A l’heure de la diffusion croissante de théories complotistes, l’islamisme ne déroge pas à cette règle. Selon ses détracteurs, les islamistes seraient tous mû par l’établissement d’un califat islamique mondial. Du simple sympathisant d’un parti se revendiquant des valeurs de la religion musulmane à l’activiste djihadiste violent, tous seraient, de manière plus ou moins assumée, poussés à établir un État islamique reposant sur une interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Antoine Milot entend démontrer de façon documentée que la situation est plus complexe et qu’elle ne doit pas omettre de prendre en compte les fragmentations qui traversent depuis plus d’un siècle l’islamisme politique. En se penchant sur ces clivages, l’auteur peut extraire du très fantasmé « hydre islamiste » des courants plus modernistes que d’autres, des projets antagonistes et des agendas divergents. En se penchant plus encore, on constate surtout que les mouvements dits « islamistes » avancent à des rythmes différents, ceux de leurs tempos locaux et nationaux, et qu’ils sont en rivalité structurelle a plusieurs échelles, locales, nationales et régionales. Illustré d’une carte inédite.
DANS la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO), une notion semble cristalliser toutes les attentions : l’Islamisme. Courant politique souvent simplifié à l’état de bloc monolithique, il serait le grand coupable de l’obscurantisme social, des politiques autoritaires et du passage à l’activisme violent ou djihadisme. Si ces accusations ont une indéniable part de vérité, elles sont aussi très réductrices en cela qu’elles ne décortiquent pas les différentes ondes qui constituent le spectre islamiste. Face à cela, l’objet de cette note visera à comprendre la nature des divergences qui existent entre les courants de l’islamisme. Nous verrons que les émanations nationales de la confrérie des Frères musulmans d’un côté et que le courant salafiste d’un autre côté sont les deux principales formes abouties de l’islamisme politique en ANMO. Pour autant, malgré leurs interactions et les influences qu’elles ont pu avoir l’une sur l’autre, la rupture semble désormais en passe d’être consumée entre ces deux pôles de l’islamisme tant d’un point de vue idéologico-religieux qu’en terme politique et géopolitique. Après avoir dressé ce constat dans sa complexité et ses nuances, nous verrons quelles sont les potentielles dynamiques des islamismes présents dans la région ANMO.
Considérons comment dès l’origine, les Frères musulmans se démarquent du rigorisme salafiste par leur rapport à l’ijtihad (A) ; puis de quelles façons les interactions et confusions entre les Frères musulmans et les salafistes préfigurent leurs rivalités politiques (B) ; enfin pourquoi les printemps arabes cristallisent les rivalités géopolitiques entre les Frères musulmans et les salafistes (C).
A. Dès l’origine, les Frères musulmans se démarquent du rigorisme salafiste par leur rapport à l’ ijtihad
1. Si la confrérie des Frères musulmans est bien issue du mouvement salafi réformiste…
A la fin du XIXème siècle, le premier mouvement se décrivant comme salafi se développe parmi les historiens et intellectuels musulmans dits réformistes dont les figures de proue sont le Persan Jamal Al-Din Al-Afghani, l’Égyptien Mohammed Abduh et le Syrien Rachid Ridha. Ils prônent un retour aux sources de l’islam afin de s’opposer à une double menace existentielle : la colonisation européenne et la présence ottomane [1]. Élitiste et résolument moderniste, ce premier courant salafiste est à l’origine de la création de la confrérie des Frères musulmans par Hassan al-Banna en 1928.
Ainsi, les Frères musulmans se veulent être dans la continuité des réformateurs des décennies précédentes [2]. En cela, ils soutiennent que l’islam doit fixer des lignes directrices de leur société et qu’ils s’opposent à l’imitation aveugle du modèle européen [3]. Ils se sont voulus novateurs, non pas en inventant un nouvel islam, mais en faisant un islam vivant, actuel, dans la suite de cette vague de réformisme islamique [4]. Pour ce faire, le mouvement accorde une place significative à l’ijtihad, effort de réflexion pour l’interprétation des textes religieux. L’ijtihad dépend en grande partie de la jurisprudence islamique adoptée [5] (fiqh) et permet, ou pas, d’aller vers certaines innovations (bid’a). Enfin, si les Frères sont restés longtemps proches du soufisme, leur doctrine les a peu à peu écartés du piétisme au profit de l’engagement politique et social [6]. Ils s’inscrivent notamment en faux contre le mouvement de laïcisation qui s’affirme alors en Égypte [7].
Les principales lignes directrices du mouvement se fixent au cours du XXème siècle pour s’articuler autour de trois caractéristiques. Un islam conservateur, qui se réclame du salafisme réformisme évoqué plus haut. Un programme d’islamisation par le bas avec un prosélytisme reposant sur les valeurs sociales de l’islam : égalité, charité, partage. Enfin, le légalisme et la condamnation de la violence.
2. … elle diffère du salafisme contemporain qui est en tout point un courant fondamentaliste
En parallèle, le salafisme voit le jour en Arabie Saoudite à partir des années 1920. Ce dernier, rejetant le rationalisme, voue une antipathie aux théologiens de la salafi du XIXème siècle, avec lesquels il ne doit pas être confondu. Il revendique être l’héritier de la pensée du théologien du XIIIème siècle, Ibn Tamiyya, ainsi que de celle du fondateur du wahhabisme, Mohammed Ben Abd Al-Wahhab (XVIIIème siècle). Dès 1936, les autorités saoudiennes revendiquent le terme de « salafisme » au détriment du « wahhabisme ». Ce second salafisme est appelé « contemporain » dans la mesure où c’est ce dernier qui est à l’origine que ce que l’on entend aujourd’hui par salafisme.
Les deux principaux courants de l’islamisme sunnite naissent donc à la fin du XIXème et au début du XXème siècle et, déjà, des divergences idéologico-religieuses significatives sont visibles. Pour comprendre son caractère fondamentaliste ou moderniste, l’étude d’un courant de pensée en islam requiert de se pencher sur la place qu’il accorde à l’Ijtihad. Il s’agit de l’effort de réflexion que les croyants entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l’islam. Là où les salafistes modernistes de la fin du XIXème siècle plaidaient pour une réinterprétation du Coran et de la Sunna en accord avec les principes de rationalité scientifique et de gouvernance libérale [8], les salafistes contemporains, rejetant le rationalisme, sont réputés suivre l’école hanbalite, laquelle préconise une lecture littérale rigoriste et non interprétée des textes [9].
Ainsi, si les Frères musulmans incarnent dès 1928 un mouvement islamiste comme l’illustre leur célèbre slogan « le Coran est notre constitution », ils n’en demeurent pas moins pragmatiques. Hassan Al-Banna n’était pas un doctrinaire, sa pensée n’était pas figée. Sa vision était dynamique et en perpétuelle évolution [10]. Ce socle idéologique permet aux Frères musulmans de faire évoluer au fil des décennies leurs discours en fonction de la transformation des espaces et des sociétés auxquelles ils appartiennent. Cela leur vaut encore aujourd’hui de nombreuses critiques de la part des salafistes qui dénoncent ces « modernisations » comme autant de « concessions ». Pour ces derniers, il faut refuser certaines conceptions occidentales islamisées par les frères comme la formation de partis, la participation aux élections, l’accès des femmes à l’espace politique ou professionnel.
B. Interactions et confusions entre les Frères musulmans et les salafistes préfigurent leurs rivalités politiques
1. Le Qutbisme trouve un écho particulier chez les salafistes et pose les bases du djihadisme moderne
Tout au long du XXème siècle, le courant frériste s’inscrit progressivement dans le paysage politique des différents pays de l’espace musulman. Leur intégration politique se fait à plusieurs échelles, selon des ancrages territoriaux variés et au moyen d’acteurs nombreux [11]. Après une période d’expansion dans de nombreux pays voisins de l’Égypte (La Fraternité musulmane en Irak, la Jamaa Islamiyya au Liban, l’Association des Frères musulmans de Jordanie, Frères musulmans en Syrie, Frères musulmans soudanais), leur répression croissante par les régimes locaux provoque la division des frères musulmans en plusieurs groupes. D’un côté, les pacifistes ou légalistes, fidèles à la vision du fondateur Hassan al-Banna - assassiné en 1949 sur ordre du roi Farouk - et, de l’autre, les partisans de la lutte armée [12]. A la tête de l’organisation, c’est la ligne légaliste de Hassan Al-Hudaybi (1951 – 1972) qui l’emporte. Face à cela, la branche radicale se décroche de l’idéologie initiale des frères et s’écarte vers une radicalité religieuse qui passe par l’activisme violent pour certains sous-groupes. C’est autour des thèses du pakistanais Sayyid Abdul Ala Maududi et de l’égyptien Sayyid Qutb que cette nouvelle radicalité s’enracine et prospère. A partir des années 1950, alors que la confrérie subissait la répression sanglante du régime nassérien en Égypte, l’Arabie Saoudite devient la principale terre d’accueil des idées de Qutb consacrant ainsi une certaine « salafisation » de certains Frères musulmans.
La pensée nouvelle de Qutb s’oppose aux principes du fondateurs Hassan Al-Banna et de ses successeurs. Le point de rupture introduit par Qutb est qu’il considère que les sociétés et les États musulmans sont sortis de l’islam. Dès lors, la notion de « Takfir » (« excommunication ») apparaît et légitimise l’activisme violent au nom du djihad. Ce discours trouve un écho particulier auprès des jeunes Frères qui veulent en découdre et des salafistes saoudiens qui y voient un moyen de mobilisation efficace. Les bases du djihadisme moderne sont posées. Le diplomate Yves Aubin de la Messuzière soutient que « à la suite de la défaite de 1967, qui sonne le glas du nationalisme arabe, l’Islam politique s’est développé dans ses deux logiques antagonistes, dont la deuxième - l’alliance des thèses qutbistes avec le wahhabo-salafisme saoudien - a conduit au radicalisme et au terrorisme [13] ». Selon Gilles Kepel, l’alliance des deux mouvances consacre la naissance du « pétro-islam » [14]. Pour Xavier Ternisien, « la synthèse entre la pensée qutbiste et le puritanisme wahhabite est appelée à une postérité durable à travers le terrorisme international ».
Il est important de constater que les dirigeants des Frères musulmans ne restent pas inactifs face à cette pensée qu’ils considèrent comme déviante et dangereuse. De sa prison, à partir de 1969, le guide suprême Hudaybi écrit un ouvrage important, Prédicateurs, pas juges. A cette date, la pensée de Qutb n’est plus considérée comme faisant partie du corpus des Frères musulmans [15]. Le successeur de Hudaybi à la tête du mouvement, l’avocat Umar Al-Tilmisani (1972 - 1986), confirme cette vision pacifiste et légaliste. La vieille garde, qui défend l’orthodoxie, maintient un cap conservateur-pacifique. Pourtant, longtemps encore, les adversaires des Frères musulmans continuent d’amalgamer Qutb avec les Frères à des fins tacticiennes et politiques [16]. Ainsi, une partie des islamistes se détache de l’organisation et choisit la violence contre le « pouvoir impie ». Les premiers groupe à voir le jour sont les Gama’at islamiyya, groupes étudiants salafistes qui naissent en 1973, et le Takfir - ou Société des musulmans - qui apparait en 1971. Cette tendance s’exporte alors dans le monde musulman ou la montée des islamismes radicaux s’amorce. La pensée de Qutb a eu une influence très importante sur les futurs cadres du djihad comme le palestinien Abdullah Azzam, maillon essentiel du lien de cette excroissance violente des Frères musulmans avec le djihadisme international. Cette rupture au sein de la confrérie démontre alors la faible centralisation du bureau de la guidance, l’organe exécutif des Frères musulmans. Il ne peut empêcher qu’une frange radicale s’autonomise et se développe tantôt en marge de la confrérie, tantôt en profitant de sa renommée.
2. De la politisation des salafistes
Originellement courant fondamentaliste de prédication comme peut l’être le Talbigh [17], le salafisme opte pour un rapprochement de sa doctrine avec le pouvoir politique [18]. La présence des Frères musulmans en Arabie Saoudite est déterminante dans cette évolution. Leur répression en Égypte qui commence en 1954 [19] pousse de nombreux frères à l’exil. Beaucoup vont trouver refuge en Arabie Saoudite ou ils sont à l’origine d’une politisation d’une branche des salafistes saoudiens, jusqu’alors majoritairement quiétistes et opposés à toute implication dans le champ politique. Cette hybridation des méthodes des Frères musulmans avec l’idéologie rigoriste des salafistes saoudiens aboutit au mouvement du Réveil islamique (la Sahwa). Ce dernier milite activement auprès de la jeunesse pour la mise en place de réformes politiques pacifiques très conservatrices et anti-occidentales. La Sahwa est réprimé par le pouvoir saoudien dans les années 1990. En résumé, en adoptant la méthode militante des frères musulmans, le salafisme s’est réformé pour investir l’espace public dès les années 1980 [20].
Ainsi, la pensée des Frères apporte au wahhabo-salafisme les outils politiques qui lui faisait défaut pour prendre position idéologiquement face au nationalisme et au socialisme. Cette tendance à l’éveil politique du courant salafiste se poursuit ensuite et permet l’émergence de partis politiques salafistes, dont certains sont proches de l’activisme violent, dans les décennies qui suivent : parti Al-Nour en Égypte, Ansar-Al-Charia en Tunisie, mais aussi le Front Al-Nosra (futur Hayat Tahrir al-Sham) en Syrie. Sans pour autant s’ouvrir à la doctrine des Frères musulmans, qui se caractériserait par un ijtihad plus poussé, le wahhabo-salafisme s’approprie les méthodes de la confrérie. Plus encore, outre une appropriation des sujets d’ordre politique, ils offrent aux idées radicales de l’idéologue Sayyid Qutb, marginalisé par la branche légaliste de la confrérie, un accueil bien plus chaleureux.
3. De l’influence du salafisme, principal outil de la politique étrangère saoudienne, sur l’islam politique
Alors que le projet de réformes défendu par les Frères musulmans s’impose comme la matrice intellectuelle dominante de l’islamisme politique, il est confronté, à partir de la fin des années 1970, à l’émergence d’un discours contre-hégémonique salafiste, venu de l’Arabie saoudite, qui prône une vision alternative de la société et se livre à une lutte symbolique en termes de représentation et de construction de la réalité [21].
Les années 1970 consacrent l’avènement des velléités de puissance de l’Arabie Saoudite. Les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 prodiguent au royaume saoudien un poids géopolitique jusqu’alors insoupçonné et une marge de manœuvre financière lui permettant de mettre en œuvre une stratégie d’influence inédite. Pour accroître son rayonnement, asseoir sa légitimité religieuse [22], s’imposer comme la puissance régionale du Moyen-Orient et contrer la toute jeune République islamique d’Iran dont les idéaux révolutionnaires risquent d’infuser dans la région, Riyad mise sur la promotion et l’exportation du salafo-wahhabisme dans les communautés musulmanes du monde entier [23]. Alliant prédication et actions sociale et humanitaire, les ONG islamiques, les organisations transnationales musulmanes comme la Ligue islamique mondiale et les fondations saoudiennes investissent financièrement et idéologiquement les espaces ou les populations sont musulmanes pour imposer leur interprétation conservatrice de l’islam, outil par excellence de la « diplomatie religieuse » des Saoud [24].
Outre cette stratégie d’influence relevant du soft power, Riyad joue également du hard power en soutenant des groupes armés en Afghanistan pour faire face à l’invasion du pays par l’armée soviétique en 1979. L’exportation et la diffusion de cette idéologie s’accompagne donc du soutien de la première génération de djihadistes, les moudjahidines afghans et la myriade de combattants étrangers qui, au nom d’un internationalisme islamiste, ont rallié l’Afghanistan pour défendre l’Oumma [25] face à l’URSS. De retour dans leur pays d’origine après le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan en 1988, ces djihadistes aguerris participent activement à la diffusion du salafo-djihadisme.
La diffusion du salafo-wahhabisme saoudien touche donc l’ensemble du monde musulman. Cette idéologie infuse aussi au sein des Frères musulmans participant ainsi à une certaine « salafisation » de la confrérie. Cela est facilement observable au niveau de la forme. Alors que de nombreux frères n’y prêtaient pas attention avant les années 1970, le port de la barbe, initialement propre au salafisme, se « démocratise ». En outre, ce phénomène peut également s’observer par l’attention plus particulière portée par certains membres de la confrérie aux questions de mœurs. Enfin, cette « salafisation » s’illustre aussi à travers une certaine prise de distance avec le chiisme et le soufisme, courants avec lesquels les Frères musulmans n’avaient jusqu’alors pas d’hostilité particulière.
Malgré ces interactions et les influences réciproques, l’islamisme des frères et le salafisme demeurent bien distincts. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent d’ailleurs une rupture définitive et fatale entre la monarchie saoudienne et la confrérie. Alors que le monde découvre brusquement le djihadisme, chacun accuse l’autre courant islamiste d’être la source de cette idéologie afin de s’attirer les faveurs de l’administration américaine. Ainsi, les frères mettent en avant la lutte contre le « salafisme » [26] tandis que l’Arabie proclame publiquement que « tous les problèmes du monde islamique viennent des Frères musulmans ». [27]
C. Les printemps arabes cristallisent les rivalités géopolitiques entre les Frères musulmans et les salafistes
1. Démocratisation et participation des Frères musulmans au pouvoir
L’Islam politique était déjà représenté avant l’émergence des révoltes arabes par des formations politiques que l’on peut qualifier d’islamo-conservatrices. Cette qualification avait été retenue pour désigner le parti de Recep Tayyip Erdoğan, le Parti de la justice et du développement (AKP), parfois source d’inspiration pour certaines formations dans les pays arabes [28]. En Égypte, avant 2011, si elle n’est pas autorisée à participer directement aux scrutins électoraux, l’Organisation des Frères musulmans est représentée au Parlement à travers d’autres formations d’inspiration frériste dans les élections législatives (en 2005, cette mouvance emporte 20 % des sièges). Au Maroc, le Parti pour la Justice et le Développement (PJD) s’inscrit dans la même mouvance idéologique, mais se présente comme un parti national. Il participe aux scrutins législatifs depuis 1997 et devient le premier parti d’opposition quelques années plus tard. En Algérie, le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) devient le principal parti d’opposition. Il se réclame de l’idéologie frériste et participe à différents gouvernements dans les années 2000. Au Yémen et en Libye, des formations islamistes entrent dans le jeu politique, sans devenir majoritaires. Enfin, à Gaza, le Hamas, créé en 1987, s’inscrit dans la mouvance des Frères musulmans. Il emporte des élections parlementaires en 2006.
Les Frères musulmans s’imposent donc comme un pôle de stabilité lors des printemps arabes. La vieille confrérie est alors bien implantée dans la plupart des pays de la région et elle a une expérience politique voire une expérience du pouvoir pour certaines branches. La démocratisation induite par les printemps arabes porte assez logiquement les partis qui s’inscrivent dans la mouvance frériste au pouvoir dans de nouveaux pays : au Maroc, en Tunisie et en Égypte. Un constat semble s’imposer partout, il paraît impossible de démocratiser sans insérer les Frères musulmans dans le jeu politique.
Cette prise de pouvoir par les frères est soutenue par l’axe turco-qatarie. Il bénéficie alors de l’assentiment de Washington sous la présidence d’Obama pour qui l’AKP, conjuguant l’éthique musulmane et esprit du capitalisme, fait référence [29]. Pour l’émirat gazier, richissime mais peu peuplé, c’est l’opportunité de disposer de relais démographiques qui lui permettront de tenir tête au puissant voisin saoudien, lequel voit au contraire dans la confrérie son rival majeur pour l’hégémonie du sunnisme arabe. Pour Ankara, le soutien aux Frères musulmans répond à une double logique. D’une part, il s’agit de favoriser l’émergence de gouvernements islamistes, répondant à un socle de valeurs communes. D’autre part, c’est un moyen d’avoir un relai d’influence régional capable de favoriser les velléités hégémoniques de la Turquie. On est entré dans un jeu de rivalités de puissances régionales qui a conduit à une rupture diplomatique et économique entre Doha et Riyad à partir de juillet 2017.
2. Les salafistes, principal outil de la contre-révolution réactionnaire
Une contre-offensive se met rapidement en place pour contrer cet axe « frériste » sous la houlette de Riyad et de Abou Dhabi. Cette contre-révolution s’appuie sur les hiérarchies militaires et également sur une vaste mouvance salafiste bien que les allégeances de cette dernière au régime saoudien soient à géométrie variable et que la porosité du milieu aux thèses djihadistes pose problème.
Les salafistes sont donc mis à contribution par les forces contre-révolutionnaires pour réduire où cela est possible l’influence des Frères musulmans. La confrérie est dissoute dans plusieurs pays (Égypte en 2014, Jordanie en 2020) ou les réseaux salafistes peuvent occuper un espace politique devenu vacant. Si l’Arabie saoudite exerce une influence diffuse auprès de la nébuleuse salafiste dans le monde arabe et musulman, la mainmise de Riyad sur eux reste limitée, ce qui explique le risque de « djihadisation » des terreaux salafistes. A titre d’exemple, le salafisme est doublement représenté en Tunisie, d’une part, par de petites formations représentées à l’Assemblée nationale et d’autre part par des dissidents d’Ennahdha qui ont créé une organisation qui prône la violence, Ansar al-charia, inscrite dans la liste des organisations terroristes.
Ensuite, selon l’ONG américaine Coptic Solidarity (2017), l’Égypte devient de plus en plus un « écosystème » favorisant la violence djihadiste. Le Président Sissi autorise les salafistes à dominer la sphère publique, à répandre leurs discours de haine dans les médias étatiques et les programmes scolaires. Cela mène à des violences croissantes contre la minorité chrétienne copte d’Égypte. L’éradication des fêtes et lieux de culte des chrétiens étant une constante de la doctrine salafiste, les djihadistes la mettent à œuvre simultanément dans tous les territoires qu’ils contrôlent (Syrie, Lybie, Irak, Égypte). On constate que sous le régime du Maréchal Sissi, le djihadisme s’est remis à proliférer, notamment dans la péninsule du Sinaï [30].
Face aux Printemps arabes, la réaction s’articule donc autour des autocrates militaires ou civils (Sissi, Haftar, Hadi) et des partis politiques salafistes. Ils sont soutenus par l’Arabie saoudite et ses alliés qui voient dans la confrérie des Frères musulmans un péril existentiel. En effet, elle est susceptible de remettre en cause la légitimité religieuse et politique de la monarchie saoudienne. Proche de ses concurrents régionaux, les Frères musulmans prônent un modèle politique qui menace la pérennité du pouvoir héréditaire monarchique saoudien. En outre, ils contestent la légitimité de la monarchie saoudienne à régner sur les lieux saints de La Mecque et de Médine.
Il importe d’abord d’appréhender la dynamique des Printemps arabes dans le temps long (A) ; puis d’étudier les évolutions nationales et la prospective régionale (B).
A. Appréhender la dynamique des Printemps arabes dans le temps long
1. Vers une approche nationale de l’islam politique
Le champ religieux politique dans le monde arabe s’est donc diversifié et une approche internationaliste de l’Islam politique a de moins en moins de sens. Comme le souligne le diplomate français Yves Aubin de la Messuzière « si le monde arabe se décline au pluriel, il en va de même pour l’Islam politique. Il y a bien des nuances de vert dans l’Islam politique ». L’illusion d’une internationale islamiste qui regrouperait sous la même bannière des structures islamiques internationales reconnues (comme le Secours islamique international), la confrérie des Frères musulmans, le wahhabo-salafisme, le Talbigh et le djihadisme international est un raccourci intellectuel réducteur et contre-productif.
S’agissant de la confrérie des frères musulmans, elle se construit bien dès l’origine dans une logique fondamentalement internationaliste face à l’émergence des mouvements nationalistes arabes. Elle entend transcender des frontières tracées par les Occidentaux qui divisent l’Oumma. La doctrine des Frères entrait alors en rivalités avec la constitution des identités nationales et des États bâtis sur les ruines de l’empire Ottoman et des Empires coloniaux. Cependant, les Frères se retrouvent très vite confrontés à la question nationale. Après une rivalité avec les partis nationalistes, ils doivent s’adapter au caractère inéluctable de l’État-Nation. Ainsi, la progressive intégration politique des Frères musulmans fait passer l’agenda national au premier plan des partis fréristes au détriment de leur agenda internationaliste originel. Dans l’ensemble de ses territoires d’implantation, les enjeux nationaux imprégnent le discours, les préoccupations, les actes, et les objectifs des partis d’inspiration frériste. L’hyper nationalisme palestinien du Hamas et le nationalisme turc de l’AKP en sont les exemples les plus éloquents.
Pour autant, l’argument d’un « agenda international caché » des formations fréristes fait encore l’objet de nombreuses interrogations. Largement mis en avant par leurs adversaires laïcs, cet argumentaire soutient que le projet des partis fréristes est exactement le même que celui des salafistes et des djihadistes mais que leur mode opératoire pour y parvenir est différent. L’ensemble des évolutions doctrinales des partis d’obédience frériste et leur modernisation ne seraient qu’une diversion, une dissimulation (taqîya) pour conquérir le pouvoir. Cette hypothèse est notamment alimentée par les dérives autoritaires du président Erdoğan, le maintien des « principes de la charia » dans la constitution proposée par Mohammed Morsi en 2012, la proximité du mouvement yéménite Al-Islah, affilié aux Frères musulmans, avec les salafistes yéménites et l’Arabie saoudite, et la grande opacité qui règne quant à la réalité des liens internationaux qui unissent les réseaux fréristes.
Nous avons identifié dans la première partie de cette note la triple rupture idéologico-religieuse, politique et géopolitique entre l’islamisme des Frères musulmans et le wahhabo-salafisme. L’intense rivalité et ces divergences anciennes semblent acter l’incompatibilité d’une alliance entre ces grandes tendances de l’islamisme. La rupture cristallisée par Sayyid Qutb et accentuée par le djihadisme moderne est consommée. Si des passerelles existent encore du fait du parcours de certains individus, les projets semblent, eux, s’éloigner.
L’organisation des Frères musulmans n’étant ni pyramidale, ni centralisée, ni hiérarchisée, chaque émanation locale s’inspire de ses principes mais jouit d’une autonomie quasi-totale lui permettant de s’adapter aux rapports de forces nationaux. Sa capacité à épouser la diversité des contextes socio-politiques auxquels elle est confrontée est une des clés de la réussite de la confrérie. Aujourd’hui, on peut facilement se rendre compte que le MSP algérien, Ennahdha en Tunisie, le Hamas palestinien ou l’AKP turc sont très différents aussi bien dans leur expérience du pouvoir que dans leur projet politique bien qu’ils soient tous issus d’une inspiration commune. Cette autonomie rend tout à fait possible de retrouver dans des contextes de guerre un rapprochement des Frères musulmans avec le concept de « djihad » et la mouvance salafiste. Ainsi, les Frères musulmans libyens se sont alliés à des mouvements djihadistes lors de la chute de Kadhafi en 2011. Le Hamas fait régulièrement référence au « djihad » dans le contexte de guerre face à l’État d’Israël. En Syrie, ils ont combattu tantôt contre, tantôt aux côtés des brigades salafistes opposées au régime de Bachar al-Assad. De la même manière, la branche armée du parti frériste yéménite Al-Islah a combattu contre les houthis aux côtés des fantassins salafistes soutenus par la coalition saoudienne avant de se retrouver engagée contre le groupe salafiste de Abou al-Abbas à Taez en 2018 [31]. Ces alliances sont le fruit de situations spécifiques de conflits armés et violents qui exigent une certaine dose de pragmatisme. Elles attestent bien du caractère avant tout local de la prise de décision de ces mouvements.
Peu d’indicateurs semblent aujourd’hui attester d’une internationale frériste qui dissimulerait son véritable agenda. A ce titre, le Qatar a tenté à partir de 1995 de rassembler plusieurs leaders islamistes issus des Frères musulmans. Cette initiative répondait alors plus à un objectif de rayonnement géopolitique du richissime émirat gazier qu’une adhésion inconditionnelle de la monarchie familiale et clanique de Doha aux idées des frères.
Pour conclure, l’intégration dans le champ politique des partis d’inspiration frériste s’opère à des échelles différentes, selon des ancrages territoriaux variés et au moyen d’acteurs hétérogènes. Dans la plupart des pays de la région, les partis fréristes deviennent une force politique locale et nationale sur laquelle il faut désormais compter dans le champ politique légal.
2. Les évolutions doctrinales des Frères musulmans
Preuve de la place plus importante que les Frères musulmans accordent à l’Ijtihad, la confrérie a procédé au fil des décennies à un certain nombre d’évolutions doctrinales. Ces dernières cristallisent bien les différences avec le salafisme, hostile à toute concession à l’égard de la modernité. Si le leitmotiv originel de tous les islamistes est bien de fondre dans un seul projet l’islam comme religion, l’islam comme culture et l’islam comme idéologie, les Frères ont procédé à des évolutions pragmatiques qui correspondent historiquement à leurs deux grandes phases, le passage de la prédication à la politique d’une part, puis à l’accès au pouvoir d’autre part.
L’usage de références étrangères telle que la Constitution, et, progressivement, la démocratie, s’impose progressivement dans la conception politique des courants fréristes. Face à cela, les salafistes rejettent pendant longtemps catégoriquement ces conceptions politiques occidentales islamisées par les Frères musulmans telles que la formation de partis ou de structures organisationnelles et la participation aux élections. Avec le temps, ils s’en approprient les codes afin de mieux concurrencer la confrérie, vue comme un concurrent théologique.
Ensuite, la seconde évolution significative des islamistes proche des frères concerne l’accès des femmes à l’espace politique et professionnel [32]. Dès 1933, l’organisation des Sœurs musulmanes est créée en écho à la confrérie mise sur pied cinq années auparavant par Hassan al-Banna. Si les valeurs conservatrices prônées par les Frères musulmans ne permettent pas une émancipation des femmes sur le terrain de mœurs et d’égalité, les partis d’inspiration fréristes font depuis plusieurs années une place de plus en plus importante aux femmes dans leurs rangs. Certes, on est encore loin d’une égalité entre les sexes, toutefois, cet accès des femmes à l’espace politique contraste vivement avec l’immobilisme des salafistes sur cette question. A titre d’exemple, l’AKP dispose en 2020 de 53 femmes députés (sur 289 sièges AKP) et de deux ministres (sur 17 ministres) au gouvernement. En Tunisie, Ennahdha est l’un des partis politiques qui donne le plus de postes à responsabilité à ses cadres femmes [33]. Le PJD marocain et le MSP algérien [34] promeuvent également l’intégration des femmes dans le champ politique, malgré les résistances de certaines mentalités [35]. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, cette meilleure représentativité n’est en aucun cas synonyme d’avancées rapides vers l’égalité des sexes. Elle contraste en revanche avec la grande réticence du salafisme à laisser trop d’espace aux femmes dans la sphère publique.
Enfin, on observe une dynamique de sécularisation de plusieurs partis issus des Frères musulmans. Si cela peut apparaître résiduel à nos yeux, l’acceptation d’un état de droit qui ne soit pas officiellement musulman par les partis islamistes constitue un pas significatif dans une région où la plupart des dictatures nationalistes ne se sont pas risquées à séparer l’islam de l’État [36]. Ainsi, certaines formations islamo-conservatrices d’inspiration frériste se sont clairement détachées de l’influence originelle de la confrérie et ont entamé un mouvement de sécularisation, comme on l’a constaté en Tunisie, au Maroc et même chez les Frères musulmans syriens qui évoquent dans leurs réflexions sur la Syrie de demain la constitution d’un État civil [37]. A propos d’Ennahdha Thierry Brésillon écrit ceci : « Le vrai double langage est celui interne au parti : les cadres font croire à leur base qu’ils sont encore islamiques alors que la réalité c’est qu’ils sont déjà sécularisés » [38]. On pourrait arguer, à juste titre, que la rhétorique très islamique du Président turc, Recep Tayyip Erdoğan, représente un recul de la sécularisation en Turquie. Si la laïcité est indéniablement en régression en Turquie, il convient de rappeler ici que la laïcité turque, imposée d’une main de fer par Mustapha Kemal Atatürk, était très en avance par rapport aux autres pays musulmans et que les pratiques d’Ankara restent, à l’échelle de la région, plus séculaires que la moyenne.
Ce phénomène de sécularisation, principalement à l’œuvre en Tunisie et dans une moindre mesure au Maroc, n’est certainement pas le fruit d’une dynamique interne aux partis islamistes. C’est une tendance sociétale lourde au sein de la jeunesse de nombreux pays musulmans. C’est ce qu’analyse l’islamologue Adrien Candiard pour qui plus les sociétés deviennent islamistes, plus les individus, surtout des jeunes, rompent avec la religion et décident de ne plus pratiquer l’islam. C’est le cas en Égypte où beaucoup de jeunes gens s’éloignent de l’islam face à la forte poussée salafiste encouragée par l’Arabie Saoudite. Cette sécularisation des sociétés est donc à l’origine de l’amorce d’une sécularisation des partis fréristes qui, pragmatiques, acceptent, non sans réticences, cette nouvelle donne sociétale. Ainsi, la nouvelle constitution tunisienne, élaborée entre autres avec Ennahdha, proclame la liberté de conscience. Au Maroc également on constate les prémices d’une sécularisation [39]. Ces deux partis d’inspiration frériste ont cette tendance commune à suivre la relative sécularisation qui est à l’œuvre au sein de leurs sociétés. D’ailleurs, cela aboutit à des ruptures souvent définitives avec leur frange la plus extrémiste.
3. Printemps arabes et processus de démocratisation
Du fait du grand chaos qu’ils ont engendré dans la région, les printemps arabes ont été assez rapidement considérés comme un échec [40]. Hormis l’exception notable de la Tunisie, ces révoltes ont débouché sur des guerres civiles (Syrie, Libye, Yémen) ou des stricts retours de bâton autoritaires (Égypte, Bahreïn). Aux yeux des Occidentaux, ils auraient même eu le mauvais goût de mettre les sociétés de la région face au dilemme suivant : dictature autoritaire ou démocratie islamiste ? Toutefois, cette analyse trop réductrice mérite d’être nuancée dans la mesure ou les printemps arabes méritent d’être appréhendés dans le temps long.
Les printemps arabes débutent fin 2010. Ils sont issus de la demande des jeunesses libérales de réformer en profondeur l’appareil politique de leur pays et d’une partie des populations d’améliorer le développement économique et la justice sociale. Dès lors et jusqu’à l’été 2011, le processus aboutit à trois scénarii différents. Les timides mouvements de contestation en Arabie saoudite, à Bahreïn, en Jordanie ou en Algérie sont rapidement jugulés. Ailleurs, les rivalités communautaires explosent dans les États où la cohésion sociale n’est que façade : au Yémen, en Syrie et en Libye. Enfin, les printemps arabes mènent à une transition démocratique qui aboutit à l’intégration politique des partis islamistes dérivés des Frères musulmans en Tunisie, en Égypte et au Maroc. En une année, les élections démocratiques sont mises en place dans ces trois pays. Cependant, la culture démocratique n’est pas encore acquise car la pratique électorale ne suffit pas à l’instaurer. En Égypte, les islamistes s’imposent à tous les échelons et remportent les élections législatives de janvier 2012 puis la présidentielle en juin. Mais leur inexpérience du pouvoir et leur absence de vision stratégique leur coûtent leur légitimité : ils sont renversés en juillet 2013. À l’inverse, les partis islamistes obtiennent durablement la majorité parlementaire en Tunisie et au Maroc : sans jamais gouverner, Ennahdha est devenue la première force politique tunisienne, tandis que le PJD est à la tête du gouvernement marocain depuis 2011.
Malgré le retour et la modernisation des modèles autoritaires (« démocratures ») couplés à l’utilisation du conservatisme religieux salafiste comme outil de maîtrise des revendications d’émancipation, le processus de démocratisation initié par les printemps arabes n’a pas disparu pour autant. De nouveaux espaces de contestation visibles ou clandestins existent aujourd’hui, et « l’expérience révolutionnaire continue d’agir grâce à une génération qui n’a pas consommé sa jeunesse » selon les termes d’Anne-Clémentine Larroque [41]. La construction d’une culture démocratique véritable passe notamment par la structuration d’une société civile, la prise de conscience de sa citoyenneté et le dépassement des clivages ethniques et confessionnels. Ces thèmes ont animé les nombreuses manifestations qui ont émergé de nouveau en Tunisie et au Maroc en 2018, et qui ont secoué l’Algérie, l’Irak, le Liban, et le Soudan en 2019 attestant d’un nouveau rapport des populations à la chose publique. Ainsi, le processus de démocratisation n’a pas dit son dernier mot. Les printemps arabes infusent dans les sociétés de la région et sont amenés à provoquer de nouveaux bouleversements. C’est pourquoi on ne peut parler d’« échec » des printemps arabes, comme si le monde arabe pouvait se transformer en quelques mois, en quelques années. On s’inscrit véritablement dans le temps long, peut-être très long. L’histoire n’est pas terminée.
Le même constat selon lequel il est impossible de démocratiser sans intégrer les Frères musulmans dans le jeu politique s’impose partout à la suite des printemps arabes. Dans ce contexte, les partis issus des Frères musulmans semblent eux aussi s’inscrire dans cette dynamique démocratique. Toutefois, la sincérité de leur attachement à la démocratie pose parfois question. Et si la démocratie n’était qu’un simple moyen de conquête du pouvoir ?
Les exemples du PJD et de Ennahdha semblent indiquer une acceptation de l’alternance ainsi qu’une capacité à faire des coalitions, à composer et à trouver des consensus avec les services de sécurité, les syndicats, les autres formations politiques, les islamistes plus conservateurs... Sans être exemplaire, leur pratique du pouvoir s’éloigne d’éventuels relents autoritaires. En Égypte, la présidence de Morsi fût brève et son manque de sens politique a conduit à sa chute. Si son manque de consensus avec l’opposition libérale et nationaliste n’allait pas dans le bon sens, rien n’indique que les Frères musulmans allaient rentrer dans une spirale autoritaire. A l’inverse, en Turquie, le virage autoritaire du Président Erdoğan est flagrant. Outre la personnalité intransigeante du chef de l’État turc, ce virage doit sans doute être davantage attribué à la dégradation du contexte sécuritaire de la Turquie (guerre civile syrienne depuis 2011, reprise des hostilités avec le PKK en 2015, tentative de coup d’État en 2016, nombreux attentats djihadistes sur le territoire turc) qu’au caractère islamiste de l’AKP. Notons à ce titre que les dérives autoritaires d’Ankara divisent au sein même de l’AKP [42] et qu’elles sont dirigées contre un autre mouvement se revendiquant de l’islam politique : la confrérie güleniste.
Certes, les printemps arabes n’ont pas immédiatement généré une véritable culture démocratique mais ils ont concrétisé des pratiques démocratiques. Ils ont ouvert un nouvel espace de parole visible ou invisible que les régimes autoritaires tentent de juguler par différents moyens. Du côté des populations, on observe de manière croissante une structuration des sociétés civiles, une prise de conscience de la citoyenneté et un dépassement des clivages ethniques et confessionnels. La revendication de la citoyenneté, et des droits qui en découlent, sont parmi les slogans que l’on entend régulièrement dans les manifestations de Bagdad à Beyrouth [43]. Le processus de démocratisation des sociétés et de leur classe dirigeante infuse à des vitesses inégales au sein des pays de la région. Les formations fréristes développent, elles aussi, quand le régime politique le permet, leur culture démocratique. Le chercheur Abderrahim Lamchichi écrit ceci quelques semaines après le 11 septembre 2001 « les tentatives de renouvellement, de recherche d’alliances, opérées par les composantes modérées de la mouvance islamiste, pour se distancer des courants plus radicaux, peuvent mener un jour à la transformation démocratique. Cet islamisme tempéré et démocratique ne pourra alors éviter le processus de sa profonde métamorphose ». Ainsi, en s’imprégnant des principes du jeu démocratique, les formations d’inspiration frériste apprendraient à devenir démocrates. Le moment d’accès au pouvoir génèrerait une distanciation avec l’idéologie d’origine. Un « post-islamisme » [44] hybride entre son origine islamiste et le système démocratique serait alors en train de trouver sa place dans le sillage des « printemps arabes ».
B. Évolutions nationales et prospective régionale
1. A l’échelle nationale : l’autoritarisme, un soutien indirect aux mouvements les plus radicaux
Nous avons vu que là où des élections libres ont pu se tenir, leurs résultats ont montré que les formations d’inspiration frériste sont une force politique significative dans la région. Pour autant, leur intégration politique ne va pas de soi et, après les espoirs suscités par les printemps arabes, les réactions contre les démocratisations ont limité leur intégration. Actuellement, les Frères musulmans sont considérés comme terroristes par l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Syrie et Bahreïn. En juillet 2020, la branche jordanienne de l’organisation a été interdite. Or, il apparaît qu’en fermant la voie de la démocratie, les pouvoirs autoritaires apportent un soutien indirect, mais bien réel, aux organisations les plus radicales.
Le retour et le renforcement de gouvernements dictatoriaux, incarnés par la figure du Maréchal al-Sissi en Égypte, et la répression contre les Frères, risquent d’alimenter un islamisme plus radical. L’assimilation des Frères musulmans à des organisations terroristes djihadistes (État islamique, Al-Qaïda) pousse de nombreux militants de la confrérie à entrer en clandestinité. Cet amalgame renforce l’argumentaire des mouvements radicaux qui espèrent alors recruter parmi les sympathisants fréristes les plus enclins à se tourner vers la violence. Dans un scénario plus pessimiste encore, de la même manière qu’avec Saïd Qutb dans les années 1960, la confrérie pourrait voir une scission interne d’une de ses branches prête à épouser le djihadisme. L’attitude du chef du réseau djihadiste al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, parle d’elle-même. Cet égyptien a longtemps vilipendé la confrérie notamment dans un document intitulé « La récolte amère », dans lequel il qualifie les Frères musulmans de « traitres » et « d’apostats ». Il leur reproche de se rendre complices de régimes politiques impies qui acceptent la laïcité et la démocratie. D’ailleurs, en 1992, il rejoint Hassan Al-Tourabi à Khartoum pour tenter de constituer une internationale rivale des Frères musulmans en coalisant tous les radicaux [45]. Al-Zawahiri n’a peut-être pas oublié ce projet lorsqu’il s’adresse aux Frères égyptiens au lendemain du coup d’État de Al-Sissi du 3 juillet 2013 en leur disant en substance : nous vous l’avions bien dit, la voie démocratique est bouchée [46].
En dépit des critiques à l’égard de leurs tendances autoritaires (partagées avec beaucoup d’autres forces politiques de la région), leur sectarisme, ou encore leur programme économique néolibéral, il est indéniable que les Frères musulmans font maintenant partie du paysage politique et si les réprimer fait reculer la démocratie, cela ne fait pas reculer leurs idées [47]. Au contraire, à force de les diaboliser, on oublie les difficultés qu’ils ont eues à gouverner quand ils étaient au pouvoir entre 2012 et 2013 avec Mohamed Morsi à la présidence. Ainsi, aux yeux de la population, l’illusion persiste. Plus il y a de répression et de diabolisation, plus le mythe, le fantasme des Frères musulmans, reste intact. Selon un sondage [48], un tiers de la population égyptienne continue à avoir une vision positive des Frères malgré la communication officielle du régime. Si elle s’avère efficace en apparence, la stratégie d’interdiction, de criminalisation, de répression et de diabolisation des Frères musulmans peut se révéler être à double tranchant. D’une part, elle ne réduit pas l’influence sociale de la confrérie, et, d’autre part, elle risque de pousser ses membres vers une vision plus radicale de leur engagement.
En parallèle, les mouvances salafistes ne sont pas logées à la même enseigne. A l’appel des oulémas proches du régime saoudien, bon nombre de salafistes se démarquent ainsi des Frères musulmans en dépouillant leur religiosité de toute expression contestataire. Trouvant ses origines dans l’école de jurisprudence hanbalite, la mouvance salafiste, très majoritairement quiétiste, prône l’obéissance à tout gouvernant, fût-il « corrompu et autocratique », pour autant qu’il ne refuse pas de se dire musulman. Ainsi, du Yémen à l’Égypte ou au Maroc, les salafistes, à bien des égards moins modernistes que les Frères, ont pu paradoxalement recueillir les faveurs de régimes réputés modernisateurs qui voyaient dans cette abstinence électorale un instrument d’affaiblissement de leur opposition [49].
Enfin, rappelons que si l’interdiction des formes de l’islam politique que les partis fréristes incarnent est une des conditions menant à l’émergence et au développement de mouvements djihadistes, ce n’est en aucun cas la seule. Les problèmes socio-économiques, la frustration générée par les grandes inégalités et la corruption sont souvent au premier rang des causes de propagation des idéologies violentes. Face à ce constat, on peut considérer que l’Égypte actuelle regroupe un certain nombre de facteurs susceptibles de mener à une croissance du risque djihadiste et une dégradation de sa situation sécuritaire dans les prochaines années. Par ailleurs, les pays d’Asie centrale (Tadjikistan, Turkménistan et l’Ouzbékistan en tête) se caractérisent par leur autoritarisme strict, laissant peu de place à des formes d’expression politique, et des économies fragiles reposant bien souvent sur la rente aux hydrocarbures. Dès lors, à l’heure du « renouveau de l’islam en Asie centrale » [50], ils constituent également un potentiel foyer de prolifération de l’idéologie salafo-djihadiste.
2. A l’échelle internationale : vers une convergence stratégique entre les Frères musulmans et la République islamique d’Iran ?
A la suite des printemps arabes, l’administration Obama avait fait le choix de miser sur les formations fréristes pour soutenir les dynamiques de transition démocratique. En parallèle, Washington signait le JCPoA, accord sur le nucléaire iranien, qui visait à réintégrer l’Iran dans le concert des nations et à ouvrir son économie. Cette politique américaine s’inscrivait alors en relative rupture avec les deux piliers traditionnels de l’équation stratégique de Washington dans la région : la sécurisation des approvisionnements en hydrocarbures (via le pacte du Quincy avec l’Arabie Saoudite) et la sécurité de l’État d’Israël. Le soutien aux Frères musulmans allait à l’encontre des intérêts saoudiens et l’accord iranien était vivement critiqué par Riyad et Tel Aviv. Cette situation a accéléré la convergence d’intérêt entre plusieurs pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn) et Israël.
L’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche en janvier 2017 conforte la formation d’un axe Riyad, Manama, Abou Dhabi, Le Caire, Tel Aviv dont la récente normalisation des relations entre Israël, le Bahreïn et les EAU est une conséquence visible. Cette alliance inédite s’oppose à l’influence grandissante de l’Iran et des Frères musulmans dans la région. La contre-offensive menée par Riyad et les EAU consiste à soutenir, là où cela est possible, les rivaux des partis fréristes et polarise ainsi la région entre les pro-frères musulmans et les anti-frères musulmans. En juillet 2017, la rupture des relations diplomatiques et économiques de l’Arabie Saoudite, des EAU, de l’Égypte et du Bahreïn avec le Qatar se cristallise notamment autour de cette question.
Reste à savoir si l’administration de Joe Biden (20 janvier 2021 - ) soutiendra cet axe avec autant d’ardeur. Bien qu’il soit considéré comme proche d’Israël, l’ancien vice-président d’Obama devrait reprendre des négociations avec l’Iran et poursuivre le désengagement progressif du Moyen-Orient. Si ce désengagement ne sera en aucun cas synonyme d’une disparition, il apparaît que les intérêts des États-Unis vont être amenés à décroitre dans la région [51], et que, par conséquent, leur volonté d’implication faiblira également. On peut alors lire l’agressivité de l’administration Trump sur le dossier iranien et le soutien plus net que jamais à Israël comme une tentative de précipiter unilatéralement les « dernières volontés » géopolitiques de Washington au Moyen-Orient.
Face à cette alliance de fait, on peut légitimement être amené à se demander dans quelle mesure un rapprochement entre la république islamique d’Iran et les formations d’obédience frériste est possible. Si une convergence stratégique s’observe logiquement entre les acteurs proches des frères musulmans, la réalité de leurs contacts avec la République islamique d’Iran reste, quant à elle, difficile à évaluer.
Tout d’abord, l’alliance stratégique entre la Turquie et le Qatar, qui ont largement soutenu l’Égypte de Mohammed Morsi (2012-2013), le gouvernement d’entente nationale (GEN) de Fayez el-Sarraj en Libye ou Ennahdha en Tunisie, confirme la proximité géopolitique qui existe entre les sympathisants de la confrérie lorsqu’ils accèdent au pouvoir. Celle-ci est relativement logique et peut-être comparée aux accointances qui uniraient des partis d’inspiration nationalistes, socio-démocrates ou écologistes dans le contexte européen. Toutefois, ces rapprochements s’inscrivent surtout dans les intérêts stratégiques de chaque État, bien plus que dans un grand projet idéologique commun. Les proximités idéologiques sont un outil facilitateur plus qu’une véritable fin en soi. Les relations en dents de scie des partis fréristes avec le Hamas palestinien et leur pragmatisme adopté à l’égard d’Israël [52] [53] montrent, à ce titre, que ce sont bien les intérêts des États qui sont à la manœuvre.
Ensuite, en toute logique réaliste face à un ennemi commun, les entités fréristes devraient accroître leurs liens avec la République islamique d’Iran. Bien qu’il s’agisse d’une confrérie sunnite et d’une république chiite, Téhéran et les Frères musulmans ont en réalité des valeurs communes. La pensée originelle des frères, profondément républicaine et antimonarchiste, se rapproche du modèle de république théo-démocratique instauré en Iran à partir de 1979. Pour Mustapha Zahrani, directeur de l’Institut for Political and International Studies, le centre de recherche du ministère des Affaires étrangères iranien, « le régime iranien croit dans la démocratie islamique et un islam modéré : tout comme les organisations proches des Frères musulmans [54] ». Historiquement, les affinités sont également politiques, entre soutien aux Palestiniens et anti-impérialisme. Dans les années 1980, la République islamique est un modèle pour d’importants leaders des Frères, du Libanais Fathi Yakan au Tunisien Rached Ghannouchi.
La détérioration des relations entre l’Iran et les Frères musulmans est surtout le fruit de l’hyper-confessionnalisation des tensions régionales. Au cours de la dernière décennie, la région, ses conflits et ses rapports de forces ne s’appréhendaient alors plus que par la division entre chiites d’un côté et sunnites de l’autre. Le paroxysme de cette confrontation est intervenu dans le conflit syrien. Au cours de celui-ci, les Frères musulmans syriens, insurgés, ont combattu contre le régime et les milices chiites armées et entrainées par Téhéran. C’est notamment sur cette rivalité confessionnelle que l’État islamique, organisation djihadiste sunnite, a prospéré, marquant bien sa différence avec Al-Qaïda dans son hostilité et sa violence à l’égard des chiites.
La fin du conflit syrien, qui cristallisait une divergence de point de vue majeur entre les Frères musulmans et la République islamique d’Iran, pourrait permettre à leurs relations de se développer. Si une telle alliance est loin d’être effective, elle sera largement tributaire des contextes locaux auxquels chaque partie prenante est confrontée. Toutefois, elle serait susceptible de changer les clivages géopolitiques du monde arabe et musulman. Face à une alliance contre-révolutionnaire et anti-iranienne s’appuyant sur les régimes autoritaires et les partis salafistes, un axe stratégique regroupant les entités fréristes et Téhéran pourrait s’ériger dans le temps long. On peut supposer qu’une telle dynamique repositionnerait le conflit israélo-palestinien, relégué au second plan des enjeux régionaux, au cœur des préoccupations de nombreux acteurs. Le conflit, « matrice de la région » selon les mots d’Antoine Sfeir, pourrait potentiellement retrouver un rôle central dans les clivages stratégiques qui scindent la région.
Conclusion
A l’heure de la diffusion croissante de théories complotistes, l’islamisme ne déroge pas à cette règle. Selon ses détracteurs, les islamistes seraient tous mû par l’établissement d’un califat islamique mondial. Du simple sympathisant d’un parti se revendiquant des valeurs de la religion musulmane à l’activiste djihadiste violent, tous seraient, de manière plus ou moins assumée, poussés à établir un État islamique reposant sur une interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Nous avons pu voir que la situation est plus complexe et qu’elle ne doit pas omettre de prendre en compte les fragmentations qui traversent depuis plus d’un siècle l’islamisme politique. En se penchant sur ces clivages, on peut extraire du très fantasmé « hydre islamiste » des courants plus modernistes que d’autres, des projets antagonistes et des agendas divergents. En se penchant plus encore, on constate surtout que les mouvements dits « islamistes » avancent à des rythmes différents, ceux de leurs tempos locaux et nationaux, et qu’ils sont en rivalité structurelle a plusieurs échelles, locales, nationales et régionales.
On comprend alors qu’une simplification du phénomène islamiste ne rend pas plus simple la lutte contre le djihadisme. Au contraire, elle prive les décideurs d’une lisibilité idéologique et d’une identification politique de la mosaïque d’acteurs qui participent au « grand jeu » de la région ANMO. Comme un devoir de prise en compte de cette complexité, il faut prendre garde à ne plus s’envoler aujourd’hui avec des idées simples vers l’Orient compliqué [55].
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Après un cursus à SciencesPo Bordeaux, Antoine Milot suit un master II en Géopolitique au sein de l’École Normale Supérieure et de l’Institut de Géographie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Son parcours l’a amené à travailler avec différents acteurs institutionnels et privés présents en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ses sujets d’étude portent principalement sur les dynamiques géopolitiques à l’œuvre dans la région parmi lesquelles la situation de l’islamisme politique occupe une place importante.
[1] BONNEFOY Laurent, Salafisme, Orient XXI, 29 septembre 2016.
[2] Le fait que Hassan el-Banna devint l’éditeur de la publication Al Manar a la mort de Rachid Ridha en 1935 témoigne de l’influence du salafi moderniste de la fin du XIXème siècle dans la création et l’émergence des Frères musulmans.
[3] AL-BANNA Hasan, Moudhakkirat al-dawa wal daiyya (Mémoires du message et du messager), Beyrouth, 1970.
[4] CARRÉ Olivier, MICHAUD Gérard, Les Frères musulmans (1928-1982), Gallimard/Julliard, 1983.
[5] Les 4 principales écoles juridiques du sunnisme sont le malékisme, le hanafisme, le chaféisme et le hanbalisme.
[6] TERNISIEN Xavier, Les Frères musulmans, Fayard, 2005.
[7] Incarné alors par le Parti politique Wafd.
[8] MAHMOOD Saba, Politics of Piety : The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton University Press, 2011.
[9] L’école hanbalite est une des quatre écoles juridiques sunnites. Elle se fonde sur la pensée d’Ibn Hanbal (780-855) qui considérait inutile d’apprécier le cadre social dans lequel le savant interprète un verset ou un hadîth. Les hanbalites affirment la toute-puissance de Dieu et prônent l’obéissance totale au chef de la communauté. Les hanbalites sont des ardant opposants aux chiites mais aussi à tous ceux qui recourent au raisonnement pour réduire les contradictions du texte coranique lorsqu’il doit permettre d’organiser socialement la communauté musulmane. Cette école est minoritaire au Xe siècle, se répand surtout à partir des XIIe et XIIIe siècles. Sous sa version Wahhabite elle est devenue la doctrine officielle de l’Arabie Saoudite.
[10] TERNISIEN Xavier, Les Frères musulmans, Fayard, 2005.
[11] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses Universitaires de France, 2014.
[12] « Organisme secret » : branche armée des Frères musulmans, créée en 1945 pour combattre aux côtés des arabes en Palestine.
[13] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[14] « Pétro-islam » : Il s’agit du développement de l’interprétation wahhabo-salafiste de l’islam sunnite dans le monde musulman grâce aux facilitées financières induises par les exportations de pétrole du Royaume saoudien. Le premier choc pétrolier en 1973, qui interrompt l’armée israélienne sur ordre de Washington, consacre le début de cette hégémonie.
[15] TERNISIEN Xavier, Les Frères musulmans, Fayard, 2005.
[16] CARRÉ Olivier Olivier Carré, Mystique et politique. Le coran des islamistes. Commentaire coranique de Sayyid Qutb (1906 - 1966), Cerf, 2004.
[17] Talbigh : mouvement transnational de prédication de masse. Il né en Inde en 1927 pour protéger et revitaliser l’identité de la communauté islamique indienne.
[18] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses Universitaires de France, 2014.
[19] Dissolution de la confrérie par Gamal Abdel Nasser le 12 janvier 1954.
[20] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses Universitaires de France, 2014.
[21] LAHOUD TATAR Carine, Les Frères musulmans dans les monarchies du Golfe : entre intégration politique et répression, Fondation pour la Recherche Stratégique, novembre 2017.
[22] Mise à mal par la prise d’otage de la grande mosquée de La Mecque en 1979.
[23] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[24] AMMOUR Laurence-Aïda, La pénétration wahhabite en Afrique, Centre Français de Recherche sur le Renseignement, Février 2018.
[25] Oumma : La communauté des musulmans à l’échelle de la planète.
[26] TERNISIEN Xavier, Les Frères musulmans, Fayard, 2005.
[27] MINTZ John, FARAH Douglas, In Search of Friends Among the Foes U.S. Hopes to Work Diverse Groupe, The Washington Post, 10 septembre 2004.
[28] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[29] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[30] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[31] AL-MAQTARI Bushra, Les évolutions du militantisme salafiste à Taez, Classiques Garnier, 2018.
[32] BURGAT François, Salafistes contre Frères musulmans, Le Monde Diplomatique, juin 2010.
[33] LAFRANCE Camille, Tunisie : « Comme la plupart des partis, Ennahdha est toujours dominé par des hommes », Jeune Afrique, 15 janvier 2019.
[34] BOUBEKEUR Amel, Les partis islamistes algériens et la démocratie : vers une professionnalisation politique ?, OpenEdition Journals, 2008.
[35] MUNTEANU Anca, Quelle place pour les militantes des partis islamistes en Tunisie et au Maroc ?, The Conversation, 4 juin 2020.
[36] En 2009, l’Islam est déclaré religion d’État au Maroc, en Algérie, en Libye, en Égypte, et en Jordanie.
[37] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[38] LARROQUE Anne-Clémentine, L’islamisme au pouvoir : Tunisie, Égypte, Maroc, Presses Universitaires de France, 24 janvier 2018.
[39] CALVET Catherine, Anne-Clémentine Larroque : « Plus les sociétés deviennent islamistes, plus les individus rompent avec la religion », Libération, 8 juillet 2018.
[40] LACROIX Stéphane, DIECKHOFF Alain, « Le bilan des printemps arabes est clairement négatif », SciencesPo CERI, 25/01/2016.
[41] LARROQUE Anne-Clémentine, Les printemps arabes : un espoir pour la démocrature ?, Pouvoirs n°169, avril 2019.
[42] MINOUI Delphine, Turquie : la fronde contre Erdoğan enfle au cœur même de son parti, l’AKP, Le Figaro, 30 mai 2019.
[43] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[44] LARROQUE Anne-Clémentine, L’islamisme au pouvoir : Tunisie, Égypte, Maroc, Presses Universitaires de France, 24 janvier 2018. « Post-islamisme » : une tendance de l’islamisme politique qui, une fois détachée de l’obsession du modèle de la Révolution iranienne, aurait dépassé la volonté de prise de pouvoir par la force ou par l’imposition de la charia.
[45] TERNISIEN Xavier, Les Frères musulmans, Fayard, 2005.
[46] GRESH Alain, Feu sur les Frères Musulmans !, Orient XXI, 15 mai 2019.
[47] GRESH Alain, Feu sur les Frères Musulmans !, Orient XXI, 15 mai 2019.
[48] POLLOCK David, In Egypt, One-Third Still Like the Muslim Brotherhood ; Half Call U.S. Ties « Important », The Washington Institute, 10 décembre 2018.
[49] BURGAT François, Salafistes contre Frères musulmans, Manière de voir n°117, 2011.
[50] BALCI Bayram, Renouveau de l’islam en Asie centrale et dans le Caucase, CNRS Éditions, 2017.
[51] MILOT Antoine, La présence américaine au Moyen-Orient après le coronavirus, Le Grand Continent, 2 mai 2020.
[52] REDONDO Raùl, Le rapprochement entre la Turquie et Israël sur les intérêts méditerranéens, Atalayar, 27 mai 2020.
[53] HORCHANI Salah, Tunisie : Qu’y a-t-il de commun entre Ennahdha et Israël ?, Mediapart, 15 septembre 2013.
[54] DOT-POUILLARD Nicolas, L’Iran et les Frères musulmans : les meilleurs ennemis du monde ?, Middle East Eye, 12 mai 2016.
[55] DE GAULLE Charles, Mémoires de guerre - l’Appel (Tome I), Plon, 1954 : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ».
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Date de publication / Date of publication : 7 mars 2021
Titre de l'article / Article title : Naissance, divergences et perspectives de l’islamisme politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient
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A l’heure de la diffusion croissante de théories complotistes, l’islamisme ne déroge pas à cette règle. Selon ses détracteurs, les islamistes seraient tous mû par l’établissement d’un califat islamique mondial. Du simple sympathisant d’un parti se revendiquant des valeurs de la religion musulmane à l’activiste djihadiste violent, tous seraient, de manière plus ou moins assumée, poussés à établir un État islamique reposant sur une interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Antoine Milot entend démontrer de façon documentée que la situation est plus complexe et qu’elle ne doit pas omettre de prendre en compte les fragmentations qui traversent depuis plus d’un siècle l’islamisme politique. En se penchant sur ces clivages, l’auteur peut extraire du très fantasmé « hydre islamiste » des courants plus modernistes que d’autres, des projets antagonistes et des agendas divergents. En se penchant plus encore, on constate surtout que les mouvements dits « islamistes » avancent à des rythmes différents, ceux de leurs tempos locaux et nationaux, et qu’ils sont en rivalité structurelle a plusieurs échelles, locales, nationales et régionales. Illustré d’une carte inédite.
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