Docteur en relations internationales de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève. Chercheur associé au Brussels Institute of Contemporary China Studies (BICCS). Auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique auquel est adossé le site diploweb.com
Géopolitique de l’Asie centrale. Depuis 1991, les États-Unis et le Kazakhstan ont progressivement mis en place un partenariat solide et stable basé sur une coopération très étendue, sans accrocs majeurs, contrairement aux relations de Washington avec l’Ouzbékistan. Cependant, leurs relations bilatérales connaissent des limites qu’il ne faut pas non plus négliger.
LES États-Unis ont été le premier État à reconnaîtrele Kazakhstan indépendant en décembre 1991 et à y ouvrir une ambassade dès janvier 1992. Depuis ce moment, les deux pays ont développé des rapports bilatéraux étendus. Le Kazakhstan considère Washington comme l’un de ses plus importants partenaires avec l’Union européenne, la Chine et la Russie. Sa capitale, Astana essaie de maintenir un équilibre entre eux dans le cadre de sa politique étrangère dite « multivectorielle », mais avec cependant une priorité pour ses deux puissants voisins russe et chinois. De son côté, au regard de l’Asie centrale, Washington s’est intéressé au Kazakhstan dès le début des années 1990. Mais, tout en maintenant ses relations avec Astana, il s’est ensuite tourné en priorité vers l’Ouzbékistan avant que les événements d’Andijan de 2005 ne mettent à mal le « partenariat stratégique » américano-ouzbek. Dans ce contexte, à partir du milieu de l’année 2005, Washington a de nouveau redonné la priorité à ses rapports avec le Kazakhstan, considéré comme un allié stable en Asie centrale. Cette tendance s’est accélérée à partir de l’année 2006 et se maintient jusqu’à présent.
L’intérêt américain pour le Kazakhstan est à l’origine lié à la présence sur son territoire d’un important arsenal nucléaire et de facilités de recherches et de production d’armements biologiques hérités de la période soviétique. Cet armement transformait potentiellement le nouvel État en quatrième puissance nucléaire du monde alors que, vu la présence des infrastructures liées au programme soviétique de guerre biologique, les risques de prolifération d’armes de destruction massive (ADM) ne pouvaient être écartés. Aussi, Washington et Astana ont-ils développé très tôt une coopération - aussi discrète qu’efficace – dans le domaine de la sécurité et de la non-prolifération. Sous l’influence américaine, Astana a renoncé aux armes nucléaires dès 1993. Dans le cadre du Cooperative Threat Reduction Program lancé par les sénateurs Nunn et Lugar, les États-Unis et le Kazakhstan ont signé la même année un accord de coopération en matière de réduction conjointe de la menace. Il a été prolongé pour sept ans en décembre 2007. Les Américains ont fourni plus de 200 millions de dollars d’assistance au Kazakhstan pour l’aider à se débarrasser des ADM – d’abord dans le domaine nucléaire, puis en matière biologique – et des infrastructures connexes présentes sur son territoire par leur rapatriement vers la Russie, leur démantèlement, la fermeture, la neutralisation et la sécurisation de sites nucléaires. Quinze ans après la signature de l’accord de 1993, le Kazakhstan est salué par les autorités américaines comme un des leaders mondiaux en termes de non-prolifération nucléaire, une carte maîtresse que les dirigeants kazakhs utilisent sur la scène internationale pour promouvoir l’image de leur pays.
Dès 1994, les deux pays ont également signé un accord sur la conversion des entreprises de défense, avec comme priorité les installations engagées dans le secteur des ADM [1]. Les États-Unis financent également des programmes comme l’International Science and Technology Center et le Global Initiatives for Proliferation Prevention, destinés à éviter la « fuite des cerveaux » vers des pays problématiques.
Dans le domaine de la non-prolifération, Washington continue de fournir une assistance en matière de formation et d’équipements pour les gardes-frontières, les inspecteurs des douanes ou les fonctionnaires kazakhs travaillant au contrôle des exportations. Un accord de coopération contre le trafic de matières radioactives et fissiles signé à l’initiative des États-Unis en mai 2006 prévoit l’installation de matériels de détection dans les postes frontaliers importants ainsi que la formation à ce type de contrôle de certains personnels. Si cette coopération se poursuit aujourd’hui, c’est en raison de la persistance des risques de prolifération aggravés par la menace terroriste. L’Asie centrale – particulièrement le Kazakhstan et l’Ouzbékistan – reste en effet une source potentielle d’approvisionnement pour les groupes terroristes intéressés par l’acquisition de matières fissiles, comme l’uranium fortement enrichi ou le plutonium, ou de matériaux radioactifs provenant de sources radioactives « orphelines » – le Kazakhstan en comptait 100 000 en 1992 –, nécessaires à la création d’une « bombe sale ».
Les liens politiques entre Washington et Astana se sont développés tout au long de la décennie 1990. Le président Noursoultan Nazarbaïev s’est rendu quatre fois aux États-Unis durant cette période. Les contacts entre les deux pays se sont intensifiés directement après le 11 septembre 2001. Astana a soutenu les opérations américaines en Afghanistan. Il a accordé une autorisation de survol permanente aux avions américains participant aux opérations militaires contre les talibans et offert des facilités en matière d’atterrissage d’urgence sur son territoire. Comme partenaire dans la guerre contre le terrorisme, il a vu son importance grandir à Washington. Le président N. Nazarbaïev a ainsi été accueilli à la Maison Blanche en décembre 2001. À cette occasion, les deux pays ont mis en place un « partenariat stratégique ». Au printemps 2003, le Kazakhstan a aussi soutenu la politique américaine en Irak. Il a été, avec la Géorgie et l’Arménie, l’un des rares pays de l’espace de la Communauté des Etats indépendants (CEI) à y envoyer un contingent, il est vrai symbolique. Cependant, après la visite de N. Nazarbaïev de décembre 2001, les relations politiques bilatérales se sont quelque peu distendues. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. Dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, l’administration américaine a davantage mis l’accent sur ses liens avec Tachkent, jugé plus important qu’Astana dans ce domaine prioritaire. Le président kazakh a par ailleurs été inquiété en 2003 par la justice américaine dans le cadre de l’affaire Giffen – dite aussi « Kazakhgate » –, une affaire de corruption touchant au versement de commissions occultes par certaines compagnies pétrolières américaines à l’occasion de la conclusion de grands contrats pétroliers avec le gouvernement kazakh dans les années 1990. Les relations bilatérales ont aussi été perturbées par la vague des « révolutions colorées » qui a traversé l’espace de la CEI entre 2003 et 2005. Même si le président Nazarbaïev ne s’est sans doute pas senti directement menacé, il a néanmoins pris des mesures de renforcement du contrôle de la société civile, ce que Washington ne pouvait que déplorer. Néanmoins, à la suite des événements d’Andijan qui ont refroidi ses liens avec l’Ouzbékistan, puis du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) de juillet 2005 où celle-ci, à l’initiative de Tachkent, a demandé à Washington de fixer un délai pour le retrait de ses forces d’Afghanistan, l’administration américaine a rapidement rééquilibré ses relations en faveur d’Astana. Les visites diplomatiques bilatérales de haut niveau se sont soudainement multipliées à l’automne 2005. Washington ne formulera aucune critique à la réélection de N. Nazarbaïev à la présidence du Kazakhstan avec plus de 90 % des voix en décembre 2005.
Lors la visite officielle de ce dernier à la Maison Blanche en septembre 2006, le « partenariat stratégique » a été relancé, Washington étant, semble-t-il, arrivé à la conclusion que la stabilité et les réalisations du Kazakhstan, notamment en matière économique, en ont fait un partenaire incontournable en Asie centrale pour promouvoir son influence dans cette zone. Preuve de l’intérêt prioritaire donné aux relations avec le pays, après une certaine hésitation, les États-Unis ont décidé à la fin de l’année 2007 de soutenir la candidature kazakhe à la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour 2010, ce qui a permis au Kazakhstan de remporter une importante victoire diplomatique de prestige. Récemment, son rôle régional a encore été rehaussé aux yeux de Washington étant donné la détérioration de la situation afghane et le contexte des demandes kirghizes de retrait américain de la base de Manas. Astana a en effet accepté en février 2009, en accord avec Moscou, que son territoire puisse servir au transit du matériel non militaire et des marchandises à destination des troupes occidentales déployées sur le théâtre afghan, une nécessité pour l’administration Obama qui prévoit d’accroître les effectifs sur le terrain et de réorienter ses efforts militaires d’Irak en Afghanistan. Il a pris soin au passage de ménager ses intérêts puisqu’une partie de l’approvisionnement sera achetée directement au Kazakhstan. L’utilité d’Astana pour les opérations afghanes ne doit cependant pas être surestimée. Le point d’entrée principal et indispensable vers l’Afghanistan est situé sur le territoire ouzbek (Termez) et non au Kazakhstan. L’État kazakh a aussi trouvé l’occasion de se rendre utile dans un autre domaine. Le président N. Nazarbaïev a officiellement invité en avril 2009 le président Barack Obama à visiter son pays, pour discuter de la possibilité d’établir une banque de combustible nucléaire sur le territoire kazakh. À travers cette « banque », Astana pourrait assurer la fourniture de combustible aux pays qui répondent à des exigences fondamentales de non-prolifération. Cette initiative est présentée comme susceptible de faciliter le rapprochement entre l’Iran et les États-Unis en élargissant les possibilités de compromis dans la question du nucléaire. Les Américains souhaitent en effet que Téhéran n’enrichisse pas d’uranium sur son territoire. La Russie a proposé de fournir du combustible nucléaire directement à l’Iran. Mais le caractère « musulman » du Kazakhstan et l’absence de mémoire historique négative entre l’Iran et ce pays pourraient en faire, dans ce domaine, un candidat plus attrayant que Moscou aux yeux du régime iranien. Il est cependant encore trop tôt pour dire si ce sera effectivement le cas. La proposition a été bien accueillie à Téhéran et à Washington. Elle démontre la volonté d’Astana de continuer à montrer aux États-Unis l’utilité de leur partenariat.
En matière économique, les États-Unis et le Kazakhstan ont signé en mai 1992 un accord de commerce créant un cadre pour l’établissement de relations commerciales normales. Parallèlement, un accord bilatéral d’investissement et une convention visant à éviter la double imposition ont également été conclus. Cependant les relations économiques se sont avant tout approfondies dans la période post-11 septembre. En 2001, Washington et Astana ont établi un « partenariat énergétique » et en octobre 2002, les deux gouvernements ont mis en place un partenariat conjoint pour le développement des affaires – l’« initiative de Houston » – destiné à aider le Kazakhstan à construire une économie de marché moderne en soutenant le développement de petites et moyennes entreprises. En dépit du maintien de certaines difficultés, le Kazakhstan a été le premier pays de l’espace CEI auquel Washington a reconnu, en mars 2002, le statut d’économie de marché. Ce dernier soutient aussi la candidature kazakhe à l’OMC et coopère avec Astana dans ses efforts d’adhésion. Washington est également à l’origine d’une initiative économique liant le secteur public et le secteur privé, lancée à partir de la mi-2007. Il s’agit de fournir un canal pour les milieux d’affaires opérant au Kazakhstan afin d’explorer avec les autorités kazakhes les améliorations possibles à l’environnement commercial. Dans ses relations avec les États-Unis, Astana bénéficie du système de préférences généralisées (GPS) qui exempte de droits 3 400 types d’exportations kazakhes. Grâce à toutes ces initiatives, les échanges bilatéraux se sont intensifiés passant de 35,5 millions de dollars en 1992 à 2,59 milliards en 2008, avec une nette accélération ces dernières années. Selon la chambre de commerce américano-kazakhe, créée en 1998, plus d’une centaine de compagnies américaines sont aujourd’hui actives au Kazakhstan dans divers secteurs : hydrocarbures bien sûr, mais aussi agriculture, secteur bancaire, produits de consommation, secteur immobilier, services, mines, logistique, assurance, technologie des communications, sociétés juridiques, packaging, consulting et tourisme. À la fin de l’année 2006, 370 joint-ventures américano-kazakhs étaient par ailleurs enregistrés au Kazakhstan. Une association d’affaires américano-kazakhe a aussi été établie en 1999. Malgré ces résultats, Washington reste un partenaire commercial moins important pour l’État kazakh que la Russie, la Chine ou l’Union européenne. Dans le domaine des investissements directs (IDE), c’est cependant le premier investisseur au Kazakhstan. Entre 1993 et 2008, les investissements américains ont atteint 15 milliards de dollars, soit environ 30 % du total des IDE reçus par ce pays. Les compagnies américaines ont concentré leurs investissements principalement dans le secteur des hydrocarbures (pétrole et gaz) – 11 milliards de dollars [2] –, mais au-delà, elles sont aussi présentes dans le domaine des services aux entreprises, des télécommunications et de l’électricité.
L’énergie constitue une composante essentielle des relations bilatérales américano-kazakhes depuis le milieu des années 1990. Les compagnies pétrolières et les parapétroliers américains sont aujourd’hui particulièrement actifs dans le développement de ce secteur. Les majors détiennent des intérêts massifs dans les principaux champs d’hydrocarbures kazakhs de Tengiz (Chevron 50 % ; ExxonMobil 25 %), Karachaganak (Chevron 20 %) et Kashagan (ExxonMobil 16,66 %, ConocoPhillips 8,28 %), ainsi que dans l’important oléoduc de désenclavement – le CPC – qui relie Tengiz au port russe de Novorossiysk (Chevron 15 %, ExxonMobil 7,5 %).
Washington favorise également une politique de diversification des pipelines de l’espace caspien vers le marché international afin de limiter le monopole russe dans ce domaine et d’accroître la sécurité énergétique de l’ensemble des consommateurs de pétrole et de gaz. Malgré des relations parfois délicates avec Gazprom, qui détient le monopole du transport du gaz kazakh vers le marché international, Astana a jusqu’ici hésité à s’engager dans le projet de gazoduc transcaspien, proposé par Washington, préférant la construction d’une telle infrastructure dans le secteur turkmène de la mer Caspienne. Par contre, confronté aux perspectives d’augmentation de sa production pétrolière, et face au refus russe d’accroître les capacités de transport de l’oléoduc CPC, le Kazakhstan a conclu avec Bakou en juin 2006 un accord de transport de pétrole à travers l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) [3], un choix salué par Washington. En octobre 2008, le premier pétrolier transportant du pétrole kazakh provenant de Tengiz a appareillé pour l’Azerbaïdjan. Les deux pays ont aussi signé un accord portant sur la mise en place du système kazakh de transport transcaspien (Kazakhstan Caspian Transportation System ou KCTS) en novembre 2008 [4]. Ce dernier, qui doit être opérationnel en 2012, prévoit la construction sur le territoire kazakh d’un oléoduc entre Eskene et le port de Kuryk sur la Caspienne (à 70 km de Aktau) pour transporter une partie du pétrole produit à Tengiz et à Kashagan (soit 500 000 barils/jour). Ce qui intéresse particulièrement les compagnies américaines. À partir de Kuryk, le pétrole kazakh sera transporté par pétrolier jusqu’à Bakou. De là, il sera injecté dans le BTC et dans l’oléoduc Bakou-Supsa afin de gagner le marché international [5]. Le schéma a été estimé à 4 milliards de dollars. Chevron et ExxonMobil y sont associés. Un protocole d’accord a été signé en janvier 2007, mais des discussions sont encore en cours avec le pouvoir kazakh. Une fois le projet concrétisé, une partie importante du pétrole kazakh va transiter par le Caucase en empruntant le BTC (sa capacité originelle peut être portée à 1,8 million de b/j à l’avenir si les volumes sont disponibles), un choix qui ne peut que satisfaire les intérêts des compagnies américaines opérant à Tengiz et Kashagan, mais aussi les objectifs de Washington d’accroître les capacités d’exportations du Kazakhstan pour alimenter le marché mondial tout en maximisant son indépendance et sa prospérité.
Les États-Unis ont développé des liens militaires avec le Kazakhstan, tant dans le cadre multilatéral de l’Otan que sur le plan bilatéral. Avec l’Oran, les relations ont débuté dès 1992, quand Astana a rejoint le Conseil de coopération Nord-Atlantique. Elles se sont approfondies en 1995 avec sa participation au Programme du Partenariat pour la Paix (PPP). Dès 1997, il a pris part à des exercices conjoints annuels de maintien de la paix. Depuis 2002, sa participation à la planification et au processus de revue du PPP (PARP) a aidé ce pays à développer la capacité de ses forces armées à travailler avec l’Alliance atlantique. Par ailleurs, dans le domaine de la sécurité non traditionnelle, Astana participe au Plan d’action du partenariat contre le terrorisme (PAP-T). Il échange des informations et des analyses avec l’Otan, et l’organisation l’aide à renforcer ses capacités nationales de lutte contre le terrorisme et à améliorer sa sécurité aux frontières. En 2006, 2007 et 2009, il a accueilli d’importants exercices antiterroristes. Depuis 2006, l’Otan et le Kazakhstan développent des coopérations pratiques dans le cadre d’un Plan d’action individuel d’association (IPAP). Par ailleurs, l’Organisation atlantique l’aide à développer ses capacités navales en Caspienne et l’assiste en matière de préparation face aux désastres naturels et dans le domaine de l’environnement [6]. Symbole de sa proximité avec l’Otan, le président N. Nazarbaïev a effectué en 2007 une visite au siège de l’organisation, suivi en 2008 par son ministre de la Défense, venu présenter les résultats de l’IPAP pour la période 2006-2008. Le Kazakhstan est, semble-t-il, désormais considéré au sein de l’Alliance comme un point d’ancrage important pour la sécurité de l’Asie centrale. Malgré ces développements, Astana a pris soin de diversifier ses partenariats en matière militaire. Il a mis en place de nombreuses coopérations bilatérales et participe par priorité à l’OTSC (l’Organisation du Traité de Sécurité Collective), chapeautée par Moscou. La coopération avec l’Alliance atlantique lui offre d’importants bénéfices en matière de sécurité, mais c’est surtout en termes d’image pour le pays que cette relation lui est utile.
Sur le plan bilatéral, les États-Unis ont développé une coopération militaire avec le Kazakhstan dès 1994. Des officiers kazakhs participent au programme international d’enseignement et de formation militaires aux États-Unis (IMET). Ce qui assure à Washington des contacts au sein des forces armées de ce pays. Ces derniers étaient une trentaine en 2008, ce qui n’est pas négligeable, mais ne peut pas être comparé avec les 15 000 militaires kazakhs formés en Russie entre le milieu des années 1990 et 2005. Moscou conserve aussi la première place dans les relations du Kazakhstan en matière d’équipement. Malgré ces liens puissants avec la Russie, le Kazakhstan ne néglige pas les possibilités offertes par la coopération militaire bilatérale avec les États-Unis, en ce qui concerne la formation, l’équipement et le renforcement de ses capacités propres. Dans le sillage du lancement de la guerre contre le terrorisme, il a bénéficié d’une assistance américaine dans le domaine des télécommunications et des équipements pour la guerre en milieu montagneux. Washington a aussi formé des commandos kazakhs à la lutte contre-insurrectionnelle. En 2003, les deux pays ont conclu un plan de cinq ans portant sur la coopération militaire. Il vise à créer, entraîner et développer une force de réaction rapide capable non seulement de travailler avec l’Otan, mais aussi de protéger les oléoducs et les autres infrastructures énergétiques sensibles du pays contre tous types d’attaques. Washington veut aider le Kazakhstan à renforcer ses capacités aéronavales et navales en Caspienne afin de protéger ses intérêts énergétiques et de contrôler le trafic des navires étrangers dans ses eaux. Le développement de l’Académie navale d’Aktau et sa transformation en centre d’entraînement sont prévus par l’accord. C’est dans son sillage que le programme Caspian Guard, destiné à coordonner les activités de l’Azerbaïdjan et du Kazakhstan avec les forces américaines (le US Central Command), a été lancé à l’automne 2003 [7]. Washington souhaitait renforcer les capacités de ces deux pays à défendre leur espace maritime et les champs d’hydrocarbures offshore où est concentrée une partie importante des investissements des compagnies américaines. Néanmoins, l’accent mis sur ce projet particulier a été réduit par la suite. Il n’empêche, la coopération militaire bilatérale s’est poursuivie entre 2003 et 2008. Les États-Unis ont fourni des ambulances Humvee au Kazakhstan en 2004 et du matériel de communication radio pour le Kazbat. En 2005, le US Centcom a conduit approximativement 45 événements bilatéraux de coopération militaire de toute nature avec le ministère kazakh de la Défense et d’autres agences, une augmentation de plus de 100 % depuis 2002. Les États-Unis ont aussi travaillé à l’amélioration de l’interopérabilité entre les forces militaires kazakhes et leurs forces à travers l’organisation d’exercices communs. En 2006, ils ont livré trois vedettes rapides de patrouilles au Kazakhstan et aidé Astana à rénover les installations de l’Académie navale d’Aktau. En 2008, Washington a fourni des hélicoptères pour la nouvelle force de réaction rapide kazakhe opérant en Caspienne. Par ailleurs, un nouvel accord bilatéral de cinq ans couvrant la coopération militaire a été conclu en février 2008. Les relations militaires sont donc loin d’être négligeables.
Outre le domaine militaire, les États-Unis ont aussi coopéré depuis 2001 avec le Kazakhstan en matière de lutte contre le trafic illégal de la drogue provenant d’Afghanistan, d’amélioration de la sécurité aux frontières (par exemple, formation de douaniers à la lutte contre la prolifération des ADM), de lutte contre le blanchiment de l’argent et contre le trafic des êtres humains.
Washington ne néglige pas non plus son « soft power » pour accroître son influence au Kazakhstan, notamment par la formation des élites. Il y avait pour l’année académique 2007/2008, 1 456 étudiants kazakhs dans les universités et les collèges américains. Pour diffuser la culture américaine, l’anglais et la connaissance des États-Unis, l’administration américaine a crée des « American Corners » dans les villes d’Oskemen, Karaganda, Shymkent, Uralsk, Atyrau, Petropavlovsk, Aktobe et Almaty. Un centre culturel américain a été inauguré à Almaty en 2008, ainsi qu’un Information Resource Center à Astana. Ces réalisations sont importantes, mais en matière de « soft power », Moscou jouit d’une image très positive dans le pays où vit encore une importante minorité russe. Produit de l’histoire, l’utilisation de la langue russe reste très répandue dans la population par rapport à l’anglais [8]. Les médias russes sont largement diffusés au Kazakhstan. Ils constituent une source d’information importante pour la population kazakhe qui tend par ailleurs à leur accorder une grande crédibilité, ce qui n’est pas forcément positif pour Washington [9].
Enfin, entre 1992 et 2007, les États-Unis ont aussi fourni approximativement 1,4 milliard de dollars d’assistance technique et d’appui aux investissements au Kazakhstan [10]. Depuis 1993, l’agence américaine pour le développement international (USAID) a administré des programmes d’assistance technique pour soutenir la transition du Kazakhstan vers l’économie de marché [11], mais aussi pour améliorer la gouvernance du pays et favoriser la mise en place d’une société ouverte. Dans ce dernier domaine, les États-Unis ont aidé à la formation et au renforcement des qualifications et de l’organisation d’ONG locales de défense des Droits de l’homme, mais aussi de partis politiques enregistrés – une coopération suspendue dans le sillage de la vague des « révolutions colorées », mais relancée en janvier 2008. Washington a aussi soutenu financièrement le travail d’ONG opérant dans le secteur des médias indépendants, de la réforme du système juridique, du droit des femmes, de l’éducation civique, de la surveillance législative. Le US Peace Corps dispose en 2009 d’environ 140 volontaires au Kazakhstan sur les 7 876 actuellement actifs dans 76 pays du monde. Entre 1993 et septembre 2007, il a envoyé 914 volontaires dans ce pays. Ces derniers ont été chargés de programmes touchant à l’éducation et au renforcement de la société civile à travers le développement d’ONG travaillant dans le secteur de la jeunesse, des femmes, du développement économique, de la protection de l’environnement et de la lutte contre le sida. Washington a aussi aidé Astana dans le secteur de la santé (lutte contre le VIH, la tuberculose et la malaria, mise en place d’un système de soins de santé) et de la protection de l’environnement. Dans ce dernier domaine, il a assisté le Kazakhstan en matière de gestion de l’eau (accord-cadre sur l’utilisation de l’eau et des ressources énergétiques du bassin de Syr Darya en 1998). Par ailleurs, les États-Unis et l’Union européenne ont collaboré avec le Kazakhstan à l’établissement d’un centre environnemental régional indépendant à Almaty en 2001 avec pour mission de soutenir le développement durable.
Depuis 1991, les États-Unis et le Kazakhstan ont progressivement mis en place un partenariat solide et stable basé sur une coopération très étendue, sans accrocs majeurs, contrairement aux relations de Washington avec l’Ouzbékistan. Cependant, leurs relations bilatérales connaissent des limites qu’il ne faut pas non plus négliger. La nature autoritaire du régime kazakh et les lenteurs de sa démocratisation constituent ainsi une gêne récurrente à l’approfondissement des liens entre les deux pays. L’affaire du « Kazakhgate » n’est pas non plus réglée et fait peser une menace latente sur leurs relations bilatérales. Washington doit enfin tenir compte du poids, dans la politique étrangère kazakhe, qu’occupent la Russie et la Chine, dont les relations restent souvent prioritaires aux yeux d’Astana. Pourtant, en dépit de ses limitations réelles, le partenariat américano-kazakh est désormais bien ancré.
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Tableau 1. Le commerce entre les Etats-Unis et le Kazakhstan 1992-2008, en millions de dollars
Commentaire du tableau 1
En 2008, les États-Unis ont exporté une grande diversité de produits vers le Kazakhstan, principalement des machines agricoles ou d’excavation, des équipements pour l’industrie pétrolière, des moteurs industriels, des appareils de mesures, des machines industrielles, des avions, du matériel de télécommunication, des véhicules, du matériel ferroviaire, etc. [12] De son côté, le Kazakhstan exporte vers le marché américain d’importantes quantités de produits pétroliers, mais aussi du carburant nucléaire et des produits peu transformés (métaux, métaux non ferreux, produits chimiques…) [13].
Tableau 2. Le commerce entre les Etats-Unis et les Républiques d’Asie centrale, en millions de dollars
Commentaire du tableau 2
À l’échelle de l’Asie centrale, le commerce avec le Kazakhstan se taille la part du lion dans l’ensemble des échanges entre Washington et les pays de cet espace. En 2008, il représente 74 % du commerce total entre les États-Unis et l’Asie centrale.
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[1] Ainsi, les facilités de Stepnogorsk (nord-est du Kazakhstan), les plus importantes du monde en matière de production d’anthrax, ont été totalement démantelées entre 1997 et 2007. Une partie de son personnel, comme d’autres scientifiques employés sur différents sites du programme soviétique de guerre biologique au Kazakhstan, a été réorientée vers des programmes communs de recherches ou des industries civiles.
[2] « Press Conference with Ambassador to Kazakhstan Richard E. Hoagland », November 6, 2008, kazakhstan.usembassy.gov/tr-11-06-2008.html
[3] « BTC : Kazakhstan finally commits to the pipeline », Eurasia Insight, June 19, 2006.
[4] KONYROVA, Kulpash, « Azeri-Kazakh cooperation : A project with high hopes », AGOC, vol. 14, issue 1, January 29, 2009.
[5] DELLY, James, « Kazakhstan eyes new oil export route via Caspian Sea », Eurasia Insight, April 11, 2007.
[6] « NATO’s relations with Kazakhstan », February 24, 2009, www.nato.int/issues/nato-kazakhstan/index.html
[7] « Caspian Guard », www.globalsecurity.org/military/ops/caspian-guard.htm
[8] 68 % des répondants d’un sondage réalisé par Gallup en 2008 ont même choisi de répondre en russe plutôt que dans leur langue nationale, www.gallup.com/poll/112270/Russias-Language-Could-Ticket-Migrants.aspx.
[9] « Kazakhstan National Public Opinion Survey », IRI, Baltic Surveys /The Gallup Organization August 2008, pp. 39-40.
[10] Foreign Operations Appropriated Assistance : Kazakhstan, Bureau of European and Eurasian Affairs, Fact Sheet, January 20, 2009, www.state.gov/p/eur/rls/fs/103634.htm
[11] En particulier assistance à la privatisation, à la réforme du système fiscal, en matière de gestion financière, de droit commercial, aide au renforcement de la capacité institutionnelle de la Banque nationale.
[12] U.S. Census Bureau, Foreign Trade Statistics, U.S. exports to Kazakhstan from 2004 to 2008, www.census.gov/foreign-trade/statistics/product/enduse/exports/c4634.html
[13] U.S. Census Bureau, Foreign Trade Statistics, U.S. imports from Kazakhstan from 2004 to 2008, www.census.gov/foreign-trade/statistics/product/enduse/imports/c4634.html
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