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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

2. QUELLES SONT LES IMAGES DE LA FRANCE A L'ETRANGER ?

Partie 2.4. Comment la France est-elle perçue aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne,

en Europe de l'Est et en Afrique ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
Mots clés - key words : pierre verluise, john laughland, jacques leprette, yasushi masaki, édouard husson, alexandra viatteau, jacques rupnik, jean-françois lionnet, geneviève delaunoy, représentations, france, états-unis, japon, allemagne, europe de l'est, afrique, union européenne, russie, relations franco-allemandes, questions monétaires, gouvernement, ordre public, autorité, questions sociales, lobbies, syndicats, économie de marché, libéralisme, économie administrée, entreprises publiques, semi-publiques, privées, révolution américaine, lafayette, f. d. roosevelt, charles de gaulle, juin 1940, stratégie, droits de l'homme, ordre international, littérature française, traité de versailles, europe centrale, traité de trianon, conférence de munich, 1er septembre 1939, 1947, guerre froide, totalitarisme soviétique, aveuglement des élites françaises, communisme, reconnaissance des crimes soviétiques, mikhaïl gorbatchev, chute du mur de berlin et du rideau de fer, françois mitterrand, attentes des pays d'europe centrale et orientale, elargissement de l'union européenne, otan, élites africaines francophones, francophonie, indépendances, pré carré, conférences nationales, réforme de la politique africaine de la france, accords de défense. <Partie précédente

Les trois premiers pays cités dans ce titre précèdent tous - et de loin - la France en terme de puissance économique. Alors que les deux dernières régions mentionnées vivent une situation critique.

Avant d’étudier les images de la France dans chacun des espaces cités, il importe de noter trois représentations communes aux pays les plus riches.

Paradoxe

Premièrement, " l’arrogance de la France leur paraît non seulement irritante mais paradoxale, compte tenu de l’incroyable soumission des gouvernements français aux autorités allemandes ", remarque John Laughland. Ainsi, les spécialistes des questions monétaires observent que, au moins depuis les années 1970, les Allemands imposent presque systématiquement leur point de vue à Paris (1) . Bien que cela ait été peu montré par les médias français, cela n’a pas échappé aux étrangers les mieux informés.

Un pays en crise permanente ?

Deuxièmement, les observateurs des pays les plus riches s’interrogent sérieusement sur la capacité des gouvernements qui se succèdent à la tête de ce pays à lui impulser une direction politique. Les étrangers restent souvent pantois devant les difficultés des autorités françaises à maintenir tout simplement l’ordre public. On remarque que les gouvernements ne font que trébucher d’une crise à l’autre, d’une émeute à Strasbourg à une grève des transports publics ou privés en passant par des manifestations lycéennes. Lors des mouvements sociaux déclenchés par le plan du second gouvernement d’Alain Juppé, "The Economist" écrit le 9 décembre 1995 : " Des grévistes par millions, des émeutes dans la rue : les événements des deux dernières semaines en France font ressembler le pays à une République bananière dans laquelle un gouvernement assiégé cherche à imposer les politiques d’austérité du F.M.I. à une population hostile ".

John Laughland confirme que " les Américains comme les Britanniques ont l’impression que les gouvernements français se laissent prendre en otage. L’exécutif est aux mains de multiples groupes de pression.

Or, il appartient à un gouvernement d’incarner l’intérêt national. Ce qui suppose de se libérer des lobbies. Si un gouvernement en demeure l’otage, il devient évident aux yeux du monde qu’il n’est plus souverain, même chez lui. Il doit alors se contenter de rechercher le niveau le plus bas possible d’insatisfaction mutuelle entre les parties en présence. Les gouvernements français fonctionnent ainsi, réagissant à des pressions successives qu’ils ne cessent d’apaiser en promettant des subsides. Ce qui fait penser aux empereurs du temps de la décadence romaine, achetant le peuple en lui donnant du pain et des jeux ".

Manque de maturité

Troisièmement, les pays les plus riches du monde considèrent que les Français manquent singulièrement de maturité à propos des grands principes de fonctionnement d’une économie moderne dans le cadre des lois du marché. Celles-ci sont perçues comme des données objectives, au même titre que la météorologie. Chacun peut trouver la pluie désagréable, mais nul ne peut en nier l’existence. En France, nous continuons à refuser l’existence de la pluie. Il paraît surprenant mais significatif qu’aucun des principaux partis politiques ne se réclame du libéralisme. La France reste donc perçue comme une économie administrée par un Etat omniprésent, dans un consensus quasi général.

Les étrangers s’étonnent, d’ailleurs, que des Français ayant réussi un concours administratif se propulsent par cooptation dans les conseils d’administration des plus grandes entreprises publiques, semi-publiques ou même privées. Il paraît encore plus surprenant que les postes d’expansion économique et d’attachés commerciaux soient attribués à des fonctionnaires n’ayant pas la moindre expérience du monde de l’entreprise.

Une fois posées ces représentations communes aux pays les plus riches, cernons les cas des trois pays qui précèdent la France au classement économique, par ordre de prééminence.

. La France vue des Etats-Unis

Un Français peut aisément s’illusionner à propos de la perception américaine de son pays. En effet, il arrive qu’à la seule évocation du mot " France " des Américains se lancent en un émouvant hommage du rôle de ses ancêtres durant la Révolution américaine. Appelé ironiquement " the La Fayette sauce ", ce baume lénifiant demeure cependant absent du discours à usage interne. Lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution américaine, en 1976, l’action des Français conduits par La Fayette fut généralement passée sous silence. Aussi faut-il se garder de tomber dans " the La Fayette sauce ".

Le poids de juin 1940

D’autant que les représentations américaines de la France restent marquées par une des pages les plus sombres de son histoire contemporaine. Après avoir été trois fois en poste aux Etats-Unis, l’ambassadeur de France Jacques Leprette l’explique. " Le président F. D. Roosevelt sentait que le général de Gaulle apprécierait peu de ne pas avoir été invité à la conférence de Yalta. Aussi envoya-t-il Harry Hopkins à Paris pour essayer d’aplanir les difficultés. Celui-ci fut reçu, en février 1945, par le général de Gaulle qui lui dit : " J’apprécie votre démarche, mais pour quelle raison l’Amérique nous en veut-elle autant ? " Son interlocuteur répondit franchement : "Nous avons été stupéfiés par l’effondrement politique et militaire de la France en juin 1940. Depuis ce jour, nous craignons que la France ne soit plus en mesure d’exercer de grandes responsabilités ". On peut donc considérer qu’à Washington, la France a été mise en observation - pour ne pas dire entre parenthèses - à la suite de juin 1940 ".

Concurrence

Par ailleurs, les Américains se pensent porteurs d’une dimension messianique les chargeant naturellement du destin de la planète. Aussi ne conçoivent-ils pas qu’un " petit " pays puisse lui aussi prétendre avoir une vision globale du monde. D’autant que cette vision - ou à défaut ses initiatives - s’opposent volontiers à la stratégie de la Maison Blanche. Ce qui explique que la France soit souvent critiquée.

En fait, les Américains voient en la France "une grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf". Dès que la France se porte au devant de la scène internationale, de multiples groupes de pression américains montent au créneau pour stipendier une attitude qu’ils présentent à la fois comme ridicule et déplacée. Les Américains ne supportent pas que la France prétende mettre en œuvre une politique de grande puissance, de surcroît le plus souvent sans cohérence.

Cynisme ?

Outre ce déficit de cohérence, les Américains reprochent aux Français leur absence de moralité, ce qui peut étonner davantage. Un haut fonctionnaire européen l’explique ainsi : "  Pour les Etats-Unis, la France est un pays cynique, notamment parce que leurs théories des droits de l’homme diffèrent. Pour Paris, on ne peut enregistrer de progrès en matière de droits de l’homme qu’à condition de favoriser des progrès économiques. Selon Washington, les droits de l’homme sont un facteur de construction de l’ordre international. Au moins dans les apparences, les Américains tiennent à ce que leur diplomatie soit construite sur de solides principes idéologiques, voire religieux. L’action internationale de ce pays volontiers " bigot " ne doit donc pas paraître en contradiction par rapport à ses engagements religieux. Voici pourquoi les Etats-Unis peinent à admettre l’absence de principes religieux dans la diplomatie française, y compris à propos des droits de l’Homme. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la politique arabe de la France soit perçue comme mercantile par un Congrès toujours prêt à s’inquiéter de la sécurité d’Israël ".

Quittons la première puissance économique mondiale pour découvrir comment la France est perçue dans l’archipel qui s’est hissé au deuxième rang.

. La France vue du Japon

Au début du XIX e siècle, le Japon de l'époque des samouraïs pratique une politique de fermeture à l’égard des étrangers. En revanche, l’ère Meiji amorce en 1868 une ouverture à l’Occident. Les Japonais se procurent alors auprès des pays occidentaux l’excellence en matière de commerce, de techniques, d’administration et de culture. La France se trouve à cette époque en compétition avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Japonais, particulièrement actif dans le domaine culturel, Yasushi Masaki marque la pesanteur du choix fait alors. "Vue comme la mère des systèmes démocratiques et juridiques, la France se voit de surcroît reconnaître à la fin du XIX e siècle une prééminence dans le domaine culturel. Les arts et la littérature française deviennent pour longtemps la référence des intellectuels japonais. Voici pourquoi Victor Hugo, par exemple, a exercé une grande influence sur les écrivains de l’archipel. Il existe même des sociétés littéraires spécialisées dans l’étude de Balzac ou de Proust. Au début du XX e siècle, un esprit japonais se doit de venir à la source de cette culture, en faisant un voyage en France. Même avant la Seconde Guerre mondiale, les intellectuels nippons se réfugient volontiers dans la capitale française. Ce qui renforce encore la perception d’une France pays de référence en matière culturelle. Après la fin du conflit, l’image de la France s’enrichit de son excellence en matière d’art de vivre et de mode.

L'Empereur du Japon. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

Résultat, la France est encore perçue au milieu des années 1990 comme le pays des arts, de la mode, des produits de luxe, de la littérature et du cinéma. Jean Gabin, Alain Delon et Catherine Deneuve sont des noms et des visages connus des japonais".

Les images de la France sont-elles aussi flatteuses dans la troisième puissance économique du monde ?

. La France vue d’Allemagne

Alors que les noms les plus connus de l’enseignement français sur l’Allemagne atteignent l’âge de la retraite, un jeune historien universitaire contribue à renouveler l’approche de ce pays. Normalien, agrégé et docteur en histoire, Edouard Husson (2) confie ici les observations faites lors de ses multiples séjours outre-Rhin. " S’il y a une chose qui compte en Allemagne, c’est le respect de la parole donnée. Si l'on était polémique, on ajouterait que les Allemands se reconnaissent à eux seuls la possibilité de se défaire d’un engagement antérieur (3). Or, les Allemands voient trop souvent dans les Français des gens peu fiables qui ne tiennent pas toujours parole. Cela les choque et explique qu’ils aient parfois du mal à s’entendre avec la France.

Préjugés

De surcroît, beaucoup d'Allemands manquent d’une véritable connaissance de la culture française dans ce qu’elle a de singulier et d’irréductible. La réciproque est vraie. Il reste beaucoup de préjugés à surmonter des deux côtés du Rhin. En 1995, les Allemands n’ont voulu ainsi voir dans la reprise des essais nucléaires français qu’une manifestation d’arrogance supplémentaire. Sans faire l’effort de comprendre que la France possède une tradition politique propre et que Paris a su faire depuis les années soixante la distinction entre une stratégie de puissance et une diplomatie au service d’un équilibre européen et mondial. De manière ironique, les Allemands se plaisent plus que jamais à désigner la France comme " la grande Nation ", en français dans le texte. Cette expression désigne, à l’origine, la France de la Révolution et de l’Empire. L’Allemagne moderne s’étant construite contre la Révolution et l’Empire, les Allemands d’aujourd’hui se moquent ainsi de la Grande Armée... et de la France ".

Ce sobriquet nous amène au fond des choses. Après avoir été d'un réalisme total, les Allemands se sont dit : " Puisque nos rêves fous de grande puissance nous ont conduits à l’échec, acceptons de n’être plus qu’une puissance moyenne, via l’économie ". Alors que les Allemands savent bien que la France arrive à des résultats économiques inférieurs de près d’un tiers, ils ne comprennent pas - voire n’admettent pas - que les Français affichent encore des rêves de prestige et de politique étrangère indépendante de la puissance américaine. " Quoi qu’il arrive, les Allemands ont tendance à considérer que la France n’a - de toute façon - pas de véritable vision à proposer. Toutes ses prises de position sont donc, par définition, dépourvues de sens ", conclut un observateur européen.

S’il existe un espace où la France et l’Allemagne pourraient être en concurrence, c’est bien l’Europe de l’Est.

. Quelles sont les représentations de la France dans les pays d’Europe centrale et orientale ?

Les relations entre l’Hexagone et ces pays remontent à plusieurs siècles, mais nous nous limiterons aux seules représentations issues de faits survenus au XX e siècle.

Nombre de méfiances contemporaines envers la France s’enracinent au lendemain de la guerre de 1914 - 1918. A la suite de la signature du traité de Versailles (28 juin 1919), plusieurs traités réorganisent les frontières de l’Europe centrale. A tort ou à raison, la France est tenue pour responsable d’avoir contribué à la création d’une Europe centrale composée de petits Etats qui n’étaient pas de véritables Etats nations. A cause de leurs problèmes de frontières et de minorités nationales, ces entités non viables n’ont vécu que vingt ans. Les Hongrois, de surcroît, tiennent la France en partie responsable du démembrement de la Hongrie par le traité de Trianon (4 juin 1920). L’abandon forcé d’un tiers de la population hongroise en dehors des frontières a été un profond traumatisme. Pour les Tchèques, la conférence de Munich (28 et 29 septembre 1938) accole à la France une réputation de protecteur peu fiable, puisqu’elle n’a pas tenu ses engagements. Ce qui a contribué à laisser l’Allemagne nazie écraser les Tchèques.

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale n’améliore pas la réputation de la France en Europe de l’Est. Les Polonais se souviennent que Paris n’envoie pas le moindre corps expéditionnaire lorsque les Allemands envahissent leur pays le 1 er septembre 1939.

En 1947, la Guerre froide  devenue manifeste, les pays suivants sont abandonnés au totalitarisme soviétique : l’Allemagne de l’Est, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Yougoslavie, la Bulgarie et l’Albanie. Ces populations subissent durant plus de quatre décennies les multiples atteintes aux droits de l’homme induites par le système communiste.

Faiblesse et aveuglement

Quelles représentations conserve t-on aujourd’hui du rôle de la France durant ces années noires ? Auteur d’ouvrages remarqués sur la Pologne contemporaine (4) et enseignante à l’Université de Paris II, Alexandra Viatteau répond. "Il faut bien admettre que la France a toujours eu de la faiblesse ou de l’aveuglement pour le système communiste. Cela jette aujourd’hui encore une ombre sur ses relations avec les pays de l'Europe centrale et orientale.  

D’autant qu’au début des années Gorbatchev (1985 - 1991) les médias français ont le plus souvent fait preuve d’une naïveté confondante en félicitant le Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique de sa reconnaissance courageuse, mais partielle des crimes... soviétiques. Alors que, depuis plusieurs décennies, les témoins et les victimes survivantes avaient pris le risque de faire parvenir en Occident d’innombrables informations et rapports sur les crimes du soviétisme. Ceux qui vivaient en Occident n'arrivaient pas davantage à faire entendre la réalité. Ces documents et ces témoignages sont, le plus souvent, restés sans suite. En revanche, quand une autorité soviétique fait mine de " découvrir " les crimes soviétiques... les Français applaudissent à tout rompre. Sans se rendre compte que l'on dévoile, enfin, ce qu'ils auraient dû savoir et clamer haut et fort depuis un demi-siècle. Dans les pays d’Europe de l’Est, ce comportement a été considéré comme naïf et conduit à regarder la France avec un peu de tristesse".

A contretemps ?

La chute du mur de Berlin et du rideau de fer place, à plus d’un titre, la France en une situation peu favorable. Jacques Rupnik, enseignant et chercheur à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, attire l’attention sur une singularité de la situation française. " La coïncidence entre la chute du système communiste durant l’hiver 1989 - 1990 et la présence en France d’un président de la République et d’un gouvernement socialiste a été lourde de conséquences en Europe centrale et orientale. Bien entendu, il s’agit d’un socialisme particulier, mais vu de pays où le système communiste vient de s’effondrer, la France apparaît décalée. Durant les années 1990, la France apparaît donc en porte à faux par rapport à l’évolution à l’œuvre en Europe centrale et orientale, via une remise en cause de l'emprise de l’Etat sur l’économie et la société. Il en va de même pour les modèles politiques. Seuls les moins démocrates - Illiescu en Roumanie et Tudjman en Croatie - prétendent alors s’y inspirer d’un " modèle français ", pour mettre en valeur une conception centralisatrice et autoritaire du pouvoir ".

La méfiance domine

A la fin des années 1990, une tournée des capitales Est européennes et une étude de leur presse conduit à constater que les perceptions de la France y varient de l’indifférence à la suspicion systématique. Les rares a priori favorables - quelque fois en Pologne et en Roumanie - peuvent rapidement se transformer en dépit, tant la présence française demeure insuffisante au regard des attentes. En réalité, il devient exceptionnel que l’on fasse en Europe centrale et orientale une pierre de touche des positions françaises. D’autant que le rôle de la France au sein de l’Union européenne reste, dans ces pays, tout à fait flou.

Les jugements, le plus souvent défavorables, résultent des intentions cachées qu’on prête à Paris : arrière-pensées quant à la relation avec le Kremlin, hostilité de principe présumée vis à vis de la politique de Washington, réticences au sujet de l’élargissement de l’Union européenne à ces pays... Voire intention de nuire, en voulant empêcher l’élargissement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à certains de ces pays. Outre qu’on lui reproche volontiers son absence dans la région, la France se voit de plus en plus souvent attribuer le mauvais rôle, même en l’absence de justification objective. Que la France se comporte en " trouble-fête " sans avoir de véritable politique en Europe centrale et orientale est jugé incohérent.

Compte tenu des horreurs faites par les nazis en Europe centrale et orientale durant la Seconde Guerre mondiale, n’est-il pas à la fois paradoxal et significatif que les Allemands réussissent à être aujourd’hui mieux perçus que les Français dans cet espace éminemment stratégique ?

Autre espace important, si l’on en croît les efforts américains pour s’y implanter, l’Afrique.

. La France vue d’Afrique

A la veille de la Première Guerre mondiale, la France possède le deuxième empire colonial du monde. L’Empire français est alors essentiellement africain. Il comprend une forte proportion de l’Afrique du nord, de l’Afrique occidentale et de l’Afrique équatoriale, sans oublier l’île de Madagascar. Si l’Empire n’existe plus depuis les années 1960, il subsiste en héritage de la colonisation des relations complexes avec près d’un tiers des pays africains.

Ministre plénipotentiaire et Directeur pour l’Afrique des Etudes et de la Recherche au Centre des Hautes Etudes sur l’Afrique et l’Asie Modernes (CHEAM), l’ambassadeur Jean-François Lionnet introduit la réflexion. " Au-delà des diversités, il existe chez les élites africaines francophones une représentation assez largement commune de la France contemporaine. La France reste le pays de la Révolution de 1789 et l’ancien colonisateur, mais c'est aussi une "moyenne grande puissance" grâce à ses attributs politiques, militaires, économiques et culturels. Enfin, disposant dans sa politique étrangère d'une dimension spécifiquement africaine, l'Hexagone est le pays qui s'est révélé le plus intéressé au développement. Pour autant, le bilan apparaît nuancé. Au nombre des succès de la France sur le continent, on considère que les pays avec lesquels elle a entretenu des relations étroites se sont, depuis leur indépendance, généralement moins déchirés que d’autres. Au nombre des échecs, les Africains relèvent une approche partielle du continent et constatent une trop grande complaisance pour les dirigeants et les régimes amis. Ce travers culmine au Rwanda en 1994, à la veille d'un génocide pourtant annoncé. Enfin, malgré des comparaisons parfois flatteuses, le maigre résultat des politiques d’aide au développement n'échappe à personne.

Par ailleurs, il faut éviter de se leurrer sur l’état de la francophonie en Afrique. Seulement 10 % des africains, généralement citadins, maîtrisent véritablement la langue française. Environ 10 % l’utilisent plus ou moins à l’oral et près de 80 % ne l’ânonnent même pas, y compris dans les pays francophones ".

Des relations complexes

L'Algérie constitue un cas particulier. La durée comme les modalités de la colonisation et les violences de la guerre d'indépendance (1954 - 1962) laissent des cicatrices, de part et d'autre. "Il en résulte une relation encore passionnelle, mais toujours entachée de suspicion, explique Geneviève Delaunoy. Au niveau des élites, et dans une moindre mesure de la population, cette relation de haine / amour et de fascination / répulsion rappelle sans cesse le passé tortueux qu'ont vécu ces deux pays. Cela conditionne encore la perception qu'ils ont l'un de l'autre. Depuis l'Algérie, la France semble à beaucoup un eldorado, où tout paraît - à tort - plus facile. Cette représentation est renforcée par la proximité géographique et les échanges réguliers. Pour autant, Paris apparaît souvent beaucoup trop paternaliste, voire interventionniste aux yeux d'Alger, ce qui ne fait qu'accroître la susceptibilité de ses dirigeants".

En Afrique noire, le passé colonial fut généralement moins long et la cohabitation plus pacifique, sauf à Madagascar où il y eut des soulèvements durement réprimés. La lutte pour l'indépendance fut surtout le fait des intellectuels, contestant la domination française au nom de la devise nationale française : Liberté, égalité, fraternité. Compte tenu des modalités des indépendances, Paris a pu éviter pendant longtemps mise à plat de ses relations avec ses anciennes colonies. Par ailleurs, alors que ces pays espéraient entretenir une fois indépendants des rapports plus égalitaires avec Paris, ils restent confrontés à une arrogance et un paternalisme d'une époque présumée révolue, tout en devant reconnaître qu'ils sont de plus en plus économiquement dépendants. Si Paris a soutenu nombre de dictateurs, beaucoup d'Africains sont reconnaissants à la France d'avoir, à la suite de la chute du mur de Berlin, suggéré l'organisation de conférences nationales réunissant toutes les composantes nationales. La première s'est tenue au Bénin et à fait tache d'huile sur le continent.

Réforme ou abandon ?

Depuis 1997, comment les représentations de la France sont-elles affectées par l’évolution de sa politique africaine ? Apporter des éléments de réponse à cette question conduit à esquisser la nature des relations construites au fil du temps. S’il existe un point commun qui unifie les images de la France chez les Africains, c’est que toute relation humaine y reste perçue selon les modèles familiaux, villageois ou claniques. Parce qu’ils ont manifesté leur force, les Français ont par le passé accaparé la place des chefs. Dans un schéma familial, le chef est toujours le détenteur d’une autorité paternelle dont on attend non seulement un pouvoir, mais aussi une aide et une protection. Bientôt quatre décennies après les indépendances, il n’est pas rare d’entendre dans les sphères dirigeantes un discours qui revient à dire : " Vous avez été les maîtres pendant près d’un siècle, vous nous avez formés, vous êtes nos pères. En conséquence, vous devez faire en sorte que nos difficultés cessent ". Même au niveau des élites capables d’abstractions intellectuelles, ce discours reste sous-jacent, parce que la tendance culturelle africaine reste de reproduire le modèle qu’on a reçu.

Compte tenu de ce terrain, le désengagement en cours de la France ne peut être que mal perçu puisqu’il est vécu comme la trahison d’une relation qui n’admet pas ce genre d’abandon. Aussi nombre d’Africains persistent-ils à revendiquer des relations privilégiées. Très répandue chez les paysans, cette demande sera critiquée par nombre d’intellectuels. Pour autant, sans en être dupes, ces mêmes intellectuels produiront parfois ce discours dans l’espoir d’obtenir une concession. En 1996, l’expulsion de Maliens a ainsi été utilisée afin d’obtenir de Paris de nouvelles aides publiques.

Ce mode de relation induit une constante rivalité d’intérêts dans laquelle les parties s’utilisent mutuellement mais ne coopèrent pas véritablement de manière constructive. Ce qui explique, en partie, l’échec de nombreux projets de développement.

Aigreur

La nouvelle politique africaine de la France engendre donc une aigreur défavorable à ses représentations en Afrique. La France n'est plus perçue comme une grande puissance mais comme une puissance régionale qui n'a plus les moyens de sa politique. Voici pourquoi ces pays recherchent une diversification de leurs relations, via de nouveaux accords bi et multilatéraux. Cependant, même si les images deviennent moins favorables, l’influence de la France sur le continent reste non négligeable, et les accords de défense nombreux. Pour autant, il ne serait guère étonnant que les Américains tirent profit des rancœurs accumulées à l’encontre de la France pour faire avancer leur jeu sur ce continent riche en ressources minières.

Ainsi, en dépit de leur diversité, les représentations de la France aux Etats-Unis, en Allemagne, en Europe de l’Est et en Afrique ne plaident pas systématiquement en notre faveur. Le Japon apparaît, peut être, comme le moins mal prédisposé.

En dépit des reproches qui nous sont souvent faits reste-t-il quelques points d’appuis pour rebondir ? Partie suivante>

Pierre Verluise

Notes :

1. Ce point est détaillé dans le chapitre 4, consacré à la politique étrangère de la France.

2. Lire, notamment, son ouvrage intitulé :  L’Europe contre l’amitié franco-allemande, des malentendus à la discorde, coll. Combats pour la liberté de l’esprit, éd. François-Xavier de Guibert, Paris, 1998. Comprendre Hitler et la Shoah. Les historiens de RFA et l'identité allemande depuis 1949, coll. Perspectives Germaniques, Presses Universitaires de France, 2000.

3. En janvier 1999, Berlin a ainsi remis sur la table les accords franco-allemands concernant le nucléaire civil.

A. Viatteau est, notamment, l'auteur de Staline assassine la Pologne, 1939 - 1953, éd. Seuil, Paris, 1999. Lire, aussi :  Katyn, l’armée polonaise assassinée, 1940 - 1943, éd. Complexe, coll. La mémoire du siècle, Bruxelles, 1982 première édition et 1989 deuxième édition..

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Mise en ligne 2001
     
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