Cap-Vert, les élections législatives, un nouveau rendez-vous avec la démocratie

Par Didier NIEWIADOWSKI, le 31 mars 2016  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Universitaire, ancien Conseiller de coopération et d’action culturelle Prés l’ambassade de France à Praia (2004-2008).

Comment expliquer la démocratie exemplaire au Cap-Vert alors que dans de nombreux pays africains les élections ne sont que des mirages de la démocratie ? Au Cap-Vert, les alternances politiques se produisent régulièrement tous les 10 ans. Celle commencée le 20 mars 2016 sera la troisième alternance, depuis l’indépendance, acquise en 1975.

EN AFRIQUE, le Super Sunday a eu lieu le 20 mars 2016, avec le second tour de l’élection présidentielle au Bénin et au Niger et le premier tour de la présidentielle au Congo, tandis qu’au Sénégal, les électeurs étaient appelés à se prononcer sur la durée du mandat présidentiel. Ces élections ont mobilisé l’attention des medias, surtout pour les risques postélectoraux redoutés au Niger et au Congo.

Le même jour, des élections législatives ont également eu lieu au Cap-Vert. Elles ont été peu commentées. Pourtant la démocratie a été, une nouvelle fois, au rendez-vous dans cet archipel lusophone [1], membre de la CEDEAO, qui est régulièrement classé en tête des indices de développement et de la bonne gouvernance [2].


Le Cap-Vert, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et des Amériques

Cap-Vert, les élections législatives, un nouveau rendez-vous avec la démocratie
Localisation du Cap-Vert
Source : site du Consulat du Cap-Vert à Paris

Source : site du Consulat du Cap-Vert à Paris.


Du début à la fin du processus électoral, les pratiques démocratiques ont été mises à l’honneur. Aucune contestation sérieuse n’a pollué cet exercice démocratique. La cohabitation, issue des élections de 2011 [3], a laissé la place à une alternance qui devra être confirmée par l’élection présidentielle, prévue en septembre-octobre 2016.

Le scrutin du 20 mars 2016 a confirmé la défaite du Parti Africain de l’Indépendance du Cap-Vert (PAICV) de 2011 [4]. Le Mouvement Pour la Démocratie (MPD) a obtenu près de 54 % des voix et 41 députés, le PAICV a recueilli près de 39 % des voix et 28 députés tandis que l’Union Capverdienne Indépendante et Démocratique (UCID) a eu moins de 7 % des voix et 3 députés. Le Premier ministre José Maria Neves, doit laisser la place au président du MPD, Ulisses Correia e Silva, pour gouverner le pays durant les cinq prochaines années.
Au Cap-Vert, les alternances se produisent régulièrement tous les 10 ans. Celle commencée le 20 mars 2016 sera la troisième alternance, depuis l’indépendance, acquise en 1975. Comment expliquer cette démocratie exemplaire alors que dans de nombreux pays africains, les élections ne sont que des mirages de la démocratie ?

L’archipel du Cap-Vert
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Source : Wikipedia

Les ressorts de la démocratie capverdienne

Dans ce pays pauvre, où la sécheresse est endémique, les ethnies n’existent pas, contrairement à la Guinée-Bissau, pays jumeau dont il s’est opportunément détaché, en novembre 1980, suite au coup d’Etat du Bissau-guinéen « Nino » Vieira [5]. Au Cap-Vert, le sentiment national est très fort [6]. Il est à peine modulé par les identités insulaires et l’expatriation. Outre le métissage, une autre spécificité du Cap-Vert réside dans une importante diaspora qui est estimée à un nombre au moins équivalent à celui de l’archipel, soit environ 500 000 citoyens. Les binationaux de Boston, de Lisbonne, de Rotterdam, du Luxembourg et de la banlieue parisienne sont attentifs à la bonne gouvernance et au développement harmonieux du pays. Par leurs votes [7], leurs transferts d’argent et leur participation aux projets de développement économique, ils n’autorisent pas le moindre écart envers les principes démocratiques. La sanction serait immédiate.

Cette success story est également due aux rôles éminents joués par les femmes qui assument leurs responsabilités, familiale, économique et politique, comme on le voit rarement. La traditionnelle émigration masculine et l’éloignement temporaire des marins ont forgé cette appétence. La plupart des postes ministériels régaliens sont tenus par des femmes [8] dans des gouvernements qui sont toujours restreints et durables. Le tiers des candidats aux élections législatives, du 20 mars 2016, étaient des femmes.

Un régime de type parlementaire avec un système politique quasi-bipartisan

La constitution de 1992, avec ses amendements ultérieurs, organise un système politique proche d’un régime parlementaire. Bien qu’élu au suffrage universel direct, le président de la république n’est pas le chef du gouvernement. Cette fonction est assurée par un premier ministre, leader de la majorité parlementaire. Depuis l’indépendance en 1975, le Cap-Vert n’a connu que cinq premiers ministres [9].

Le PAICV et le MPD se disputent le pouvoir avec des alternances successives. L’UCID n’arrive pas à émerger sur la scène nationale. Ce troisième parti politique représenté à l’Assemblée nationale se réclame de la démocratie chrétienne. L’UCID est surtout implanté sur l‘île de Sao Vicente où il a ses trois seuls députés. Trois autres partis politiques [10] participent aussi aux élections, mais ils sont peu représentatifs.

Contrairement à de nombreux pays africains, où les partis politiques sont surtout des clubs de supporters, au Cap-Vert, les électeurs se prononcent, avant tout, pour un parti politique plutôt que pour une personnalité. Les notions de bureau politique, de commissions thématiques et de doctrine politique sont bien présentes. Il s’agit là peut-être, à la fois, d’un héritage du passé marxiste léniniste, pour le PAICV et d’un certain mimétisme envers l’organisation des deux grands partis des Etats Unis d’Amérique, pour le MPD.

Les affrontements au sein des deux grands partis attestent de la vitalité du débat politique. A l’issue du combat politique interne, les personnalités vaincues rentrent dans le rang et ne créent pas leur propre parti politique. Dans le PAICV, les luttes de pouvoir ont toujours été vives et non sans conséquences. Ainsi à l’occasion de la succession de Pedro Pires, en 2011, plusieurs courants se sont entredéchirés, ce qui s’est traduit par une défaite électorale retentissante du candidat officiel du PAICV [11]. Les affrontements au sein du MPD sont plus feutrés mais tout aussi vivifiants pour le parti [12]. Ce renouvellement périodique des cadres permet d’éviter la sclérose que connaissent la plupart des partis africains.

Alors que dans de nombreux Etats africains, le mode de scrutin est uninominal, majoritaire à deux tours, au Cap-Vert, le mode de scrutin est plurinominal, avec répartition des sièges à la proportionnelle. Les restes des voix sont attribués à la plus forte moyenne, selon la méthode D’Hondt. Le scrutin de liste à la proportionnelle devrait normalement favoriser la multiplication des partis politiques. Au Cap-Vert, il n’en est rien. La bipolarisation de la vie politique est tellement ancrée que toute ambition politique en dehors du PAICV et du MPD est vouée irrémédiablement à l’échec.

Si les trois partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ont une existence pérenne qui ne varie pas au gré des élections, seuls le PAICV et le MPD sont structurés sur tout le territoire national et ne concentrent pas leurs activités dans la capitale. Des sections locales accueillent des débats auxquels sont conviés les membres du parti et les sympathisants. Ils ont une idéologie bien marquée qui est enrichie par des think tanks, alimentés par des intellectuels de la diaspora. Le PAICV et le MPD ont des militants fidélisés, loin du clientélisme nomade, rencontré dans de nombreux pays africains. L’appartenance à l’un ou l’autre des deux grands partis se transmet, dans de nombreuses familles, de génération en génération. Le rajeunissement des cadres et la modernisation du parti n’en sont que plus faciles.

L’ aggiornamento du PAICV n’a pas été suffisant pour l’emporter

Le PAICV est issu de la scission du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGV), en 1981, après la séparation du Cap-Vert avec la Guinée Bissau. Héritier du leader panafricaniste, Amilcar Cabral, le PAICV resta un parti unique jusqu’en 1991, date de la création du multipartisme et de sa conversion à la social-démocratie. Le partenariat avec la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP) et l’intégration à la CEDEAO constituent des axes importants de son programme. Membre de l’internationale socialiste, le PAICV est proche des partis sociaux-démocrates du Portugal et du Brésil.

La vieille garde, au passé marxiste léniniste, laisse inéluctablement la place à la jeune génération. Les nouveaux cadres du PAICV sont moins marqués par les héros des guerres coloniales qu’étaient Agostinho Neto en Angola, Eduardo Mondlane au Mozambique et Amilcar Cabral en Guinée Bissau. Cette jeunesse connectée aux réseaux sociaux, de moins en moins francophone, est incarnée par Janira Hopffer Almada, présidente du PAICV, depuis 2014. Alors ministre de la Jeunesse et des Ressources humaines, elle s’était imposée à Cristina Fontes Lima, héritière du Comandante Pedro Pires.

Sous la houlette de Janira Hopffer Almada, les jeunes cadres du PAICV ont poussé vers la sortie les caciques historiques du PAICV dont José Maria Neves. L’ancien Premier ministre briguera, en septembre-octobre 2016, le poste de Président de la république. La défaite du PAICV du 20 mars 2016 est aussi un peu la sienne. Il lui sera difficile de la surmonter, d’autant que l’actuel Président de la République, Jorge Carlos Fonseca, est bien parti pour accomplir un second mandat de cinq ans, comme l’ont fait, avant lui, tous ses prédécesseurs : Aristides Pereira (PAICV de 1980-1991), Mascarenhas Monteiro (MPD de 1991-2001), Pedro Pires (PAICV de 2001-2011). L’aura dont bénéficie Janira Hopffer Almada auprès de la jeunesse n’a pas été suffisante pour empêcher la défaite du PAICV. Nul doute, qu’elle sera une chef de l’opposition, pugnace et peu accommodante, envers le nouveau Premier ministre Ulisses Correia e Silva et son gouvernement. Comme toujours au Cap-Vert, le chef de l’opposition est principalement motivé par l’intérêt national, au besoin, les structures de son parti et la diaspora peuvent le lui rappeler.

Avec son grand chelem, le MPD a désormais de lourdes responsabilités

A ses débuts et durant la fin de la guerre froide, par opposition au PAICV pro soviétique et castriste, le MPD était résolument pro américain. Il a conservé ce tropisme américain dans son attachement au libéralisme économique et son souhait de renforcer davantage les liens avec les Etats Unis d’Amérique, notamment dans le cadre de l’African growth and opportunity act (AGOA). Sa préférence va également au rapprochement avec l’Union européenne, notamment dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants et l’immigration irrégulière En revanche, le renforcement de l’intégration avec la CEDEAO ne constitue pas sa priorité.

Le MPD a entrepris une longue marche vers la reconquête du pouvoir, perdu en 2001. Le président fondateur du MPD, Carlos Veiga, avait alors perdu l’élection présidentielle contre le candidat du PAICV, Pedro Pires, par 19 voix d’écart. A cette occasion, la démocratie avait, une nouvelle fois, pris le dessus sur les passions et les frustrations.
Après son succès aux élections du 20 mars 2016, le MPD détient, pour la seconde fois, la totalité des pouvoirs de l’Etat [13]. Grâce à ses succès aux élections municipales successives, le MPD a renforcé son enracinement local, préalable indispensable à ses succès nationaux. Le sursaut du MPD a commencé avec les élections municipales de 2007 et s’est renforcé en 2012 avec des victoires dans 14 des 22 villes du pays et, en particulier, dans la capitale Praia et Assomada, bastions du PAICV. Traditionnellement bien implanté dans les îles du nord (Sao Vicente, Santo Antao, Sal), le MPD est désormais majoritaire dans les îles du sud (Santiago, Maio, Brava, Fogo).

Comme dans beaucoup de démocraties occidentales, les électeurs capverdiens ont voulu procéder au changement des gouvernants. L’usure du pouvoir n’a pas épargné le PAICV et surtout le Premier ministre, José Maria Neves, en poste depuis 2001. La crise économique, les problèmes énergétiques, les défaillances enregistrées dans les transports maritimes et aériens et certains investissements touristiques douteux ont évidemment aussi pesé dans le choix des électeurs.

Avec une majorité absolue des 72 députés à l’Assemblée nationale, le nouveau Premier ministre et ancien maire de Praia, Ulisses Correia e Silva, n’a pas de temps à perdre car déjà se profile l’élection présidentielle, programmée en septembre-octobre 2016. Nul doute que la Présidente du PAICV, mais également l’actuel Président de la République seront particulièrement attentifs aux premières actions de cette nouvelle gouvernance du MPD.

Manuscrit clos le 23 mars 2016

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[1L’archipel du Cap-Vert comprend 10 îles dont 9 habitées. D’une superficie totale de 4 033 km2, ce pays créole a un peu plus de 500 000 habitants dont près de la moitié vivent sur la plus grande île, Santiago, où se trouve la capitale Praia.

[2En 2015, le Cap-Vert est classé en tête des Etats membres de la CEDEAO et de la CEEAC pour l’indice de développement humain (0,65) et pour l’indice Mo Ibrahim concernant la gouvernance et les droits de l’Homme.

[3Les élections législatives du 6 février 2011 avaient donné une courte victoire au PAICV sur le MPD avec 50,9 % des voix et 37 députés sur 72. En revanche, à l’élection présidentielle du 21 août 2011, le candidat du MPD, Jorge Carlos Fonseca, l’emporta facilement, au second tour, avec 54,09 % des voix, sur le candidat du PAICV, Manuel Inocêncio Souza.

[4Les élections législatives du 20 mars 2016 se sont déroulées dans 16 circonscriptions électorales pour 347 828 inscrits. Le taux de participation a été de 66 %.

[5La Guinée portugaise et les îles du Cap-Vert ont connu un destin commun jusqu’en 1980. Le Cap-Vert n’obtint son indépendance qu’en juillet 1975. Le PAIGC, parti unique pour les deux Etats, constitua le ciment de cette union qui éclata lorsque Nino Vieira renversa Luis Cabral. Le PAICV fut créé en janvier 1981, avec Aristides Pereira comme secrétaire général. Si depuis 1991 la démocratie n’a jamais été prise en défaut au Cap-Vert, en revanche, en Guinée-Bissau, les coups d’Etat et les assassinats de personnalités politiques ne font que se succèder.

[6La musique afro européenne et des artistes talentueux ont popularisé l’âme capverdienne, à la fois multiculturelle, marquée par la dureté de la vie et par une capacité de résilience exceptionnelle. Le Cap-Vert est un trait d’union entre l’Afrique et l’Europe, entre le Brésil et le Portugal et entre la Communauté des pays de langue portugaise et l’Organisation internationale de la Francophonie.

[7La diaspora est représentée par 6 députés : 2 pour les Amériques, 2 pour l’Europe et 2 pour l’Afrique.

[8Dans le gouvernement du 22 septembre 2014, il y avait 9 femmes sur 16 ministres et 2 femmes sur 3 secrétaires d’Etat. Les départements ministériels attribués aux femmes étaient : l’Intérieur, les Finances, la Santé, l’Education, le Développement rural, les Infrastructures et l’économie maritime, la Jeunesse, le Tourisme et l’Emploi.

[9Pedro Pires (1975-1991), Carlos Veiga (1991-2000), Gualberto do Rosario (2000-2001), Jose Maria Neves ( 2001-2016) et Ulisses e Silva, président du MPD, vainqueur des élections législatives, du 20 mars 2016.

[10Le Parti social démocrate, le Parti populaire et, le Parti du travail et de la solidarité n’ont pas d’élu à l’Assemblée Nationale. Le 20 mars 2016, ces trois partis politiques n’ont obtenu que quelques centaines de voix soit moins de 0,5% des voix.

[11Si dans la lutte interne pour l’investiture, Manuel Inocêncio Sousa l’emporta sur l’ancien maire de Praia, Felisberto Vieira et la ministre de la Défense Cristina Fontes Lima, il ne put empêcher la candidature d’Aristides Lima, alors président de l’Assemblée Nationale. Au premier tour de l’élection présidentielle, Manuel Inocêncio Sousa obtint 32 % des voix tandis qu’Aristides Lima recueillait 27,4 % des voix. Au second tour, Manuel Inocêncio Sousa n’a pas réussi à rassembler la totalité des voix portées sur Aristides Lima. Jorge Carlos Fonseca, président du MPD, l’emporta facilement avec 54,09 % des voix.

[12En 2006, le Président en exercice du MPD, Jorge Santos, se heurta à la volonté de Carlos Veiga de prendre sa revanche sur Pedro Pires. Le président fondateur du MPD, Carlos Veiga, fut plus largement battu qu’en 2001. En 2010-2013, les affrontements entre José Moreira, le secrétaire général, Agostinho Lopes, ancien secrétaire général, Orlando Ferreira et Victor Coutinho permirent l’émergence d’Ulisses e Silva, à la tête du MPD.

[13De 1991 à 2001, le MPD était représenté à la présidence de la république par Antonio Mascarenhas Monteiro et le gouvernement était dirigé par Carlos Veiga (1991-2000) puis par Antonio Gualberto do Rosario (2000-2001).


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