cadre d’action commun et souple permettant aux gouvernements comme aux organisations privées de travailler ensemble pour gérer les crises intérieures de toute ampleur.
En revanche, l’élaboration du NRP s’est révélé une entreprise plus ardue. Ambitionnant d’être un plan d’action global établissant un seul et même cadre d’action pour la gestion de toutes les crises intérieures, quelle que soit leur ampleur, de leur prévention à la gestion de leurs conséquences, le but du NRP est de fournir les structures et les mécanismes pour assurer la coordination du soutien fédéral aux Etats et aux gouvernements locaux, en s’appuyant à cet effet sur le NIMS. Les rédacteurs du NRP ont été dès lors confrontés à une redoutable difficulté : concilier la nécessité d’accroître les pouvoirs de l’administration fédérale en matière de gestion de crise, gage de l’efficacité de la riposte dans le cas de crises majeures, et une exigence politique, le respect des prérogatives des Etats et des pouvoirs locaux dans un pays jalousement attaché à son fédéralisme. Une première version du plan fut d’ailleurs rejetée par les gouverneurs et les élus locaux en mai 2003, victime du reproche d’une trop grande ignorance du rôle des responsables locaux. Aussi, le NRP, tel qu’il est définitivement adopté en janvier 2005, est d’abord un document de compromis, qui fait la part belle aux prérogatives des Etats et des villes, continuant de s’inscrire dans l’esprit du Stafford Act[28], à l’exception d’une timide innovation prévoyant, dans le cas de catastrophes majeures, la faculté pour l’administration fédérale d’intervenir d’initiative. Toutefois, ces dispositions audacieuses et réalistes sont regroupées dans une des nombreuses annexes du NRP, la Catastrophic Incident Annex (CIA), dont le contenu est ignoré par la plupart des responsables des situations de crise, à commencer par le Secrétaire à la Sécurité Intérieure lui –même, Michaël Chertoff, comme il le reconnaîtra devant la commission d’enquête parlementaire.
Restant très en-deçà de l’objectif ambitieux qui lui avait été assigné par le président Bush, le NRP est un document lourd[29] et mal rédigé : animé d’un esprit bureaucratique et technocratique, il est difficilement applicable du fait de la confusion et de la complexité de ses dispositions[30], diluant toute unité de commandement à force de multiplier les protagonistes. Au sein de l’administration fédérale, le Secrétaire de la Sécurité Intérieure est le responsable fédéral principal chargé de gérer les crises domestiques. Il a la possibilité, prévue explicitement par le NRP, de déléguer ses pouvoirs à un représentant qui prend le titre de Principal Federal Official (PFO), mais dont les fonctions sont mal définies par rapport au Federal Coordination Officer (FCO), prévu par le Stafford Act. Au sein de l’état-major du DHS, le Homeland Security Operations Center (HSOC), centre des opérations de la sécurité intérieure, assure le partage de l’information, la planification opérationnelle et l’engagement des moyens fédéraux, en complément de l’action menée par la Federal Emergency Management Agency (FEMA) mais aussi le National Response Coordination Center (NRCC), un centre interministériel chargé de coordonner l’ensemble de la réaction fédérale pour les catastrophes d’importance nationale et la mise en œuvre des programmes de gestion de crise. Quand à la coordination de niveau stratégique et la résolution des problèmes de ressources non traités par le NRCC, elles sont prises en compte par une nouvelle instance, l’ Interagency Incident Management Group (IIMG), sorte de cellule interministérielle de crise. Cette multiplication des acteurs et des décideurs rallonge considérablement le processus de décision et est un obstacle majeur à une résolution rapide de la crise.
Censé fournir à tous un référentiel opérationnel commun pour permettre la participation d’acteurs de tous niveaux, publics ou privés, à la gestion d’une crise d’intensité variable, le NRP se révèle au contraire, en raison de sa complexité, un facteur de confusion supplémentaire pour les responsables. Adopté quelques mois avant Katrina, il est peu connu, au point que nombre de ses structures ne sont pas activées, comme l’IIMG, pourtant destiné à favoriser la prise des décisions majeures, ou que d’autres dispositions innovantes ne sont pas mises en œuvre, comme la Catastrophic Incident Annex, qui aurait pourtant permis une intervention proactive de l’administration fédérale. De surcroît, le NRP n’a jamais été testé dans sa globalité avant son application le 30 août 2005, à la suite de la crise de Katrina. Les autorités fédérales, étatiques et locales ont donc dû mettre en œuvre pour la première fois un plan dont elles maîtrisaient mal les dispositions, dont la complexité favorisait différentes interprétations, sans structure de commandement claire.
2.3 – Le DHS, une structure inachevée
La lourdeur du NRP est le reflet de la propre lourdeur du DHS, énorme conglomérat hétéroclite d’agences disparates qui, victime de sa taille et de sa diversité, ne dispose pas des structures adéquates pour pouvoir fonctionner de manière opérationnelle.
Nommé en février 2005 à la tête du DHS, Michaël Chertoff hérite d’un ministère confronté à de nombreux défis majeurs, objet de critiques sévères dénonçant son incapacité à traiter d’importantes carences au niveau de la sécurité du territoire et son défaut de leadership dans des domaines où il aurait dû être prééminent.
En décembre 2004, une étude menée conjointement par le CSIS[31] et la Heritage Foundation, un centre de recherche conservateur, évalue la capacité du DHS à remplir les objectifs qui lui avaient été assignés par le Homeland Security Act de 2002. 9 mois avant Katrina, les auteurs du rapport[32] mettent en avant l’impérieuse nécessité d’une restructuration majeure du DHS et soulignent les vulnérabilités suivantes :
. le poids de la bureaucratie, l’empilement de structures entre le Secrétaire et les différentes agences alourdissant considérablement le processus de décision au sein du DHS ;
. l’absence de culture commune d’un ministère partagé en deux camps - d’un côté, les hommes de loi, privilégiant le secret, le renseignement et la discrétion face aux attaques terroristes ; de l’autre, les pompiers, les responsables des services de secours et les spécialistes des crises, privilégiant la collaboration, le partage de l’information, et l’éducation des populations - ministère qui apparaît comme « une collection de composantes distinctes agissant sous un parapluie opérationnel commun », selon les conclusions du rapport de l’Inspecteur Général de la Sécurité Intérieure ;
. une division trop stricte des tâches entre le Département de la Défense (DOD) et le Département de la Sécurité Intérieure (DHS), le premier se tournant trop vers les seules menaces extérieures, le second trop vers les seules menaces intérieures : le rapport dénonce ce cloisonnement, plaidant pour une plus grande implication des armées dans le soutien aux opérations de sécurité intérieure ;
. l’erreur d’avoir dissocié la préparation de la gestion de crises et les opérations de gestion de crises elles-mêmes, autrefois confiées à une seule et même entité, la FEMA.
Reprenant les conclusions de ce rapport, complété par une étude interne qu’il fait réaliser au sein du DHS pour déterminer les restructurations optimales à envisager[33], Chertoff rend public, le 23 juillet 2005, un plan d’action, comprenant 6 mesures majeures, destiné à remédier aux carences du DHS. Toutefois, ce constat n’a pas le temps d’être suivi d’effets, la catastrophe de Katrina intervenant un mois après l’annonce des mesures décidées par Chertoff[34].
3.1 – La construction tardive d’un outil fédéral de gestion de crises
Si, dès 1802, l’incendie qui ravage Portsmouth montre la nécessité d’une intervention de l’administration fédérale lors des catastrophes majeures, le poids du fédéralisme aux Etats-Unis a contribué à retarder la mise sur pied d’une agence fédérale chargée d’assurer la gestion des situations d’urgence. Réclamée de longue date par les gouverneurs, qui souhaitaient disposer d’un seul interlocuteur au sein de l’administration fédérale, la création de la FEMA (Federal Emergency Management Agency), agence fédérale de gestion des situations d’urgence, n’intervient que le 31 mars 1979, à l’initiative du président Carter, à la suite de la polémique suscitée par la catastrophe nucléaire de Three Miles Island, qui a montré la nécessité d’une meilleure organisation des moyens fédéraux pour prendre en compte les risques naturels. Ayant pour mission « la coordination de la défense civile, la planification des moyens de secours et des exercices de secours, la gestion des catastrophes qu’elles soient d’origine naturelle ou provoquées par un attentat terroriste », la nouvelle agence vise à améliorer l’efficacité de la réponse fédérale lors de crises majeures tout en respectant la prééminence des responsables locaux.
Cependant, tout au long des années 80, sous le régime de l’administration Reagan, l’agence se détourne de cet objectif initial et se concentre prioritairement sur les menaces extérieures et les risques liés à la guerre froide, négligeant les risques naturels. A la fin des années 80, les ouragans Hugo et Andrew, catastrophes d’ampleur qui dévastent le sud des Etats-Unis, révèlent l’incapacité de la FEMA à assurer sa mission d’expertise en matière de gestion de crises[35]. 15 ans avant Katrina, le spectacle de survivants vivant dans les rues, fouillant dans les décombres pour trouver de l’eau et de la nourriture, suscite une vive polémique au sein de l’opinion publique et provoque une violente mise en cause de l’administration fédérale, taxée d’incompétence et d’inefficacité, contribuant à coûter sa réélection au président Bush lors des élections présidentielles de novembre 1992.
Directement mise en cause dans l’échec de l’administration fédérale, menacée de dissolution, la FEMA se réorganise complètement sous l’impulsion énergique de James Witt, qui la dirige de 1993 à 2001, la transformant en un véritable outil opérationnel. Abandonnant les opérations clandestines et les projets terroristes, l’agence met au point un modèle de gestion de crises, selon un cycle intégrant une phase de planification largement en amont de la catastrophe, le prépositionnement de moyens et de personnels dans les Etats susceptibles d’être frappés par une catastrophe, le renforcement de la collaboration des bureaux régionaux de la FEMA avec les Etats pour améliorer les capacités d’évacuation des populations, la suppression de la procédure traditionnelle consistant à attendre la saisine officielle de l’administration fédérale par les Etats pour pouvoir agir - selon la logique bureaucratique traditionnelle qui retardait considérablement l’action de la FEMA et donc son efficacité – et enfin, la création d’un centre de commandement des opérations de secours au sein de la FEMA.
En 8 ans, la FEMA gagne ses galons aux yeux de l’opinion publique, intervenant avec succès dans 370 catastrophes nationales[36].
3.2 – Affaiblissement et mise sous tutelle de la FEMA
L’arrivée au pouvoir de la nouvelle administration Bush marque le début du déclin de la FEMA qui se trouve pourtant alors au sommet de sa gloire, couverte de louanges par tous les élus et jouissant d’un formidable capital de sympathie. Ayant été élu à la présidence des Etats-Unis sur la promesse de réduire les impôts, Bush entend commencer par réduire les dépenses fédérales : or, aux yeux de la nouvelle administration, la FEMA est une agence coûteuse et dépensière, incarnation du populisme de l’ère Clinton, dont elle est bien décidée à réduire le budget en supprimant tous les programmes jugés inutiles. En 2001, les autorités de Washington proposent ainsi au Congrès une diminution de 20 % du budget de la FEMA, d’un montant initial de 2,5 milliards de dollars. 500 millions de dollars d’économies sont identifiées, dont notamment les subventions aux services d’incendie, d’un montant de 100 millions de dollars.
Toutefois, le véritable coup fatal porté à la FEMA tient à la décision de l’absorber à l’intérieur de la nouvelle superagence, chargée de regrouper l’ensemble des outils nécessaires pour combattre le fléau du terrorisme, le Department of Homeland Security. Perdant son lien direct avec le Président, qui était une clef de son efficacité, l’agence se retrouve à l’intérieur d’un conglomérat hétéroclite qui regroupe plus de 180 000 fonctionnaires et 22 agences très diverses, que ce soit la DEA (Drug Enforcement Administration), les Gardes-Côtes, les Douanes, le Secret Service, ou les services de l’Immigration, chapeautée par un Emergency Preparedness and Response Directorate, directoire chargé de la préparation et de la gestion des crises.
Ne bénéficiant que d’une faible audience au sein d’un ministère préoccupé par la seule lutte contre le terrorisme, la FEMA subit dès lors un net affaiblissement, qui se traduit par la réduction de son budget, la perte de son influence et d’une partie notable de ses prérogatives. Considérée comme une poule aux œufs d’or, l’agence est ainsi l’objet de coupes budgétaires régulières : tous les programmes non directement liés à la prévention de la menace terroriste sont sinon sacrifiés, à tout le moins systématiquement réduits. Ainsi, en 2003, le budget du fond de prévention des inondations est divisé par deux, de 20 à 10 millions de dollars, les sommes ainsi prélevées sur la FEMA servant à financer l’achat de produits estampillés du logo du DHS, destinés à faire connaître la nouvelle structure auprès de la population. Non seulement la FEMA voit ses crédits diminuer mais en outre elle n’est même pas consultée sur l’élaboration de nouveaux plans : les fonctionnaires du DHS exigent dans l’Iowa la création de zones tampons autour d’installations pétrochimiques, bâties au demeurant dans des zones inondables, la création de ces zones interdisant toute intervention des services de secours en cas d’inondation, sans que la FEMA ne soit même consultée lors de la prise de la décision. Quant aux prérogatives de la FEMA, elles sont réduites : en septembre 2003, le premier Secrétaire de la Sécurité Intérieure, Tom Ridge, retire à la FEMA la gestion des subventions des programmes de préparation opérationnelle au profit de l’ODP (Office for Domestic Preparedness), dissociant ainsi la préparation de la crise des opérations de gestion de crise, ce qui contribue encore davantage à affaiblir la FEMA.
Cependant, cette érosion de la FEMA n’est pas perceptible dans les faits. En 2004, seuls 4 ouragans importants sont recensés et un seul frappe un Etat, en occurrence la Floride, l’Etat le mieux préparé à la menace d’un ouragan parmi les Etats de la côte. Comme le disent les experts des catastrophes, « ce n’est pas la FEMA qui vient aider la Floride, c’est la Floride qui aide la FEMA ». Ayant tiré les leçons du passage de l’ouragan Andrew en 1992, la Floride dispose d’un dispositif efficace de prévention des crises. En outre, la Floride est dirigée par le propre frère du président, Jeb Bush. Se rappelant que l’ouragan Andrew avait coûté sa réélection à leur père, les deux frères engagent des moyens massifs pour faire face à la catastrophe dans un Etat particulièrement précieux pour l’élection présidentielle, la FEMA prenant en compte la seule question logistique, prépositionnant des quantités considérables d’eau, de nourriture et de glace et envoyant des quantités de caravanes pour fournir un logement provisoire à l’ensemble des sans-abris.
En pratique, près de 4 ans après l’élection de Georges W. Bush à la Maison-Blanche, la FEMA a perdu les savoir-faire et l’expertise qui en faisaient un atout majeur en matière de gestion de crises. De nombreux signaux d’alerte étaient apparus. Examinant l’action de la FEMA lors des ouragans ayant frappé la Floride en 2004, un rapport de l’inspecteur général de la Sécurité Intérieure démontre que les systèmes informatiques de la FEMA ne permettent pas de suivre le personnel, les matériels et les équipements envoyés dans la zone sinistrée. La FEMA, selon le rapport, ne disposait même pas des moyens de s’assurer que les moyens fédéraux étaient bien arrivés sur place. En mars 2005, ces faiblesses sont confirmées lors d’un audit de la FEMA mené par un cabinet de consultants privés, la Mitre Corporation. Effectué à la demande du directeur de la FEMA, Michaël Brown, le rapport de Mitre est impitoyable, décrivant une agence en morceaux, mal dirigée, ne disposant pas d’un état-major suffisamment étoffé ni d’un budget suffisant, concluant que la FEMA était désormais incapable de mener à bien sa mission principale, la gestion de crises civiles[37].
Quatre ans après les attentats du 11 septembre 2001, les promesses du président Bush qui entendait, avec la création du Department of Homeland Security, forger un outil opérationnel destiné à garantir la sécurité des Etats-Unis contre toutes les menaces, semblent donc bien illusoires.
Confronté à d’importantes difficultés de mise en œuvre, le nouveau ministère n’est toujours pas opérationnel au moment où survient la catastrophe de Katrina.
Bien plus, son obsession pour la lutte contre le terrorisme, reflet du traumatisme de la population américaine et de l’administration fédérale à la suite des attentats de 2001, conduit au sacrifice de l’outil fédéral de gestion de crises dont les Etats-Unis avaient enfin réussi à se doter. Discréditée dans un nouvel ensemble qui tient pour quantité négligeable la prise en compte des menaces naturelles, en dépit de la probabilité de leur occurrence, la FEMA n’est plus en mesure d’assurer les missions qui lui ont été assignées lors de sa création et par conséquent de contribuer à l’efficacité de la réponse fédérale en cas de crise.
En pleine restructuration, ne disposant pas de procédures opérationnelles simples et testées sur le terrain, n’ayant pas clarifié les importants problèmes de coordination que pose nécessairement la conduite d’une crise d’ampleur nationale, le Department of Homeland Security est totalement pris au dépourvu par la catastrophe de Katrina, devant être tenu pour directement responsable de la confusion et de la passivité qui caractérisent l’attitude de l’administration fédérale pendant les premiers jours de la crise.
Frappant la côte des Etats-Unis le lundi 29 août 2005, l’ouragan Katrina provoque la rapide neutralisation des autorités locales. Quant au gouvernement fédéral, il ne prend que tardivement la mesure de la situation, ne se décidant à intervenir qu’à partir du mardi 30 août, perdant 48 précieuses heures, ce qui contribue à accroître le chaos ambiant. Perturbée par la paralysie générale des communications, la réponse fédérale est confuse, révélant de nombreuses lacunes en termes de commandement et de coordination. Tandis que la FEMA fait la preuve de son impuissance et est rapidement discréditée, seule l’intervention de l’Armée permet de rétablir l’ordre et au gouvernement de reprendre en main la situation.
Conformément au principe de subsidiarité qui régit la gestion des crises aux Etats-Unis, c’est aux autorités locales qu’est revenue la préparation de l’arrivée de Katrina puis la prise des premières mesures d’urgence. Si celles-ci ont dans l’ensemble bien joué leur rôle en faisant procéder à l’évacuation des zones menacées par la catastrophe, à l’exception notable de la Nouvelle-Orléans, elles ont en revanche rapidement été débordées par l’ampleur de la catastrophe du fait de la neutralisation du système des communications et de la destruction de leurs systèmes de commandement.
1.1 – L’évacuation, une responsabilité locale
Aux Etats-Unis, l’évacuation des villes est une responsabilité qui appartient aux seules autorités municipales, prérogative à laquelle elles sont jalousement attachées et qui ne peut être exercée par des autorités supérieures[38].
A la suite de l’annonce de la menace de Katrina, dès le vendredi 26 août, par les responsables du National Weather Service et du National Hurricane Center, la plupart des maires font procéder à l’évacuation de force de leurs villes. Organisée de concert avec les gouverneurs des Etats[39], qui veillent à la régulation de la circulation sur les grands axes routiers afin d’assurer la fluidité des flots d’évacuation, cette opération est bien exécutée dans l’Alabama, le Mississipi et la majeure partie de la Louisiane, où 1,2 millions d’habitants quittent l’Etat, ce qui constitue la plus grande opération d’évacuation de son histoire.
La situation est toute autre à la Nouvelle-Orléans du fait des velléités de son maire, Ray Nagin[40], qui tarde à imposer l’évacuation obligatoire de la ville, préférant dans un premier temps appeler à une simple évacuation volontaire, qui n’est qu’imparfaitement effectuée. Stimulé par le gouverneur de l’Etat de Louisiane, Kathleen Blanco, et par le directeur du National Hurricane Center, Max Mayfield, qui l’appelle personnellement pour lui décrire les dangers qui menacent sa ville, l’édile finit par donner cet ordre d’évacuation le dimanche 28 août, soit 24 heures avant que Katrina ne vienne ravager la Nouvelle-Orléans. Cependant, cet ordre est mal exécuté. Tout d’abord, Nagin n’organise pas l’évacuation des plus pauvres, incapables de partir faute de moyens de locomotion ou d’argent pour financer leur transport[41], et se contente de les inviter à se regrouper dans un « abri de la dernière chance », le Superdome, complexe sportif qui n’a pas été conçu pour abriter pendant plusieurs jours une foule de réfugiés et qui n’a pas été approvisionné en vivres et en boissons de manière suffisante pour assurer le soutien de cette foule[42]. Par ailleurs, Nagin refuse de faire procéder à l’évacuation de force des milliers d’habitants qui n’obéissent pas à l’ordre d’exécution, convaincus que l’ouragan épargnerait au dernier moment leur ville[43]. Enfin, il prend une troisième décision, tout aussi lourde de conséquences, en ne faisant pas procéder à l’évacuation des hôpitaux, des maisons de retraite et des hôtels.
Tranchant avec le comportement responsable de la plupart des autorités locales lors de la préparation de l’arrivée de Katrina, Nagin porte ainsi une lourde part de responsabilité dans le désastre qui frappe sa ville[44]. Son indécision conduit à maintenir dans la Nouvelle-Orléans plus de 70 000 personnes, qui sont les premières victimes du drame qui se joue à partir de l’inondation de la ville le 29 août 2005, survivant dans des conditions dramatiques au piège des eaux, obligeant les autorités à monter en urgence une opération de sauvetage qui révèle la vulnérabilité du dispositif fédéral de gestion de crises dans de telles circonstances.
1.2 – La paralysie des autorités municipales
A l’aube du lundi 29 août 2005, l’ouragan Katrina frappe les Etats côtiers du golfe du Mexique, ravageant sur son passage la Louisiane, le Mississipi et l’Alabama, ce dernier étant toutefois relativement épargné par la fureur de l’ouragan.
Aux vents tourbillonnants d’une force supérieure à 220 km/h, qui arrachent tout sur leur passage, s’ajoute un raz-de-marée qui recouvre une partie des Etats côtiers sous une vague de plus de 7 mètres de haut, submergeant notamment les digues qui protègent la Nouvelle-Orléans et qui sont détruites en plusieurs endroits, provoquant l’inondation de la ville en quelques heures, les trois quarts des quartiers de la Nouvelle-Orléans étant recouverts par les eaux au soir du désastre.
L’ouragan entraîne une gigantesque paralysie des moyens de communications. La plupart des centres de communication et des relais téléphoniques sont détruits : ainsi, à compter du 29 août, 3 millions de lignes téléphoniques cessent de fonctionner dans les trois Etats côtiers ravagés par Katrina[45].
Par ailleurs, dans le Mississipi comme en Louisiane, la plupart des centres de commandement locaux sont mis hors service, étant détruits ou inondés. Dans la Nouvelle-Orléans, l’inondation anéantit toute capacité de commandement : l’hôtel de ville, les centres de commandement de la police, des pompiers, de la Garde Nationale sont envahis par les eaux. Pendant toute la phase initiale de la crise, les responsables de ces services perdent tout contact avec leurs personnels mais aussi avec les responsables des niveaux fédéral et étatique. Les responsables locaux sont totalement dépassés par l’ampleur de la catastrophe, ne disposant plus pour la majorité d’entre eux de capacités de communication comme de commandement. Le maire de la Nouvelle-Orléans, Ray Nagin, est la meilleure illustration de cette situation : réfugié dans son hôtel de ville pendant les 5 premiers jours, il ne contrôle plus aucun de ses services, à commencer par sa police, qui s’est littéralement volatilisée. Si un PC provisoire est reconstitué au Superdome, réunissant des responsables de la police et de la Garde Nationale, il n’y a aucun commandement unifié et aucune structure pour regrouper les demandes, les classer par ordre de priorité et les adresser à l’échelon supérieur.
La plupart des élus locaux du Mississipi et de la Louisiane perdent ainsi toute capacité de communiquer pendant plusieurs jours. Dans le Mississipi, les seuls moyens de communication sont les téléphones satellites et les radios, jusqu’à l’épuisement des batteries. En Louisiane, alors que l’Etat et les municipalités tenaient des vidéoconférences quotidiennes pour coordonner leur action et faire un point de situation pendant la préparation de la crise, aucune vidéoconférence n’est possible à partir du lundi 29 août et ce jusqu’au vendredi 9 septembre, soit 11 jours plus tard, où, même à ce moment, plusieurs participants éprouvent encore des difficultés à téléphoner[46].
Dès les premières heures de la catastrophe, la destruction du système de communications comme des structures de commandement locales aboutit à la neutralisation de fait des autorités locales, qui ne sont plus en mesure de pouvoir gérer à leur niveau les premières mesures d’urgence ni de pouvoir solliciter des renforts.
1.3 – Des Etats dépassés par l’ampleur de la catastrophe
L’ampleur de la catastrophe prend au dépourvu les gouverneurs des trois Etats, dont les capacités sont insuffisantes pour faire face à l’ensemble des demandes[47]. Si les structures de commandement étatiques sont davantage préservées par l’ouragan, l’importance de ce dernier et différents facteurs opérationnels ont un fort impact sur l’unité de commandement.
En Louisiane, les responsables du centre des opérations de Baton Rouge ne sont pas préparés à gérer une catastrophe de l’ampleur de Katrina. Ils manquent ainsi de personnels qualifiés, ne disposant que de 40 personnels correctement formés, soit deux équipes de 20 personnels se relayant toutes les douze heures, ce qui est insuffisant pour leur permettre de diriger un grand nombre d’opérations de secours[48]. De même, le système informatique se révèle sous-dimensionné pour traiter le flot d’informations et de demandes, devant en toute urgence être renforcé par deux nouveaux serveurs à cet effet. Par ailleurs, il n’y a aucune unité de commandement au centre des opérations dont les responsables ne se soucient que de l’évacuation, laissant de côté d’autres aspects de la crise tout aussi critiques et qui nécessitent une collaboration étroite avec le groupe de planification fédéral (sauvetage, évaluation des dégâts, évacuation sanitaire, abris temporaires, déblaiement). De ce fait, lorsque le raz-de-marée se produit, les responsables étatiques n’ont aucune idée des mesures à prendre dans les premières heures et continuent de se focaliser sur les survivants, perdant du temps à organiser les opérations de secours sans engager la phase suivante. Ils sont rapidement dépassés par le nombre considérable de demandes d’aide du fait de la taille de Katrina et de l’importance des dégâts causés, à commencer par l’inondation de la Nouvelle-Orléans.
2.1 – La lente compréhension de l’ampleur réelle de la catastrophe de Katrina
Informés, le vendredi 26 août, de la menace de Katrina, les responsables fédéraux ne prennent pas la menace au sérieux. Bien que l’exercice Pam ne se soit déroulé que quelques mois plus tôt, ses enseignements ont été rapidement oubliés, au point qu’il faut près d’une journée aux fonctionnaires du DHS pour retrouver un exemplaire du rapport Pam. En outre, les principaux responsables sont en vacances[49] : Georges Bush prend alors son mois de vacances annuel dans son ranch du Texas, Dick Cheney est dans le Montana, le chef d’état-major de la Maison Blanche, Andrew Card, se trouve dans le Maine. Quant au conseiller de la Maison Blanche chargé des questions de sécurité intérieure, Kenneth Rapuano, c’est un spécialiste des armes de destruction massive et de la prolifération nucléaire mais qui ne connaît rien aux risques naturels. Le suivi des premières mesures concernant la prévention des effets de Katrina se fait donc par des vidéoconférences, où les responsables fédéraux ne semblent guère s’émouvoir des propos alarmistes du directeur du NHC[50] ni des rapports inquiétants de la FEMA. Katrina est traitée comme une catastrophe naturelle normale, dont la gestion est laissée à la diligence des autorités locales, conformément aux dispositions du National Response Plan, l’action fédérale se bornant à la prise en charge du coût financier des opérations de secours.
Lorsque Katrina frappe les Etats côtiers, le lundi 29 août, la disparition quasi-totale de toutes les communications régionales qui s’ensuit empêche la compréhension de la réalité de la situation par l’administration fédérale. L’inondation de la Nouvelle-Orléans n’est ainsi pas analysée correctement : persuadés que les digues ont été simplement recouvertes par le raz-de-marée créé par Katrina et ont tenu bon, les responsables de Washington sont convaincus que le gros de la catastrophe est passé et par conséquent que les autorités locales et étatiques ont la situation en main. A leur décharge, ce sentiment est partagé par les autorités étatiques elles-mêmes, le gouverneur de la Louisiane assurant lors de la vidéoconférence qui se tient le jour de la catastrophe avec tous les plus hauts responsables fédéraux que les digues ont résisté[51]. Cette erreur majeure explique la passivité initiale de l’administration fédérale.
Pourtant, dès le début de la catastrophe, plusieurs informations alarmantes sont adressées tant au gouverneur de la Louisiane qu’à Washington pour dénoncer l’existence de brèches dans le système des digues à la suite de l’impact de Katrina, qui entraînent à partir de ce moment l’inondation continue de la Nouvelle-Orléans par les eaux du lac Pontchartrain. La gravité de la situation est telle qu’elle exige une intervention rapide de l’administration fédérale pour éviter une aggravation des dégâts et des victimes. Cependant, bien que cette alerte soit rapidement transmise, le centre des opérations du DHS, le HSOC[52], chargé d’élaborer une vue d’ensemble de la situation au profit des autorités fédérales, refuse d’en tenir compte jusqu’au mardi 30 août et s’obstine pendant les premières 24 heures à fournir des informations faussement rassurantes au président et à son entourage.
Ce n’est que 30 heures après le début de la crise, le mardi 30 août dans l’après-midi, qu’un rapport détaillé évaluant les premiers dégâts rend enfin véritablement compte du drame qui se joue sur les rives du Mississipi, décidant le Secrétaire de la Sécurité Intérieure, Michael Chertoff, à déclarer Katrina « catastrophe d’importance nationale » et à mettre en œuvre le National Response Plan, qui sert de cadre d’action à l’intervention fédérale.
2.2 – Une intervention impuissante à remédier à la confusion ambiante
L’intervention de l’administration fédérale, qui s’inscrit en renfort des moyens déjà déployés par les gouverneurs et les maires des trois Etats concernés, se fait dans un contexte profondément dégradé, où la paralysie générale des moyens de communications dans la zone du sinistre perturbe tant la compréhension de la situation que la coordination des opérations de secours, d’autant qu’aucune structure de commandement commune n’est mise en place au cours de la première phase de la gestion de la crise.
2.2.1 – Paralysie des communications et absence de vision de la situation
Le premier problème qui se pose aux autorités fédérales est de remédier à la destruction ou à la mise hors service de l’essentiel des moyens de communications dans toute la région sinistrée par l’ouragan Katrina, panne générale qui provoque un intense sentiment de confusion parmi les responsables de la gestion de la crise, qui ne disposent pas de ce fait d’une vision d’ensemble de la situation sur le terrain.
Faute de moyens de communications, les unités engagées ne peuvent ni communiquer entre elles, ni rendre compte aux autorités de la situation à laquelle elles sont confrontées. C’est ainsi que pendant les premières 48 heures de la crise, les unités de la Garde Nationale du Mississipi agissent d’initiative, ne disposant plus que d’un réseau d’appareils portatifs qui ne leur permet pas de communiquer avec leur commandement.
L’incapacité dans laquelle se trouvent les autorités de donner des ordres à leurs troupes provoque une grande confusion dans le déroulement des opérations de secours qui constituent la priorité majeure aux premières heures de la crise. En Louisiane, l’évacuation des habitants réfugiés sur leurs toits se fait de manière anarchique, sans plan de ratissage de la ville, dont certains quartiers sont visités plusieurs fois tandis que d’autres attendront plusieurs jours avant de voir arriver une première équipe de sauvetage[53]. Les personnes évacuées ne sont pas regroupées au même endroit mais sont tantôt déposées au Superdome, contribuant ainsi à aggraver la détérioration des conditions de vie des personnes qui s’y trouvent déjà, tantôt déposées dans les endroits secs de la ville, sans qu’aucun recensement des identités des personnes évacuées ni des lieux de regroupement ne soit effectué.
Bien que disposant de la première armée du monde et du premier réseau de satellites du monde, l’administration fédérale se révèle incapable de savoir ce qui se passe dans la ville de la Nouvelle-Orléans, pourtant située sur le propre sol des Etats-Unis. Ainsi, les autorités mettent plusieurs jours à découvrir l’existence d’un regroupement spontané de plusieurs milliers d’habitants dans le Convention Center de la Nouvelle-Orléans, ces derniers étant confrontés à des conditions de survie particulièrement éprouvantes dans un centre dépourvu d’électricité et donc d’air conditionné alors que la température est étouffante, sans approvisionnement en eau ni en vivres[54].
L’erreur majeure des autorités fédérales est de ne pas s’attacher à rétablir rapidement un réseau de communications de fortune, qui leur aurait permis de reprendre la situation en main, de disposer d’une information exacte sur les problèmes à traiter et ainsi de pouvoir coordonner l’action des différents services. Elles en avaient la possibilité, la FEMA possédant à cet effet plusieurs centres de communications mobiles, les véhicules MERS[55], spécialement conçus pour être employés en situation de crise mais qui ne sont pas utilisés, sur décision de Michael Brown, de peur d’abîmer des équipements électroniques jugés trop sensibles. De même, un autre centre de communication mobile, appelé Octobre Rouge, pourtant déjà prépositionné au nord de la Louisiane, à Shreveport, ne réussit pas à être envoyé à la Nouvelle-Orléans, le camion lui servant à se déplacer se révélant trop gros pour circuler sur les routes menant à la ville louisianaise.
Dès lors, à l’instar des autres autorités, les autorités fédérales sont la proie des rumeurs, amplifiées par les médias qui se saisissent des moindres faits, réels ou imaginaires, concernant la dégradation de la situation à la Nouvelle-Orléans. A l’image de l’opinion publique, les autorités sont incapables de démêler la part du faux et du vrai dans les nombreux récits dépeignant l’accroissement du climat de violence dans une ville laissée à l’abandon par des pouvoirs publics incapables de gérer la crise. Ces rumeurs[56] en viennent à constituer un frein à la gestion des opérations de secours : de nombreux chauffeurs chargés de convoyer des approvisionnements au profit de la Nouvelle-Orléans exigent une escorte militaire pour assurer leur sécurité, des villes refusent d’envoyer des pompiers dans la Nouvelle-Orléans. Quant à la Garde Nationale, elle tarde à intervenir au Superdome pour rétablir l’ordre, attendant l’envoi de renforts pour se trouver en « nombre suffisant », n’agissant de ce fait qu’au bout de 100 heures, le 1er septembre[57], ne découvrant en lieu et place des supposés rebelles que des gens affamés et épuisés…
2.2.2 - L’absence d’unité de commandement
Confrontées à un important problème de communication, les autorités fédérales échouent par ailleurs à mettre en œuvre une chaîne de commandement unique, gage pourtant indispensable de réussite et d’efficacité dans un contexte aussi confus et dégradé que celui de Katrina. Si le schéma théorique du NIMS – National Incident Management System – était censé servir de cadre d’action commun à l’ensemble des responsables de la crise, quel que soit leur niveau d’intervention, c’est une réalité toute autre qui apparaît sur le terrain.
De fait, la mise en oeuvre du NRP révèle la confusion régnant entre deux notions voisines, celle de « Federal Coordinating Officer » (FCO) et celle de « Principal Federal Officer » (PFO), problème qui avait déjà été souligné lors de l’exercice TOPOFF 3, en avril 2005. D’après la doctrine, c’est au FCO qu’il revient de coordonner toutes les opérations fédérales, étant le seul à pouvoir engager des fonds fédéraux : nommé par le président, porteur d’une lettre de mission revêtue du sceau présidentiel, il a en théorie les pleins pouvoirs pour mobiliser l’administration fédérale afin de faire face à une catastrophe. Toutefois, lors de Katrina, le rôle du FCO est largement éclipsé par le PFO. Fort de son statut de représentant du Secrétaire de la Sécurité Intérieure, le premier PFO, Michael Brown, directeur de la FEMA, nommé par Chertoff le 30 août 2005, joue un rôle opérationnel, contournant l’action menée par le FCO, agissant de son côté, en liaison directe avec le gouverneur de la Louisiane et le maire de la Nouvelle-Orléans. Le remplaçant de Brown, l’amiral Thad Allen, commandant en chef des Coast Guards[58], installe pour sa part un commandement séparé à la Nouvelle-Orléans, à l’écart du FCO et du Joint Field Office, pourtant prévu par le NRP comme le centre de commandement commun de la crise pour l’ensemble des autorités fédérales. Par la suite, le cumul par Thad Allen des fonctions de FCO et de PFO montre la vacuité de la distinction entre les deux notions, source de davantage de confusion que d’une réelle efficacité sur le terrain.
A cette chaîne de commandement civile, il faut ajouter deux chaînes de commandement militaires. La première concerne la Garde Nationale, renforcée par des unités venues de l’ensemble des Etats-Unis conformément aux accords d’entraide interétatiques, dont le gouverneur Blanco refuse, pour la Louisiane, de céder le commandement au président Bush. La seconde concerne la force interarmées mise sur pied pour faire face à la crise de Katrina, la Joint Task Force Katrina, dont le commandant, le général Honoré, agit également indépendamment du Joint Field Office et du FCO. Ayant installé son poste de commandement sur un navire de guerre américain, l’USS Iwo Jima, amarré au port de la Nouvelle-Orléans, il reçoit directement les demandes des municipalités alors que les dispositions du NRP prévoyaient que toute demande devait suivre une procédure stricte comportant un examen préalable par l’Etat, puis par le FCO de la FEMA, avant d’être adressée pour action au Département de la Défense.
2.2.3 – Le difficile sauvetage des survivants de la Nouvelle-Orléans, illustration des difficultés du gouvernement fédéral
L’absence d’un commandement efficace et son impact sur l’unicité de la chaîne de commandement dégradent les efforts de secours, les problèmes de coordination étant par ailleurs exacerbés par les problèmes rencontrés individuellement par les gouvernements à tous les niveaux – locaux, étatiques, fédéral.
L’évacuation du Superdome est l’exemple le plus clair de cette inefficacité et de cette absence de coordination, qui ont contribué à retarder l’engagement de moyens de secours pourtant particulièrement urgents. Dès le lendemain du raz-de-marée qui inonde la Nouvelle-Orléans, constatant la nette détérioration des conditions de vie des 25 000 réfugiés qui s’entassent dans le Superdome, le représentant de la FEMA sur place, Phillip Parr, élabore un plan d’évacuation avec la Garde Nationale de la Louisiane, comportant l’emploi de plusieurs hélicoptères Chinook et Blackhawk. Ce plan est prêt dès le mercredi 31 août matin, un délai de trente heures semblant nécessaire pour effectuer l’ensemble de l’évacuation. Cependant, Parr ignore que, dans le même temps, le gouverneur Blanco a demandé l’aide de l’Armée, sans même d’ailleurs en faire part à la FEMA. C’est ainsi que le plan proposé par Parr n’est pas mis en application, la Joint Task Force placée sous les ordres du général Honoré élaborant à son tour son propre plan d’évacuation, comportant également l’emploi de moyens aériens, mais qui n’est exécuté que le samedi 2 septembre, soit 72 heures plus tard[59].
3.1 – L’incapacité de la FEMA à faire face à la catastrophe
La gestion désastreuse de la crise provoquée par l’ouragan Katrina fait de la FEMA le symbole de l’impuissance de l’administration fédérale.
3.1.1 – Une préparation insuffisante à la catastrophe
Si la FEMA prend au sérieux la menace que représente Katrina dès qu’elle a connaissance des éléments fournis par le service de météorologie le vendredi 26 août, elle se prépare de manière insuffisante à affronter la crise qui s’annonce, faute d’avoir su tirer les enseignements appropriés de l’exercice Pam.
Commençant à entreposer des réserves de nourriture et de médicaments à proximité de la zone supposée de la catastrophe, les équipes de la FEMA choisissent des lieux souvent trop éloignés, qui se trouvent au mieux à trois heures de route de la Nouvelle-Orléans, comme le camp Beauregard, situé au centre de la Louisiane, au pire à dix heures de route, comme Jacksonville (Floride) ou Denton (Texas). En outre, le volume de ces réserves est insuffisant pour faire face à un ouragan de la catégorie de Pam : ainsi, alors que les besoins étaient évalués pour la seule Louisiane à 69 camions d’eau, 69 camions de glace et 34 camions de nourriture, seuls 30 camions d’eau, 17 camions de glace et 15 camions de nourriture sont acheminés avant le dimanche 28 août. A ces problèmes de vivres s’ajoute le problème des générateurs : seuls 50 ont été regroupés alors que le rapport tiré de l’exercice Pam expliquait qu’un minimum de 100 était indispensable pour faire face à la probable coupure de courant qui suivrait l’impact de Katrina. Quant au problème de l’évacuation des habitants, il est totalement négligé par la FEMA, qui se repose sur les seules autorités locales pour gérer ce problème alors que la loi lui permet de réquisitionner les bus du ministère des Transports[60].
3.1.2 – Le discrédit rapide de la FEMA,, multipliant des promesses qu’elle s’avère incapable de tenir
Cette erreur de préparation initiale sera lourdement reprochée à la FEMA qui s’avère par la suite incapable d’assurer le soutien logistique de la crise et de satisfaire aux nombreuses demandes qui lui sont faites pendant la phase initiale de Katrina. De manière générale, l’agence se discrédite rapidement en multipliant des promesses qu’elle se montre ensuite incapable de tenir.
L’exemple des bus est significatif de cette situation. A la demande du gouverneur Blanco, le directeur de la FEMA, Michael Brown, adresse, le mercredi 31 août, une demande de réquisition de 455 bus au ministère des Transports pour pouvoir procéder à l’évacuation des 25 000 personnes qui se trouvent au Superdome. Faisant la navette entre les services fédéraux et les services de l’Etat de la Louisiane avant d’être validée au bout de plusieurs heures, cette demande est traitée tardivement par le ministère des Transports qui tarde de surcroît à la satisfaire, étant confronté au problème de la dispersion des bus à réquisitionner, dont certains se trouvent à plusieurs milliers de miles de la Nouvelle-Orléans. Cependant, en l’absence d’explications, l’incapacité de la FEMA à tenir sa promesse dans un contexte nécessitant une réponse urgente contribue à son discrédit, provoquant la rage des responsables locaux qui attendent près de trois jours avant de voir arriver les premiers bus[61].
Ce problème des bus est vivement reproché à la FEMA, tout comme le manque de nourriture et d’eau dont souffrent tous les Etats. Dans le Mississipi, des bagarres éclatent entre les survivants pour s’approprier des réserves de nourriture entreposées lors d’un ouragan précédent. Le commandant de la Garde Nationale de l’Etat, le général Cross, demande alors à la FEMA d’intervenir pour apporter des vivres supplémentaires. Devant l’incapacité de l’agence à réagir rapidement, il s’adresse directement au commandement militaire géographiquement compétent pour le territoire des Etats-Unis, Northcom : le lendemain, des rations sont livrées en quantité. Ce scénario se répète dans d’autres lieux, de nombreux responsables tout au long de la côte cessant de s’adresser à la FEMA et préférant solliciter soit l’Armée, soit les Etats voisins. La Floride vient ainsi en aide au Mississipi, envoyant d’initiative des équipes de secours, organisant une chaîne d’alimentation qui inclut la Garde Nationale, de la nourriture, de l’eau, des médicaments, des moyens de communication et 6000 volontaires qui affluent depuis l’ensemble de l’Etat. Le 31 août 2005, deux jours après la catastrophe de Katrina, le directeur des services de secours de la Floride réussit ainsi à ouvrir un centre logistique – comprenant équipes de sauvetage, eau, nourriture, affaires de puériculture – dans la ville dévastée de Gulfport alors que la FEMA tente encore d’y envoyer une simple équipe médicale. Pour la Louisiane, c’est le Texas qui intervient, mettant en œuvre 47 abris et préparant l’Astrodome de Houston à accueillir un flot de réfugiés du Superdome. L’Etat envoie ainsi 10 hélicoptères, un centre de communications téléphoniques par satellite, 50 ambulances, 135 docteurs et infirmières, 300 policiers militaires[62].
Par ailleurs, la FEMA s’avère incapable de remédier à la paralysie quasi-générale des moyens de communications qui perturbe profondément la gestion des premières opérations de secours. Au lieu d’envoyer un camion MERS à la Nouvelle-Orléans pour rétablir les moyens de communications locaux, celui-ci reste inactif à Baton Rouge. Ce n’est que le vendredi 2 septembre, après la visite du président Bush à la Nouvelle-Orléans, que la FEMA envoie enfin son centre de communications mobile, « Octobre Rouge », à la Nouvelle-Orléans, fournissant au maire et aux responsables locaux les moyens de communications qui leur ont tant fait défaut au cours des quatre premiers jours de la crise.
Non seulement la FEMA est incapable de tenir ses promesses, mais elle est également incapable de suivre l’état de ses demandes. En pratique, elle ne contrôle rien. Effectuant un nombre considérable de commandes, dont 45 000 mobile homes, 400 téléphones et 2 millions de repas, qui sont donc en cours d’acheminement, l’agence ne dispose d’aucun moyen de suivi de leur exécution.
3.1.3 – Le symbole de la faillite de l’administration fédérale
Incapable de faire face à l’ensemble des demandes, la FEMA fait l’objet de critiques de toutes parts, son impuissance devenant le symbole de la faillite de l’administration fédérale.
Déjà lourdement discréditée en raison de son incapacité à satisfaire les demandes d’approvisionnement, la FEMA subit un nouveau coup dur en échouant à gérer convenablement le problème des morts de Katrina, dont le bilan est particulièrement meurtrier, avec plus de 1300 morts, dont 1100 pour la Louisiane et 200 pour le Mississipi. Cette charge, qui incombe en temps normal aux autorités locales, revient pour la circonstance à la FEMA, toutes les structures locales se trouvant sous les eaux. En théorie, l’agence est bien préparée à prendre en compte cette mission, disposant d’équipes spécialisées à cet effet, les DMORT[63], qui sont rapidement envoyées sur place, mais bute sur le problème de l’installation d’une morgue temporaire. La FEMA met plus de 10 jours à installer cette morgue, délai pendant lequel des centaines de cadavres pourrissent dans les rues, aux yeux et au su de tous, à commencer par les médias qui commentent durement cette nouvelle carence de l’agence fédérale[64].
Pressée de toutes parts, la FEMA multiplie les projets qui n’aboutissent pas, attisant la colère populaire. Pour reloger le million de personnes qui ont quitté la zone de la catastrophe, la FEMA promet l’envoi de 300 000 caravanes et maisons temporaires : devant le caractère irréaliste de cette promesse qu’une étude de la Maison Blanche estime ne pouvoir être satisfaite avant un délai de 3 ans et demi[65], l’agence envisage l’envoi de navires de croisière pour servir d’abri temporaire aux réfugiés et aux personnels des services de secours, projet qui finit par échouer. Un projet d’assistance financière aux personnes évacuées tourne également à la confusion : la FEMA propose, le 8 septembre, de distribuer 320 000 cartes de crédits[66] aux réfugiés, dont un nombre important se trouve encore à Houston. Faute d’avoir suffisamment réfléchi à la manière de distribuer les cartes, la mise en œuvre de cette mesure manque de provoquer une émeute, obligeant la police à intervenir précipitamment. Deux jours plus tard, le projet est annulé par la FEMA.
Pour compenser l’inaction de la FEMA et son incapacité à assurer les approvisionnements demandés, un accord informel est même trouvé avec la chaîne Wal-Mart, dont les magasins sont utilisés par les unités de la Garde Nationale et les responsables des services de secours comme entrepôts de substitution. La puissance de la chaîne logistique de Wal-Mart lui permet en effet de satisfaire toutes les demandes, fournissant en abondance eau, nourriture, piles mais aussi des pneus pour les véhicules des services de secours, des groupes électrogènes ou des chaînes de scie. Ce système improvisé permet ainsi à Wal-Mart de remplacer la FEMA, à la satisfaction générale[67].
Le 12 septembre 2005, le renvoi de Michael Brown, directeur de la FEMA, marque la volonté du président Bush de dédouaner l’administration fédérale des reproches qui lui sont faits en faisant porter le chapeau à Brown et implicitement à la FEMA.
3.2 – L’Armée, nouvel acteur majeur de la gestion de crises intérieures
Contrairement à l’attitude confuse de la FEMA, l’intervention de la Garde Nationale et de l’Armée se révèle décisive pour favoriser la reprise en main de la situation à la faveur de la plus importante opération militaire sur le territoire des Etats-Unis depuis la guerre de Sécession[68], en dépit d’un problème majeur de coordination qui a gêné l’efficacité de leur contribution.
3.2.1 – Souplesse et rapidité de l’engagement de la Garde Nationale
Par la rapidité de son intervention et la diversité des missions qu’elle a assumées tout au long de la catastrophe, la Garde Nationale a joué un rôle décisif dans la résolution de la grave crise de sécurité intérieure créée par Katrina.
Tranchant avec la passivité générale qui caractérise le comportement de l’administration fédérale aux premières heures de la catastrophe, le bureau de la Garde Nationale s’emploie au contraire avec énergie à favoriser un engagement rapide des unités de la Garde Nationale. Agissant d’initiative, sans attendre les demandes des Etats côtiers débordés par la situation, le bureau prend ainsi la responsabilité d’organiser le déplacement d’unités de la Garde Nationale appartenant à plus de 50 Etats, sur le fondement de l’EMAC[69], protocole interétatique d’entraide entre les différents Etats des Etats-Unis. Ces efforts permettent d’engager sur le terrain, dès le mardi 30 août, près de 10 000 gardes nationaux[70] tandis qu’à cette même date, 64 avions sont déjà engagés, ayant effectué 186 missions de sauvetage et sauvé 1910 personnes. Moins de 96 heures après la catastrophe de Katrina, 30 000 gardes nationaux sont à pied d’œuvre, leur montée en puissance continuant jusqu’au 8 septembre, date à laquelle 50 116 gardes nationaux sont engagés, marquant le point culminant de l’intervention de la Garde Nationale.
La rapidité de l’intervention de la Garde Nationale comme de sa montée en puissance en fait l’instrument clef de la résolution de la crise, confirmant son rôle majeur dans la contribution militaire à la gestion d’une catastrophe naturelle. Comme le reconnaîtra le secrétaire adjoint à la Défense, chargé de la Défense Intérieure, Paul Mac Hale, lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire[71], « contrairement à l’ouragan Andrew en 1992 où la Garde Nationale ne constituait que 24 % de la contribution militaire, la Garde Nationale a représenté plus de 70 % des forces militaires engagées lors de Katrina ».
Rapidement engagée sur le terrain, la Garde Nationale se voit confier une grande diversité de missions[72]. Elle participe à la recherche et à l’évacuation des survivants, procédant à la fouille des maisons, permettant tous moyens confondus le sauvetage de 49 800 vies au 22 septembre 2005. Elle prête aussi assistance aux forces de l’ordre, dont la majeure partie s’est volatilisée : contrairement à l’Armée à laquelle le Posse Comitatus Act de 1878, loi passée après la guerre de Sécession, interdit d’intervenir dans des missions de police, la Garde, agissant aux ordres des gouverneurs, peut prêter main-forte à la police, assurant le contrôle du trafic routier, mais aussi des zones et des checkpoints pour accéder aux zones détruites. Elle participe au dégagement des itinéraires avec les moyens du génie, la plupart des axes étant encombrés par des milliers d’arbres déracinés par l’ouragan, mais aussi aux travaux de réparation et de consolidation des digues par des hélitreuillages de plus de 4 tonnes de sacs de sable. Enfin, tout en assurant la sécurité des équipes de réparation de l’électricité et du téléphone, les unités de la Garde Nationale effectuent la distribution de vivres, de médicaments et d’eau[73].
3.2.2 – L’Armée : un engagement décisif mais tardif
L’action menée par la Garde Nationale, qui constitue le cœur de l’intervention militaire en réponse à la crise de Katrina, est complétée par la mise sur pied d’une force interarmées, la Joint Task Force (JTF) Katrina, placée sous les ordres du général Honoré.
L’engagement de cette force interarmées est toutefois tardif[74]. Désigné comme commandant en chef de la JTF, le général Honoré arrive à la Nouvelle-Orléans le mercredi 31 août dans la soirée mais il est alors sans troupes, accompagné d’une petite douzaine d’hommes. Sur place, la déception est immense car le gouverneur Blanco a demandé l’engagement de 40 000 hommes pour assurer la logistique de l’opération et prendre en compte les opérations de sauvetage afin de permettre à la Garde Nationale de se concentrer sur le maintien de l’ordre public. De fait, ce n’est qu’à la fin du jeudi 1er septembre 2005 que les premiers militaires de la Marine et de l’Armée de l’Air arrivent en Louisiane, les premières troupes terrestres n’intervenant pour leur part que le vendredi 2, soit près de 5 jours après la catastrophe de Katrina.
Représentant un total de 22 000 hommes, les militaires de la JTF Katrina prennent en charge la mission logistique initialement dévolue à la FEMA à compter du samedi 3 septembre. Forts de leur incomparable capacité logistique, qui leur permet de se déployer sur terre, sur air, et sur mer, les militaires s’engagent dans une gigantesque opération de ravitaillement de la population des trois Etats sinistrés, planifiant et exécutant la fourniture, le transport et la distribution de glace, d’eau, de nourriture, d’essence et de médicaments en Louisiane et dans le Mississipi.
3.2.3 – Critiques de l’engagement militaire
Si l’intervention de l’Armée et de la Garde Nationale a été décisive, jouant un rôle précieux pour rétablir la situation, elle n’est pas pour autant exempte de critiques.
L’ambiguïté de la rédaction du National Response Plan a contribué à retardé l’intervention des militaires. Alors que le NRP postule que les autorités locales peuvent être rapidement débordées par l’ampleur d’une catastrophe, il rappelle pourtant qu’il incombe aux seules autorités locales d’apprécier la situation et de demander l’intégration des forces militaires fédérales dans leur dispositif. C’est ainsi que l’intervention des militaires ne devient possible qu’à partir du moment où le gouverneur Blanco en fait la demande au président Bush le mardi 30 août. Deux jours ont été perdus auxquels s’ajoutent les jours supplémentaires nécessaires à la planification de l’opération interarmées et à l’engagement effectif des unités sur le terrain.
Par ailleurs, l’opération Katrina révèle la mauvaise coordination existant entre le ministère de la Défense, le DOD[75], et le ministère de la Sécurité Intérieure, le DHS. La création du DHS en 2001 nécessitait une redéfinition des tâches du DOD qui doit désormais partager avec la nouvelle entité la défense du territoire des Etats-Unis. Si des efforts ont été faits pour assurer une coordination entre les deux instances[76], d’importants problèmes subsistent : ainsi, une audition devant la commission de Défense du Sénat avait démontré qu’aucun document du DHS ne prévoyait les conditions de sollicitation et d’engagement des moyens militaires à la demande des autorités civiles[77]. Il n’existait au moment de Katrina aucun protocole de travail validé et connu entre les deux ministères, générant d’importantes difficultés relationnelles, la FEMA privilégiant les demandes informelles alors que le DOD ne prenait en compte que les demandes de moyens faites selon une procédure officielle. Ces difficultés avaient pourtant déjà été dénoncées lors d’exercices de gestion de crises nécessitant le recours aux moyens militaires, comme l’exercice TOPOFF 3.
Ce problème de coordination s’est également posé à l’intérieur même du ministère de la Défense, entre les forces d’active d’une part et la Garde Nationale d’autre part. Le commandement militaire géographiquement compétent pour les Etats-Unis, NORTHCOM, s’est surtout préoccupé des opérations engageant ses forces sans réellement prendre en compte les moyens déjà déployés par la Garde Nationale, les deux instances s’ignorant mutuellement faute d’une planification commune, générant la plus grande confusion sur le terrain. Ainsi, en Louisiane, les soldats de la 82ème airborne patrouillent dans des secteurs déjà contrôlés par la Garde Nationale, les hélicoptères de la Garde Nationale et du DOD effectuent des missions de sauvetage sur la Nouvelle-Orléans en même temps tout en employant des fréquences radios différentes, créant de nombreux risques de collisions dans une zone dépourvue de tout contrôle du trafic aérien[78]. Ce problème de coordination est aggravé par la dualité des chaînes de commandement : les unités de la Garde Nationale sont placées sous les ordres du gouverneur de l’Etat pour lequel elles opèrent tandis que le commandement des forces d’active est assuré par le général Honoré. Dans le cas de la Louisiane, le président Bush s’est efforcé en vain de créer un commandement unifié, proposant au gouverneur Blanco de nommer le général Honoré commandant en chef des unités de la Garde Nationale de Louisiane, proposition sèchement déclinée par Kathleen Blanco le 1er septembre en dépit des importantes pressions exercées par la Maison Blanche[79].
Enfin, la réponse des armées a été ralentie par la lourdeur des procédures bureaucratiques du DOD. La procédure de demande de moyens du DOD est mal connue des responsables étatiques, auxquels cette tâche est pourtant dévolue. En pratique, cette demande émane de l’Etat, est adressée au FCO de la FEMA, qui la transmet au DCO du DHS qui l’adresse à son tour à Northcom puis à l’état-major interarmées, la demande devant être validée à tous les niveaux. Lorsqu’elle est accordée, la même procédure est suivie dans le sens inverse afin de permettre la mise à disposition des moyens militaires demandés au profit des autorités locales. Censée permettre une parfaite coordination entre l’Etat demandeur, la FEMA et le DOD, cette procédure est lourde et très bureaucratique. Aussi, beaucoup s’en sont affranchis, créant une grande confusion, ne permettant plus de savoir si les demandes d’assistance avaient été effectivement traitées. Ainsi, au nom de l’Etat de Louisiane, le responsable de la Garde Nationale locale faisait ses demandes directement au général Honoré, commandant des forces engagées dans l’opération Katrina, sans servir la FEMA. Lors de ses auditions devant la commission d’enquête parlementaire, Brown, responsable de la FEMA à l’époque et responsable de la gestion de la crise, a reconnu à plusieurs reprises avoir été incapable de vérifier si ses demandes avaient été prises en compte[80].
Rendant son rapport au Congrès après une enquête de plusieurs mois, la commission d’enquête parlementaire concluait : « Le gouvernement a échoué parce qu’il n’a pas tiré parti des expériences passées, ou parce que les enseignements qui auraient dû être tirés n’ont pas été mis en œuvre. Si les attentats du 11 septembre ont été l’échec de l’imagination, alors Katrina a été l’échec de l’initiative. Cela a été l’échec du commandement. [81] »
Confrontés à une catastrophe connue et largement annoncée, les responsables américains se montrent incapables tant de prendre les mesures pour en limiter les effets que de réagir de manière efficace à une crise qui a pourtant eu de nombreux précédents dans le passé. Alors même que d’importants moyens sont disponibles pour juguler la catastrophe, qu’il s’agisse des structures et des dispositions prévues par le National Response Plan, ou des moyens militaires, engagés trop tardivement, les autorités hésitent à les employer et semblent paralysées par l’ampleur de la crise avec laquelle elles sont en prise.
L’échec de Katrina sanctionne l’impréparation des autorités fédérales à une menace à laquelle elles ont cessé de croire. L’obsession de la lutte contre le terrorisme qui anime l’administration Bush à partir du 11 septembre 2001 la conduit à concentrer tous ses efforts sur ce seul objectif, négligeant la prévention des risques naturels et la préparation à la gestion de crises provoquées par de telles menaces, détruisant un outil pourtant conçu pour empêcher le désastre de Katrina : la FEMA. Quant au DHS, il ne ressemble guère à l’instrument de sécurité globale vanté par le président Bush au moment de sa création, apparaissant tout au contraire empêtré dans sa lourdeur bureaucratique. Aussi, l’échec de Katrina est bien une faillite du dispositif de sécurité intérieure des Etats-Unis, incapable de faire face à un risque naturel, à l’image du plus pauvre des pays du Tiers-Monde.
L’ampleur de la crise a suscité une violente polémique sur les nécessaires adaptations à apporter à la gestion des crises intérieures aux Etats-Unis. Dans l’agitation générale, ont été tant envisagées la dissolution de la FEMA, pour la seconde fois de son histoire, ou la suppression du Posse Comitatus Act, qui vient limiter les pouvoirs des armées sur la scène nationale. En pratique, deux points font particulièrement débat.
Le premier débat concerne la gestion des crises intérieures et l’équilibre qui doit être trouvé entre le rôle de l’administration fédérale et celui des autorités locales. Si la gestion exemplaire par la Floride de plusieurs crises, comme l’ouragan Charley en 2004, plaide en faveur de la gestion des crises par les seuls Etats, il faut rappeler que les plus petits ou les plus pauvres des Etats n’ont pas la capacité de faire face à des désastres naturels sans l’assistance de l’administration fédérale. Ils ont en outre la plupart du temps démantelé leurs structures de gestion de crises naturelles pour se préoccuper principalement du terrorisme, encouragés en ce sens par d’importantes subventions fédérales. Une étude menée par le DHS en novembre 2005, évaluant les plans de catastrophe des 75 villes les plus importantes du pays et des 50 états a ainsi montré que seule la moitié des états s’estimaient capables de faire face à une crise naturelle[82]. A l’inverse, la tentative de l’administration Bush de placer la gestion des crises au seul niveau fédéral, lors de l’ouragan Rita qui frappe l’Amérique deux semaines après Katrina, a provoqué une violente levée de boucliers de la part des gouverneurs, à commencer par le propre frère du président, Jeb Bush, qui écrit alors dans une tribune du Washington Post : « en tant que gouverneur d’un Etat qui a été frappé par 7 ouragans et deux tempêtes au cours des 13 derniers mois, je peux dire avec certitude que la fédéralisation de la gestion des secours lors de catastrophes serait un désastre comparable à celui de Katrina. »[83] En pratique, il semble indispensable de rédiger désormais les futurs plans de secours en distinguant nettement entre, d’une part, les crises de faible intensité, pouvant être traitées par les Etats, et, d’autre part, les événements catastrophiques, nécessitant d’être pris en compte par le gouvernement fédéral.
Ce débat entre les pouvoirs de l’administration fédérale et ceux des Etats se pose également à propos du renforcement du rôle de l’armée dans les opérations intérieures. La crise de Katrina a en effet souligné l’intérêt de l’intervention des militaires, seuls à posséder une capacité logistique et des moyens qui les mettent à même de pouvoir gérer une situation de crise. Lors de l’ouragan Rita, c’est symboliquement depuis NORTHCOM, centre du commandement militaire des Etats-Unis, et non depuis le DHS que le président Bush s’est rendu pour suivre le déroulement des opérations. Le 15 septembre 2005, dans un discours prononcé à la Nouvelle-Orléans, il déclare même : « Il est à présent clair qu’un défi de cette ampleur exige des pouvoirs fédéraux plus importants ainsi qu’une implication accrue des forces armées, l’institution de notre gouvernement la plus capable de mener des opérations logistiques considérables en peu de temps. »[84] Cet accroissement du rôle des forces armées peut toutefois être envisagé de deux points de vue. Du point de vue du gouvernement fédéral, il s’agirait naturellement de renforcer les pouvoirs du Pentagone et du commandement militaire compétent pour les Etats-Unis, NORTHCOM. Du point de vue des Etats, c’est au contraire le rôle de la Garde Nationale, trop longtemps délaissée et sacrifiée au profit des forces armées d’active, qui demande à être renforcé. Le commandant de Northcom lui-même, l’amiral Keating, avait souligné les avantages de faire commander une opération sur le territoire américain par un officier de la Garde Nationale : la majorité des forces engagées dans un désastre appartiennent à la Garde Nationale, celle-ci étant familière avec le terrain local et la culture locale, entretenant des liens étroits avec les responsables des premiers secours (pompiers, forces de sécurité), tandis que la communauté locale connaît et a confiance dans la Garde Nationale qui fait partie intégrante de la communauté. Aussi, de nombreux adjudants généraux de la Garde Nationale considèrent que Northcom devrait être un commandement confié à la Garde Nationale, la mission de ce commandement géographique militaire étant essentiellement de « dissuader, prévenir, et combattre des menaces et des agressions commises à l’encontre des Etats-Unis[85] », mission qui nécessite des procédures et une politique commune pour agir en interaction avec les responsables des Etats.
Première puissance du monde, les Etats-Unis sont aujourd’hui confrontés tant à la remise en question de leur politique étrangère, à travers les échecs subis en Afghanistan et en Irak, que de leur propre modèle de gestion de crises intérieures. A travers ce dernier débat, c’est toute la conception traditionnelle du fédéralisme, élément fondateur de la culture américaine, qui est aujourd’hui remise en jeu. Dans l’immédiat, sonnée par Katrina, en dépit des nombreux rapports qui tentent de proposer des solutions pour remédier aux carences constatées lors de la crise, l’Amérique ne peut que constater la cassure de sa capacité de gestion de crises : la préparation à la menace d’une épidémie de grippe aviaire, au printemps 2006, s’est faite en ordre dispersé, plusieurs Etats refusant ouvertement de tenir compte des instructions fédérales pour mettre en œuvre leur propre régime de quarantaine, dans un climat de confusion et de chaos. Sans doute le plus bel aveu de l’impuissance du gouvernement fédéral a été fait involontairement par le Secrétaire de la Sécurité Intérieure, Michael Chertoff, qui déclare, lors de la conférence annuelle consacrée aux ouragans, à Orlando : « A la fin du jour, nous savons que la responsabilité de la préparation de crise n’est pas uniquement entre les mains du gouvernement. Les citoyens ont aussi un rôle important à jouer à leur niveau. Je crois qu’ils ont une responsabilité civique à prendre des mesures décisives pour se préparer à la saison des ouragans, tout spécialement s’ils en sont capables. Les gens doivent se préparer à se prendre en charge pendant les 72 premières heures après une catastrophe – parce que les responsables des premiers secours peuvent ne pas être capables de s’occuper de chaque personne au cours du premier jour.[86] », constatant ainsi que, dans une crise aux Etats-Unis, les gens doivent d’abord se débrouiller seuls…
Manuscrit clos en mars 2007
Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com 1er janvier 2008
[1] Townsend Frances, The Federal Response to Hurricane Katrina : Lessons Learned, www.whitehouse.gov, février 2006.
[2] Dombey Daniel, « L’OTAN et les alliés européens s’empressent d’apporter de l’aide aux Etats-Unis », Financial Times du 6 septembre 2005.
[3] Vernet Daniel, « Katrina bouscule la diplomatie américaine », Le Monde du 9 septembre 2005.
[4] 40 % des effectifs de la Garde Nationale de Louisiane se trouvaient alors en Irak.
[5] Pour les partisans d’une Nouvelle-Orléans plus blanche et plus sûre, Katrina a constitué une « divine surprise ». Un leader républicain louisianais, Richard Baker, déclare dans le Wall Street Journal du 9 septembre 2005 : « Enfin, les cités de la Nouvelle-Orléans ont été nettoyées. Ce que nous n’avons pas su faire, Dieu s’en est chargé » (cité par Gonod Pierre, « Katrina et la prospective », Futuribles n° 314, décembre 2005).
[6] Lesnes Corine, « Après Katrina, l’Amérique s’interroge sur les failles de son modèle », Le Monde du 9 septembre 2005.
[7] Department of Homeland Security (DHS). Le “department” aux Etats-Unis correspond au ministère en France et peut se traduire soit par ministère, soit par département (ex : Département d’Etat). Les deux traductions seront utilisées indifféremment dans le mémoire (Note de l’auteur).
[8] Federal Emergency Management Agency (FEMA).
[9] Conclusion de la commission d’enquête parlementaire (citée par Friedling Jean-Luc, « La Homeland security à l’épreuve de Katrina », Défense Nationale n° 11 de novembre 2005, p.171-176).
[10] L’échelle de Saffir-Simpson, numérotée de 1 à 5, permet de classer les cyclones et les ouragans par catégorie en fonction de la force de leurs vents. Ainsi, un ouragan de catégorie 5 a des vents maximums dépassant 249 km/h. (www.meteofrance.fr).
[11] Castellion Sébastien, « Katrina : l’anti-bushisme est une maladie profonde. », Revue militaire suisse n° 8-9, août-septembre 2006.
[12] US Army Corps of Engineers (USACE).
[13] S’agissant des canaux de drainage de la Nouvelle-Orléans, dans deux cas, les dispositifs de protection s’arrêtent plus de 60 mètres avant la fin des Orleans Outfall Canal et London Avenue Canal, faute de financement. (Cooper C. et Block R., Disaster, Times books, 2006, p. 32)
[14] En 2003 comme en 2004, le Génie n’obtient à deux reprises que 5,5 millions de dollars alors qu’il avait demandé 11 millions de dollars la première année, 22,5 millions de dollars la deuxième année pour assurer le dispositif de protection de la Nouvelle-Orléans contre les ouragans. (Cooper C. et Block R, ibid, p. 34)
[15] La rénovation des murs de protection des trois canaux assurant le drainage des eaux de la ville, menée au début des années 90, a privilégié la mise en place de « I-wall », feuilles d’acier plantées dans le sol et adossées à un mur, dispositif peu onéreux mais peu sûr, menaçant de s’écrouler en cas d’ouragan violent. Trente-cinq miles du dispositif de protection de la Nouvelle-Orléans contre les inondations ont été construits de cette manière ainsi que tout le 17th Street Canal, zones qui n’ont par la suite pas résisté à la violence de Katrina. (Davis Tom (dir), A failure of initiative : final report of the Select Bipartisan Committee to investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina, www.gpoaccess.gov/congress, 15 février 2006, p. 87 - 97).
[16] Davis Tom (dir), ibid, p. 81-85.
[17] Davis Tom (dir), A failure of initiative : final report of the Select Bipartisan Committee to investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina, www.gpoaccess.gov/congress,15 février 2006, p. 81.
[18] L’expérience montrera que, dans leurs prévisions, les experts du NWS ne se sont trompés que de 15 miles alors que la marge d’erreur normale pour des prévisions 48 heures à l’avance est de 160 miles et de seulement 10 miles /heure sur la force des vents (Ibid , p. 26).
[19] Agence fédérale de gestion des situations d’urgence.
[20] U.S. Department of Homeland Security, Federal Emergency Management Agency, “Annual Major Disaster Declaration Totals,” http://www.fema.gov/news/disaster_totals_annual.fema.
[21] Beltran J. et Parmentier G., « Les Etats-Unis à l’épreuve de la vulnérabilité », Politique Etrangère, 4/2001
[22] Boyer Yves et Tertrais Bruno, « La stratégie américaine : bilan et perspectives », colloque de la Fondation de la Recherche Stratégique, janvier 2002 (www.frstrategie.org)
[23] Abréviation de “Top officials exercises”
[24] Cooper C. et Block R., Disaster, Time books, 2006, p. 56
[25] Davis Tom (dir), A failure of initiative : final report of the Select Bipartisan Committee to investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina, www.gpoaccess.gov/congress, 15 février 2006, p. 153
[26] Directive présidentielle n° 5 relative à la sécurité intérieure (www.whitehouse.org)
[27] Un tel document existait déjà, sous la forme d’un Federal Response Plan, mais présentait l’inconvénient d’être trop axé sur les catastrophes naturelles et ne prenait pas suffisamment en compte les menaces terroristes aux yeux de l’administration Bush.
[28] Imprégné par l’esprit du fédéralisme, le NRP accorde une place essentielle à la gestion des crises par les autorités locales, chargées de prendre en compte la gestion initiale des crises, qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine, en ayant la possibilité de solliciter l’aide de juridictions voisines. Lorsque les catastrophes sont d’une ampleur telle que les ressources locales sont débordées, il appartient alors à l’Etat d’intervenir, en mobilisant à cet effet ses propres capacités ou en faisant appel aux Etats voisins grâce à des protocoles d’aide mutuelle. La plupart des événements sont ainsi gérés sans faire appel à l’aide fédérale. Le NRP s’efforce de préserver le rôle premier des Etats et des gouvernements locaux, reconnaissant toutefois que certaines catastrophes d’ampleur peuvent nécessiter une intervention fédérale massive et de manière proactive. Toutefois, si ce besoin d’une réponse fédérale proactive est reconnu par le NRP, aucun plan ne prévoit sa mise en œuvre de manière opérationnelle.
[29] Il comporte 426 pages et 31 annexes.
[30] Cette confusion apparaît dans les conditions de définition d’un Incident of National Significance (INS), c’est-à-dire d’une catastrophe d’importance nationale. Le plan pose le principe selon lequel il appartient au Secrétaire de la Sécurité Intérieure de déclarer l’existence d’une INS, créant ainsi une condition formelle à la reconnaissance de cet état de fait, tout en affirmant dans un autre chapitre que « tous les désastres et les situations d’urgence reconnus par le président sont considérés comme étant des catastrophes d’importance nationale », établissant au contraire un critère automatique dès lors que certaines conditions sont réunies. Appliqué à Katrina, cela signifie que Katrina devient une catastrophe nationale soit au moment de la déclaration officielle de Chertoff le mardi 30 août 2005, soit au contraire trois jours plus tôt, le samedi 27 août, lorsque Bush déclare l’existence d’une situation d’urgence en Louisiane, dans le Mississipi et dans l’Alabama. (Davis Tom (dir), A failure of initiative : final report of the Select Bipartisan Committee to investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina, www.gpoaccess.gov/congress, 15 février 2006, p. 30 – 60)
[31] Center for Strategic and International Studies
[32] Carafano James J. et Heyman David, “DHS 2.0 : Rethinking the Department of Homeland Security", www.csis.org/hs/index.htm#publications, décembre 2004
[33] Second stage review : www.dhs/gov/dhspublic
[34] Les recommandations majeures préconisent un état de préparation et le maintien d’un état d’alerte préventive efficaces, se traduisant par le renforcement du pouvoir du Secrétaire de la Sécurité Intérieure, par la création d’un sous-secrétariat dédié à l’élaboration de mesures publiques et de pôles spécialisés dont le commandement est confié à des hauts fonctionnaires : chief intelligence officer, chief medical officer… (Etude de l’IFRI du 19 septembre 2005, www.ifri.org)
[35] En septembre 1989, la FEMA est ainsi totalement prise au dépourvu par l’ouragan Hugo, ouragan de catégorie 4, qui frappe avec violence la Caroline du Sud, soufflant des vents d’une vitesse de 135 miles par heure et entraînant une vague de 20 pieds de haut, causant des dégâts sur plus de 175 miles à l’intérieur de la côte. L’ouragan révèle l’impréparation de la FEMA, incapable de faire face à une autre situation que l’hiver nucléaire, se montrant pesante, léthargique, manquant d’imagination, caricature de la bureaucratie de Washington. En 1992, l’ouragan Andrew, ouragan de catégorie 5 d’une rare violence, dévaste la Floride, provoquant plus de 25 milliards de dollars de dégâts, sans que la FEMA ne soit davantage en mesure de contribuer à organiser plus efficacement le secours fédéral.
[36] Le 17 janvier 1994, un tremblement de terre de magnitude 6.9 frappe la Californie à 20 miles au nord-ouest de Los Angeles, faisant 55 morts, 9000 victimes et provoquant des dommages d’un montant initialement estimé à 25 milliards de dollars. C’est l’occasion pour la nouvelle FEMA d’affirmer son efficacité retrouvée. 15 minutes après la catastrophe, des équipes régionales de la FEMA prennent contact avec les responsables locaux et saisissent les différentes agences fédérales pour les faire intervenir. 90 minutes plus tard, des équipes spéciales de crise arrivent sur place pour coordonner la réponse fédérale. Le jour suivant, un centre de communications est mis sur pied pour recueillir les plaintes des victimes de la catastrophe, un numéro téléphonique spécifiquement dédié étant mis à leur disposition. Des sondages montrent alors que 80 % des Américains ont désormais une bonne opinion de la FEMA. Witt at gagné son pari, refaisant de l’agence un pôle d’excellence en matière de gestion de crises civiles, cette dernière bénéficiant d’une importance nouvelle avec son rattachement direct au cabinet du président Clinton. Ce soutien présidentiel contribue grandement à l’efficacité de l’action de la FEMA (Cooper C. et Block R., ibid, p. 93 - 100).
[37] Cooper C. et Block R., ibid, p. 106
[38] A la différence d’un Etat centralisateur et jacobin comme la France où le préfet, en cas de crise, dispose du pouvoir de se substituer de force au maire et de prendre à sa place les mesures qui s’imposent pour préserver l’intérêt public (Code des collectivités locales).
[39] Ces derniers ont, par ailleurs, à la lecture des dernières prévisions météorologiques concernant la menace de l’ouragan Katrina, accompli une démarche inhabituelle et sans précédent, demandant directement au président Bush de déclarer Katrina désastre national de manière préventive. C’est chose faite le jour même pour l’Etat de Louisiane, puis le dimanche 28 pour l’Etat du Mississipi. La déclaration présidentielle permet aux Etats d’être certains de se faire rembourser les dépenses occasionnées par l’ouragan auprès de l’administration fédérale. (Cooper C. et Block R., ibid, p. 103)
[40] Cette indécision est expliquée par certains analystes en raison de l’inexpérience de Nagin, nouveau venu en politique, qui ignorait les dispositions de son propre plan de secours et maîtrisait mal l’ensemble de ses prérogatives. Nagin pensait ainsi ne pas avoir le droit d’ordonner l’évacuation de force de ses concitoyens, pouvoir qu’il détenait pourtant explicitement du fait de son mandat de maire (Cooper C. et Block R., Disaster, Times Book, 2006, p. 105).
[41] Katrina s’est produit à la fin du mois d’août, alors que bon nombre de personnes attendaient de toucher leur salaire et ne disposaient parfois pas de suffisamment d’argent pour faire le plein d’essence de leur voiture (Gonod Pierre, « Katrina et la prospective », Futuribles n° 314, décembre 2005).
[42] Le directeur des services de secours de la ville, Terry Ebert, était persuadé que les réfugiés n’étaient là que pour une nuit, à l’instar des fois précédentes, ne s’inquiétant de ce fait ni de l’afflux de réfugiés qui se prolonge pourtant toute la nuit ni du problème de l’approvisionnement (Cooper C. et Block R., ibid, p. 107).
[43] La Nouvelle-Orléans avait régulièrement été menacée par d’importants ouragans, qui s’étaient déroutés à la dernière minute, épargnant ainsi la ville. Ce fut le cas de l’ouragan Ivan en 2004 ou de l’ouragan Dennis, de catégorie 4, quelques semaines avant Katrina, en juillet 2005. En outre, l’évacuation de la Nouvelle-Orléans s’était faite à chaque fois de manière anarchique, donnant lieu à d’importants embouteillages, laissant un cuisant souvenir à de nombreux habitants qui préféraient dès lors rester dans leur maison, comptant sur un nouveau coup de chance. Ce comportement était très marqué chez les personnes âgées qui avaient connu les ouragans Betsy en 1965 et Camille en 1969 et qui estimaient ne rien avoir à craindre de Katrina (Davis Tom (dir), A failure of initiative : final report of the Select Bipartisan Committee to investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina, www.gpoaccess.gov/congress, 15 février 2006, p. 103 – 128).
[44] Or, la ville n’a jamais mis sur pied de véritable plan d’évacuation et est donc incapable de traiter le problème. Bien que la question de l’évacuation intégrale de la Nouvelle-Orléans ait déjà été soulevée lors de l’exercice de simulation Pam, aucun plan n’avait été élaboré. La flotte des bus municipaux, qui compte environ 500 véhicules, ne suffisait pas à elle seule pour assurer l’évacuation. Pour sa part, le gouvernement fédéral s’était longtemps refusé à participer à l’évacuation ou à soutenir la mise sur pied d’équipes de secours, considérant qu’il s’agissait là d’un problème local.
[45] Davis Tom (dir), ibid, p. 163 - 164
[46] Davis Tom (dir), ibid, p. 191
[47] Ce constat doit être nuancé en ce qui concerne l’Alabama, moins éprouvé par l’ouragan, dont le gouverneur, bénéficiant du soutien expérimenté de l’agence étatique chargée de la gestion de crises, l’AEMA – Alabama Emergency Management Agency, conserve le contrôle de la situation et joue pleinement son rôle.
[48] En outre, ces personnels maîtrisent mal les procédures opérationnelles et le fonctionnement de l’Incident Command System. Leur inexpérience est telle qu’en catastrophe, une formation sur ce sujet doit être organisée à leur profit dans les deux premiers jours qui suivent le déclenchement de la catastrophe. Cette formation est dispensée par l’ancien directeur de la FEMA, James Witt (Davis Tom (dir), ibid, p. 192).
[49] Cooper C. et Block R., ibid, p. 123-124
[50] Dans la vidéoconférence qui se tient le 28 août, soit la veille de Katrina, Max Mayfield évoque pourtant un ouragan d’une intensité comparable à Andrew, qui a ravagé la Floride en 1989, créant une vague de plus de 7 mètres de haut. Bush se contente de téléphoner le jour même au gouverneur de la Louisiane, Kathleen Blanco, pour s’assurer que l’ordre d’évacuation de la Nouvelle-Orléans a bien été donné, sans plus (Cooper C. et Block R., ibid, p. 126).
[51] Cooper C. et Block R., ibid, p. 126
[52] Homeland Security Operations Center
[53] Jouxtant la Nouvelle-Orléans, la commune de Saint-Bernard, où 6000 habitants sont réfugiés sur leurs toits, est ignorée jusqu’au mercredi 31 août, où elle est prise en compte par un détachement de 47 policiers canadiens. A l’inverse, des quartiers de la Nouvelle-Orléans sont visités en même temps par des équipes de secours appartenant à des services distincts (Cooper C. et Block R., ibid, p. 196).
[54] Toute nouvelle arrivée au Superdome étant désormais interdite sur ordre du gouvernement de l’Etat, certains sauveteurs conduisent les personnes sauvées des eaux dans le Convention Center, qui présente un seul avantage, celui d’être situé au-dessus du niveau des eaux, mais où rien n’est prévu pour accueillir des milliers de rescapés. Aussi, de nouvelles scènes de pillage se produisent dans les magasins environnants. Le mercredi 31 août, un rapport de la police de l’Etat de Louisiane évalue le nombre de réfugiés dans le centre à plus de 25 000 personnes, information qui n’est même pas reprise au niveau fédéral par le HSOC, qui a pourtant été informé de ce problème par téléphone et par e-mail. Le chef du HSOC, le général du corps des Marines Matthew.Broderick, reconnaîtra devant la commission parlementaire que jusqu’au jeudi midi, il pensait que le Centre de Convention et le Superdome correspondaient à un seul et même bâtiment (Cooper C. et Block R., ibid, p. 199). A Washington, Chertoff traite la nouvelle de l’occupation sauvage du Centre de Convention comme une simple rumeur, comme il l’affirme lors d’un entretien à la National Public Radio le jeudi 1er septembre en fin d’après-midi (p. 204). Le même jour, dans son rapport quotidien adressé à la Maison-Blanche, le HSOC commet de nouvelles erreurs, reflet des problèmes constants de communication qui se sont posés tout au long de la crise. Alors qu’il est établi depuis longtemps que des dizaines de milliers de réfugiés se trouvent au Centre de Conventions, le HSOC n’évoque que 1000 réfugiés et explique qu’ils disposent d’eau et de nourriture. Au même moment, un représentant du DHS vérifie personnellement le nombre de 25000 et assiste à des scènes de violentes altercations (Cooper C. et Block R., ibid, p. 209).
[55] Mobile Emergency Response System : littéralement, système de gestion de crises mobile
[56] Toutes ces rumeurs se sont révélées totalement infondées. Ainsi, l’enquête a démontré par la suite qu’il n’y avait eu aucun meurtre par arme à feu au Superdome alors que la presse prétendait qu’il y en avait eu 6. Le plus bel exemple d’intoxication psychologique est celui d’une dépêche de l’agence Associated Press du 1er septembre 2005 prétendant qu’un hélicoptère militaire avait subi des tirs d’armes à feu, information reprise par les médias du monde entier comme l’illustration de la violence régnant à la Nouvelle-Orléans mais qui était fausse (Davis Tom (dir), ibid, p. 169 - 171).
[57] Déclaration à la presse du lieutenant-général Steven Blum, chef du bureau de la Garde Nationale, le 3 septembre 2005 (Davis Tom (dir), ibid, p. 170)
[58] Garde-côtes
[59] Davis Tom (dir), ibid, p. 194
[60] Cooper C. et Block R., ibid, p. 110 - 120
[61] Davis Tom (dir), ibid, p. 152 - 154
[62] Cooper C. et Block R., ibid, p. 203 - 207
[63] Disaster Mortuary Response Teams, équipes composées chacune d’une trentaine de spécialistes, renforcées par 9 unités de l’Armée de Terre envoyées par le Pentagone
[64] Le cadavre d’un octogénaire, Alcede Jackson, enveloppé dans une simple couverture bleue sur laquelle est épinglée une pancarte mentionnant son nom, reste ainsi pendant deux semaines devant son domicile, sa photo faisant la première page du New York Times comme d’autres médias nationaux (Cooper C. et Block R., ibid, p. 243)
[65] Frances Townsend, The Federal Response to Hurricane Katrina : Lessons Learned, www.whitehouse.gov, février 2006
[66] d’un montant de 2000 dollars chacune
[67] A l’exception notable des commissaires aux comptes du DHS, furieux d’une initiative improvisée qui ne faisait pas intervenir les entreprises avec lesquelles le DHS était en contrat (Davis Tom (dir), ibid, p. 319 – 344)
[68] Déclaration du Secrétaire adjoint à la Défense, chargé des questions de défense intérieure, Paul Mac Hale (Joint Force Quaterly n° 40, 1er trimestre 2006)
[69] Emergency Management Assistance Compact = accord interétatique d’assistance mutuelle pour les situations d’urgence, introduit en 1996
[70] dont 5149 en Louisiane, 2826 dans le Mississipi, 1066 en Alabama et 753 en Floride (Davis Tom (dir), ibid, p. 205)
[71] le 27 octobre 2005 (www.gpoaccess.gov/congress)
[72] Touzard Anthony, « L’intervention de la Garde Nationale après le passage de l’ouragan Katrina », Revue Militaire suisse n° 8-9, août-septembre 2006
[73] Pour le seul Etat du Mississipi, la Garde Nationale nettoie ainsi 3900 miles de routes de leurs débris, distribue 1,2 million de repas, 56,4 millions de gallons d’eau, assurant 200 missions de surveillance et 600 missions de sauvetage (Davis Tom (dir), ibid, p. 213)
[74] Le Pentagone établit une distinction marquée entre la Homeland Security, qui relève essentiellement des autorités civiles, et la Homeland Defense, qui relève principalement des autorités militaires. Dans le cas de la Homeland Security, le Pentagone considère que son action doit se faire uniquement en soutien des agences fédérales civiles, se situant en deuxième échelon par rapport aux premiers secours qui doivent être fournis par les municipalités. Les forces armées ne participent à ce type de mission que dans la mesure où leurs missions prioritaires le leur permettent, restant en permanence sous le commandement du Department of Defense (DoD). Northcom, créé après le 11 septembre 2001, met en œuvre la Homeland Defense et fournit le soutien de la Homeland Security (Friedling JL, « La Homeland security à l’épreuve de Katrina », Défense Nationale n° 11, novembre 2005, p.171 – 176)
[75] Department of Defense
[76] Détachement en permanence de 64 personnels du DOD au sein du DHS, présence de représentants du DOD au HSOC, création d’un bureau de coordination de la Défense Intérieure au sein du DHS (Davis Tom (dir), ibid, p. 203)
[77] Davis Tom (dir), ibid, p. 203
[78] « National Guard after action review : Hurricane response », www.ngb.army.mil, septembre 2005
[79] Davis Tom (dir), ibid, p.206-207
[80] www.gpoaccess.gov/congress
[81] Préface du rapport de la commission d’enquête parlementaire, ibid
[82] Cooper C. et Block R., ibid, p. 256
[83] Cooper C. et Block R., ibid, p. 253
[84] Les prétentions des armées dans ce domaine ont provoqué une vive réaction de la part de l’association nationale des gouverneurs qui a publié un communiqué le 13 octobre 2005 rappelant : « Les gouverneurs sont responsables de la sécurité et du bien-être de leurs concitoyens et sont les mieux placés pour coordonner tous les moyens pour se préparer à des désastres, y faire face puis mener l’effort de reconstruction. » (Davis Tom (dir), ibid, p. 57)
[85] www.northcom.mil
[86] Cooper C. et Block R., ibid, p. 260
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. 25 août 2005 : Katrina arrive en Floride. Le cyclone provoque d’importants dégâts dans la région de Miami, sept morts sont dénombrés.
. 27 août : l’état d’urgence est déclaré en Louisiane. Katrina est alors considéré comme un cyclone de catégorie 3.
. 28 août : Katrina devient un cyclone de catégorie 5. Le maire de La Nouvelle-Orléans exhorte les habitants à fuir. Certains, sans moyens, s’entassent dans le centre omnisports de la ville, le Superdrome. George W. Bush appelle les Américains menacés à se mettre à l’abri.
. 29 août : la Louisiane est ravagée. Katrina poursuit sa route vers le Mississippi et l’Alabama. L’ouragan a ravagé une zone couvrant une superficie de 235 000 km², soit la moitié de la France.
. 30 août : La Nouvelle-Orléans est submergée à 80 %, suite à l’effondrement d’une digue sur un canal de la ville.
. 31 août : 300 000 personnes sont prisonnières des eaux en Louisiane, dont plus de 20 000 au Superdrome. Gerge W. Bush survole les zones affectées par "l’une des pires catastrophes de l’histoire", estime-t-il. 5 000 membres de la Garde nationale sont déployés.
. 1er septembre : le maire de La Nouvelle-Orléans lance un "SOS désespéré". 300 soldats sont envoyés avec l’autorisation de "tirer pour tuer". Le département de l’Etat annonce que les propositions d’aide venant de l’étranger seront acceptées.
. 2 septembre : le Sénat américain annonce l’ouverture d’une enquête sur l’action des autorités. Une aide d’urgence de 10,5 milliards de dollars est débloquée. Plus de soixante pays offrent leur assistance aux Etats-Unis. Au niveau national, les critiques se multiplient sur l’inefficacité des autorités fédérales.
. 3 septembre : 50 000 soldats sont sur le terrain. George W. Bush annonce l’envoi de 7 000 militaires. On dénombre 134 victimes au Mississippi.
. 5 septembre : une commission d’enquête est réclamée par la sénatrice démocrate Hilary Clinton. Le président américain reconnaît le démarrage laborieux des opérations de sauvetage. Ses prédécesseurs Bill Clinton et George Bush, père de l’actuel chef de l’Etat, lancent une vaste collecte de fonds en faveur des victimes.
. 6 septembre 2005 : les ingénieurs estiment qu’il faudrait entre 36 et 80 jours pour assécher les régions inondées.
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| Dernière mise à jour le mercredi 2 octobre 2024 |