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www.diploweb.com Classiques de Science politique - Rubrique réalisée par Alexandra Viatteau

N°4 - 1933-2003: La "guerre préventive" selon Varsovie et Washington

 

Nous allons exposer ici ce qu'a été la proposition polonaise de "guerre préventive" contre Hitler accédant au pouvoir en Allemagne en 1933. Cette connaissance de l'histoire de l'Europe, où l'alliance de la France et de la Pologne aurait pu être un socle solide, mais ne l'a pas été assez, aurait évité des malentendus en 2003, après la signature de Leszek Miller au bas de la Lettre des huit pays d'Europe pour un front uni face à l'Irak, le 30 janvier.  Ce qui aurait permis de comprendre les réactions de la Pologne, et d'éviter aux dirigeants et aux médias français de manifester quelque amertume et maladresse.

Biographie d'Alexandra Viatteau en ligne

En bas de page, le texte reproduit est un document secret de Moscou daté du 25 mai 1920. Il vise à organiser en Europe une action de grande envergure du mouvement communiste. Ce document est disponible aux Archives de l'Institut Jozef Pilsudski de New York et à l’Archiwum Akt Nowych de Varsovie.

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Une action idéologique, politique et sociale de démoralisation et de désarmement des démocraties occidentales, où "la démobilisation des forces armées bourgeoises doit aller de pair avec la création de détachements ouvriers, milices communistes etc...", faisait l'objet d'un plan de 1920 des bolcheviques de Moscou et de Berlin visant en priorité Paris, via la Suisse (siège à l'époque de la Société des Nations). Avec pour objectif d'éloigner les Etats Unis de l'Europe, et vice versa, d'abattre le capitalisme et le libéralisme et de rallier Paris, une fois l'action réussie, à l'axe révolutionnaire socialiste Moscou-Berlin-Paris. A l'époque, axe social-démocrate (léniniste et trotskiste) pour les uns ou national-bolchevique (précurseur du national-socialisme) pour d'autres. Les deux tendances n'étaient pas encore tout à fait distinctes, ni opposées.

A l'époque de ce document secret, qui fait l'objet du n°4 des Classiques de Science-politique et figure en fin de notre texte, Paris était considéré comme "le plus dangereux pour l'avenir de la révolution"! Les choses ont considérablement évolué aujourd'hui. Assez pour voir revenir bruyamment dans le débat, au printemps et en été 2003, des idées d' "axe  Paris-Berlin-Moscou". Tout cela sur fond de réalisation politique et internationale, avec mouvements sociaux de masse, parfois agressifs, à l'appui, d'une "agitation antimilitariste" et d'une "action sociale pour les droits du prolétariat", si l'on voulait user du langage d'alors. Dans une réalité évoluée.

Un document très secret

Le 25 mai 1920, le 2ème Bureau polonais a fini de déchiffrer ce document secret soviétique. Il l'a communiqué sans nul doute à ses collègues français et britanniques, dont les pays étaient concernés. Il s'agit du projet d'une organisation militaire communiste (marxiste-léniniste) internationale. Le projet a été élaboré à Moscou en janvier 1920, approuvé par le Commissariat des Affaires militaires de la République Russe Soviétique, et envoyé, semble-t-il, par Fritz Platten, social-démocrate suisse, et membre en 1919 de l'Internationale communiste, à l'un de ses correspondants dans les milieux communistes suisses. L'organisation, qui semble avoir un très vaste réseau d'agents d'information et d'action en Europe et aux Etats Unis, ainsi qu'au Japon, prévoit de multiples actions d'envergure internationale tant politiques que sociales, mais aussi militaires  - ou antimilitaires. 

Cependant, les Polonais vont partiellement contrecarrer, ou en tout cas retarder ces plans, rejeter les Soviétiques (bolcheviques) à l'Est du Bug et du Niemen pendant la Bataille de la Vistule en août 1920 et celle du Niemen en septembre 1920, aboutissant en mars 1921 au Traité polono-soviétique de Riga. En gagnant la guerre contre la Russie soviétique, ils vont donner vingt ans de paix et de sécurité à l'Europe. A l'époque, leur action est pleinement coalisée avec celle de la France et de l'Angleterre. Mais, le temps passant, et ce que l'on a appelé la "pactomanie" européenne gagnant, ces trois traditionnels alliés que sont la France, la Pologne et l'Angleterre vont diverger sur le légalisme ou la "prévention" des menaces internationales graves. C'est à dire, concrètement, sur l'attitude à adopter face au danger qui, à partir de 1933,  ajoute à celui du totalitarisme communiste soviétique en Europe celui de la montée du totalitarisme national-socialiste allemand. Avec toujours cette vision d'avenir d'un axe Moscou-Berlin, où l'Italie fasciste prendra provisoirement, dans cette cacophonie des socialismes, démocratique, national et fasciste, la place de la France ! C'est dans ce contexte qu'apparaît la première idée de "guerre préventive" avancée par la Pologne et refusée par la France.

La première idée de guerre préventive : Varsovie, 1933

Un spécialiste du renseignement français, et non un historien, a été l'un des rares, sinon le seul commentateur à avoir évoqué ce précédent, et une situation internationale comparable - toutes proportions gardées - dans l'histoire récente occidentale à la configuration de la guerre préventive en Irak. Dans une interview à la revue Diplomatie magazine, allant dans le sens de la politique étrangère française anti-américaine concernant la dénonciation d'une "manipulation des services de renseignement par le pouvoir politique", l'amiral Pierre Lacoste, ancien chef de la DGSE française de 1982 à 1985, a donné une analyse nuancée. Il a rappelé les "désaccords" et surtout  "le refus (des pouvoirs) d'écouter les analyses du renseignement". L'amiral Lacoste a judicieusement rappelé le passé de l'Europe où la position de la France a, hélas, favorisé une montée en puissance, devenue ensuite irrépressible, de l'hitlérisme et du nazisme: "Je rappellerai l'épisode bien connu - tellement dramatique pour nous, les Français - de tous les avertissements fournis par les meilleurs observateurs comme par les spécialistes du renseignement dans les années trente au sujet des dangers du nazisme. Les diplomates, les attachés militaires, ont rédigé des analyses remarquables, lumineuses, prémonitoires - on peut le vérifier aujourd'hui  à la lecture des documents d'archives enfin disponibles. Cela s'est heurté à l'incompréhension, je dirai à l'"autisme" des dirigeants de notre pays, qu'ils soient politiques ou militaires (le grand état-major, Gamelin etc...)". Même s'il parle ensuite de l'"habillage" d'une "guerre d'agression" américaine par "la formule de guerre préventive" - avis que nous partageons dans la mesure où une guerre préventive ne peut être qu'une forme d'agression -, l'amiral Lacoste a le mérite de rappeler le passé, dont la connaissance explique le présent. (Cf. Diplomatie magazine, n°3, mai-juin 2003).

A droite de l'échiquier politico-médiatique, le Figaro magazine parle, pour sa part, de "nouveau concept inédit de la guerre préventive". Mais, la presse n'est pas le renseignement. Elle est donc par nature moins bien renseignée et possède souvent moins de mémoire.  

En effet, le projet de guerre préventive fut conçu en 1933 à Varsovie par le maréchal Pilsudski, averti par son renseignement. Ce projet fut proposé à la France, à ces mêmes milieux de Paris que l'amiral Lacoste stigmatise pour n'avoir pas accepté d'écouter les avertissements des meilleurs spécialistes du renseignement d'Europe d'alors, qui s'informaient mutuellement.

La leçon de 1933 en 2003 

Une bonne connaissance de l'histoire récente de la "vieille Europe" d'alors, où l'alliance de la France et de la Pologne aurait pu être un socle solide, mais ne l'a pas été assez, aurait évité des malentendus en 2003. Cette connaissance aurait permis de comprendre les raisons et les réactions actuelles de la Pologne en 2003, et d'éviter aux dirigeants et aux médias français de manifester quelque amertume et maladresse. Et, peut-être aussi de commettre des erreurs politiques et diplomatiques. Ou pire: servir d'instrument d'intérêts et de stratégies étrangers, par exemple de ceux de Moscou - tout en ménageant en fait les relations privilégiées Moscou-Washington. (Cf. A. Viatteau, "France-Russie: la République entre les "tsars blancs", les "tsars rouges" et les "euro-tsars"", n°3 des Classiques de science-politique, diploweb.com , 14 avril 2003).

La Pologne a souffert génocides (d'Hitler et de Staline), occupations (allemande et russe), totalitarismes (nazi et soviétique) et régression. Ecartée de l'Occident après une guerre que l'Occident aurait peut-être pu éviter, s'il l'avait écoutée. Cela notamment parce que Paris avait refusé en 1933 à Varsovie de livrer une guerre préventive à celui que nos dirigeants appelaient "Monsieur Hitler". Sur ce point, anti-communistes et post-communistes sur la Vistule ont un même sentiment, né d'une même mémoire nationale: "Les Polonais sont une nation qui comprend qu'il y a certains moments dans l'Histoire où il vaut mieux être actifs que passifs", déclare le Président de la République Polonaise, Alexandre Kwasniewski, au journal français Le Monde (4-5 mai 2003). Et il ajoute à l'adresse de son homologue, le Président de la République Française, Jacques Chirac: "Pour ce qui est de la "lettre des huit" (les huit pays d'Europe de l’Est qui appuyèrent la décision américaine d'intervention armée en Irak - AV), il y a certainement eu un manque de communication. Mais dans l'autre sens, nous aussi aimerions savoir ce qui se passe sur la ligne Paris-Berlin-Moscou." Ce message, lourd de sens, historique et politique, a-t-il été bien reçu à Paris?

Il faut essayer de se comprendre

Du côté de Berlin, en tout cas, le nouvel ambassadeur d'Allemagne à Varsovie, Reinhard Schweppe, s'empressa de déclarer à Cracovie: "Nous comprenons les raisons historiques de la décision des autorités polonaises de soutenir l'action de guerre en Irak. Nous souhaitons simplement que les Polonais, de leur côté,  comprennent la position des Allemands, qui nous vient aussi du contexte historique."

Du côté de Washington, le Président des Etats Unis, George Bush, a également signalé le point historique fondamental de la continuité, sinon de la similitude, entre les combats du passé contre le nazisme et le communisme, et ceux d'aujourd'hui contre la "combinaison mortelle" du terrorisme, d'Etats hors la loi et d'une "idéologie de puissance et de domination" qu'il faut toujours empêcher de croître et de s'étendre avant qu'il ne soit trop tard. "Il faut affronter tôt et de façon décisive l'agression et les intentions malignes", déclare George W. Bush, invitant les Polonais, mais pas eux seulement, à ce que les services de renseignement et de police agissent ensemble. Mais il faut recourir parfois également à une "action militaire directe". Une telle action doit, certes, être justifiée et bien pesée.

2003 : Après l’action en Irak, une doctrine de sécurité commune justifie « l’action préventive » 

Déjà recommandée en 1933 par les Polonais, appliquée en 2003 par les Américains, élaborée finalement par la présidence grecque de l'Union européenne, confirmée par Javier Solana, haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité, pour être discutée à Washington, le 25 juin 2003, au sommet de l'Union européenne et des Etats Unis, une "doctrine de sécurité" a vu le jour en dépit des propagandes anti-américaines et "antiguerre". « Nous devons développer une culture stratégique propre à favoriser des interventions précoces, rapides et, si nécessaire, vigoureuses », déclare Javier Solana dans un rapport où il fait écho aux préoccupations américaines. "En oeuvrant de concert, l'Union européenne et les Etats Unis peuvent constituer une formidable force au service du bien dans le monde". Donc, le bien et le mal existent dans la conscience internationale!

"Désormais, la répression des crimes contre l'humanité est considérée comme une forme de prévention", affirmait dès la rentrée 2001 "l'accompagnement des programmes d'éducation civique, juridique et sociale" du ministère de l'Education nationale français.

Pourquoi faire la guerre préventive à Hitler ?

Nous allons donc exposer ici ce qu'a été la proposition polonaise de "guerre préventive" anti-nazie contre Hitler et le parti national-socialiste accédant au pouvoir en Allemagne en 1933.

"Dans ces années, le fascisme s'était déjà installé en Italie, et l'hitlérisme s'emparait du pouvoir en Allemagne. C'est alors que commença, à l'initiative de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Union soviétique et du Japon, une nouvelle phase de la course aux armements à l'échelle internationale. Cela ébranla la conviction que les traités et les engagements entre Etats seraient respectés, et les conférences internationales confirmèrent que les obligations contractées avaient valeur de chiffons de papier", écrivait le ministre polonais de l'Industrie et du Commerce, le constructeur du grand port de Gdynia,  Eugeniusz Kwiatkowski. (Cf. E.Kwiatkowski, "W takim zylismy swiecie" ( Le monde tel que nous l'avons vécu), éd. Znak, Cracovie, 1990).

Pilsudski essaie alors, par sécurité, devant ce nouvel axe, de normaliser les relations politiques et économiques de la Pologne avec la Russie soviétique. Cependant, en mars 1933, B. Mussolini parvient à promouvoir le "Pacte des Quatre" (France, Allemagne, Italie et Grande Bretagne), qui remettrait entre les mains des chefs de ces quatre pays les affaires européennes. Tout en tournant ces pays vers une collaboration, plus ou moins active, avec l'URSS et l'Allemagne!

Et surtout: "Avec une nette tendance à canaliser les appétits d'Hitler vers l'Est, surtout vers la Pologne, pour les détourner de l'Autriche, qui accepte avec joie la protection de l'Italie de Mussolini. Le chef de cabinet du Duce, le baron Aloisi, propageait ouvertement, à haute voix, la révision de la frontière germano-polonaise. Les Français également - dans des entretiens officieux - expliquaient aux Polonais que leurs armées ne se battraient pas pour je ne sais quel "couloir polonais", avis partagé par plusieurs éminents politiques et hommes d'Etat de la France": (Cf. Ibidem et Piotr Wandycz, "Trzy dokumenty" (Trois documents), in Zeszyty historyczne, Paris, 1963).

En 1933, la Pologne propose à la France de faire une guerre préventive contre Hitler et le nazisme

C'est alors que, réunissant informations et analyses du renseignement et de la diplomatie, Pilsudski fit à Paris, par plusieurs canaux officiels et officieux à la fois, la proposition d'une "guerre préventive" contre Hitler. La réponse de la France à la Pologne fut que la société française ne tolérerait pas d'offensive franco-polonaise contre Monsieur Hitler. (Cf. Waclaw Jedrzejewicz, "The Polish Plan for a "Preventive War" against Germany in 1933", éd. The Polish Review, New York, 1966).

Le concept et le projet polonais de cette "guerre préventive" étaient fondés sur trois initiatives simultanées de la stratégie polonaise:

1) concentrer des troupes polonaises en Poméranie et autour de la Prusse orientale;

2) demander qu'une Commission internationale examine l'état des armements secrets allemands, fabriqués en infraction au Traité de Versailles;

3) suggèrer qu'en cas de refus de l'Allemagne d'autoriser l'examen de son potentiel militaire, l'armée française occupe la Rhénanie et l'armée polonaise la Prusse orientale et la Silésie. C'est cela la "guerre préventive" proprement dite.

Von Moltke, représentant de l'Allemagne à Varsovie, informe Hitler en avril 1933 de la tentative du gouvernement polonais de "convaincre la France de faire une guerre préventive à l'Allemagne". (Cf. aussi H.Roos, "Polen und Europa" (La Pologne et l'Europe), éd. Tubingen, 1957, et Weltgeschichte der Gegenrwart, éd. Essen, 1936, tome I, partie I, p.21).

Le refus français

C'est lorsque le gouvernement français ne donna même pas de réponse à la proposition polonaise de former une Commission de contrôle des armements allemands, et qu'il ignora le danger hitlérien, que Pilsudski ordonna que l'on sonde les possibilités de détente avec l'Allemagne pour reculer le "court-circuit" jusqu'au jour où le conflit germano-polonais prendrait une signification internationale. 

Ce qui emporta la décision de Pilsudski de signer avec Berlin, comme avec Moscou, un accord de non-agression, ce fut justement cet axe, passif plutôt qu'actif, de Paris-Berlin-Moscou, dont Varsovie n'avait envie d'être ni dupe, ni victime.

"Ce qui emporta cette décision, écrivit Eugeniusz Kwiatkowski, ce furent deux faits fondamentaux: - la Petite Entente donna son accord au Pacte des Quatre dirigé contre la Pologne, ce qui troubla encore plus les relations polono-tchécoslovaques; - Mais surtout, le 2 septembre 1933, fut signé le "Pacte d'amitié et de non-agression" entre l'Italie fasciste et l'Union soviétique communiste. Ce pacte paraissait (à Pilsudski -AV) un prélude à l'entente soviéto-nazie." (Cf. E. Kwiatkowski, op.cit.). En quoi Pilsudski avait raison.

Les faux-fuyants de la pactomanie de l’entre-deux-guerres

En réalité, depuis le Pacte Briand-Kellog, ou le Traité de Locarno, Pilsudski et son renseignement savaient que l'appui, même défensif, de la France n'était pas acquis à la Pologne. Une note secrète des Affaires étrangères françaises datée du 9 octobre 1930 l'annonçait déjà. En voici la teneur abrégée:

"L'Allemagne, aux termes du Pacte Briand-Kellog, comme toute autre puissance signataire du pacte, ne peut en aucun cas recourir à la guerre pour régler ses différends éventuels avec ses voisins. Si toutefois elle passe outre à cette interdiction, ELLE N'ENCOURT, A PRIORI, AUCUNE SANCTION (souligné dans le texte - AV). (...)

La France, en vertu de ses accords avec la Pologne, est tenue de prêter aide et assistance immédiate à celle-ci en cas d'agression de la part de l'Allemagne, non provoquée par la Pologne. (Ce qui explique la mascarade de Gliwice-Gleiwitz, en septembre 1939, où des soldats allemands ont été déguisés en soldats polonais pour tirer sur des Allemands et prétexter une "attaque polonaise", ce que raconte aussi l'amiral Lacoste. D'autre part, cette clause a sans doute fait que la suggestion polonaise de guerre préventive (qui est inévitablement une sorte d'agression) a sérieusement effrayé la France - AV). Les accords de Locarno, poursuit le document, réservent explicitement sur ce point la liberté d'action de la France  - (d'aider ou non la Pologne en cas d'agression de l'Allemagne. La Pologne sait désormais que la France semble encline à céder à l'Allemagne  - AV). (...)

Toutefois, tant que la notion d'agression n'aura pas été exactement définie en droit international, poursuit encore le document, et pour peu que les conditions, dans lesquelles le conflit armé se sera déclaré, prêtent à la discussion, il faut s'attendre à ce que certains Etats se dérobent aux obligations assumées par eux en vertu de l'article 16 du Pacte de la Société des Nations, ou en profitent même pour intervenir dans le conflit au mieux de leur intérêt politique.

L'Allemagne elle-même ne manquerait pas, si la France se portait au secours de la Pologne et si la majorité du Conseil s'était prononcée, ou se prononçait après coup, en sa faveur, d'invoquer à son profit le Pacte de Locarno, en accusant, à son tour, la France, d'agression, et en demandant contre elle l'intervention des puissances garantes du pacte. La France pourrait alors se trouver dans une situation délicate, dont la perspective est de nature à influer sur les décisions de son gouvernement, lorsqu'il aura à INTERPRETER (souligné dans le texte - AV) et à exécuter les engagements contractés vis-à-vis de la Pologne." (Photocopie de l'original avec note manuscrite: "10.30. Note E4A2 sur l'éventualité d'un conflit germano-polonais.").

On voit bien que la diplomatie française a aussi une hérédité historique, tout comme la Pologne.  Et que la complexité des lois et des engagements internationaux n'a d'égale que les limites que le légalisme impose parfois à la morale. Cependant, on voit qu'il y a aussi une sagesse, et une morale, dans la prudence.

Les fausses assurances de la diplomatie

En tout cas, tous renseignements pris, Pilsudski savait comment se présentaient les choses. Lorsque, en 1934, avant l'attentat qui lui coûta la vie, le ministre français des Affaires étrangères, Louis Barthou, vint en visite à Varsovie et jura ses grands dieux que la France ne céderait pas d'un pouce à l'Allemagne, Pilsudski eut ces mots fameux, et tristes pour nous: "Mais si, mais si, vous céderez, autrement vous ne seriez pas vous-mêmes. Vous, Monsieur, peut-être ne voudrez-vous pas reculer. Mais alors, ou bien vous démissionnerez, ou vous serez renversé à l'Assemblée". Pilsudski était déchiré, car il ne voulait pour la Pologne d'alliance qu'avec la France et il craignait pourtant pour la France une guerre avec l'Allemagne, car, disait-il, "la France ne gagnerait pas cette guerre". "La puissante pression soviétique... et le manque de synchronisation entre l'action militaire en Pologne et en Occident causera une grande attaque allemande contre l'Occident", disait encore en septembre 1939 le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, Jan Szembek, à l'Ambassadeur de France à Varsovie Léon Noël. (Cf. note secrète du 25 septembre 1939, "égarée" du dossier publié des notes du ministre Szembek, et qui nous a été communiquée en juin 1998 à Varsovie). 

L’occupation de la Rhénanie par Hitler en 1936 

Un dernier test avait en effet été fatal, déjà après la mort de Pilsudski en 1935. Lorsque Hitler occupa la zone démilitarisée de la Rhénanie en mars 1936, la France ne fit toujours rien, malgré une nouvelle assurance d'action commune de la Pologne.

Même le Pape Pie XI s'impatienta légèrement. "Si vous aviez fait tout de suite avancer deux cent mille hommes, vous auriez rendu un immense service à tout le monde!", fit-il dire à l'Ambassadeur de France au Saint-Siège par le cardinal Pacelli, futur Pape Pie XII. Ce dernier, si décrié pour sa supposée faiblesse,  aurait donc souhaité voir la France et la Pologne catholiques empêcher la puissance nazie de se répandre en Europe. Dont acte.

Léon Blum donne raison à Pilsudski au sujet de la guerre préventive contre Hitler

On juge les grands esprits politiques sur leur capacité de prévision, plusieurs coups d'avance, et de décision au bon moment. Pilsudski avait eu, semble-t-il, raison de proposer la guerre préventive. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1946 et en 1951, des Français lui donnèrent raison. L'Ambassadeur de France à Berlin, André François-Poncet, a commenté ainsi l'épisode du 13 mars 1933 à Gdansk:

"A cette date, on avait vu un torpilleur polonais débarquer soudain des unités d'infanterie sur la Westerplatte, en face de Dantzig (Gdansk) . Un vif émoi s'était aussitôt répandu dans les chancelleries et à Genève. Que signifiait ce geste, dont on n'apercevait pas les motifs et qui avait l'air d'une provocation à l'égard de l'Allemagne? On avait immédiatement adressé des représentations à la Pologne, l'adjurant de ne pas susciter un conflit, dont on ne pouvait prévoir l'issue. Au bout de quelques jours, le détachement s'était rembarqué et le torpilleur avait disparu. Beaucoup de gens n'avaient pas saisi le sens de l'initiative polonaise. En réalité, il semble que le maréchal Pilsudski ait compris très vite le danger d'avenir qu'impliquait l'avènement du national-socialisme et du régime hitlérien. Il semble qu'il ait compris qu'il fallait étouffer ce danger, l'écraser dans l'œuf , avant qu'il ne devînt trop redoutable, et qu'il ait voulu, en créant de toutes pièces un incident, éprouver l'esprit politique et la résolution des alliés." (Cf. A. François-Poncet, "Souvenirs d'une ambassade à Berlin, septembre 1931- octobre 1938", Paris, 1946).

Plus tard, Léon Blum, chef historique du Parti socialiste français, a rendu hommage à Pilsudski, sans bien entendu le nommer, puisque Pilsudski était à l' de la gauche, dominée par le stalinisme. Il lui rendit hommage indirectement pour l'esprit anti-Munich dont on avait manqué:

"A mon avis, déclara Léon Blum, il existait un moyen peut-être unique de prévenir la guerre de 1939. Ce moyen consistait à pratiquer, dès la prise de pouvoir par Hitler, une opération préventive... Je pense aujourd'hui, en mon âme et conscience, que l'Angleterre et la France, la Pologne se joignant à elles (en réalité, cela aurait été l'inverse, mais notre vanité est sans égale, même dans l'erreur - AV), auraient pu et dû pratiquer une opération dès 1933... Si nous avions, à cette époque, les autres partis socialistes et nous,  que l'on traitait chaque jour comme des pacifistes bêlants et parfois comme les avocats de l'Allemagne, si nous avions proposé d'interdire par la force l'installation en Allemagne du gouvernement nazi, je crois que nous aurions pu entraîner avec nous l'opinion publique de la majorité des Parlements." (Cf. "La déposition de Léon Blum devant la Commission sur les événements de 1933 à 1945" in Le Figaro, 27 décembre 1951).

Quelles leçons pour le présent et l’avenir ?

On voit ainsi que les problèmes de la légalité d'une action militaire, de la légitimité d'une intervention contre le mal, et de l'efficacité (ou de l'inefficacité) diplomatique ne datent pas d'aujourd'hui et ont été, à vrai dire, rarement résolus avant que la menace ne s'abatte réellement sur les débattants inactifs.

Enfin, aussitôt la campagne d'Irak, en 2003,  terminée pour l'essentiel, l'Europe, même celle "anti-guerre", a quand même le vague pressentiment de la nécessité de s'armer, ou de s'armer mieux, de liquider les "plaques tournantes" d'intérêts et d'idéologies hostiles,  et de serrer les rangs "solidairement". Encore un terme emprunté à l'expérience - anticommuniste - de la Pologne et de son action pour la liberté et l' indépendance de l'Europe.  

La réunification du continent, certes, mais jusqu’où ?

Mais, qui menace l'indépendance de l'Europe ? Des stratégies de "brouillage des concepts", mode privilégié d'intoxication par la propagande et la désinformation sont en place et en action. En effet, on peut se demander si les Etats Unis, qu'un appareil médiatique et politique quasi unilatéral désigne comme une menace pour l'indépendance européenne, nous menacent vraiment à ce point.

Et d'où nous vient la soudaine promotion de l'axe Paris-Berlin-Moscou élargi même à Pékin, remis au goût du jour de façon pour le moins étonnante, invitant carrément la France à "unifier ses moyens, avec les hommes, le territoire (sic!) et les ressources naturelles russes, ainsi qu'avec le potentiel économique, culturel, et de Défense de la Russie." C'est à l'intégration européenne à la Russie que l'on nous invite! Mais, Vladimir Poutine va jusqu'à mettre une condition à notre intégration: seulement "si elle (la France ou l'Europe?) s'affirmait comme puissance autonome (des Etats Unis)"... (Cf. Henri de Grossouvre, "Paris-Berlin-Moscou, une géopolitique pour l'Europe", in revue Outre-Terre, n°4, mai 2003).

Le « multilatéralisme » comme prétexte d’un unilatéralisme mental, idéologique et géopolitique ? 

C'est ainsi que l'on a pu voir, notamment en France, de façon plus virulente qu'ailleurs, des populations engagées massivement, à l'appui d'une politique, justifiée en paroles par le "multilatéralisme", dans une pensée et une action populaires et médiatiques collectivement simplifiées, voire dirigées dans un sens unique. Au profit d'un... unilatéralisme mental, idéologique et géopolitique en complète contradiction avec les proclamations partisanes d'un multilatéralisme international démocratique libéral. Car, s'agit-il réellement d'assurer la démocratie libérale occidentale?

"Dans la Russie d'aujourd'hui, cette mascarade s'appelle "démocratie dirigée"", prévient Elena Bonner, la veuve d'Andrei Sakharov, présidente de la Fondation Sakharov en Russie. (Cf. The Wall Street Journal Europe, article traduit en français in Le Monde, 25.6.2003). Il y a là une nouvelle convergence avec ce que certains partisans de la "société ouverte", soumise, pour la bonne marche, à la "dirigeance" ou "gouvernance" globales, qualifient de projet de "démocratie non despotique"... Dans cette ambiance, la démocratie libérale, tout simplement,  risque de devenir la cible de la "lutte finale" que l'on nous annonce depuis Marx.

Alerté par les grandes grèves et manifestations françaises qui suivirent sans discontinuer celles déclenchées à propos de la guerre préventive en Irak, le monde politique français a-t-il perçu la continuité de l'histoire et le sens d'ensemble de l'action au service d'ambitieux et unilatéraux projets ?

Alexandra Viatteau

Ecrire à l'auteur : Alexandra Viatteau, cours sur la Désinformation (Journalisme européen), Université de Marne-la-Vallée, Département des Aires culturelles et politiques, Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée, Cedex 2, France.

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Date de la mise en ligne: septembre 2003 

 

 

Texte du document

   

 

 

La première partie de ce document secret de Moscou du 25 mai 1920, destiné à organiser en Europe une action de grande envergure du mouvement communiste, marxiste (léniniste et trotskiste ensemble, à l'époque), concerne très concrètement la situation du moment. Essentiellement le projet de bolchevisation de l'Europe par Moscou et Berlin, après avoir fait ensemble "sauter le barrage polonais à la Révolution mondiale" et ajouté Paris à l'axe révolutionnaire Moscou-Berlin. Nous publions seulement la partie du plan qui concerne la France:

"Examinons le pays le plus dangereux pour l'avenir de la révolution: la France, siège de la réaction capitaliste. (...) Nous devons soutenir de toutes nos forces, financièrement, notre agitation et notre propagande en France pour diminuer la force de résistance ou de répression de la bourgeoisie. Nous pouvons compter à présent sur quelque vingt régiments sympathisant avec la révolution sociale, qui passeraient du côté des révolutionnaires. Le reste de l'armée française est réactionnaire et dangereux. Il faut donc attiser de toutes nos forces l'agitation antimilitariste parmi la jeunesse, afin que les forces armées sur lesquelles peut compter la bourgeoisie soient diluées et divisées. Il faut que les chefs communistes et les défenseurs sincères des droits du prolétariat sachent que la pierre angulaire du régime capitaliste universel se trouve en France, et que le jour où nous pourrons détruire, ne serait-ce qu'en partie, les forces armées françaises au service du capitalisme, nous serons proches du moment de la révolution mondiale. Il faut voir si le plan de sabotage de toute mobilisation dans ce pays ne devrait pas être revu, afin que nous puissions l'utiliser quand le gouvernement français voudrait écraser la révolution en France ou dans un autre pays d'Europe. C'est dans cet esprit que nous demandons à nos camarades français de nous faire parvenir leur avis et leur projet qui intéresseront toujours l'action internationale et augmenteront son efficacité. Il est bien entendu que la démobilisation des forces armées bourgeoises doit aller de pair avec la création de gardes rouges, de détachements ouvriers, de milices communistes etc..., en rapport avec la situation et les coutumes particulières de tout pays. "

A propos de ce passage précis du document de l'époque, il est utile de citer Le Monde du 3 avril 2003 annonçant "Le retour en force des Jeunesses communistes dans les bataillons antiguerre" (contre l'intervention américaine en Irak). "Renforcées par une certaine implantation en banlieue, les Jeunesses communistes s'imposent parmi les plus gros cortèges antiguerre. Malek Boutih, président de SOS-racisme, les accuse, dans un entretien au Parisien, d' "inciter à la violence"... Aujourd'hui, les Jeunesses communistes revendiquent 30 départements où leur activité est régulière , contre moitié moins il y a un an. Et elles disent disposer d'un fichier national de 15 000 personnes avec lesquelles elles sont en relation. Le nombre de réels militants - les "animateurs" (successeurs des "agitateurs" soviétiques - AV) tourneraient autour du millier", écrit Le Monde.

"(...) On ne peut compter, poursuit le document secret de Moscou, en 1920,  sur l'utilisation de nos forces armées (russes, allemandes et européennes révolutionnaires - AV) en Amérique et au Japon, pour des raisons évidentes. Mais, le cas échéant, le devoir révolutionnaire primordial sera d' EMPECHER A TOUT PRIX UNE INTERVENTION ARMEE DE CES DEUX PAYS (en capitales dans le texte original - AV).

(...) Selon les informations que possède le gouvernement de Moscou, une crise sociale grave se prépare en Amérique du Nord et au Japon. (...) Il faut donc poursuivre la propagande communiste dans ces pays et établir un plan rationnel de sabotage des forces favorables au capitalisme européen avant la révolution mondiale. La reprise de relations commerciales avec ces pays favorise heureusement le développement de notre action révolutionnaire, ce que nous pouvons aussi observer en Europe."...

Source : Archives de l'Institut Jozef Pilsudski de New York, Archiwum Akt Nowych de Varsovie, et édition intégrale par Janusz Cisek in "Sasiedzi wobec wojny 1920 roku" (Nos voisins et la guerre de 1920), Polska Fundacja Kulturalna, Londres, 1990, dossier VII, document 8, N° 20640/II) 

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Proposer un Classique:  Alexandra Viatteau, cours sur la Désinformation (Journalisme européen), Université de Marne-la-Vallée, Département des Aires culturelles et politiques, Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée, Cedex 2, France.

   

 

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