L’Afrique est un immense continent sur lequel circulent nombre d’idées reçues. Ces idées reçues nourrissent nos représentations géopolitiques, avec à la clé quelques erreurs fâcheuses qui se paient cher. La France vient d’être mise à la porte de plusieurs pays africains, il est peut-être temps d’ouvrir les yeux. Voilà pourquoi Planisphère reçoit Sonia Le Gouriellec qui publie « Afriques : idées reçues sur un continent composite », éd. Le Cavalier Bleu.
Cette émission [1], Planisphère, Une ou des Afriques ? Avec S. Le Gouriellec, sur RCF - RND
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Synthèse de cette émission, Planisphère, Une ou des Afriques ? Avec S. Le Gouriellec. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com . Relue et validée par S. Le Gouriellec
L’AFRIQUE est souvent perçue à travers un prisme déformant, celui des idées reçues, des clichés médiatiques et de représentations héritées de l’histoire coloniale. Cette vision simplifiée, voire caricaturale, empêche une compréhension fine des dynamiques réelles à l’œuvre sur le continent africain. Or, cette méconnaissance peut conduire à des erreurs d’analyse aux conséquences diplomatiques et géopolitiques lourdes, comme l’illustrent les récents revers de la France en Afrique. Ce podcast vise à déconstruire ces stéréotypes en explorant la complexité du continent africain. Sonia Le Gouriellec revient sur plusieurs idées reçues tenaces pour en révéler les limites, les nuances, et surtout, les réalités méconnues.
L’Afrique couvre 30 millions de km², soit huit fois la taille de l’Union européenne, et représente 20 % des terres émergées de la planète. Or, nos représentations restent marquées par les cartes de Mercator qui réduisent sa taille perçue. La population africaine atteint aujourd’hui 1,5 milliard d’habitants, et pourrait atteindre 2,5 milliards d’ici 2050, dépassant alors l’Inde et la Chine réunies. Cette croissance démographique s’accompagne d’un fort dynamisme et d’une grande diversité entre les 54 États africains.
L’idée selon laquelle l’Afrique serait structurellement pauvre est à nuancer. Certes, 62 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont sur le continent, mais ce chiffre est en forte baisse. De nombreux pays connaissent une croissance économique soutenue, à l’image du Rwanda, de la Côte d’Ivoire ou de l’Éthiopie (avant le guerre de 2020 à 2022). Par ailleurs, la transformation des matières premières sur place, comme le cacao en Côte d’Ivoire, illustre la sortie progressive d’un modèle hérité de la colonisation. L’Afrique est un continent en mutation.
L’affirmation selon laquelle l’Afrique serait surpeuplée masque des enjeux d’infrastructures plus que de population. La croissance urbaine rapide crée d’immenses mégalopoles comme l’axe Lagos-Abidjan, mais le vrai défi est de fournir les ressources et les services à une population très jeune et croissante. L’espérance de vie a progressé de 49 à 62 ans en trente ans. La jeunesse africaine est un atout, à condition que les États puissent organiser et distribuer équitablement les ressources.
Si l’histoire coloniale et les relations économiques inégales sont une réalité, parler d’un continent « pillé » nie l’agencéité (agency) des États africains. Ces derniers ne sont pas de simples victimes, mais des acteurs qui négocient, choisissent leurs partenaires et arbitrent entre les propositions. Aujourd’hui, la compétition internationale est vive, et les pays africains peuvent tourner le dos à l’UE pour des partenaires moins exigeants politiquement ou qui ne leur imposent pas de conditionnalités dans leur soutien. Cette évolution reflète leur capacité à redéfinir leurs intérêts souverainement.
Contrairement aux discours alarmistes sur une « invasion », 70 à 80 % des migrations africaines se font à l’intérieur du continent. Les causes sont multiples : économiques, politiques, climatiques. Des pays comme l’Éthiopie ou le Kenya accueillent plus de réfugiés que la plupart des pays européens. Ceux qui migrent hors du continent ne vont pas nécessairement en Europe, mais aussi en Amérique du Nord, au Moyen-Orient ou en Asie. Paradoxalement, ce sont les classes moyennes qui migrent, souvent avec le soutien financier de leur famille.
La diaspora africaine joue un rôle économique, politique et symbolique croissant. Les remises [2] financières soutiennent les familles, l’éducation ou l’entrepreneuriat local, et peuvent représenter une part significative du PIB. Elle est désormais considérée par l’Union africaine comme la « sixième région » du continent. Certains dirigeants africains mènent même leurs campagnes électorales à Paris ou Washington. Ce lien étroit avec l’extérieur témoigne d’une Afrique pleinement insérée dans la mondialisation.
La France a été poussée hors de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Niger) après une longue présence militaire. Les interventions comme Barkhane ont été perçues comme inefficaces voire néocoloniales. Une jeunesse frustrée par le manque de changement démocratique a soutenu des coups d’État militaires et rejeté la présence française. La France, focalisée sur le terrorisme, n’a pas su adapter sa politique au nouveau contexte africain, tandis que d’autres puissances (Russie, Chine, Turquie, pays du Golfe, Inde) renforcent leur influence.
En plus de son ouvrage « Afrique, idées reçues sur un continent composite » (éd. Le Cavalier bleu), Sonia Le Gouriellec recommande plusieurs références pour mieux comprendre l’Afrique :
. Essais : « L’invention de l’Afrique » de Valentin Mudimbe, « Les ethnies ont une histoire » de Jean-Pierre Chrétien et Gérard Prunier.
. Romans africains : Chimamanda Ngozi Adichie, Chinua Achebe, Gaël Faye, Fatou Diome, Hemley Boum, Alain Mabanckou, Mohamed Mbougar Sarr, etc.
. Travaux précédents sur les idées reçues : Les livres d’Hélène d’Almeida-Topor, Georges Courade, Philippe Hugon.
Copyright pour la synthèse Mai 2025-Bourgoin/Diploweb.com
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. Sonia Le Gouriellec, « Afriques : idées reçues sur un continent composite », éd. Le Cavalier Bleu
4e de couverture
Parler de l’Afrique plutôt que des Afriques, d’une Afrique « maudite » et hors du temps, est la première des idées reçues. Une idée reçue primordiale de laquelle découlent de nombreuses autres étayées par un discours déterministe, voire essentialiste, sur la démographie, la politique, l’économie, les conflits… parfois partagé par les Africains eux-mêmes.
L’Afrique serait ainsi surpeuplée, d’une économie rudimentaire, en proie à l’islam radical, minée par les épidémies. Les guerres ethniques mettraient le continent à feu et à sang, ses pays à la merci de potentats et des appétits des puissances étrangères.
À rebours de ces discours qui empêchent de voir les Afriques dans toute leur diversité, Sonia Le Gouriellec montre combien les acteurs politiques du continent s’inscrivent dans des dynamiques qui s’éloignent des représentations usées d’une Afrique victimisée et chaotique. Elle nous invite à mieux comprendre le continent comme celui de lieux d’échanges, de transformations et d’interactions, plutôt que de domination à sens unique, avec le reste du monde.
Sonia Le Gouriellec est maîtresse de conférences à l’Université catholique de Lille (Faculté de Droit/C3RD). Ses travaux portent principalement sur les problématiques de paix et sécurité dans la Corne de l’Afrique, la hiérarchie et le décentrement en relations internationales ainsi que la politique étrangère.
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Sonia Le Gouriellec, maitresse de conférences à l’Université catholique de Lille. Auteure de « Afriques : idées reçues sur un continent composite », éd. Le Cavalier Bleu. Ses travaux portent principalement sur les problématiques de paix et sécurité dans la Corne de l’Afrique, la hiérarchie et le décentrement en relations internationales ainsi que la politique étrangère.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée le 20 mai 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
[1] Cette émission a été enregistrée le 1er avril 2025.
[2] NDLR. Source : Géoconfluences. « Les remises migratoires sont des transferts d’argent que les émigrés envoient à leurs proches restés dans leur pays d’origine. Il existe plusieurs mots en français pour traduire ce qu’on nomme en anglais « remittances » ou en espagnol « remesas ». Le terme « transfert d’argent transnational » peut désigner toutes les formes de déplacements de fonds sans lien avec les phénomènes migratoires. Certains auteurs utilisent la forme francisée des deux mots évoqués plus haut : rémitances ou remises, pour marquer la particularité de ce phénomène. Il joue un rôle majeur car le montant total de ces transferts peut être élevé et représenter un revenu important pour les pays en développement, parfois supérieur à celui de l’aide au développement. Il faut signaler que si le mot « remise » existe en français, le mot « rémitance » est, pour l’instant, absent des dictionnaires. »
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Auteur / Author :
, ,Date de publication / Date of publication : 24 mai 2025
Titre de l'article / Article title : Planisphère. Une ou des Afriques ? Avec S. Le Gouriellec
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L’Afrique est un immense continent sur lequel circulent nombre d’idées reçues. Ces idées reçues nourrissent nos représentations géopolitiques, avec à la clé quelques erreurs fâcheuses qui se paient cher. La France vient d’être mise à la porte de plusieurs pays africains, il est peut-être temps d’ouvrir les yeux. Voilà pourquoi Planisphère reçoit Sonia Le Gouriellec qui publie « Afriques : idées reçues sur un continent composite », éd. Le Cavalier Bleu.
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