Tony Morin est titulaire du Master 2 en relations internationales, spécialité Sécurité internationale et Défense de Université Pierre Mendès France Grenoble II et diplômé de l’ILERI (Institut d’Etude des Relations Internationales). Il est actuellement doctorant à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, sous la direction du Professeur Thomas Lindemann. Ses travaux portent sur les processus de prise de décision en France lors du conflit en ex-Yougoslavie (1991-1995).
Présentation de l’ouvrage dirigé par Walter A. Dorn, Air Power in UN Operations, Wings for Peace, coll. Military Strategy and Operational Art, Routledge. Concentrer en un seul volume les différents thèmes liés à l’emploi des forces aériennes par l’ONU revêt un aspect pratique. Certains chapitres présentent une réelle originalité et peuvent constituer des sources intéressantes pour quiconque souhaite se pencher sur la problématique.
LES opérations aériennes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) demeurent un objet peu étudié. Si l’on trouve de nombreux ouvrages et articles [1] qui traitent des liens entre puissance aérienne et politique étrangère, les études spécifiquement consacrées à la place de l’ONU dans ce champ sont plus rares. Le chercheur doit alors se diriger vers des études centrées sur une opération en particulier et dans laquelle les moyens aériens ne sont qu’une modalité de l’emploi de la force militaire parmi d’autres. Ainsi, les rapports qu’entretiennent les Nations Unies avec la troisième dimension [2] n’a à ce jour fait l’objet d’aucune systématisation.
A l’heure actuelle, l’Organisation emploie en moyenne 300 appareils qu’elle loue à des compagnies privées ou que les Etats membres mettent à sa disposition. Environ 1 milliard de dollars sont consacrés chaque année aux moyens aériens.
Pourtant l’ONU demeure un acteur important de ce que l’on peut qualifier de « diplomatie aérienne » [3]. La charte consacre d’ailleurs un article spécifique aux forces aériennes dans son chapitre 7 [4]. A l’heure actuelle, l’Organisation emploie en moyenne 300 appareils qu’elle loue à des compagnies privées ou que les Etats membres mettent à sa disposition. Environ 1 milliard de dollars sont consacrés chaque année aux moyens aériens. Dans ce cadre, un ouvrage spécifiquement consacré à cette problématique apparaît comme bienvenu.
Publié en 2014 aux éditions Routledge, dans la collection Military Strategy and Operational Art (dirigée par un professeur de l’Air War College de l’USAF (United States Air Force, l’armée de l’air américaine), Air Power in UN Operations, Wings for Peace, est un ouvrage collectif dont la direction a été assurée par Walter A. Dorn, professeur au Royal Military College of Canada. Ayant été plusieurs fois mandaté par l’ONU pour des rapports sur les opérations de maintien de la paix ou sur les innovations technologiques, Dorn est familier de la thématique. Le panel de contributeurs se compose de professeurs ayant généralement fait un passage dans une institution militaire (et dont beaucoup ont déjà publié sur le thème de la puissance aérienne) et d’officiers à la retraite. On retrouve entre autres Robert C. Owen, qui a dirigé un ouvrage de référence sur l’opération Deliberate Force en ex-Yougoslavie en 1995 [5].
Air Power in UN Operations est divisé en 6 parties. La première est dédiée à l’Opération des Nations Unies entre 1960 et 1964 au Congo. Ce pays fut le théâtre de « la première force aérienne de l’ONU » [6], c’est-à-dire la première opération où des appareils volant sous cocarde « ONU » ont effectué des missions offensives. Par la suite, l’ouvrage adopte un découpage « par mission » : transport, observation, zones d’exclusion aérienne, missions de combat et enfin les perspectives d’avenir. Ainsi, ce travail se présente plus comme un manuel découpé en liste de thèmes non problématisés que comme un travail scientifique systématique. Enfin, les contributions sont de natures différentes : certaines sont des articles historiques, d’autres sont des témoignages.
Les contributions sont de qualité variable, mais rares sont celles qui dépassent réellement le seuil descriptif. Cela n’amoindrit pas l’intérêt des contributions, notamment celles qui abordent des sujets peu connus et peu traités dans l’Hexagone (cf. infra), mais l’ouvrage souffre d’un manque de synthèse et ne s’appuie pas suffisamment sur la bibliographie existante sur le sujet. Il aurait ainsi gagné à mobiliser la littérature existante (et abondante) sur le concept de coercition aérienne et l’on peut regretter que l’ouvrage de Robert Pape, Bombing to Win [7], ne soit pas cité une seule fois, en particulier dans les chapitres abordant les aspects offensifs [8]. L’absence de référence à cet ouvrage est d’autant plus remarquable que son articulation avec le principe de No-Fly Zone [9] présente un intérêt académique certain, en particulier dans un contexte où ce mode d’action est appelé à se répandre dans de nombreuses zones de conflit [10]. Autre exemple des limites méthodologiques de l’ouvrage : l’article sur la guerre en Libye demeure très limité car exclusivement descriptif et ne cite aucune source française (autre que le ministre de la Défense) alors que l’on trouve des ouvrages bien documentés sur ce conflit [11].
De manière générale, il manque à ce travail un échelon de synthèse qui mette en relation les différents chapitres et leur donne ainsi une perspective historique ; il manque le lien entre l’objet étudié (la puissance aérienne onusienne) et son environnement (l’ONU, les relations internationales en général). Les évolutions des missions de l’ONU, et a fortiori leur volet aérien, ne sont pas dissociables de l’évolution du contexte international et des dynamiques internes à l’ONU, dont elles apparaissent souvent comme le produit. Ainsi, le poids du Secrétaire général dans l’évolution des opérations de maintien de la paix n’est pas suffisamment traité. Il est pourtant abordé à deux reprises : dans le chapitre sur l’opération au Congo avec les mutations opérationnelles survenues après le changement de Secrétaire général en novembre 1961 (passation entre le Suédois Dag Hammarskjöld et le Birman U Thant) et lorsqu’est évoqué le rôle de Kofi Annan sur l’acculturation [12] de l’ONU aux opérations aériennes. De même, les conséquences de la chute du mur de Berlin, pourtant structurantes dans l’évolution de l’Organisation et de ses missions, ne fait l’objet d’aucun développement.
Toutefois, l’ouvrage propose des chapitres intéressants, au premier rang desquels la partie sur le conflit au Congo au début des années 1960, très peu étudié en France. Entre les 30 ans qui séparent cet engagement de celui en ex-Yougoslavie, on observe que les problématiques des opérations d’imposition de la paix n’ont guère évolué. La partie sur le transport aérien, notamment le chapitre sur l’aide humanitaire à Haïti, montre comment l’Organisation tente de s’imposer comme un acteur incontournable de la troisième dimension en temps de crise via la mise en place de procédures et de structures dédiées au contrôle aérien lors d’un sinistre. Cette recherche de l’expertise [13] passe également par l’investissement de l’ONU dans des systèmes de drones, qu’elle commence à employer au Congo pour des missions d’observation [14]. Ce théâtre demeure par ailleurs le laboratoire d’expérimentation de plusieurs projets importants parmi lesquels on retrouve la Force Intervention Brigade, créée en mars 2013, qui mène des opérations coercitives contre les groupes rebelles, et ce en dehors du cadre habituel de la légitime défense. Ces initiatives montrent que le rapport entre l’ONU (qui reste avant tout une organisation diplomatique) et l’emploi de la force armée évolue constamment et de manière différente en fonction des théâtres et des périodes.
De par son balayage large de la problématique et malgré ses faiblesses, l’ouvrage dirigé par Walter Dorn n’est pas dénué d’intérêt. D’une part, le fait de concentrer en un seul volume les différents thèmes liés à l’emploi des forces aériennes par l’ONU revêt un aspect pratique. D’autre part, certains articles, tels que ceux sur l’opération au Congo et les missions d’observation durant la guerre civile libanaise de 1958, présentent une réelle originalité et peuvent constituer des sources intéressantes pour quiconque souhaite se pencher sur la problématique.
Copyright Juin 2016- Morin/Diploweb.com
Plus
. Walter A. Dorn (dir.), Air Power in UN Operations, Wings for Peace, coll. Military Strategy and Operational Art, Routledge
About the Book
Air power for warfighting is a story that’s been told many times. Air power for peacekeeping and UN enforcement is a story that desperately needs to be told. For the first-time, this volume covers the fascinating range of aerial peace functions. In rich detail it describes : aircraft transporting vital supplies to UN peacekeepers and massive amounts of humanitarian aid to war-affected populations ; aircraft serving as the ’eyes in sky’ to keep watch for the world organization ; and combat aircraft enforcing the peace. Rich poignant case studies illuminate the past and present use of UN air power, pointing the way for the future. This book impressively fills the large gap in the current literature on peace operations, on the United Nations and on air power generally.
A. Walter Dorn is Professor of Defence Studies at the Royal Military College of Canada (RMC) and chair of the Department of Security and International Affairs at the Canadian Forces College (CFC). As an ’operational professor’, he has visited many UN missions and gained direct experience in field missions. He has served in Ethiopia as a UNDP consultant, at UN headquarters as a training adviser and as a consultant with the UN Department of Peacekeeping Operations. He has provided guidance to the UN on introducing Unmanned Aerial Vehicles (UAVs) to the Eastern Congo.
[1] Par exemple : Robert Pape, Bombing to Win Air Power and Coercion in War, Cornell University Press, Ithaca, 1996 ; Pascal Vennesson, « Bombarder pour convaincre ? Puissance aérienne, rationalité limitée et diplomatie coercitive au Kosovo », Cultures & Conflits, 37 | printemps 2000
[2] Expression souvent utilisée dans le milieu militaire pour désigner l’air en tant que milieu géographique et les activités qui s’y rattachent.
[3] Définie comme « l’emploi des moyens aériens en soutien d’une politique étrangère ». Jérôme de Lespinois, « Qu’est-ce que la diplomatie aérienne ? », Défense et Sécurité Internationale, N°57, juin 2010.
[4] Article 45 prévoyant que les Etats membres mettent à disposition de l’ONU de manière permanente une force aérienne afin de mener des « actions coercitives ». Cet article aurait pour origine des diplomates britanniques, cherchant à transposer la doctrine de l’« air control » en vigueur dans les colonies. En raison de blocages politiques dus à la Guerre Froide, cet article n’a jamais été appliqué.
[5] Robert Owen, Deliberate Force, A Case Study in Effective Air Campaigning, Air University Press, Maxwell Air Force Base, 2000.
[6] Walter Dorn, Air Power in UN Operation, Ashgate, Farnharm, p.1. “The UN’s First Air Force” est le titre de la partie consacrée au conflit au Congo.
[7] Robert Pape, Op. cit.
[8] 4 chapitres, regroupés dans la partie 5 : Combat : enforcing the peace. William T. Dean III, Air Operations in Somalia : « Black Hawk Down Revisited ; Robert C. Owen, Operation Deliberate Force in Bosnia : Humanitarian Constraints in Aerospace Warfare ; A. Walter Dorn, Combat Air Power in the Congo, 2003- ; Christian F. Anrig, Allied Air Power over Libya.
[9] Une No-Fly Zones, ou zone d’exclusion aérienne, désigne un dispositif militaire visant à interdire l’accès d’un espace aérien à une force aérienne en particulier. Parmi les exemples figurent les opérations Northern Watch (Irak, 1997-2003) et Southern Watch (Irak, 1992-2003) et Deny Flight (Bosnie, 1993-1995)
[10] Voir notamment : Lionel Beehner, Under my Umbrella : The No-Fly Zone Fallacy, http://warontherocks.com/2016/04/under-my-umbrella-the-no-fly-zone-fallacy/. L’article revient sur les limites des No-Fly Zones et critique le fait qu’elles tendent à devenir l’option privilégiée des décideurs politiques américains.
[11] Entre autres : Jean-Christophe Notin, La vérité sur notre guerre en Libye, Fayard, Paris, 2012. Par ailleurs, l’article est un peu hors-sujet car la guerre en Libye de 2011 n’est pas une opération de l’ONU.
[12] Ce terme connaît de nombreuses définitions, qui varient en fonction de la discipline. En sociologie, l’une des plus répandue se trouve dans le lexique des sciences sociales d’Arlette et Robert Mucchielli : « processus par lequel un individu apprend les modes de comportements, les modèles et les normes d’un groupe de façon à être accepté dans ce groupe et à y participer sans conflit ». Arlette Mucchielli-Bourcier, Roger Mucchielli, Lexique des sciences sociales, Entreprise Moderne d’Édition, Issy-les-Moulineaux 1969
[13] L’expertise est ici comprise au sens sociologique de Michel Crozier et désigne la maîtrise, par un groupe défini d’une compétence particulière que les autres groupes n’ont pas. L’expertise est ainsi identifiée par Michel Crozier comme une source de pouvoir. Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système, les contraintes de l’action collective, Seuil, Paris, 1977.
[14] Contrairement aux autres moyens aériens qu’elle emploie (locations auprès de compagnies privées ou auprès de différentes d’armées), ces drones, construits par l’industriel italien Selex, sont achetés directement par l’ONU ; elle en est donc propriétaire. Leur usage demeure toutefois sujet à débat au sein même de l’organisation. « L’ONU étend l’emploi des drones pour ses missions de maintien de la paix », http://www.france24.com/fr/20150410-drones-onu-avenir-maintien-paix-nations-unies-rd-congo-kivu-monusco-minusma-mali-militaire-humanitaire.
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le dimanche 8 décembre 2024 |