Alain Nonjon présente une réflexion géopolitique illustrée d’une carte.
Le Sud-Soudan est le dernier État (54e) à avoir accédé à l’indépendance sur le continent africain après l’Érythrée en 1991. Le 9 juillet 2011, il acquiert la légitimité que vingt-deux années de guerre civile (depuis 1989), de refus de l’islamisation ont forgée au prix élevé du sang : 2 millions de morts et 4 millions de réfugiés, triste lot pour l’Afrique, principale terre d’accueil des 44 millions de réfugiés qui errent à travers le monde.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet article d’Alain Nonjon publié sous le titre « L’Afrique au miroir du Sud-Soudain, dans le n°139 d’Espace Prépas, octobre 2011.
LE SUD-SOUDAN est un nouvel État (le 193e à l’ONU) sur la carte de l’Afrique… Sur un continent confronté à des problèmes de délimitation de frontières — 57 % des contentieux portés devant la CIJ (Cour internationale de justice) concernent l’Afrique et ce depuis quarante ans — le Sud-Soudan n’est qu’un des nombreux litiges impliquant, selon M. Foucher, les 177 groupes ethniques et religieux divisés par les tracés imposés et hérités. C’est une des douloureuses étapes de cette reconfiguration des frontières africaines : « on ressort les équerres », dirait Wole Soyinka, prix Nobel nigérian, et, pour la première fois, on passe outre les frontières dites intangibles de 1964 léguées par la colonisation.
Désormais on peut dresser sa fiche signalétique : 589 700 km2 ; 8,3 millions d’habitants (ou plus ? ce chiffre est contesté) ; 14 habitants au km2 ; Juba, capitale d’un État constitué d’une centaine d’ethnies dont les Dinka majoritaires. Un État à dominante chrétienne et animiste, où l’anglais est la langue officielle. Parallèlement, se pratiquent des langues nilo-sahariennes et l’arabe de Juba. Une devise ambitieuse : « Liberty Justice Property » alors que c’est un État parmi les plus pauvres du monde : pas de lignes de téléphone fixe en 2005 et 3 km de routes goudronnées…
Le référendum est un condensé de ce que l’Afrique peut gagner grâce à la démocratie : vote sans appel (98,83 % de votes favorables à l’indépendance) d’un électorat où les femmes (« les meilleurs de nos hommes », dirait le poète Evtouchenko) représentaient 52 % des inscrits. Le scrutin permet de conclure six années de négociations de paix entre Khartoum et le SPLA (Sudan People’s Liberation Army ou Armée populaire de libération du Soudan). Toutes les menaces de report ont été jugulées, le cycle de violence qu’aurait déclenché une indépendance unilatérale est évacué. L’intransigeance du président soudanais, Omar el-Béchir (ne déclarait-il pas en 2005 « ne pas accepter d’alternative à l’unité du pays ») a cédé face à l’évidence : le Soudan, plus vaste État d’Afrique, n’avait rien d’une nation… Sous la domination égyptienne, le Sud, peuplé de pasteurs africains, était vu par le Nord comme une terre de razzias et un réservoir d’esclaves. Les Britanniques, eux, tracèrent une frontière symbolique au sud de laquelle les missionnaires, particulièrement l’ordre italien des Comboni, pouvaient évangéliser librement. Et dès l’indépendance de 1956, une guerre civile Nord-Sud a commencé suite au refus d’accorder au Sud les promesses d’autonomie.
La communauté internationale a été la bonne fée de ce processus. Le président Obama est allé jusqu’à normaliser, le 24 septembre 2010, ses relations avec Omar el-Béchir. Il ne s’est pas focalisé sur le statut du président soudanais, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour internationale sous l’accusation de crimes contre l’humanité perpétrés au Darfour et il a même annoncé une levée des sanctions pour faciliter le processus amorcé sous l’égide américaine dès 2005.
L’opposition entre le Nord, majoritairement peuplé de populations arabes nomades et musulmanes, et le Sud chrétien et animiste demeure malgré le vote. L’entrelacs des ethnies Dinka, Nuer, Chilouk et des religions (18 % de musulmans, 17 % d’animistes et 65 % de chrétiens) pèse sur l’avenir.
Le SPLA — mouvement de libération populaire principal acteur politique sud-soudanais —, qui a mené la guerre contre Khartoum depuis 1983, paraît peu préparé à partager son pouvoir. Il contrôle les institutions, le rythme démocratique de l’État avec son président réélu Salva Kiir, sans limitation de mandats… Un État proclamé n’est pas un État régalien rénové.
La dissidence manipulée par Khartoum perdure dans les régions frontalières du Nord, le désarmement des milices tarde, la professionnalisation de l’armée piétine. Le territoire de Abyei est contesté et les armes ne se sont pas tues dans cette région tampon et, de plus, pétrolière.
Le Sud-Soudan est un État africain sous perfusion internationale : le Conseil de sécurité de l’ONU y a autorisé l’envoi d’une nouvelle force de maintien de la paix. Le Conseil a également accepté le déploiement d’un maximum de 7 000 soldats et de 900 policiers internationaux, en plus d’un nombre indéterminé d’employés civils des Nations unies, dont des experts en droit de la personne.
La « malédiction pétrolière » ne plane-t-elle pas eu égard à l’abondance des ressources pétrolières du Soudan (500 000 barils/jour) polarisées sur le Sud (75 %) représentant 98 % des revenus de l’État. Des tentatives de corruption ont déjà opposé le Britannique White Nile à Total… Le débouché pétrolier du Sud-Soudan est source de tensions puisque le seul débouché est un oléoduc qui traverse le Soudan vers Port-Soudan. Comment sauront-ils gérer les royalties nécessaires au paiement du transit par le Soudan ?
Une fois de plus, les Chinois — qui portent à bout de bras l’exploitation pétrolière du Soudan (leur première zone d’investissement en Afrique) et qui, pour quelques barils, font peu de cas des droits de l’homme dans ce pays — sont aux avant-postes de cette indépendance. Ils animent le projet d’oléoduc vers Port de Lamu et ont symboliquement déjà installé une clinique et une banque faisant de Juba le siège de leurs intérêts dans le consortium GNPOC (Khartoum n’étant symboliquement qu’une succursale !).
Les puissances régionales prennent le devant et sont installées : Éthiopie, Kenya, Ouganda pour se partager le festin… et renvoyer les réfugiés. Les Occidentaux sont en embuscade pour ce qui pourrait devenir une base arrière de la lutte contre le terrorisme de l’arc de crise d’AQMI. Israël n’est pas en reste au niveau des livraisons technologiques.
La gestion des eaux du Nil est également au cœur des fragilités d’un État bâti autour du Nil blanc, lequel conflue avec le Nil bleu à Khartoum : une future guerre de l’eau est-elle programmée ?
Les flux migratoires incontrôlés menacent le 54e État africain : 1,5 à 2 millions de Sud-Soudanais travaillent au Nord ou y sont réfugiés. La sécheresse conduit les populations nomades du Nord à faire des incursions au Sud pour nourrir leur bétail, exacerbant alors les risques de conflits.
L’onde de choc de l’indépendance peut-elle inciter les rebelles du Darfour à réclamer une place plus grande dans un Soudan réduit ? Quel est l’exemple donné par le Sud-Soudan ? Pacification réussie ou incitation à finaliser toute guerre sécessionniste africaine… au risque pour certains dirigeants africains de se sentir directement menacés (comme la République démocratique du Congo au Kivu ou au Katanga ou Mouammar Kadhafi qui anticipait en octobre 2010 « une maladie gravement contagieuse pour l’Afrique et le monde arabe »). Le Nord acceptera-t-il d’être amputé du tiers de son territoire ? Que faut-il retenir ? Les félicitations du président soudanais à « ses frères du Sud » ou ses interventions dans la région du Nil bleu et du Kordofan maintenant qu’il est libéré de toute accusation de soutien au terrorisme international ?
L’Union africaine a-t-elle vraiment tenu son rôle dans cette émancipation et va-t-on dans le sens des souhaits émis par le président Senghor dès 1959 : « l’unité africaine est la seule réponse historique aux redoutables contradictions de l’Afrique noire » ? Rien n’est moins sûr…
Copyright 2011-Nonjon/Espaces prépas, 2011, n°139
Plus
. Voir l’article de Jean-Jacques Konadje, "Stratégie africaine : quelles voies ?"
. Voir l’article de Diassonama Kiessé Bouzanda, "La Chine en Afrique : quel soutien aux mouvements de libération nationale ?"
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