L’Afrique du sud : symbole de l’émergence africaine ?

Par Alain NONJON, le 14 septembre 2011  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Professeur à Intégrale et au lycée Michelet

Cet article est illustré d’une carte qui interroge les visions européocentrique ou américanocentrique du monde, avec l’Afrique du Sud au centre de la représentation. Plus généralement, elle permet de visualiser un regard nouveau sur l’Afrique : un continent réhabilité aujourd’hui dans les relations internationales et le jeu des grandes puissances après avoir été au bord du monde, un continent oublié.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com vous présente un article d’Alain Nonjon publié sous le titre "L’Afrique du Sud : symbole de l’émergence africaine ? " dans le n°135 d’Espace prépas (janvier 2011).

L’Afrique du Sud, une puissance intégratrice régionale en essor

L’Afrique du Sud peut se prévaloir de performances économiques : l’effet « coupe du monde » (3 Mds de $ de recettes), un statut de pays émergent au sein du groupe BASIC (Brésil, Chine, Inde et Afrique du Sud), un taux de croissance annuel depuis 1998 de 5 %, une monnaie stable, un faible endettement, autant de succès globaux de l’ère Thabo Mbeki (1999-2008).

Forte de ces performances (PIB représentant les trois quarts de celui de l’Afrique australe), l’Afrique du Sud assoit une domination régionale au travers de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe). À un objectif idéologique d’affranchissement s’est substitué le projet d’un développement concerté avec d’ambitieux programmes sectoriels, un développement des infrastructures de transport avec la réhabilitation du corridor de Beira de Mutare (Zimbabwe) jusqu’au canal du Mozambique, la promotion de nouveaux corridors à l’instar du couloir de Limpopo du Zimbabwe jusqu’à Maputo, la mise en place d’une politique énergétique commune avec la création en 1995 du consortium énergétique de l’Afrique australe (SAPP : South African Power Pool), et l’élaboration d’une politique de l’eau via le lancement du programme des eaux du Lesotho (Lesotho Highlands Water Project) cofinancé par la Banque mondiale et la RSA afin d’irriguer une vaste région du nord du Natal jusqu’au Transvaal et de satisfaire ainsi les besoins de la région industrielle du Gauteng. Cette politique de développement se double d’un objectif de libre-échange visant à supprimer les droits de douane intérieurs à l’horizon 2012.

L’Afrique du Sud ne fait pas du libre-échange une priorité d’autant qu’il existe, au sein de la zone Rand, une zone monétaire commune (CMA : Common Monetary Area) qui regroupe autour de la République sud-africaine, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland. Les entreprises minières d’Afrique du Sud par leurs investissements comme les migrations qu’elles suscitent renforcent cette intégration régionale.

L’Afrique du Sud, une puissance africaine structurante

Délégataire à la sécurité du continent pour les grandes puissances, l’Afrique du Sud participe à l’africanisation de la gestion africaine des conflits (Soudan, Côte d’Ivoire, initiative pour la paix au Burundi, résolution de paix malgache) indirectement ou directement au travers de l’UA où l’année 2010 a été proclamée « année de la paix ». Le discours sur la sécurité africaine a trouvé un relais naturel sur le continent avec l’Afrique du Sud, pays le plus développé de l’Afrique, ayant une armée à « l’occidentale ». Thabo Mbeki a même été intronisé « point man » pour le Zimbabwe par George W. Bush.

La RSA est aussi une force de proposition au travers du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique). Mbeki et son homologue nigérian Obasanjo ont été en 2000 à l’origine du Programme de renaissance pour l’Afrique du millénaire, devenu, après sa fusion avec le projet sénégalais du président Wade, le NEPAD. Programme multilatéral ambitieux, le NEPAD, géré par l’UA, doit permettre au continent de conjuguer, à l’initiative des Africains eux-mêmes, transparence, gouvernance, alternance, compétence dans la perspective tracée par les « objectifs du millénaire » adoptés par l’ONU en 2000. Pour Mbeki, « Le temps de la renaissance africaine est arrivé… Lorsque des élections sont tenues, elles doivent être vraiment démocratiques et aboutir à des gouvernements que les peuples accepteront comme authentiquement représentatifs de leur volonté… Nous devons faire de l’abus du pouvoir politique pour des besoins d’enrichissement matériel de ceux qui exercent ce pouvoir quelque chose d’étranger à notre constitution et à nos modes de gouvernance ». L’initiative a permis à l’Afrique du Sud de confirmer et d’amplifier son rôle d’interface crédible entre l’Afrique et les bailleurs de fonds du G8.

Alors que la République de l’apartheid se vivait comme une « citadelle assiégée », l’Afrique du Sud porte le projet de « renaissance africaine ». Le slogan mobilisateur devient un programme de rupture dont elle est le catalyseur avec l’héritage néocolonialiste, la tentation tiers-mondiste, la confiscation et la patrimonialisation du pouvoir. Positivement, il s’agit d’amalgamer néolibéralisme et panafricanisme pour permettre le développement économique et l’affirmation culturelle du continent. Comme l’écrit Ivan Clouzel, « La vision de la Renaissance africaine réinterprète l’imaginaire panafricain traditionnel pour l’articuler à l’environnement actuel de démocratisation et de mondialisation ».

L’Afrique du Sud : une puissance internationale en voie d’affirmation

Pays émergent dans la gouvernance mondiale (taux de croissance supérieur à la moyenne mondiale, exportations croissantes et diversifiées, 17 entreprises multinationales dans le top 2000 Forbes (dont Anglogold Ashanti, MIH Holding dans l’électronique ou Sappi pour le bois), l’Afrique du Sud devient très attractive pour les investissements étrangers. Les Chinois, deuxième partenaire commercial de l’Afrique, font de l’Afrique du Sud une tête de pont de leur influence notamment au travers de la Standard Bank, la première banque d’Afrique (détenue à 20 % par son homologue chinois ICBC), d’infrastructures (Guangdong Nuclear Power Company, l’opérateur cantonais spécialisé dans le nucléaire, a proposé des centrales nucléaires low-cost à l’Afrique du Sud), mais aussi ils en font un des lieux de contestation des comportements prédateurs de la Chine (textile).

L’Afrique du Sud tisse des liens avec d’autres pays émergents comme le Brésil (tourné pour Lula « vers sa dette morale et historique envers l’Afrique ») et l’Inde (importance de la communauté indienne, expérience sud-africaine de Gandhi, groupe Tata) au travers d’un G3, l’Ibas, né en 2003 qui est particulièrement actif au niveau diplomatique (nucléaire iranien, négociations agricoles mondiales, partenariat énergétique). C’est un exemple original de coopération Sud-Sud avec des revendications communes sur un siège au Conseil de Sécurité pour les pays en développement rapide, des concessions exigées des industriels pharmaceutiques pour accéder aux médicaments génériques et des recherches communes sur les biocarburants.

Portée par le slogan de la « nation arc-en-ciel » (Rainbow nation), consacrée internationalement par la remise conjointe du Nobel de la paix à Frederik de Klerk et Nelson Mandela en 1993, il n’est pas surprenant que, conjuguant émergence et africanité, l’Afrique du Sud ait été (très largement) élue au Conseil de sécurité pour deux ans (2007-2008). La République a été ainsi associée à la gestion de crises diplomatiques extra-africaines, comme la question libanaise ou la surenchère nucléaire du président iranien Ahmadinejad. Elle a accueilli deux sommets internationaux hyper-médiatisés, sur le racisme en 2001 (Durban) et le développement durable en 2002 (Johannesburg). Et son président a utilisé ces tribunes pour dénoncer la gouvernance mondiale actuelle : « Nous, représentants des pays pauvres, sommes bien conscients que les milliards de déshérités de la planète deviennent de plus en plus impatients, car chaque année ils nous entendent adopter des déclarations qui n’entraînent jamais de résultats concrets sur les souffrances causées par la faim qui les tient éveillés la nuit. » D’autre part, elle dispose de l’expertise conférée par la présidence de multiples organisations internationales (conseil d’administration de l’OIT, groupe des fournisseurs de nucléaire, Interpol pour prétendre à un siège permanent). L’institutionnalisation de la puissance mondiale du pays est liée à son aptitude au leadership consacré symboliquement par le choix en 2010 d’en faire la capitale de la planète foot.

Copyright 2011-Nonjon/Espace prépas n°135, décembre 2010-janvier 2011


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