"Demain est un autre monde. Journal de route 1976-2006", par F. Gutmann aux éd. L’Harmattan

Par Richard LABEVIERE, le 6 février 2010  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Francis Gutmann, ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay, élevé à la dignité d’Ambassadeur de France. Richard Labévière est Rédacteur en chef de Défense

Présentation du livre de Francis Gutmann, Demain est un autre monde. Journal de route 1976-2006, Paris, éd. L’Harmattan.

Ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay, Francis Gutmann nous fait profiter de ses riches et longues expériences à travers une écriture alerte, rationnelle et, en définitive hyper-politique.

GENRE CONVENU, les mémoires d’ambassadeur sont souvent sans surprise. Plusieurs œuvres de nos Excellences - d’Alexis Léger alias Saint-John Perse à Paul Claudel en passant par Paul Morand – ont, indéniablement marqué la pensée, la littérature et, plus largement notre culture. Par contre, dans le domaine des relations internationales, l’apport des diplomates est, paradoxalement plus rare parce que souvent contraint par quelque pudeur professionnelle, sinon par un certain sens du devoir de réserve encore respecté ; vertu devenue si rare…

Deux livres d’ambassadeur font encore aujourd’hui référence à Sciences-Po : Les Jardiniers de l’enfer [1] de Paul-Marc Henry, l’une des meilleures synthèses sur les guerres du Liban (1975 – 1990) et les crises proche et moyen-orientales ; ainsi que Valise diplomatique [2] de Pierre-Louis Blanc, merveilleux croquis des relations internationales des vingt dernières années.

Manuel d’exception

Avec le dernier livre de Francis Gutmann [3] nous tenons un manuel d’exception pour mettre en chantier les conditions nécessaires à la compréhension de notre avenir. A la fois précis de géopolitique, poème onirique et atlas mondial, ce livre inclassable tient, à la fois de la Divine Comédie, des Mémoires du Cardinal de Retz et de l’Ethique de Spinoza. Et cet éloge relève moins d’une obligation formelle envers un collaborateur régulier de Défense que de l’immanence de son contenu traversé d’autant de rappels historiques originaux que de fulgurances prospectives.

Rompant avec les mièvreries dominantes sur la Globalisation, l’ancien secrétaire général du Quai argumente un constat pourtant de bon sens mais qui ne va pas de soi : « Hors de toute considération idéologique ou partisane, la mondialisation est une réalité qui ne génère pas par elle-même un ordre stable ». Partant de là, notre ambassadeur de France déconstruit nombre d’idées reçues, notamment sur la démocratie : « Il y a dans la démocratie, le paradoxe que le peuple est à la fois la source et le sujet du pouvoir. […] La voix du peuple souverain se ramène aux voix des électeurs. La tactique mobilise les énergies au détriment des enjeux véritables. Identifiant sans plus même s’en apercevoir, l’intérêt général à des desseins particuliers, l’homme politique n’a de cesse de convaincre l’opinion, au besoin de faire pression sur elle. Les instruments modernes de connaissance et de communication lui procurent le moyen de l’informer ; ils lui donnent aussi la tentation de la manipuler et la possibilité pratique de le faire. Le désir de plaire l’emporte sur la volonté de servir. Le peuple entier est ainsi appelé à participer au spectacle. Le temps des chœurs antiques est, en quelque sorte revenu. Mais le vedettariat des leaders a remplacé la vertu des héros ». Vient ensuite une exploration méthodique des trois dernières décennies qui virent la chute du Mur de Berlin, l’accélération de la mondialisation et les progrès des nouvelles technologies avec leur cortège d’incertitudes et de crétinisme.

Dans ce panorama cartographié du monde, la France occupe encore, non pas une figure idéale d’exception, mais une place à part qui devrait requérir toutes nos énergies et nos intelligences. En relisant la Guerre des Gaules de César, notre vieux pays devrait toujours s’attacher à mesurer son identité, ses rêves et sa puissance réelle pour revenir à une modestie, pragmatique, réaliste et opérationnelle : « A dire vrai, près de deux siècles après l’effondrement de l’Ancien Régime dépéri, la société française n’a jamais retrouvé un équilibre. La Révolution a été politique, elle n’a jamais été véritablement sociale – à moins de considérer comme telle la vente des biens nationaux ! Depuis la Convention jusqu’à nos jours, la loi est républicaine, mais la société ne l’est guère ».

Et les engagements européens de notre pays ne remplaceront pas une grandeur passée dont la mémoire devrait alimenter d’autres énergies : « L’Europe des Six avait donné l’impression – à moins que ce ne fût qu’une illusion – que quelques Etats relativement homogènes entre eux, allaient pouvoir, à partir de l’économie, former un ensemble touchant peu ou prou à tous les domaines y compris politique. Mais à partir du moment où la CEE a commencé de s’élargir – que ce soit là ou non une simple coïncidence -, l’élan n’a pas duré comme s’il s’était agi d’un simple sursaut ».

Géopolitique du monde contemporain

Le milieu du livre la fin des certitudes, 1987 – 1997 dresse une géopolitique magistrale du monde contemporain : empire américain chancelant, puissances émergeantes et problématiques transversales : évolutions démographiques, guerres asymétriques et réchauffement climatique. Passant en revue tous les acteurs qui comptent et qu’il ausculte médicalement, Francis Gutmann ne nous entraine pas dans le désenchantement d’un monde aux portes de la fin de l’histoire. Au contraire, en affirmant qu’ « on ne bâtit pas une politique extérieure sur des nostalgies », il nous engage, à partir de l’existence et de la reconnaissance des autres, à faire un pari d’intelligence : « Toute relation est un échange, et l’échange ne peut plus se limiter aux rapports interétatiques puisque nous sommes désormais dans un univers de flux aux multiples acteurs. Il faut dialoguer, distinguer toujours, sans complexe, ni complaisance. On ne doit pas attendre de pouvoir négocier pour commencer de parler ; c’est au contraire seulement en le faisant sans relâche que l’on est assuré de pouvoir saisir l’ouverture si elle vient à se produire ».

En dernière instance, « aucune partition ne peut être valable toujours et partout. Les équilibres partiels auxquels nous pouvons prétendre seront en outre précaires et successifs, parce faits de forces changeantes en mouvements constants. Ce seront des équilibres partiels comme les seules solidarités qui nous soient accessibles ». Au travail, donc !

En marge d’une érudition rhizomatique et tous terrains, Francis Gutmann nous fait profiter de ses riches et longues expériences à travers une écriture alerte, rationnelle et, en définitive hyper-politique. Un beau cadeau pour les temps à venir…

Copyright 2009-Labévière/Défense


Biographie de Francis Gutmann

Francis Gutmann, ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay, élevé à la dignité d’Ambassadeur de France, a été également Directeur de Péchiney, Président de Gaz de France (dont il est Président d’honneur), Président de l’Institut Français du Pétrole. Il est actuellement Président du Conseil Scientifique de la Défense auprès du Ministre de la Défense [4].

Né le 4 octobre 1930, marié, trois enfants, Francis Gutmann est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques et diplômé d’études supérieures d’économie politique, de sciences économiques, de droit romain et d’ancien droit. Il possède d’autre part le Certificat d’Aptitude à la profession d’avocat.

Il a commencé sa carrière au Quai d’Orsay en 1951 et il a notamment participé à différentes conférences internationales dans le cadre des Nations Unies (1952-1955) et à la Conférence de Bruxelles sur le Marché Commun (1956-1957). En 1955-1956, il a fait partie du Cabinet du Secrétaire d’Etat à l’Economie Nationale.

En 1957, Francis Gutmann entre dans le groupe Péchiney, en particulier pour FRIA, Compagnie internationale pour la production d’alumine en Guinée, dont il est Secrétaire Général en 1960, en charge de la gestion non technique, des rapports avec les actionnaires et des relations avec le pays. A partir de 1963, il devient Secrétaire Général, puis Directeur de Péchiney. Membre pendant quinze ans du Comité Directeur de Péchiney, devenu ultérieurement Péchiney Ugine Kuhlmann, il assume successivement ou conjointement différentes responsabilités, en particulier : fusions avec Trefimetaux, Cegedur, Ugine Kuhlmann, directeur des Affaires Africaines et PDG de diverses sociétés africaines, PDG des Produits Chimiques Ugine Kuhlmann et directeur de la branche Chimie de PUK, directeur des Affaires Sociales de l’ensemble du Groupe, etc...

En 1980, Francis Gutmann est Directeur Général de la Croix Rouge Française. En octobre 1981, il revient au Quai d’Orsay en qualité de Secrétaire Général, fonction qu’il occupe jusqu’en juin 1985, ce qui le conduit, outre le rôle habituel du Secrétaire Général d’animation de l’ensemble de l’action diplomatique, à effectuer différentes missions "de crise" à l’étranger. Il est élevé à la dignité d’Ambassadeur de France en 1985. Nommé au lendemain de la signature du Traité d’adhésion de l’Espagne à la CEE, Ambassadeur à Madrid, il y reste jusqu’à sa nomination en septembre 1988 à la Présidence de Gaz de France, qu’il quitte en 1993 pour prendre celle de l’Institut Français du Pétrole jusqu’à fin 1995. Depuis fin 1995, il effectue pour le Ministère des Affaires Etrangères des missions en particulier de médiateur. Depuis 1998, il est Président du Conseil Scientifique de la Défense.

Francis Gutmann a appartenu à différents Conseils d’Administration [5], ainsi qu’au Comité de l’Energie Atomique (1981-1985). Vice-Président du Comité Français de l’Environnement (1988-1990), Président d’Eurogas, Union Européenne de l’Industrie du gaz naturel (1990-1994), Administrateur de la Croix Rouge Française (1992-2000), il a présidé, de 1989 à juin 2000, la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques, dont il est Président d’honneur. Il a été également Vice-Président de "Mémoire et Espoirs de la Résistance" (1995-1999) dont il est resté administrateur jusqu’en 2000. Depuis 1998, il est Président de la Sarl SONEMES, de SAGRES, centre de formation et de réflexion, et depuis 2005, de "Médiation Internationale".

Francis Gutmann a publié "Les Chemins de l’Effort" (Emile Paul 1975, préface de Michel Jobert), le "Nouveau décor international" (Julliard 1994) et "Demain est un autre monde"


Plus La revue Défense

Indépendance, liberté de ton, réflexions et débats : richesses de la revue “Défense”.
Une large gamme d’auteurs, responsables politiques, universitaires, journalistes ou experts reconnus. Pas de langue de bois, mais du respect dans les prises de position, des points de vue argumentés, des grands dossiers fouillés et des entretiens passionnants avec des décideurs civils et militaires.
Objectif : stimuler dans la société française la réflexion stratégique en matière de défense et de sécurité au-delà du cercle de l’Institut des hautes études de défense nationale et des experts reconnus.
La revue « Défense » existe depuis 1975.

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[1Paul-Marc Henry : Les Jardiniers de l’enfer. Editions Olivier Orban, 1984.

[2Pierre-Louis Blanc : Valise diplomatique. Editions du Rocher, 2004.

[3Francis Gutmann : Demain est un autre monde (journal de route 1976 – 2006), préface de Jean-Daniel Remond. Editions de l’Harmattan, 2008.

[4Ce Conseil, formé de personnalités indépendantes de différentes disciplines, a pour mandat de donner des avis au Ministre de la Défense sur les conséquences en matière de défense (stratégie, armement, etc.) des évolutions scientifiques et techniques sur fond de géopolitique.

[5Diverses filiales Péchiney et PUK, puis : St Gobain (1982-85), Cie Financière Paribas (1982-84), Sofirad (1982-85), Cie Financière CIC (1990-92), GTM (1996-2000), Cie des Signaux (1997-2003), CDC Projets (1998-2002), Galaxy (Gpe CDC) (2001-2003), Présidence Eurasud (Gpes CIC-CDC) (1990-95).


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