Mehdi Lazar, Inspecteur de l’Education nationale, Géographe, chercheur associé au laboratoire Géographie-Cités. Il est également membre du cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO).
Salim Nehad, Spécialiste du Maghreb, diplômé de l’IEP de Paris. Co-auteurs de La Libye, Uppr Editions, format Kindle, 2016.
Pourquoi la Libye est-elle un enjeu ? Depuis 2011, la dimension conflictuelle fait la Une, mais il importe de comprendre les ressources qui sont en jeu. Voici un tableau d’ensemble de l’économie libyenne. Les auteurs présentent successivement : Une économie de rente : l’importance du gaz et du pétrole ; Les fondamentaux économiques libyens ; Faiblesse de l’industrie et de la finance ; Des services encore balbutiants ; Le secteur agricole ; Le tourisme et les transports ; Les indices de développement.
L’ECONOMIE libyenne est très peu diversifiée et dépend essentiellement des revenus du secteur pétrolier qui contribue pratiquement à couvrir toutes les recettes d’exportation et environ les trois-quarts du PIB.
L’importance des revenus pétroliers, couplée à la faible population, a fait de la Libye le plus haut PIB par habitant d’Afrique dans les années 2000. Durant cette décennie, la Libye a enregistré des taux de croissance élevé, allant jusqu’à 10,6% en 2010. Peu avant le printemps arabes et dans la lignée du retour de la Libye dans le champ des pays fréquentables, le pays de M. Kadhafi a en effet cherché à exploiter ses avantages comparatifs et à offrir à ses nouveaux alliés un approvisionnement énergétique nécessaire et une coopération dans les domaines de la sécurité et des migrations. Les nouvelles élites, formées notamment aux Etats-Unis, ont alors tenté de moderniser l’économie, en particulier grâce aux afflux de devises acquises grâce au troisième choc pétrolier (2002-2008) qui a entraîné une forte hausse des revenus issus de la vente des hydrocarbures.
Cette évolution positive a cependant été largement affectée par la révolte de 2011 et l’économie libyenne n’avait toujours pas retrouvé son niveau d’avant-guerre en 2016.
Avec un PIB de 70 milliards de dollars et une population de 6,5 millions d’habitants, la Libye affichait en 2013 le premier PIB par habitant d’Afrique du Nord à 12 700 dollars. Ce pays mono-exportateur d’hydrocarbures est le quatrième producteur de pétrole dans le monde avec 1,5 millions de barils par jour en 2015 et il dispose de réserves financières estimées à 149 milliards d’euros en 2015.
L’agriculture et l’industrie sont cependant très faibles, faisant de la Libye un pays à l’économie de rente. La Libye est le premier pays en Afrique au plan des réserves de pétrole (avec 48 milliards de barils d’un brut relativement accessible et peu cher à produire) et de gaz (avec 12,2 milliards de mètres cubes en 2013). Elle est aussi le quatrième plus grand potentiel gazier du continent, derrière le Nigeria, l’Algérie et l’Egypte, avec des réserves estimées de gaz naturel – associé et dissocié – de plus de 55 Tcf [1]. La Libye dispose donc de réserves largement sous-exploitées et sous-explorées. Le pays disposerait aussi du cinquième potentiel mondial de gaz de schiste.
Les premières découvertes de pétrole furent faites en 1955. Moins de dix ans plus tard, la Libye devenait le quatrième producteur mondial. Cette découverte fit de la Libye un pays riche mais dont la manne financière est très mal utilisée.
Le poids des dépenses de fonctionnement et des subventions est par exemple passé de 45% à 86% des dépenses totales entre 2010 et 2013. Cette politique reste insoutenable à moyen terme et contraint fortement la capacité de la Libye à financer le développement de ses infrastructures.
L’économie libyenne est très peu diversifiée et les revenus pétroliers représentent 70% du PIB, 95% des recettes du gouvernement et 98% des exportations en 2013. Le taux de chômage serait de 30%. Quant au secteur public, il emploie 80% de la population active.
En 1967, la Libye comptait 1 500 000 habitants, dont 500 000 nomades, ce qui laissait une population active de 250 000 travailleurs. Parmi ceux-ci, on ne comptait guère plus de 2 500 personnes titulaires d’une formation supérieure. Ceci posa de façon accrue le problème de la gestion de la rente pétrolière. Voilà déjà en 1969 comment la Libye était décrite dans une note diplomatique assez crue : « Un essor pétrolier énorme ; une économie béante, vrai gouffre à importations ; un gaspillage financier déconcertant se déversant sur des cités champignons ivres d’or tandis que se dépérissent les campagnes ; une politique déséquilibrée par l’apathie d’une nation désertique ; un avenir imprévisible ». Depuis la fin de la révolution de 1969 en effet, la politique économique des autorités libyenne fut marquée par l’achat de la paix sociale.
Presque quatre décennies plus tard, le constat de la note diplomatique pourrait être validé mot pour mot, la situation étant assez similaire. Pourtant la Libye s’était engagée précocement dans une politique de reconquête de ses ressources et d’une meilleure gestion de son sous-sol. Après quelques années d’hésitation, et suivant l’exemple algérien qui nationalisa des nombreuses entreprises deux ans plus tôt, la Libye s’engagea progressivement à partie de 1973 dans une politique de nationalisation progressive du pétrole, sous la forme initiale de prise de participation majoritaire dans les compagnies présentes sur son sol. L’année 1974 marqua la fin du régime des concessions pétrolières et le début du régime dit « d’association et de participation à risque partagé » qui consistait à porter à la charge des compagnies les frais de forage et de prospection en échange du partage de la production.
Les ressources énergétiques d’origine fossile et l’importance du secteur pétrolier firent finalement de la Libye un Etat rentier. Avec des réserves inégalement réparties sur le territoire et évaluées à 48,5 milliards de barils en 2013 (soit 2,9% des ressources mondiales prouvées), elle est le quatrième producteur pétrolier du continent africain après le Nigéria, l’Angola et l’Algérie ; en 2102, 71% de sa production était exportée vers l’Union européenne. La Libye occupait la deuxième place à l’échelle africaine avant la révolution.
Outre le fait qu’il pèse de manière importante sur les ressources de l’Etat (98% en 2013) et étant donné que les puits pétroliers se trouvent essentiellement dans l’est et le sud du pays, le facteur énergétique a eu des effets politiques et géopolitique significatifs en Libye. Les réserves de brut ont été un élément déterminant dans la fin de la monarchie Senoussi (1951-1969) et de l’Etat fédéral (1951-1963). Elles ont contribué à exacerber les conflits entre l’est et l’ouest du pays sous Kadhafi et avant la rébellion de février 2011, la Libye était engagée dans un processus de transformation socio-économique.
Sur bien des aspects et sous la pression internationale, le régime de Mouammar Kadhafi avait en effet pris la voie d’une libéralisation : désétatisation et ouverture progressive du secteur pétrolier aux entreprises multinationales sous la forme de joint-ventures. Ce processus a été stoppé par la crise politique et la révolte de 2011.
En 2009, la Mission économique française indiquait qu’ « avec une production de pétrole de 1,7 millions de barils par jour en 2007 et 2008 et une population de 5,8 millions d’habitants, la Libye est un des pays les plus riches d’Afrique (le PIB par habitant aurait atteint 10 200 dollars en 2007) ». Ces bonnes performances économiques ont été confirmées par le Fonds monétaire international (FMI) qui soulignait l’excellente qualité des fondamentaux de l’économie libyenne à la fin des années 2000 avec une croissance du PIB (57,1 milliards de dollars en 2007) de 5,8% en 2007 et estimée à 7,3% en 2008. Cette croissance était en fait due en partie au secteur non pétrolier qui, pour la première fois, selon le FMI, aurait crûe en moyenne de 9,6% en 2007 (5,6% pour le secteur pétrolier).
Sur le plan budgétaire, la balance des paiements courants, qui s’était dégradée avec un solde de 34% du PIB en 2007 se situerait entre 10 et 12 milliards de dollars en 2010. Dopées par la hausse continue des prix du baril, le pays disposait fin décembre 2008 de réserves de change évaluées par la Banque centrale à 135 milliards de dollars, dont 70 milliards étaient détenus par le fonds d’investissement souverain du pays, la Libyan Investment Authority (LIA, voir l’encadré plus loin). En d’autres termes, l’économie libyenne était engagée sur la voie de la libéralisation et de la privatisation du secteur public, avec des réformes.
L’Etat libyen sous Mouammar Kadhafi était un état social, où des biens publics étaient mis à la disposition de la population : l’électricité à usage domestique était gratuite ; l’essence coûtait à peine 10 centimes d’euros le litre, les Libyens ne payaient pratiquement pas d’impôts, la TVA n’existait pas, la dette publique était de 3,3% du PIB. Les voitures, dont la majorité était importée du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine et des Etats-Unis, étaient vendues à prix d’usine.
La Libye fait face néanmoins à une double dépendance : la variabilité du prix des barils de pétrole et la besoin de main d’œuvre étrangère, car la Libye ne dispose pas de la force de travail suffisante pour occuper des emplois qualifiés ou subalternes dans tous les secteurs d’activité. On estimait à la fin de la décennie 2000 que 40 à 50% de la population active était étrangère.
En 1969, l’appareil industriel libyen était embryonnaire et concentré sur l’agriculture (conserverie et minoterie), le ciment et la peinture.
En quinze années, le pays se dota d’une infrastructure industrielle et énergétique relativement diversifiée : pétrochimie (raffinerie, liquéfaction du gaz, fibres synthétiques, caoutchouc), transformation métallurgique (tuyaux, écrous) ou textile (tissage, teinture), mais ses performances demeurèrent médiocres et profondément liées à l’industrie pétrolière.
Après le changement de régime survenu en 1969, la Libye connut une transformation radicale de son économie. Une série de lois supprima la propriété tribale des terres, sur laquelle reposait en grande partie la stabilité de la monarchie, tandis que le commerce privé était aboli en 1970. Dans le même temps, le nouveau pouvoir nationalisa les biens détenus par les Italiens, ainsi que ceux des compagnies pétrolières étrangères (partiellement toutefois), abolissant le système des royalties (une modeste part des revenus reversées par les compagnies au Trésor libyen) au profit de la réappropriation par la Libye de la rente pétrolière (qui devait par la suite exploser à l’occasion du premier choc pétrolier de 1973). A la suite de la baisse des prix du pétrole dans les années 1980, le colonel Kadhafi s’engagea cependant dans une politique d’ouverture économique en 1988.
Ainsi dès mars 1987, le colonel Kadhafi invite à une lecture plus souple de sa doctrine économique. A partir de 1988, il mit en place des réformes visant à libéraliser et dynamiser l’économie : le petit commerce et l’artisanat furent encouragés, la suppression des subventions sur certains produits (blé, thé, etc.) fut mise en place. Le secteur privé se développa, que ce soit les agriculteurs qui furent autorisés à vendre leurs produits sur les marchés, ou les PMI qui purent prendre une forme proche de celle des coopératives. L’image du régime s’en trouva améliorée mais avec les autres mesures de 1990 (fermeture des entreprises publiques en faillite, réduction du nombre de fonctionnaires, etc.) et l’augmentation du prix des denrées alimentaires, l’économie informelle se développa et les inégalités sociales se creusèrent. En 1993, des projets visant à la promotion du tourisme et à la convertibilité du dinar furent mis en place.
Toutefois, lors de la décennie précédant la libéralisation de 1988, Mouammar Kadhafi affirma son emprise sur l’Etat et la société, en la maquillant d’un vernis idéologique « socialiste » résumé dans son Livre vert, paru en 1975. Dès 1978, il s’attaqua à la propriété privée en faisant adopter la loi n°4 dont l’article 3 autorisait les locataires à s’emparer des logements dans lesquels ils habitaient. « La maison appartient à celui qui y réside », disait le slogan. Sur le plan économique, l’article 6 permit aux employés de prendre le contrôle des entreprises dans lesquelles ils travaillaient. Par conséquent, des milliers de boutiques, de bureaux, d’usines et de terres agraires furent confisquées et ont souvent été attribuées aux membres des tribus proches du régime.
Suite au changement de régime de 2011, des milliers de Libyens sont bien déterminés à récupérer leurs biens par tous les moyens, y compris le recours à la force. Beaucoup espèrent en effet régler des comptes vieux de plus de trente ans en brandissant des titres de propriété qui remontent à l’occupation italienne (1911-1947), voire à l’époque ottomane (1551-1911). Mouammar Kadhafi avait ainsi ordonné de brûler l’immeuble du cadastre libyen en 1980 pour semer la confusion sur la question de la propriété. Par ailleurs, les lois de confiscation des biens ne sont toujours pas abrogées. Les autorités ne veulent pas prendre le risque d’abolir la loi n°4 avant de trouver les moyens et les conditions de compenser le plus grand nombre de libyens. Le coût total est estimé à plus de 17 milliards de dinars (environ 11, 4 milliards d’euros).
Logements très bon marché, aliments de base subventionnés, éducation et santé garanties, les Libyens ont eu pendant près de quarante ans des conditions de vie exceptionnelles pour le continent africain. En contrepartie, cette rente pétrolière n’a incité ni le gouvernement ni la société civile à développer les initiatives privées, malgré les tentatives de la fin des années 1980. La Libye s’est donc retrouvée avec un faible taux d’activité, la force de travail mobilisée en pourcentage de la population active étant l’une des plus faibles au monde (moins de 56%). Ce faible taux d’activité des Libyens a naturellement engendré une immigration massive, d’abord originaire du Maghreb, cette population immigrée s’est par la suite diversifiée, les ressortissants de l’Afrique subsaharienne, notamment les Soudanais et les Tchadiens devenant de plus en plus nombreux.
La Libye avait toutefois amorcé un virage clairement libéral dans les années 2000. Ainsi, le 27 juillet 2004, la candidature de la Libye à l’OMC a été acceptée à l’unanimité des 147 pays membres et alors que le pays connaissait ses premières révoltes à Benghazi en février 2011, le FMI remettait la même semaine un rapport invitant la Libye à poursuivre les réformes entamées.
Encadré. La Libyan Investment Authority (LIA) a été créé par le régime de Mouammar Kadhafi en 2006 pour investir les abondantes réserves en devises étrangères de la Libye tirées de ses revenus pétroliers. En 2013, l’organisme était l’un des plus importants fonds souverains au monde. Toutefois, les investissements liquides sont pour l’essentiel gelés, suite aux sanctions internationales de 2011 contre le régime Kadhafi. La LIA a investi plusieurs milliards de dollars dans divers produits financiers proposés par des banques occidentales. Déplorant de lourdes pertes, l’institution poursuit deux d’entre elles devant la justice britannique depuis janvier 2014 : la Goldman Sachs à laquelle elle a réclamé un milliard de dollars et la Société Générale. Le cabinet de conseil Deloitte estimait fin 2012 à 67 milliards de dollars le montant de la valorisation de la Libyan Investment Authority. Celle-ci comprend pour moitié des participations dans 550 entreprises libyennes, souvent très présentes en Afrique (les stations essence Oil Libya, les hôtels Laico, le fournisseur de téléphonie LAP Green…). L’autre moitié est composée d’investissements liquides sur des marchés financiers internationaux : la LIA détient ainsi d’importantes participations en Italie (Unicredit, ENI, Finmeccanica), en France (Lafarge, France Telecom) ou en Allemagne (Siemens, Allianz).
La crise libyenne menace par ailleurs l’équilibre économique de la Libye. Les revenus du pays ont chuté de 4,6 milliards de dollars par mois avant la révolte à un milliard ensuite. La Banque mondiale et le FMI ont ainsi dégradé leurs prévisions de croissance pour la Libye en 2014 tablant sur une récession de 8% après une contraction de l’économie de 5,1% en 2013. Avant la révolution, l’Italie était le premier fournisseur de la Libye mais aussi son premier client devant la Chine et l’Allemagne. La Turquie est devenue le quatrième partenaire du pays.
La Libye ne dispose pas des outils élémentaires de pilotage économique tels que les appareils statistiques fiables et une comptabilité nationale globale. Les informations sont difficiles d’accès et ne sont pas traduites dans la plupart des cas. De plus, il y a une très faible structuration du marché du travail. La main d’œuvre libyenne est faiblement qualifiée, et il faut souvent avoir recours à des travailleurs étrangers. Enfin, le financement local des entreprises étrangères est contraint par le caractère archaïque et fortement administré du secteur bancaire.
Dans une note du 30 mai 1963 adressée au Ministre des Affaires étrangères français, M. Maurice Couve de Murville, l’ambassadeur de France en Libye jugeait le provincialisme comme une réalité sur le plan du journalisme et soulignait l’absence d’un organe quotidien national.
A cette époque la presse en langue arabe (10 titres) côtoyait quelques titres en langue anglaise et italienne. L’ensemble des publications en question ne dépassait pas 25 000 exemplaires pour une population de 1 200 000 personnes à l’époque. Elle était sévèrement contrôlée et le seul domaine dans lequel la presse indépendante pouvait évoluer avec une grande liberté concernait la critique des sociétés étrangères.
Le nombre de médias en Libye a augmenté de façon considérable depuis la révolution de 2011 : si le pays dénombrait dans le passé 15 quotidiens, on en recense aujourd’hui environ 120, sans compter les stations de radio, les chaînes de télévision et les innombrables sites web. Toutefois, après 42 ans de censure, la presse indépendante n’est pas pour autant garantie. Le secteur se heurte souvent à des problèmes d’infrastructures. La liberté de l’information est menacée par l’insécurité qui ébranle le pays, si bien qu’être journaliste en Libye demeure une tâche particulièrement ardue : autocensure persistante, menaces à répétition, intimidations, détentions arbitraires, torture, etc. Ces violences proviennent aussi bien des groupes armés autonomes que de ceux reconnus et appuyés par le gouvernement.
En 2013, Reporters sans frontières a recensé 17 assassinats de journalistes, 39 enlèvements et 144 attaques, la Libye figurant en bas de la liste dans le classement mondial de la liberté de la presse de l’organisation (137e sur 180 en 2014). Sur le plan juridique, un exemple permet de comprendre les limites du supposé retour des libertés : l’article 195 du Code pénal rend illégal toute critique de la révolution et la loi n°37 prévoit des peines d’emprisonnement pour les auteurs de rumeurs, d’actes de propagande et de fausse informations visant à nuire à la « défense nationale »
En 2000, le nombre d’association en Libye ne dépassait pas 39, détenues par des personnes du régime. Quant aux services, du fait de la structuration de l’économie et son caractère rentier, ils occupent 60% de la population active et contribuent pour 40% au PNB du pays.
L’agriculture doit s’accommoder d’une double contrainte, celle des surfaces cultivables et des ressources hydrauliques. Alors que seulement 2% du territoire est suffisamment arrosé pour permettre l’agriculture non irriguée, la question de l’eau en Libye est cruciale. Les zones les plus favorisées se situent dans l’est, sur un territoire appelé Jabal Akhdar, la montagne verte.
Au lendemain de l’indépendance, en 1951, plus de 70% des emplois recensés relevaient en revanche du secteur agricole, qui représentait à l’époque 30% du PIB. Partout ailleurs, les précipitations sont inférieures à 400 mm par an et bien souvent à 50 mm par an, seuil de l’hyperaridité. Ce sont pourtant les riches zones aquifères fossiles du désert qui permettent à la Libye de répondre à la demande en eau des villes et des campagnes. Dès la fin des années 1970, d’immenses périmètres agricoles étatiques ont été créés dans ces régions, mais c’est au début des années 1980 que la Libye a lancé le plus ambitieux de ses projets, la Grande rivière artificielle. Elle fut lancée officiellement en 1983 par Mouammar Kadhafi, mobilisant des moyens financiers considérables (environ 23 milliards d’euros) avec pour objectif de pomper jusqu’à 6 millions de m³ par jour. C’est un aqueduc de 4 mètres de diamètre qui relie les gisements d’eau profonde de la région de Tazerbo (sud de la Cyrénaïque) aux rives de Benghazi et du Golfe de Syrte. Le premier tronçon a été inauguré le 28 août 1991, le second en 1997 et le troisième en 2000.
Kadhafi s’était fixé comme objectif la récupération des terres fertiles aux mains des propriétaires Italiens, expulsés et expropriés en 1970 et des propriétaires Libyens eux-mêmes dépossédés d’une grande partie des terres qu’ils avaient acquises à l’indépendance. Des dizaines de milliers d’hectares furent ainsi distribués à des familles libyennes intéressées par le travail de la terre. Ainsi, en 1970, 3 000 fermes d’une superficie totale de 100 000 ha furent créées et données aux familles en question. Kadhafi réalisa ainsi « la socialisation des terres agricoles », selon ses termes.
On distinguait trois catégories de mises en valeur agricoles dans l’agriculture irriguée : (1) les petits propriétaires exploitent les plus anciennes zones irriguées dont la transmission était souvent soumise au droit coutumier, (2) les fermes étatiques créées par les pouvoirs publics dans les années 1970 et 1980, le plus souvent dans des zones désertiques. Chaque propriété était attribuée à une famille et comprenait une maison et une parcelle de 5 à 10 ha. Bien souvent, ces projets agricoles comportaient 100 à 200 fermes séparées par des allées rectilignes et bordées de brise-vent végétaux pour limiter l’érosion et (3) les périmètres agricoles étatiques se situaient dans des zones désertiques riches en eau des nappes fossiles. Vu du ciel, leur forme est très spectaculaire car il s’agit de plusieurs dizaines de cercles de verdure alignés. Cette géométrie résulte d’un procédé d’irrigation circulaire car l’eau pompée dans le sous-sol irrigue les sols en tournant autour d’un pivot fixe. Cette technique n’a cependant pas pu répondre à l’objectif de l’indépendance alimentaire.
Malgré des résultats impressionnants, puisque la production agricole a été multipliée par trois depuis les années 1970, la Libye n’est néanmoins pas parvenue à une autosuffisance alimentaire. Pire, le pompage excessif fait en fait craindre un tarissement des nappes phréatiques et leur salinisation accélérée.
Malgré le large potentiel touristique libyen, le tourisme à destination des visiteurs étrangers ne fut développé que tardivement dans le pays. Les plans d’aménagement urbain prenant en compte en revanche un tourisme proprement libyen.
Le tourisme en Libye a finalement connu une véritable expansion avant le soulèvement populaire de 2011. En quelques années, il est devenu la seconde source de devises du pays. On ne peut ainsi parler d’émergence d’un secteur touristique que depuis 1995. C’est également dans les années 1990 que se construisit également la première génération d’hôtels du pays, gérée par des sociétés publiques. Depuis la fin de l’embargo en 2003 et 2004 et le retour de la Libye dans le concert des nations, le tourisme enregistra un boom encore tout relatif de 85 000 nuitées en 1995 à 200 000 en 2003.
Pour le moment, le tourisme étranger en Libye concerne surtout une minorité de passionnées par le désert et d’archéologie. Les atouts libyens sont pourtant nombreux. Le pays recèle en effet un patrimoine historique et naturel susceptible d’attirer de nombreux touristes. Ainsi, on ne compte pas moins de cinq sites inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité : Leptis Magna, Sabratha et Cyrène en 1982, les peintures rupestres de la Tadrart Akakus en 1985, Ghadamès en 1986.
Le désert offre des immensités, ergs et regs, mais aussi de nombreuses oasis, qui sont en outre des lieux d’histoire, de mémoire et de culture, notamment berbère. Les recettes touristiques sont pourtant très faibles. Les raisons sont connues : la rente pétrolière, qui a relégué le tourisme au second plan ; les questions politiques, internes et internationales, ainsi qu’une législation restrictive, qui ont tenu à distance les investisseurs et les touristes. Plus récemment, la situation sécuritaire préoccupante empêche le développement du potentiel touristique et récréatif libyen.
La Libye a eu les moyens d’améliorer, grâce aux revenus pétroliers et à une politique fondée sur la redistribution des revenus de cette rente, les conditions de vie de la population.
L’IDH (indice de développement humain) est le plus élevé d’Afrique (et le 64e mondial en 2000), l’espérance de vie est estimée à 77 ans grâce à l’amélioration de l’encadrement médical ; le taux d’alphabétisation est en conséquence élevé (environ 80%), malgré un décalage encore très marqué entre les sexes puisque 31,8 % des femmes sont illettrées contre 9,2 % d’hommes seulement. Ce décalage s’atténue du fait de la politique vigoureuse de scolarisation qui a été multipliée par cinq en 50 ans, passant de 20 à 100%.
Conclusion
L’économie de la Libye dépend essentiellement des revenus du secteur pétrolier, le pays est le premier producteur du continent africain dans les années 2000 et le potentiel gazier libyen reste très important.
Grâce aux revenus des hydrocarbures et à sa faible population, la Libye disposait toujours du plus haut PIB par habitant d’Afrique en 2013, et ce malgré la forte contraction de l’économie depuis la révolution de 2011. Après 2011, l’économie a rebondi (de 104,5% en 2012), mais n’a toujours pas retrouvée son niveau d’avant 2011.
L’utilisation de la rente pétrolière a été marquée par un caractère dysfonctionnel et dépensier. A la suite de la baisse des revenus pétroliers dans les années 1980 et afin de pallier aux carences de l’économie, Kadhafi a entrepris de libéraliser et dynamiser l’économie dès 1988, une politique dont les effets furent limités. Depuis 2011 cependant, le secteur privé est en large expansion.
Copyright Septembre 2016-Lazar-Nehad/Diploweb
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[1] Trillion cubic feet, ou billions de pieds cubes en français.
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