Côte d’Ivoire post-conflit : les trois grands défis de la reconstruction

Par Jean-Jacques KONADJE, le 1er janvier 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en science politique, consultant en géopolitique et relations internationales, expert en maintien de la paix et spécialiste de la défense et de la sociologie militaire. Enseignant à l’Université de Rouen et dans d’autres universités françaises

Géopolitique de la Côte d’Ivoire. Après la période sombre qu’elle a connue fin 2010-début 2011, la Côte d’Ivoire est en train d’écrire lentement mais sûrement une nouvelle page de son histoire. Cela ne va pas sans passer par un certain nombre de défis à relever. Jean-Jacques Konadje en identifie trois : la sécurité et l’état de droit ; la mise en place d’une nouvelle armée ; la réconciliation nationale.

LA CRISE post-électorale qu’a connue la Côte d’Ivoire apparaît comme « le point culminant » d’une décennie de conflit militaro-politique qui a rythmé la récente histoire du pays. L’élection présidentielle que tous les ivoiriens appelaient de leur vœu et que bon nombre d’africanistes avertis considéraient comme la clé de voûte du processus de sortie de crise, voire la condition sine qua non pour l’instauration d’une paix durable dans le pays, s’est révélée être la source de graves tensions. En effet, c’est le refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à son challenger Alassane Ouattara, pourtant donné vainqueur par la commission électorale indépendante ivoirienne, à la suite du deuxième tour du scrutin présidentiel – le 29 novembre 2010 - qui est à l’origine de cette crise. Les différentes initiatives diplomatiques, les nombreuses médiations sous-régionales et les appels incessants de la communauté internationale pour une sortie pacifique de la crise n’ont pu trouver d’écho favorable auprès des différents protagonistes ivoiriens. Une situation qui de mois en mois, plongera le pays entier dans un climat délétère.

Ce blocage politique va rapidement virer en affrontement militaire, lorsqu’après leur création par ordonnance N° 2011-002 du 17 mars 2011 par Alassane Ouattara, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), composées essentiellement des Forces armées des forces nouvelles (FAFN) de l’ex-rébellion et de quelques transfuges de l’armée régulière, décident de lancer une offensive généralisée baptisée « restaurer la paix et la démocratie en Côte d’Ivoire », contre les Forces de défense et de sécurité(FDS) restées loyales à Laurent Gbagbo. Ces affrontements entre les FRCI et les FDS seront marqués par des combats d’une intensité inouïe, occasionnant d’importants dégâts matériels, des pertes en vie humaines et le déplacement d’un nombre impressionnant de la population tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Abidjan, la capitale économique du pays et symbole de l’administration ivoirienne sera au cœur de ces violents combats. Il faut dire que la prise de cette ville, stratégique dans la gestion du pouvoir en Côte d’Ivoire, était l’un des objectifs majeurs de l’offensive des FRCI. La farouche résistance des soldats restés fidèles à Laurent Gbagbo, malgré la défection de bon nombre de ses Généraux, transformera Abidjan en un véritable champ de bataille. Pendant une dizaine de jours, des bruits de bottes et des armes à feu, qu’elles soient lourdes, légères et de petit calibre se feront entendre. Au cours de cette guerre sans merci, l’insécurité gagnera tout le pays. Le district d’Abidjan et sa banlieue deviendront des zones de non droit et feront l’objet de scènes de pillages, de vols, de viols, d’exécutions extrajudiciaires et de règlements de compte. L’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, met de façon officielle, fin à cette crise post-électorale qui a duré un peu plus de 4 mois. Le dernier bilan officiel de cette crise fait état de plus de 3000 morts et de plus d’un million de personnes déplacées.

Désormais, Alassane Ouattara, seul président reconnu, exerce la plénitude de son mandat. Il prend, dans des conditions pour le moins compliquées, la tête d’un pays ruiné par la guerre et économiquement à genou. Ainsi, le nouveau président voit son mandat placé sous le signe de la reconstruction d’un pays qui apparaît désormais comme un vaste chantier à ciel ouvert. L’urgence de mettre la Côte d’Ivoire sur les rails du développement s’impose. Cela passe nécessairement par un certain nombre de défis auxquels l’actuel gouvernement doit faire face. Le présent article met l’accent sur les trois grands défis auxquels sont confrontés le gouvernement Ouattara dans la reconstruction du pays, les mois et années à venir  : la sécurité et l’état de droit ; la mise en place d’une nouvelle armée ; la réconciliation nationale.

I. La sécurité et l’état de droit, préalables à tout développement

Si la chute du régime de Laurent Gbagbo clôt définitivement le chapitre de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, il n’en faut pas moins faire remarquer que tout le pays reste encore en proie à une violence et une insécurité grandissantes. Les populations civiles, notamment celles du district d’Abidjan et de l’ouest du pays sont victimes d’une crise des droits humains. La libération des prisonniers (les détenus de droit commun, les prévenus et les bandits de grand chemin) des différentes maisons de correction, la présence de miliciens et de mercenaires incontrôlés et la prolifération anarchique des armes légères et de petit calibre (ALPC) suivie de leur circulation illégale, ont contribué à amplifier une atmosphère déjà morose qui régnait dans tout le pays. La destruction des commissariats de police et des postes de gendarmerie pendant l’offensive éclair des FRCI et la bataille d’Abidjan ont été à l’origine d’une situation de vide sécuritaire dont les conséquences se font sentir sur les populations, notamment celles vivant dans le district d’Abidjan.

Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, il ne se passe pas un seul jour sans que des cas de braquage, d’attaques de domicile et de vols de voitures soient signalés. Les scènes de pillage et d’exactions sont légion. En un mot, de graves violations et atteintes aux droits humains ont été commises dans le pays depuis l’arrestation de l’ex-président ivoirien. Malgré les discours d’apaisement des nouvelles autorités, la tension perdure dans certaines régions. La combinaison de tous ces éléments crée un climat de peur qui constitue un véritable obstacle au retour à la normalité. Dans son dernier rapport sur la Côte d’Ivoire, Amnesty International souligne qu’aujourd’hui, un demi-million d’Ivoiriens déplacés après ces violences sont toujours empêchés de rentrer chez eux en raison du climat de peur qui continue à régner dans le pays. [1] Selon l’un des derniers rapports de l’Opération des nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), publié au mois d’août dernier, au moins 26 personnes dont un enfant de 17 mois ont été exécutées de façon extrajudiciaire, sommaire ou arbitraire entre le 10 juillet et le 11 août 2011.

Au regard de cette situation pour le moins alarmante, le rétablissement d’un état de droit et d’un environnement sécuritaire sur toute l’étendue du territoire apparaissent comme le premier défi du nouveau régime. En cette période de reconstruction post-conflit, la mise en place d’un système de sécurité visant à protéger les biens et les personnes sur toute l’étendue du territoire national a été élevée au rang des priorités nationales. Ainsi, Alassane Ouattara, le nouveau Président de la République ne manque pas l’occasion de rappeler que la lutte contre l’insécurité endémique qui gangrène tout le pays et le rétablissement d’un état de droit demeurent l’une des préoccupations de son gouvernement. Dans son discours d’ouverture du séminaire gouvernemental organisé les 5 et 6 juillet 2011, l’ancien technocrate du Fonds monétaire international (FMI) a soutenu que la sécurité des gens et de leurs biens et la consolidation de la paix font partie des principaux défis auxquels son gouvernement est confronté.

Le rétablissement de la sécurité et de l’état de droit se veulent être le premier chantier par lequel commence la reconstruction du pays. Il faut d’ailleurs rappeler que la sécurité qui est un droit pour chaque citoyen, apparaît comme la principale fonction régalienne de l’Etat dans toute société démocratiquement organisée. [2] Elle apparaît par ailleurs comme un préalable à tout développement humain et matériel et un véritable baromètre dans le respect des droits humains. Dans son rapport intitulé « Dans une liberté plus grande : vers le développement, la sécurité et les droits de l’homme pour tous », Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies le rappelait à juste titre : « Nous ne jouirons pas du développement sans sécurité, nous ne jouirons pas de la sécurité sans développement, et nous n’aurons ni l’un ni l’autre sans le respect pour les droits de l’homme. A moins que nous n’assurions la promotion de ces trois causes, aucune d’elles ne réussira ». Même si nous sommes d’accord avec l’ancien locataire de la maison de verre pour dire que ces trois causes sont intimement liées, il n’en demeure pas moins que la sécurité constitue le socle des deux autres.

Pour atteindre ses objectifs, le nouveau régime doit s’efforcer d’intégrer la sécurité humaine dans sa politique de sécurité globale et réhabiliter tous les postes de police et de gendarmeries qui ont été détruits pendant la guerre. L’Etat ivoirien doit par ailleurs doter ses forces de maintien de l’ordre de ressources matérielles à la hauteur des missions qui leur sont assignées. Une préoccupation qui fait échos aux déclarations du Ministre ivoirien de la sécurité intérieure, qui à l’occasion d’une visite au siège régional d’interpol n’a pas manqué de rassurer les ivoiriens en ces termes : « Ce que je peux dire aux ivoiriens, c’est que l’évolution est bonne. Tous les pays qui ont connu des crises comme la nôtre ont mis 18 mois pour atteindre ce que nous avons fait en 5 mois. Il ne faut pas cependant regarder les autres, il faut toujours souhaiter le maximum pour soi-même. Nous sommes donc très engagés. La volonté politique est là […]. Mais, tout ce programme n’est pas simple. Voyez le contexte. […] Il faut reconnaître tout de même que des efforts ont été faits. Même si nous reconnaissons qu’il reste beaucoup à faire. Et nous sommes à la tâche ». [3] La restauration de la sécurité et de l’état de droit en Côte d’Ivoire passent nécessairement par la lutte contre la prolifération et la circulation illicite des ALPC. L’Etat ivoirien doit donc allouer les moyens nécessaires à la Commission nationale ivoirienne de lutte contre les ALPC, seule structure compétente en la matière afin qu’elle puisse faire exécuter les différents programmes d’urgence qu’elle a mis sur pied. Outre les questions sécuritaires, s’il y a un autre défi majeur auquel le gouvernement Ouattara est confronté, c’est bien celui de la mise en place d’une nouvelle armée telle que le stipule l’accord politique de Ouagadougou (APO), signé le 4 mars 2007 entre les ex-parties belligérantes sous les auspices du Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré.

II. La mise en place d’une nouvelle armée, une mission délicate

Après la guerre qui a opposé d’une part, les FRCI et d’autre part, les FDS, la réforme de l’armée ivoirienne apparaît plus que jamais comme un dossier qu’il va falloir traiter avec beaucoup de délicatesse. Même si comme le mentionne le titre 3 de l’accord politique de Ouagadougou, « Les parties au présent accord, conscientes que l’Armée nationale doit être le reflet de l’unité et de la cohésion nationales et la garante de la stabilité des institutions républicaines, se sont engagées à procéder à la restructuration et à la refondation des deux armées en vue de la mise en place de nouvelles forces de défense et de sécurité attachées aux valeurs d’intégrité et de moralité républicaine » [4], la création d’une nouvelle armée ivoirienne s’avère être aujourd’hui une équation difficile à résoudre pour les nouvelles autorités du pays. En effet, compte tenu de la situation polico-militaire du pays due à la crise post-électorale, le véritable problème qui se pose, c’est comment faire cohabiter deux armées qui quelques mois auparavant s’affrontaient encore sur les champs de bataille ? Autrement dit, quel sort cette nouvelle armée réservera-t-elle aux officiers généraux, officiers supérieurs ou subalternes et soldats du rang restés fidèles à Laurent Gbagbo jusqu’à la chute de son régime ? Quelle sera la responsabilité de ces ex-FDS dans la chaîne de commandement de cette nouvelle armée ? Pour l’heure, la reforme de la nouvelle armée ivoirienne n’en est qu’à un stade embryonnaire. Seul l’avenir nous permettra d’avoir des réponses effectives à nos préoccupations. Le séminaire de réflexion pour la reconstruction et la restructuration du système de sécurité et de défense de la Côte d’Ivoire organisé les 22, 23 et 24 juin 2011 et réunissant les plus hauts gradés de l’armée ivoirienne, a d’ores et déjà permis d’arrêter de grandes décisions stratégiques. Aux termes de cet atelier, le nombre de combattants FAFN et autres éléments issus des milices et groupes d’auto-défense devant intégrer la nouvelle armée, la police et la gendarmerie a été revu à la hausse.

Il convient de souligner que pour éviter les frustrations et les injustices, la reconstruction de la nouvelle armée nationale doit se faire avec le maximum de consensus entre les ex-belligérants. Les nominations du Général de division Soumaïla Bakayoko, ex-chef d’Etat major des FAFN, au poste de Chef d’état-major général des FRCI et du Général de brigade Firmin Detoh Letoh, ancien commandant des forces terrestres des FDS, au poste de chef d’état-major adjoint des FRCI, obéissent à cette logique et témoignent de la volonté du chef de l’Etat, Alassane Ouattara d’appliquer l’esprit et la lettre des recommandations de l’accord politique de Ouagadougou. D’ailleurs, la création d’une commission de redressement des grades au sein des forces armées nationales le 14 juin 2011, en vue de relever les anomalies constatées dans l’attribution des grades des Officiers, des Sous-officiers et militaires du rang, depuis la crise de septembre 2002 et de faire des propositions de redressement desdits grades, s’inscrit également dans le souhait des nouveaux hommes forts de la Côte d’Ivoire, de mettre en application l’APO.

Au-delà de ces signaux forts et encourageants, beaucoup de problèmes subsistent dans la refonte de l’armée ivoirienne. En effet, il est difficile de faire respecter la discipline au sein des troupes FRCI, peu professionnelles et dont certains éléments relèvent avant tout de la « bande armée ». [5] Selon Christophe Champin, journaliste à Radio France Internationale (RFI), « Beaucoup de combattants des ex-forces nouvelles n’ont par ailleurs aucune expérience d’une véritable hiérarchie militaire et sont pour partie illettrés. Difficile dans ce contexte de les faire rentrer dans le rang et cohabiter avec les soldats des forces de défense et de sécurité. Autre écueil de taille : les dozos, « chasseur traditionnels », mués en supplétifs, et les nombreux civils, souvent des militants du RDR (parti d’Alassane Ouattara), dont le nombre est difficile à déterminer avec précision, ont été armés pour mener l’offensive vers Abidjan. Autant d’hommes, parfois très jeunes, qu’il va falloir désarmer  ». [6] Ces individus armés et parfois incontrôlés continuent de se rendre coupables d’agressions, de vols et d’actes de pillages dans la capitale économique et dans l’ouest du pays. Selon le bureau des droits de l’homme de l’ONUCI, les violations commises par des éléments FRCI incluent des arrestations et détention illégales, des cas de libération des personnes moyennant des sommes d’argent, des cas d’extorsion et des cas de rackets dont sont victimes de nombreux transporteurs. Cette situation interpelle et montre que dans le cadre de la reconstruction de la nouvelle armée, il est urgent de procéder au désarmement de ces supplétifs et de mettre sur pied des programmes visant leur réinsertion dans le tissu socio-économique. Une réalité qui préoccupe les membres du gouvernement en charge de la défense et de la sécurité des ivoiriens. Les propos du Ministre ivoirien de l’intérieur, Hamed Bakayoko l’illustrent de fort belle manière : « Nous avons noté que les populations sont agressées dans les domiciles, mais que ces agresseurs ne sont pas violents, qu’ils ne cherchent que de l’argent. Ce qui pose le problème de la réinsertion des combattants bénévoles en armes. Nous avons échangé avec le Ministre de la Défense sur cette question et ensemble nous sommes en train de faire un maximum d’efforts pour que la question de la réinsertion soit traitée afin qu’elle ne soit un frein à nos efforts pour la sécurisation. C’est un enjeu qui est encore de taille ». Le nouveau chef d’Etat major général des Armées, a pour sa part promis de « moraliser » l’armée ivoirienne en donnant la priorité à l’instauration de la discipline et à la réorganisation de ses forces. [7] « Comment pouvons-nous bâtir une paix juste si nous-mêmes, instruments de la loi et de l’ordre, sommes la source du désordre et de l’illégalité » ? S’est-il interrogé lors de sa prise de commandement officiel au camp Gallieni d’Abidjan.

Pour le moment, les objectifs du chef d’Etat-major général des armées sont loin d’être atteints car les agissements de certains éléments qui se réclament des FRCI continuent de défrayer la chronique. Récemment, des incidents majeurs et malheureux ont encore projeté la grande muette sous les feux de l’actualité nationale. En effet, le 14 décembre 2011, des soldats FRCI, ont attaqué à l’arme lourde la préfecture de police d’Abidjan pour libérer de force, leurs camarades arrêtés dans un fumoir et mis au violon par la direction de la police des stupéfiants et des drogues. Un policier a été grièvement blessé au cours de cette attaque. Le 15 décembre 2011, une fusillade entre des soldats FRCI a éclaté dans la commune de Yopougon, plongeant ainsi les habitants dans une psychose générale. Le point culminant de ces dérives a été atteint dans la ville de Vavoua où les débordements d’éléments incontrôlés ont causé des pertes humaines. Toutes ces situations déplorables montrent que la mise sur pied de la nouvelle armée risque de prendre plus de temps que prévu.

L’opération d’identification des FRCI menée à l’initiative du Président Alassane Ouattara par le Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC) depuis le 8 mai 2011, et dont le but est de recenser les militaires mais aussi les civils armés, permettra d’une part aux FRCI de réviser leur effectif, puis d’avoir une idée précise de ceux (plus particulièrement les soldats ex-FDS) qui manquent à l’appel. D’autre part, cette opération permettra aux groupes d’auto-défense et miliciens d’entrer dans la phase d’un désarmement volontaire afin d’être pris en compte par le volet réinsertion du PNRRC. Selon les premières statistiques, ce sont en gros 20 000 jeunes volontaires qui ont pris les armes, dans le Nord comme dans le Sud et qui doivent retourner à la vie civile. [8] Les programmes de désarmement du PNRRC devraient par ailleurs prendre en compte les dizaines de milliers de miliciens armés par l’ancien pouvoir au lendemain de la rébellion de septembre 2002, puis au début de l’offensive des FRCI en mars 2011.

Au regard du contexte post-conflit actuel, la réforme d’une armée républicaine, moderne et nationale apparaît comme un défi titanesque à relever. Les nouvelles autorités du pays ont donc intérêt à user de tous les moyens pour contribuer à sa mise en œuvre efficace dans les meilleurs délais. La réconciliation nationale apparaît également comme un défi majeur que le gouvernement Ouattara devra relever.

III. La réconciliation nationale, un véritable travail d’Hercule

La réconciliation nationale apparaît comme un autre grand défi de la présidence d’Alassane Ouattara. C’est un processus incontournable devant permettre aux ivoiriens de revivre dans la concorde après cette crise post-électorale qui a mis le tissu social ivoirien en lambeau. L’International Institute for Democracy and International Assistance (IDEA) définit la réconciliation comme un processus global incluant des instruments clés tels que la justice, la vérité, la cicatrisation et la réparation afin d’assurer la transition d’un passé divisé à un avenir commun. [9] Au regard de cette définition, la réconciliation nationale apparaît comme un but, c’est-à-dire quelque chose vers quoi on tend.

En Côte d’Ivoire, la crise post-électorale a exacerbé la fracture sociale qui existait auparavant. Elle a mis aux prises plusieurs communautés qui vivaient déjà dans un climat de méfiance. Les différents affrontements interethniques dans l’ouest du pays et dans certaines communes du district d’Abidjan sont révélateurs des tensions sociales qui subsistent dans le pays. Au cours de la période post-électorale, plusieurs violations des droits de l’homme et des exécutions sommaires et extrajudiciaires ont été commises sur la base de simples appartenances ethniques ou religieuses. Ainsi, après une période d’instabilité généralisée par tant d’animosité des uns envers les autres, les questions que nous sommes en droit de nous poser sont les suivantes : quel sens donner au processus de réconciliation nationale tant voulue par les nouvelles autorités ? Autrement dit, comment mener à bien et à bout un tel processus dans un contexte sociopolitique fragilisé par les rancœurs et les vengeances ? Au regard de ces préoccupations, la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire apparaît comme un véritable travail d’Hercule pour l’actuel gouvernement. La création de la Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation (CDVR) sur le modèle de celle qui avait été créée en Afrique du Sud et présidée par l’ancien Premier Ministre et ex-gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Charles Konan Banny est une étape cruciale dans cette longue marche vers la réconciliation de toutes les filles et tous les fils de la Côte d’Ivoire.

Concrètement, la réconciliation nationale doit mettre l’accent sur les rapports entre les ivoiriennes et ivoiriens qui sont appelés à reconstruire le pays. Elle ne peut donc se matérialiser que par la coopération entre citoyens de tous bords politiques ou de toutes confessions religieuses. Cette réconciliation tant prônée par les nouvelles autorités doit être perçue comme le symbole de l’unité nationale et le ciment de la cohésion sociale. Elle doit passer par le pardon des uns envers les autres et l’oubli des rancœurs accumulées. La réconciliation nationale en Côte d’Ivoire ne doit pas concerner seulement les hommes politiques encore moins les partis politiques, mais plutôt toutes les couches socioprofessionnelles. C’est un processus de longue haleine par lequel les populations dans leurs différentes composantes pourront de nouveau se faire confiance entre elles mais surtout accorder un minimum de confiance aux institutions du pays. Il est par ailleurs important de souligner qu’une réconciliation nationale réussie ouvre la voie à la Démocratie en développant les rapports de coopération nécessaires au bien vivre ensemble. Inversement, écrit l’IDEA « Une Démocratie efficace après un conflit est érigée sur une double fondation : un ensemble de structures et de procédures équitables pour traiter de manière pacifique des problèmes divisant une société, et un ensemble de rapports de travail entre les groupes impliqués. Une société ne développera pas ces rapports de coopération si les structures ne sont pas équitables et, inversement, les structures ne fonctionneront pas correctement, aussi équitables soient-elles, sans une coopération minimale dans les interactions entre citoyens. Tandis que le compromis démocratique fournit des solutions aux problèmes du conflit, la réconciliation renvoie aux rapports entre ceux qui devront appliquer ces solutions ». [10] Ainsi, conscient de l’enjeu que représente ce vaste chantier pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, le Président Ouattara a jugé nécessaire de placer son mandat quinquennal sous le signe de la réconciliation nationale tout en insistant sur la nécessité des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs de graves violations des droits de l’homme. Autrement dit, pour le régime Ouattara, la réconciliation nationale doit se faire dans la justice afin que les auteurs des différents crimes soient punis. Une vision qui n’est pas partagée par certains ivoiriens proches de l’ancien régime. Ceux-ci estiment que ce serait qu’en même paradoxal de vouloir rassembler et réconcilier les ivoiriens pendant qu’on en traîne certains devant les tribunaux. La presse proche de l’ancien parti au pouvoir dénonce une justice sélective ne visant que les partisans de Laurent Gbagbo. Selon un éditorialiste du quotidien Notre voie, « Jusqu’à présent, seuls les proches de Laurent Gbagbo et les membres de la coalition des partis politiques qui ont soutenu sa candidature à l’élection présidentielle de novembre [2011] font l’objet de procédures judicaires ». [11] Des propos qui font écho à ceux Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire, qui estime que « si l’on veut aller à la réconciliation, il faut déjà renoncer à la vengeance justicière et permettre que l’opposition s’organise et que l’opposition ait le droit d’exister ». [12] Pour ce professeur d’économie, « Se venger n’est pas forcément bon signe, ce serait créer des injustices, sources de nouvelles haines et de nouvelles frustrations qui sont des moteurs très puissants d’instabilité politique en Afrique ». [13] Il ressort de tous ces propos que la grande inquiétude de certains ivoiriens, c’est de voir émerger en cette période de réconciliation nationale, une justice à deux vitesses. Le transfert le Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye dans la nuit du 29 au 30 novembre 2011 risque de porter un coup dur au processus de réconciliation nationale jusque-là balbutiant. Selon les observateurs avertis de la scène politique ivoirienne, cette remise du président déchu à la CPI par les autorités ivoiriennes risque de mettre le feu aux poudres. D’ailleurs, depuis l’annonce du transfert de son leader, le Front populaire ivoirien (FPI), parti politique de Laurent Gbagbo a annoncé son retrait du processus de réconciliation nationale. Une posture qui menace la stabilité politique de la Côte d’Ivoire.

Pour notre part, nous pensons qu’une réconciliation nationale teintée de justice n’est possible qu’« à condition de ne pas brûler les étapes. Il faudrait avant tout que la lumière soit faite sur tous les crimes qui ont été commis depuis ces dernières années et situer les responsabilités des uns et des autres. Il ne faut surtout pas chercher de bouc émissaire. Pour qu’il y ait réconciliation, tous les individus impliqués dans les crimes, quelque soit leur appartenance politique ou obédience religieuse devraient être inculpés et être jugés conformément aux normes internationales des droits de l’homme. Etablir la vérité et mettre en œuvre la justice de façon indépendante sont les conditions préalables à une réconciliation concrète ». [14] S’inscrivant dans la même logique, l’IDEA soutient que la réconciliation doit être soutenue par la justice économique et politique et un partage social du pouvoir. Car, estime t-il, « Si l’on peut plaider la cause de la réconciliation du point de vue moral, l’argument pragmatique est également très fort : des rapports de coopération positifs génèrent l’atmosphère dans laquelle une gouvernance efficace peut se développer, tandis que des rapports négatifs saperont le meilleurs système de gouvernance ». [15] En tant que processus de longue haleine, la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire ne peut pas être improvisée mais son rythme ne doit en aucun cas être dicté. C’est un processus qui implique des changements dans les attitudes, les aspirations, les émotions, les sentiments y compris les croyances des ivoiriens. La finalité d’un tel processus est de pouvoir réconcilier les ivoiriens avec eux-mêmes mais aussi de réconcilier les ivoiriens avec les communautés étrangères vivant en Côte d’Ivoire. [16] Nous espérons donc que les nouvelles autorités du pays pourront relever ce grand défi.

Conclusion

Après la période sombre qu’elle a connue fin 2010-début 2011, la Côte d’Ivoire est en train d’écrire lentement mais sûrement une nouvelle page de son histoire. Cela ne va pas sans passer par un certain nombre de défis à relever. Notre analyse nous a permis de passer en revue les trois grands défis majeurs auxquels le nouveau Président de la République et son gouvernement doivent faire face dans l’urgence. La Côte d’Ivoire apparaît début 2012 comme un pays où tout est à reconstruire. Outre la restauration de la sécurité, de l’état de droit puis la mise sur pied d’une armée républicaine et la conduite du processus de réconciliation nationale, plusieurs autres défis tels la relance économique doivent être relevées dans les meilleurs délais pour que la reconstruction nationale soit une réalité. D’ailleurs, la communauté internationale, plus particulièrement, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et d’autres partenaires internationaux du développement ont réaffirmé à l’occasion de la deuxième table ronde pour la Côte d’Ivoire, organisée à Washington, le 24 septembre 2011, leur engagement à appuyer le programme de reconstruction et de réconciliation de la Côte d’Ivoire post-crise. Ce soutien de la communauté internationale à la relance économique devrait permettre entrez autre la réforme des systèmes éducatifs et sanitaires ainsi que l’insertion de milliers de jeunes diplômés et sans emplois. A une échelle régionale, cette relance de l’économie ivoirienne devrait permettre à la Côte d’Ivoire de retrouver sa place de locomotive en Afrique de l’Ouest. Selon Charles Koffi Diby, ministre ivoirien de l’Economie et des finances, « la renaissance de la Côte d’Ivoire aidera toute la sous-région en raison du rôle que notre pays joue dans cette partie du continent. C’est une économie inclusive, et non exclusive ». [17] Abondant dans le même sens, Obiageli Ezekwesili, vice-président de la Banque mondiale pour la région Afrique a estimé pour sa part que : « Aujourd’hui plus que jamais, le peuple de Côte d’Ivoire a besoin de notre soutien sans faille, au moment où il sort d’une longue période de stagnation. Les partenaires au développement doivent rapidement se serrer les coudes pour soutenir les nouvelles autorités et les aider à livrer les dividendes de la paix. Le pays est le pivot du développement économique et social de toute la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, forte d’une population d’environ 100 millions d’habitants, et son bien-être est fondamental pour la stabilité et la transformation de bon nombre de ses voisins, du fait des liens économiques et sociaux ». [18] On comprend donc qu’Alassane Ouattara a plusieurs défis à relever. Mais son plus grand challenge demeure l’application du programme de société sur la base duquel il a été élu par ses compatriotes.

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[1Amnesty International, Nous voulons rentrer chez nous, mais nous ne pouvons pas. Insécurité et personnes déplacées en Côte d’Ivoire : Une crise persistante, amnesty.org/fr/library/asset/AFR31/007/2011/fr/cef94149-ede6-403a-b281-fd4807f38566/afr310072011fr.pdf (Site internet consulté le 31 juillet 2011)

[2KONADJE Jean-Jacques, « Sécurité privée en France : Réflexion sur un secteur en pleine expansion », dans Les cahiers de la sécurité intérieure, mars 2011.

[3Kigbafory Inza, « Le Ministre de l’intérieur sur la situation sécuritaire : beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire » in Le Patriote du 13 août 2011, lepatriote.net/lire/d9e635f9-fe5a-4803-a99c-6202defe4190.aspx (site internet consulté le 13 août 2011)

[4Voir pnrrc-ci.org/ACOORDS/COMPL.%20OUAGA/ACCORDS%20DE%20OUAGA%20-%20PRINCIPAL.pdf (Site internet consulté le 13 août 2011)

[5Baudelaire Mieu, « Armée ivoirienne : effectifs à revoir », jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2627p024-031.xml3/reconciliation-laurent-gbagbo-armee-guillaume-soroarmee-ivoirienne-effectifs-a-revoir.html (Site internet consulté le 25 juin 2011)

[6Christophe Champin, « Côte d’Ivoire : L’armée, casse-tête d’Alassane Ouattara », rfi.fr/afrique/20110523-cote-ivoire-armee-casse-tete-alassane-ouattara-0 (site internet consulté le 20 juin 2011)

[7« Soumaïla Bakayoko promet de « moraliser » l’armée ivoirienne », jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20110713091958/laurent-gbagbo-guillaume-soro-philippe-mangou-alassane-dramane-ouattarasoumaila-bakayoko-promet-de-moraliser-l-armee-ivoirienne.html (site internet consulté le 4 juillet 2011)

[8André Silver Konan, « Armée ivoirienne : revue de troupe(s) », jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2635p022-029.xml1/onu-securite-droits-de-l-homme-banque-mondialearmee-ivoirienne-revue-de-troupe-s.html (Site internet consulté le 30 juillet 2011)

[9IDEA, La réconciliation après un conflit violent, idea.int/publications/reconciliation/upload/policy_summary_fr.pdf (Site internet consulté le 04 août 2011)

[10Ibid.

[11« Côte d’Ivoire : La réconciliation nationale à l’épreuve de la justice », in nextafrique.com/showroom/dossiers-dactualite/crise-en-cote-divoire/1169-cote-divoire—la-reconciliation-nationale-a-lepreuve-de-la-justice (Site internet consulté le 28 juillet 2011)

[12Ibid.

[13Ibid.

[14Jean-Jacques KONADJE, « Abidjan est une poudrière à ciel ouvert », grioo.com/ar,jean-jacques_konadje_abidjan_est_une_poudriere_a_ciel_ouvert_,20992.html (Site consulté le 14 juillet 2011)

[15IDEA, Op.cit.

[16Jean-Jacques KONADJE, « Abidjan est une poudrière à ciel ouvert », Op.cit.

[17« La deuxième table ronde pour la Côte d’Ivoire réaffirme le ferme soutien de la Communauté internationale », afdb.org/fr/news-and-events/article/development-partners-stand-with-cote-divoire-in-reconciliation-and-recovery-8381/ (site consulté le 24 décembre 2011)

[18Ibid.


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