EU - Clash des générations. Les Baby Boomers vs. les Millennials : vers une véritable révolution dans la politique américaine ?

Par Amy GREENE , le 25 mars 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Amy Greene est politologue américaine, spécialiste des Etats-Unis et auteur du blog Potusphere (potusphere.com). Elle vient de publier « L’Amérique après Obama » Paris, Autrement, 2012

Comment les différences entre les générations pourraient-elle peser sur les prochaines élections (novembre 2012) aux Etats-Unis ? Politologue américaine, Amy Greene explique ici très clairement ce qui différencie une population blanche et âgée (les « Baby Boomers ») et une population jeune et non-blanche (les « Millennials »). Démographie, politique et géopolitique croisent ici leurs approches.

DERRIERE la rhétorique polarisante et virulente qui domine le paysage politique des Etats-Unis se cachent de nouvelles réalités démographiques et générationnelles. Depuis l’élection de Barack Obama en 2008, nous avons pu observer davantage l’émergence de deux Amériques. D’abord celle de l’inclusion sociale et du multiculturalisme, attentive aux changements dans les rapports de force géopolitiques et prête à s’adapter à une nouvelle donne mondiale, représentée par Obama lui-même. Ensuite, une autre vision d’une Amérique plus nostalgique, caractérisée par son insistance sur la protection des valeurs américaines contre toute force extérieure (que ce soient les pays étrangers, le gouvernement fédéral même, ou bien la délocalisation des emplois, les impôts, et le terrorisme) qui menace l’American way of life. Cette dernière était incarnée en 2008 par le Sénateur John McCain et l’ancien gouverneur Sarah Palin – ou plus généralement, par le parti républicain.

Les grandes lignes de partage que nous avons vues s’exprimer lors de la dernière échéance présidentielle correspondent également à l’émergence de deux véritables pôles générationnels. L’un se trouve composé d’une population blanche et âgée (les Baby Boomers, ou les Boomers). L’autre rassemble une population jeune et non-blanche (les Millennials). Pour leur part, la grande masse des Boomers arrivent à l’âge de retraite en même temps que les Millennials entrent à peine dans la population active. A mesure que ces deux groupes évolueront dans leurs positions sociales, les tensions politiques et sociales entre eux changeront la donne pour les deux partis principaux, et même pour le comportement des Etats-Unis vis-à-vis du monde.

En décryptant l’essentiel de ces deux générations, nous pouvons mieux comprendre leurs différences, ainsi que la nature de la compétition et des tensions qui s’annoncent entre eux. Après avoir regardé les éléments essentiels du clash qui se profile, ce texte montrera comment les deux partis – les Démocrates et les Républicains – seront confrontés par le défi de rester attentifs aux nouveaux impératifs sans perdre leur crédibilité auprès de l’électorat d’ensemble.

Le clash : les Boomers contre les Millennials

Le groupe dominant de la vie politique américaine d’aujourd’hui est celui des Baby Boomers, c’est-à-dire des 78 millions Américains nés entre 1946 et 1964. C’est une population majoritairement blanche, de plus en plus âgée, dont 80% des seniors (plus de 50 ans) sont blancs. Les projections démographiques indiquent que ce chiffre va rester stable dès lors que des larges pans de Boomers s’approchent à la retraite. Une autre caractéristique importante de ce groupe est leur positionnement dans la hiérarchie sociopolitique. Ses membres font partie de l’élite politique, exercent un grand nombre de hautes fonctions, votent régulièrement, et sont plutôt bien informés, branchés et engagés dans les milieux décisionnels. En bref, ils sont le système tel qu’on le connaît actuellement. Les Boomers représentent une part importante des recettes fiscales, contrôlent environ 70% de la richesse personnelle du pays et plus que 50% du pouvoir d’achat discrétionnaire [1] – et leur départ à la retraite risque de créer une dynamique par laquelle ils ne contribueront plus à la fiscalité américaine, tout en dépendant davantage et façon lourde de programmes sociaux coûteux (la Social Security ou le Medicare). Il n’est pas étonnant de constater que les seniors ne s’opposent pas politiquement aux programmes dont ils bénéficient (même si certains entre eux expriment des réticences sur la pérennité de ces acquis vu le prix exorbitant de leur maintien). En revanche, cette population est particulièrement sceptique à l’égard de tout gouvernement et s’avère hostile à l’idée d’une hausse des impôts pour nourrir les programmes perçus comme inutiles pour eux.

Nés entre 1981 et 2000, les Millennials montrent plus de diversité culturelle et raciale que toute génération précédente. Environ 40% des Américains de moins de 18 ans sont non-blancs, un record dans l’histoire américaine. Leur total va dépasser les 50% de la population d’ici à 2020. [2] Les Millennials ne partagent pas les mêmes origines ethniques que les Boomers  : ils ne sont pas WASP et ne connaissent pas forcément l’expérience américaine à travers ce prisme – autrement dit, l’expérience qui était celle d’une majorité dont les origines étaient aussi celles des pères fondateurs du pays. En revanche, ils sont susceptibles d’avoir au moins un parent né en dehors des Etats-Unis et, en conséquence peut-être, nourrissent plus de confiance dans l’Etat que leurs homologues Boomers. Les Millennials ont de l’estime pour les grands programmes sociaux qu’ils croient essentiels pour une plus grande mobilité sociale (éducation publique, assurance maladie entre autres). Ils croient encore au rêve américain et à ses valeurs fondatrices, telles que l’exceptionnalisme et le capitalisme. Ayant vu les sacrifices de leurs parents pour construire une vie américaine, les jeunes Millennials croient dans l’esprit novateur, entrepreneur de l’Amérique. [3]

Ils ont grandi dans l’ère de la technologie ultra-rapide, la communication de masse, à l’âge d’Internet et de Facebook. Ils ne sont qu’à quelques clics de souris du « village global » et de son flux continu d’information, d’images, et d’accès à des mondes physiquement loin d’eux. C’est une génération caractérisée par sa tolérance sociale – favorable aux droits des homosexuels et au mariage interracial, par exemple – et ont tendance à considérer l’immigration comme un gain, un signe d’ouverture, de tolérance et de dynamisme. [4] Il est clair que les tendances idéologiques de ce groupe s’alignent avec les valeurs traditionnelles du parti démocrate.

Les Millennials pourraient encore prôner une ligne de politique étrangère différente de celle de leurs prédécesseurs. Ces jeunes, élevés dans l’ombre du 11 septembre 2001 et n’ayant parfois aucun souvenir du monde qui précédait les guerres d’Afghanistan et d’Irak, ont un sens des défis aiguisé par la compétition globale avec les puissances émergentes. Ils connaissent la pire crise financière depuis 80 ans, ce qui impactera leur vision de la stratégie de l’Amérique dans le monde, de sa marge de manœuvre, de l’ampleur de ses engagements, en passant par la façon dont Washington définit ses intérêts dans un monde réellement multipolaire.

Le jeu interne : vers une nouvelle coalition démocrate et un parti républicain isolé ?

Les évolutions – très différentes de l’une et de l’autre de ces catégories –Boomers et Millennials- vont déterminer en large partie les nouvelles orientations et stratégies des deux partis politiques majeurs. Dans sa quête de domination, chaque parti devra affronter des défis spécifiques.

Les Démocrates semblent avoir un avantage en l’émergence des Millennials, car les affinités de ces derniers correspondent aisément au programme électoral démocrate [5]. Mais ils doivent savoir attirer le vote des jeunes Millennials à chaque élection, et non seulement quand il y a une figure charismatique de type Obama. Ils doivent les mobiliser pour développer leur engagement civique, et plus généralement cultiver leur intérêt pour le processus politique et la recherche de sièges d’élus. Mais ces impératifs de long terme ne peuvent effacer les contraintes politiques immédiates. Le parti doit démontrer sa capacité à se montrer responsable aux yeux des électeurs Indépendants, bloc croissant de la vie politique américaine, et clef de toute victoire présidentielle. Le tout dans un climat de scepticisme record vis-à-vis du gouvernement et d’un président qui plaide pour plus d’intervention gouvernementale afin de stimuler une situation financière précaire. Les Démocrates doivent se montrer utiles et attrayants pour le centre, pour les marges des Boomers, et sans décevoir les Millennials, dont la perte rendrait impossible la construction d’une nouvelle coalition démocrate. Le parti de Franklin Roosevelt serait avisé de se souvenir que ce groupe, à l’époque très Démocrate, n’est pas un monolithe à la fidélité acquise. Des allégeances durables doivent être créées.

De l’autre côté de l’échiquier politique, les Républicains affrontent la réalité de ne pas être en phase avec les jeunes et les groupes minoritaires, qui ont majoritairement soutenu Obama en 2008 (deux tiers de jeunes ainsi que 80% des non-blancs). [6] John McCain a facilement gagné le vote blanc, notamment celui des Américains plus âgés. Selon un sondage réalisé en 2011 par Ron Brownstein du National Journal, seul un tiers des blancs de plus de 50 ans soutenaient Obama. Ce dernier, pendant son premier mandat, n’a pas su attirer de nouveau soutien auprès des électeurs de McCain. Presque quatre ans plus tard, la posture du Grand Old Party est encore plus ancrée dans les des seniors blancs – notamment la réduction des impôts et le conservatisme social (contre le mariage homosexuel, l’avortement,…). Le parti a décidé de se replier sur les prises de position de sa base tout en entretenant un discours dangereux qui consiste à remettre en cause la nationalité du président actuel et à le traiter de socialiste, d’Européen, pour remettre en question ses capacités de dirigeant. Les Républicains sont, pour le moment, satisfaits de s’opposer vivement aux programmes des Démocrates sans proposer d’alternatives viables. Ils ont acquis le soutien d’une certaine population qui est un réservoir aujourd’hui en train de s’assécher – lentement certes, mais sûrement.

Face à une nouvelle génération multiculturelle, bien éduquée, les Républicains sauront-ils mettre fin à la politique de la stigmatisation de ces jeunes, de leurs parents, et de leurs valeurs ? Mettront-ils fin à leur opposition quasi-systématique vis-à-vis des programmes sociaux qui leur ont permis de réussir ? Au manichéisme qui séduit une partie des WASP, mais dans laquelle les Millennials ne se retrouvent pas ? Il est difficile d’imaginer les jeunes accepter l’opposition des Républicains à un système de taxation plus équitable, leur haine des dépenses sociales, leur déni du changement climatique et leur refus de la science, en passant par leur dénonciation des homosexuels. Le GOP se réveillera-t-il ? La campagne présidentielle de 2012 nous montre qu’ils ont décidé de doubler la mise sur une stratégie de séduction vis-à-vis de leurs électeurs classiques. Ils font le pari de pouvoir ressortir les polémiques culturelles, flirtant avec des sous-entendus quasi-racistes, démontrant clairement que la Nouvelle Amérique n’a pas sa place dans le parti républicain.

Conclusion

Le futur s’annonce déjà. Les tendances sont en place, et leurs trajectoires ne vont probablement pas faire marche arrière. Le changement, même s’il n’est pas complètement achevé, s’amorce. Plus le parti retardera l’adaptation de son message aux nouveaux impératifs, plus il lui sera difficile de capter le vote des jeunes déçus. La fidélité politique se construit dès le plus jeune âge. Les Démocrates, qui se sont vus attribuer le rôle du parti du tax and spend et d’activisme gouvernemental, doivent tenir une ligne subtile : rester crédible aux yeux des Indépendants, donc jouer au centre, tout en sachant absorber les jeunes qui se situent plus vers la gauche de l’échiquier. Trouver un équilibre pragmatique sans décevoir l’enthousiasme et l’idéalisme des jeunes. Comment, au final, inciter les Millennials à investir dans la politique pour soutenir une coalition démocrate fructueuse pour les décennies à venir ? Quel parti saura comprendre les subtilités de cette nouvelle dynamique générationnelle pour pourvoir récolter au maximum ses fruits électorales ?

Copyright Mars 2012-Greene/Diploweb.com. Mise en ligne initiale le 25 mars 2012


Plus

. Amy Greene, L’Amérique après Obama, Paris, Autrement, 2012

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En l’espace de quelques années, le rôle et l’image des Etats-Unis dans le monde ont changé. Face à la crise économique, le pays est divisé entre une volonté réformatrice, portée par Barack Obama, et un repli conservateur prôné par ses adversaires politiques, Le Tea Party républicain en tête.

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Quelles sont les recompositions idéologiques à l’œuvre aujourd’hui aux États-Unis ? Qui sont ces nouveaux leaders qui projettent de redessiner le paysage politique américain ?

Cet ouvrage écrit par une Américaine décrit et analyse avec précision les forces en présence, les visages politiques incontournables sur la scène politique américaine, les raisons de leur émergence et leurs chances de réussite, pour nous aider à mieux comprendre l’Amérique de demain.

Un regard inédit sur la vie politique tumultueuse des Etats-Unis, à l’heure où tous les avenirs semblent possibles.

. Voir sur le Diploweb.com l’article de Guillaume Coulon, « Etats-Unis : Mitt Romney et le rétroviseur néoconservateur »


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[1Steve Olenski, « Advertisers Marketing to Baby Boomers Just Got An Additional Thirty-Eight Million Prospects », Star Group Marketing Communications Company, 25 octobre 2011, (stargroup1.com/blog/advertisers-marketing-baby-boomers-just-got-additional-thirty-eight-million-prospects)

[2Ron Brownstein, « The Gray and the Brown : The Generational Mismatch », National Journal, 30 janvier 2011.

[3Scott Keeter et Paul Taylor, « The Millennials » de la série Millennials : A Portrait of Generation Next, Pew Research Center (pewresearch.org), 11 décembre 2009.

[4Andrew Kohut (dir.) et al, « Portrait of Generation Next », Pew Research Center, 9 janvier 2007 (theinterface.org/media/pdf/300gennext.pdf)

[5A. Kohut et al., art.cit.

[6R. Brownstein, art.cit.


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