Manuel de géopolitique

17 - De quelques frictions culturelles

Par Patrice GOURDIN, le 22 mars 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.

Comment les frictions culturelles doivent-elles être étudiées lors d’une étude géopolitique ? Quels champs de recherche ? Quels outils ? Quelles informations rechercher ? Avec de nombreux exemples, bénéficiez de la méthode du maître ouvrage de Pascal Gourdin, "Manuel de géopolitique", éd. Diploweb, disponible au format papier sur Amazon.

Edgar Morin constatait, en 2002 [1], que la civilisation occidentale présentait un bilan mitigé : de nombreux bienfaits – amélioration des conditions matérielles de vie, développement scientifique et technique, agriculture plus productive, affirmation de l’individu, en particulier – s’accompagnaient de quantité de méfaits comme le mal-être de nombreux individus, la dislocation des solidarités traditionnelles, la remise en cause des systèmes de protection sociale, l’accroissement des inégalités, la dégradation de l’environnement, la mauvaise maîtrise de nombreuses mégapoles ou la dévitalisation des campagnes. Bref, les évolutions à l’intérieur des sociétés de chaque pays et dans les comportements des États entre eux jouent un rôle important dans le destin de l’humanité. Les quelques éléments évoqués ci-dessous abondent dans ce sens et incitent à accorder une très grande attention à cet aspect des réalités dans toute analyse géopolitique.

17 - De quelques frictions culturelles
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Chaque groupe humain, quelle que soit sa taille, assure et organise son existence par un certain nombre de pratiques qui forment des modes de vie. À ne pas confondre avec le genre de vie, notion forgée par Vidal de la Blache qui visait à « apporter une vision globale combinant les ressources offertes par un type de milieu naturel et un type d’activité productive permettant à un groupe humain d’y vivre en autosubsistance et en s’adaptant aux contraintes du milieu physique [2] ». Contestée tout au long du XXe siècle, cette manière de voir ne correspond plus, aujourd’hui, qu’à la situation d’un nombre infime de groupes humains. D’une variété infinie, les modes de vie ne sont jamais déterminés par les seules conditions géographiques, mais ils résultent de choix que les études ethnologiques et historiques peuvent nous aider à comprendre. Lorsqu’ils sont différents, voire opposés, ceux-ci s’influencent, se diffusent, mais, également, génèrent des tensions dues au malaise né de la différence. L’“Autre“ réveille instinctivement une terreur archaïque. Ce sentiment diffus peut se muer en hostilité, source d’affrontements, surtout si des intérêts contradictoires entrent en jeu. Ainsi, l’histoire et l’actualité sont-elles remplies de crises ou de conflits entre nomades et sédentaires, entre insulaires et continentaux, entre montagnards et habitants des plaines, ou entre citadins et ruraux. L’isolement, plus ou moins marqué selon les personnes et les lieux, entretient les “pratiques ancestrales” et autres coutumes, de plus en plus décalées par rapport à celles des régions plus ouvertes et directement reliées à la “modernité“.

Au Darfour, actuellement, la compétition entre populations “arabes” de pasteurs nomades et “négro-africaines” d’agriculteurs sédentaires, pour le contrôle d’herbages et de points d’eau qui se raréfient, a pris une tournure dramatique. Cette rivalité pluriséculaire constitue un puissant catalyseur, mais le conflit tient, également, à d’autres causes. D’ailleurs, des accords plus ou moins durables et plus ou moins spontanées existèrent entre ces différents groupes pour se partager l’usage de ces ressources vitales.

En Corse, depuis près de trente ans, une fraction de la population s’estime marginalisée et dénonce, par le recours à la violence, une situation qu’elle assimile à une colonisation. Parmi les éléments qui firent naître ce sentiment, on compte l’insularité [3]. Effectivement, en dépit de tous les efforts en matière d’aménagement et de développement du territoire, une île souffre de handicaps par rapport au continent : isolement ou surcoûts, par exemple. En outre,
« chaque population insulaire est aisément persuadée du caractère unique de l’île où elle vit et des différences avec telle île voisine […] Le développement de la liberté d’expression et des débats géopolitiques fait que les mouvements autonomistes ou séparatistes se manifestent fortement dans des îles qui dépendent depuis longtemps d’un État situé sur le continent [4] ».

Ainsi, dans les années 1980, se mit en place une véritable solidarité entre les ensembles insulaires de l’Union européenne, afin d’exercer une pression spécifique, cohérente et concertée sur les instances bruxelloises. Il en naquit une « philosophie “insulariste“ […] établissant comme postulat idéologique que la spécificité géographique des mondes insulaires justifie leur nécessaire autonomie politique [5] ». Dans le même mouvement, s’affirma une « culture du droit à la différence [6] », allant jusqu’à soutenir que « l’insulaire n’est jamais un terrien tout à fait comme les autres [7] ». Toutefois, comme tous ceux qui reposent sur un déterminisme, l’argument appelle la critique : au cours de l’histoire d’une île et selon les fractions de la population étudiées, l’insularité produit des effets différents. Les uns demeurent sur place et les autres émigrent. Parmi ces deux catégories, les statuts et/ou les conditions de vie se différencient : les caractères, les opportunités ou les réseaux de relation jouent un rôle au moins aussi important que l’insularité. Nombre d’études relatives à des sociétés insulaires montrent que les élites socio-économiques de ces dernières instrumentalisent les “spécificités“ pour préserver leurs intérêts et éviter un contrôle trop rigoureux de la métropole sur l’utilisation des fonds que celle-ci alloue au développement local. En fait, chaque île présente ses caractères économiques, sociaux et culturel propres : on peut parler de particularismes (corse, créole, océanien, pour le cas français, par exemple), mais l’insularité ne les explique qu’en partie [8]. Le cas polynésien présente, à cet égard, un intérêt tout particulier : issues d’une culture commune et toutes insulaires, les sociétés du Pacifique se différencièrent pourtant rapidement. Il semble que cela se produisit sous l’effet des ressources naturelles disponibles sur leur île ou dans leurs archipels, des modes d’exploitation adoptés et des organisations sociales qui en découlèrent [9].

En règle générale, les régions montagneuses accusent, vis-à-vis des zones de piémont et des plaines, un grand retard culturel et une forte dépendance économique. Même s’il faut relativiser l’importance de celle-ci, c’est d’abord à leur marginalité spatiale (frontière, isolement, contraintes physiques et climatiques de l’altitude) qu’elles le doivent. La vision dépréciative se construisit dans les plaines et les villes, lieu de passage et/ou de séjour des migrants issus des zones montagneuses (Savoyards, Auvergnats, Limousins, Kabyles, Kurdes, Indiens de l’Altiplano, par exemple). Ces déshérités, souvent analphabètes, firent l’objet du mépris citadin.

Pourtant, certains réussirent (Corréziens de Paris, Bamilékés de Douala, Barcelonnettes d’Amérique du Sud) et firent la gloire de leur montagne d’origine. On vantait alors le courage, l’intelligence, le grand sens de la solidarité dont faisaient preuve ses habitants. Les guides chamoniards ou les sherpas himalayens s’attirent toutes les louanges depuis l’essor de l’alpinisme et du trekking. Il n’est pas jusqu’au berger qui, dans une société industrialisée, ne retrouve une image positive. Les habitants de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord aspirent massivement à retrouver la qualité de vie qu’ils attribuent à leurs ancêtres de l’ère préindustrielle et « la montagne devient le lieu emblématique de ce désir [10] » (les Alpes des publicités pour eaux minérales, le Montana de l’acteur Robert Redford, par exemple). Certes, nous sommes loin de L’Astrée, mais le fantôme inquiétant de Gaston Dominici s’estompe également : désormais, le discours dominant évoque le préservateur de l’environnement, celui qui sait retrouver une existence “authentique“, redonne vie à nos montagnes et, même, réanime nos délicieuses angoisses enfantines avec ses histoires d’ours et de loups. La controverse sur la cohabitation du loup et de l’élevage [11], au même titre que l’affrontement autour des ours de la vallée d’Aspe, notamment lors de la mort de la femelle Cannelle, le 1er novembre 2004 [12], illustrent bien les contradictions induites par ce changement de perceptions. Parfois de façon quelque peu excessive : lors du procès du chasseur responsable de la mort de Cannelle, un journaliste rapportait : « En plus de vingt ans de magistrature, souligne la présidente Frédérique Loubet-Porterie, je n’ai jamais vu un tel déchaînement, même pour des crimes commis sur des enfants [13] ».

Il existe des différences considérables dans le développement des zones de montagne : les obstacles des Alpes ou de l’Apennin disparurent et ces régions participent à la prospérité des États auxquelles elles appartiennent. Dans le cas de la Corse, il semble que ce soient « plutôt la faiblesse démographique et la gestion localiste et clientélaire du territoire qui permettent aujourd’hui de comprendre le caractère archaïque et cloisonné des communications intérieures [14] ». L’île de Beauté ne constitue certainement pas une exception. Plusieurs régions montagneuses firent l’objet d’aménagements savants qui permirent une relative prospérité : dans les Alpes du Sud, à Java, à Bali, à Luçon ou au nord du Cameroun, par exemple. Seule la mécanisation des plaines au service d’un modèle agricole productiviste peut concurrencer victorieusement ces systèmes remarquables. Parfois, il suffit d’une production à haute valeur ajoutée pour préserver une activité agricole : la viticulture, comme dans le Valais suisse, le Val d’Aoste ou les Dolomites en Italie ; la floriculture, comme dans l’arrière-pays niçois ou dans l’Apennin ligure. La dynamique des sociétés apparaît bien, là encore, comme essentielle [15].

Depuis sa naissance, il y a environ cinq mille ans, la ville affiche une avance économique et culturelle sur la campagne. Il en résulte une domination – à des degrés variables qu’il importe de mesurer soigneusement au cas par cas – de la première sur la seconde, génératrice d’envie, de ressentiment, voire d’agressivité des ruraux envers les citadins. Quant à ceux-ci, ils nourrissent parfois un sentiment de supériorité envers ceux-là. Rares furent les épisodes de révolte paysanne de grande ampleur, ou de mouvements révolutionnaires s’appuyant sur les ruraux pauvres, qui ne visèrent pas les villes. Mao Zedong en Chine, Pol Pot au Kampuchea, Abimaël Guzman au Pérou attisèrent cette haine des campagnes pour mener leurs guérillas révolutionnaires. Le cadre physique diffère. La campagne (n’importe où dans le monde) comporte des habitats séparés par des zones cultivées ou restées à l’état naturel, plus ou moins bien reliés entre eux. La population accuse un plus ou moins grand retard culturel, technologique et dans ses modes d’organisation (famille, relations sociales, économie, politique). La ville rassemble une population dense dans un espace presque uniformément bâti, dispose d’un réseau diversifié et dense de communication, concentre des populations et des activités variées, abrite des lieux de pouvoir et de savoir, accède aux technologies et pratique les modes d’organisation les plus avancés. Inconvénient (vérifié à toutes les époques de l’histoire) de cette situation : survienne une guerre ou une épidémie et la concentration urbaine, particulièrement attractive et vulnérable, devient une cible de choix, même si les campagnes ne sont pas épargnées.

Le nomadisme [16] se caractérise par le déplacement du groupe humain qui le pratique. Il résulte d’une recherche qui fut le lot commun de l’humanité jusqu’à la sédentarisation de quelques-uns, il y a 13 000 ans environ pour les plus précoces : recherche de ressources naturelles pour les chasseurs-collecteurs ou les pêcheurs, de nouvelles parcelles pour les agriculteurs itinérants, de pâturages renouvelés pour les éleveurs itinérants, de produits à échanger pour les commerçants. Cette quête revêt rarement un caractère aléatoire ; elle s’opère – sur des territoires qui, pour être vastes, n’en sont pas moins souvent les mêmes – en fonction des ressources hydrologiques, de la pluviosité et/ou des saisons. Parfois, le nomadisme repose sur des courants commerciaux animés par des populations spécialisées dans la distribution de produits à l’intérieur de régions peu accessibles et/ou de faibles densités : colporteurs de l’Europe préindustrielle, caravaniers du Sahel (pour le sel, en particulier), par exemple. Tous les nomades – à l’exception des Peuls Bororo, qui ne possèdent que des nattes – se caractérisent par un habitat mobile (tente, la plupart du temps) ou aisément reconstructible si les moyens de transport font défaut (hutte, igloo, par exemple). Le temps des nomades alterne des périodes de dispersion (durant la recherche des ressources et/ou l’exercice des activités) et de regroupement (pour l’entretien et le resserrement des liens sociaux : pratiques cultuelles, mariages, par exemple). Ces particularités produisent deux conceptions antithétiques  : les sédentaires voient le nomadisme comme un archaïsme et une prédation, tandis que les nomades se perçoivent comme libres et en osmose avec la nature. Le rejet et le mépris réciproques qui en résultent animent les mécanismes d’affrontement et/ou de coercition.

Dans l’aire tibétaine, depuis 2003, environ 100 000 nomades se voient contraints de s’installer dans les villes et les villages. Il s’agit, officiellement, de préserver l’environnement, plus précisément, de protéger les terres autour des sources des grands fleuves (Yangzijiang et Huang He), situées dans le Qinghai. L’opération devrait s’achever en 2010 [17]. La raison invoquée ne manque pas de laisser perplexes les spécialistes de la géographie chinoise : la pollution massive des fleuves plus en aval et les émissions gigantesques de carbone par les centres industriels et les métropoles semblent beaucoup plus préoccupantes. Cela amène à poser la question de savoir s’il ne s’agirait pas plutôt d’un prétexte pour sédentariser une population par nature difficilement contrôlable et pour mieux réduire la contestation tibétaine.

Mais les relations avec les sédentaires ne se limitent pas à des affrontements : il existe de nombreuses complémentarités qui génèrent une symbiose partielle et nécessaire, comme entre les Pygmées et les Bantou, par exemple. Le nomade établit le lien manquant entre différents groupes sédentaires : diffusion d’informations, prédication, échange de produits indispensables, en particulier.

Les tentatives de préservation et de respect des cultures nomades se soldent par un bilan étique [18]. En République démocratique du Congo, par exemple, Antoine Lonoa a fondé le Congrès africain des Pygmées pour lutter contre la stigmatisation, l’exclusion et le mépris dont ces derniers sont victimes depuis longtemps. En règle générale, les Bantou refusent de manger ou d’entretenir des relations sociales avec eux ; pour un même travail, ils leur versent toujours un salaire inférieur à celui qu’ils paient à un autre Bantou. M. Lonoa voudrait, également, enrayer les phénomènes modernes qui chassent les Pygmées de leurs zones traditionnelles : énormes entreprises d’exploitation forestière, fronts pionniers, extension des parcs nationaux, violence des milices et autres groupes rebelles. Faute de moyens et de soutien, sa démarche semble vouée à l’échec. Pourtant, la Banque mondiale introduisit dès 1982 une directive sur les populations tribales dans son Manuel opérationnel. Elle la révisa en 1991 (DO 4.20), puis en 2005 (PO/BP 4.10), mais son application resta souvent lettre morte, par exemple au Congo, comme le montra le rapport rendu le 31 août 2007 par les inspecteurs de la Banque mondiale [19]. L’ONU se préoccupa de la question dès sa création et mit en place, en 2000, une Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones [20] (composée de 16 experts indépendants) qui œuvre à la protection de ces populations. Elle dispose d’un Secrétariat depuis 2002. Un espoir de progrès significatif réside dans la « Déclaration sur les droits des peuples autochtones », adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 septembre 2007. Elle stipule :
« Article premier
Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif et individuel, de jouir pleinement de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international relatif aux droits de l’homme. [...]
Article 8
1. Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.
2. Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :
a) Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique ;
b) Tout acte ayant pour but ou pour effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources ;
c) Toute forme de transfert forcé de population ayant pour but ou pour effet de violer ou d’éroder l’un quelconque de leurs droits ;
d) Toute forme d’assimilation ou d’intégration forcée ;
e) Toute forme de propagande dirigée contre eux dans le but d’encourager la discrimination raciale ou ethnique ou d’y inciter. [...]
Article 10
Les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires. [...] ».

Conséquemment, l’Australie, en février 2008 [21], puis le Canada, en juin 2008 [22], présentèrent leurs “excuses“ aux peuples autochtones (Aborigènes, pour la première, Indiens et Inuit pour le second), pour les souffrances infligées par les politiques d’assimilation forcée mises en œuvre à leur encontre. Toujours en juin 2008, le Japon reconnut officiellement l’existence des Aïnou. Premier peuple à avoir occupé l’archipel, ils voyaient leur spécificité niée, au nom de l’homogénéité de la nation japonaise. Il en était résulté une assimilation forcée et une marginalisation [23].

Moins dramatique, en apparence, la “folklorisation“ d’une partie des derniers nomades, leur transformation en attraction touristique ou l’incorporation de certains de leurs territoires – le désert, en particulier – dans l’aire des loisirs du Nord, présente quelque chose de pathétique et d’indigne, au même titre que, jadis, les “zoos humains“ des expositions coloniales. Dans la perspective ouverte par la Déclaration de 2007, cela devrait être maîtrisé :
« Article 31
1. Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles.
2. En concertation avec les peuples autochtones, les États prennent des mesures efficaces pour reconnaître ces droits et en protéger l’exercice ».

Cet article semble bien à la base de la reconnaissance de la propriété intellectuelle des Maori sur leur danse de guerre, le haka, mise à toutes les sauces commerciales depuis sa popularisation par l’équipe néo-zélandaise de rugby, les All Blacks [24]. Encore faut-il que les populations concernées parviennent à se faire entendre. Certains peuples disparurent ou se trouvent en passe de disparaître sans attirer l’attention, comme les Alakalufs, nomades qui sillonnaient les canaux et les fjords des archipels de la Terre de Feu [25].

L’histoire des civilisations bruit encore de l’influence de certains peuples nomades. Art animalier, mobilité, science consommée de la guerre et de l’équitation, grande aptitude à l’assimilation des techniques ou des idées de leurs voisins (mais l’inverse se vérifie également, notamment dans les domaines artistique, équestre et militaire) : autant de qualités qui expliquent les conquêtes foudroyantes et de grande ampleur que réalisèrent les Mongols ou les Mandchous contre les Chinois, ou les Turcs contre les Arabes, par exemple. Leur soumission par les puissances coloniales au XIXe siècle s’avéra laborieuse et toujours incomplète. Ils opposèrent une âpre résistance à la Russie en Asie centrale, à la Grande-Bretagne au Proche-Orient et en Afrique, à la France en Afrique, notamment. Ajoutons que de nombreux conflits mettent aux prises les nomades entre eux. La guerre imprime sa marque sur bon nombre de populations nomades. En fait, l’agressivité latente des sociétés nomades découle de leur extrême dépendance envers des ressources limitées que tout aléa naturel ou tout accroissement démographique mettent en péril. La violence apparaît comme le seul moyen de survie. Mais elle fournit, au motif de pacification, un prétexte à la colonisation et/ou à la sédentarisation.

Les évolutions techniques et économiques expliquent en partie la régression rapide de ce mode de vie. Mais il ne faut pas oublier les raisons politiques : la mise en place d’États-nations avec leurs frontières et leur volonté de contrôle sur l’activité de leurs ressortissants entre en contradiction avec le mouvement permanent qui anime les nomades. Ces derniers se coulent plus ou moins bien dans ce nouveau contexte. La rébellion des Touaregs nigériens ne touche qu’une partie d’entre eux : « les plus pauvres, ceux qui vivent dans les zones pastorales du nord, dans le massif de l’Aïr [26] ». Bref, ce soulèvement complexe semble tenir au moins en partie à l’inadaptation économique et sociale du mode de vie de ces nomades. Inadaptation relative, au demeurant : le président nigérien les accuse d’être de “vulgaires trafiquants“, notamment de drogue [27]. Donc, la tradition du commerce caravanier demeure, mais elle évolue : elle adopte le véhicule tout terrain et transporte les “marchandises“ les plus rémunératrices (à l’origine, il s’agissait du sel). En dernière analyse, la raison profonde du conflit réside peut-être dans l’incompatibilité des règles de l’État de droit et du droit international avec le pragmatisme amoral de ces Touaregs. Le même raisonnement peut valoir pour le Mali, d’où la rébellion touarègue achemine vers l’Algérie et la Libye de la drogue, des armes, du carburant et des émigrés clandestins [28]. Endémique depuis l’indépendance, en 1960, la rébellion demande aujourd’hui une politique de développement pour la région nord dans laquelle elle vit [29].

Les aléas naturels, l’accès au développement, l’émergence d’un pouvoir étatique et bien d’autres facteurs de changement peuvent bouleverser les équilibres.
Ainsi de la Mauritanie : en 1960, sa population était composée de nomades à 90 % ; en 2007, 95 % des habitants sont sédentaires. La sécheresse qui frappa la bande sahélienne dans les années 1970 et 1980 en est partiellement la cause. Il en résulta un changement radical de mode de vie : nouvelles activités – si les gens trouvent un emploi – et nouvelle résidence – fixe et... malsaine. La corruption et/ou l’impuissance des pouvoirs publics se combinent avec la négligence vis-à-vis des déchets (« pour un peuple anciennement nomade, la notion de déchet qui ne doit pas être jeté n’importe où n’existe pas [30] »), pour faire naître de cette sédentarisation d’énormes problèmes d’équipement, d’adduction d’eau et d’assainissement.

La récente découverte d’importants gisements de pétrole au large du Ghana suscite de grandes espérances mais, dans les pays alentour, les Ghanéens peuvent mesurer les effets nocifs des ressources naturelles : guerre civile et banditisme autour du pétrole au Nigeria, des diamants au Sierra Leone, des diamants et du bois au Liberia, des diamants et des minerais en République démocratique du Congo. Ils nourrissent les plus vives inquiétudes au sujet des effets corrupteurs que pourrait avoir l’or noir – comme c’est le cas au Nigeria, au Soudan, en Angola ou en Guinée équatoriale –, sur la stabilité de leur jeune régime démocratique [31].

La rencontre des populations vivant dans la forêt d’Amazonie et des défricheurs génère d’innombrables litiges : pas moins de 140 pour le seul Brésil. De multiples soutiens internes et externes font évoluer la situation. D’abord, en 1988, la nouvelle Constitution du pays reconnut le droit à différents modes de vie et consacra les cultures indigènes comme partie intégrante de l’identité nationale. Ensuite, en 2009, un jugement de la Cour suprême trancha, pour la première fois, en faveur des Indiens, du moins de ceux qui vivent dans le Rapora Serra do Sol. Ils obtinrent le droit de vivre seuls dans leur réserve, que les Blancs se virent contraints à quitter. La décision devrait faire jurisprudence [32].

Dans certains cas, les bouleversements produisent d’heureux effets. Dans le sud du Niger, les fermiers haoussa et les éleveurs nomades touaregs, qui s’affrontèrent souvent par le passé pour le contrôle des maigres ressources, coopèrent aujourd’hui contre un ennemi commun qui menace leurs deux modes de vie. Ils travaillent au coude à coude pour enrayer l’avancée du Sahara et les travailleurs humanitaires qui les aident espèrent que cette coopération créera des liens amicaux durables. Signe très révélateur, des Haoussas assistent à des mariages nomades, ce qui ne s’était jamais vu auparavant [33].

Un conflit peut modifier les rapports entre groupes humains, ou créer de nouvelles relations. Les relations entre l’occupant et l’occupé suscitèrent et suscitent toujours des tensions, parfois des affrontements pouvant aller jusqu’à l’insurrection armée. Cependant, certains occupés collaborent, voire participent à la contre-insurrection

L’implantation des colonies juives en Cisjordanie provoque, depuis les années 1980, un redécoupage du territoire, un bouleversement des terroirs palestiniens. Outre la spoliation elle-même, le changement imposé dans les modes de vie et d’activités traditionnels alimente le mécontentement, la rancœur et la haine. Depuis 1948, la situation de belligérance prolongée a rompu les circuits habituels. Ainsi, pour les producteurs druzes de pommes du plateau du Golan, qui se trouvent coupés, depuis 1967, de leur marché syrien et, depuis 2000, de leurs débouchés palestiniens. Et pas question, pour l’instant, de reconversion, car le problème ne se pose pas en termes strictement économiques : « La pomme est pour nous l’équivalent de l’olive pour les Palestiniens : c’est la colonne vertébrale de notre communauté [34] », déclarent-ils.

Le gouvernement égyptien se trouve aux prises avec les Bédouins du nord du Sinaï résidant le long de la Bande de Gaza et soupçonnés d’aider les militants palestiniens. Pour contrer les islamistes radicaux et les trafics de la mafia russe en direction d’Israël (stupéfiants, prostituées, migrants africains), les forces de sécurité accentuent leur présence et leur action, au grand dam des Bédouins, qui protestèrent violemment dans les rues d’Al-Arish, début octobre 2007 [35]. Les troubles reprirent en décembre 2008. Derrière les légitimes motivations sécuritaires apparaissent d’autres éléments liés aux spécificités bédouines. Lorsque, à Rafah, fin 2008, l’armée égyptienne jeta dans une décharge d’ordures les cadavres de trois Bédouins qu’elle venait d’abattre, s’agissait-il d’un protocole militaire ou d’un geste de mépris ? Depuis le retrait israélien, intervenu en 1982, deux transformations bouleversent le mode de vie des tribus du Sinaï : l’application du droit de propriété et le développement du tourisme. Les usages coutumiers régissant le déplacement des troupeaux, la pâture et le labourage furent remis en cause, des terres furent spoliées. Les emplois créés par le tourisme bénéficient à des Égyptiens, au prétexte que les Bédouins manquent de qualification professionnelle, plus vraisemblablement s’agit-il de discrimination [36].

L’organisation des relations sociales sur des modes différents peut, également, engendrer des affrontements. Les solidarités traditionnelles de type clanique ou féodal, privilégiant les liens d’homme à homme et les pratiques coutumières, s’opposent, nous l’avons déjà mentionné plus haut, à l’autorité d’un pouvoir centralisé ou à la citoyenneté, fondée sur l’égalité et l’obéissance de tous vis-à-vis de l’État et de la loi commune. Il en résulte des conflits d’allégeance, souvent défavorables à l’unité nationale, donc potentiellement déstabilisateurs (comme en Tchétchénie, par exemple). À Gaza comme dans les Balkans, dans le Caucase comme en Asie centrale, la fidélité au clan est plus forte que la loyauté à l’autorité officielle. Si la paix et la prospérité règnent, la seconde peut espérer s’imposer peu à peu. Dans les situations conflictuelles, en revanche, elle est balayée ou réduite à l’impuissance, sauf à instaurer un rapport de forces qui lui soit favorable. Mais dans ce dernier cas, les méthodes, autoritaires et répressives suscitent la réprobation, car certaines des plus grandes puissances contemporaines les condamnent. L’Albanie, candidate à l’entrée dans l’Union européenne, s’efforce, non sans mal, de devenir un État de droit. Elle ne parvient pas, nous l’avons vu, à éradiquer la pratique de la vengeance sanglante privée, préconisée par le droit coutumier, le kanun, diffusé dans l’ensemble du pays sous forme de brochures imprimées [37]. Ces codes d’honneur, avec vengeance de sang, sont omniprésents et les populations s’opposent vivement à leur répression : l’actualité turque ou jordanienne, par exemple, rendent régulièrement compte des problèmes posés par la coexistence des pratiques coutumières et des procédures juridiques. Les musulmans irakiens (chiites du Premier ministre Nuri al-Maliki et sunnites légalistes) s’opposent à la réforme de l’article 111 du code pénal de 1969 demandée par la ministre de la condition féminine, Narmin Othman. Elle voudrait durcir les peines frappant le meurtre de la femme adultère et/ou de l’amant [38]. Une part importante de la population de ces régions continue à percevoir de manière positive celui qui “lave l’affront” dans le sang. Et ce sentiment persiste en terre d’émigration : fin 2007, Charleroi fut endeuillée par l’assassinat de Sadia Sheikh, une jeune fille d’origine pakistanaise qui avait fui le domicile familial car elle refusait d’être mariée de force [39]. Une association comme “Ni putes ni soumises“ tente, en France, d’empêcher ces pratiques.

Selon que les structures familiales sont limitées au couple et à ses enfants, ou élargies aux ascendants et aux collatéraux, la société ne fonctionne pas de la même manière. L’efficacité des commerçants chinois à travers toute l’Asie (et, de plus en plus, en Afrique), est un fait établi depuis fort longtemps. La solidarité d’une parentèle étendue en constitue l’un des ressorts principaux. Ainsi des “maîtres du riz”, ces Sino-Thaïs qui contrôlent 30 % du commerce mondial de cette céréale :
« […] comment ce commerce fonctionnait, […] c’était trop compliqué pour moi. Je retenais qu’il fallait des nerfs à toute épreuve, une banque très engagée derrière soi (le plus souvent c’étaient les banques de la famille) et un entregent solide. Comme dans toutes les affaires d’importance, le secret résidait dans la solidité des liens familiaux, la confiance des parentèles [40] ».

Mais ces solidarités familiales produisent également des effets négatifs. Des économistes établissent une corrélation entre les obligations de solidarité au sein des familles et/ou des clans et l’endettement, ce qui entretient le retard au développement et provoque de nombreuses faillites [41]. Ces mêmes obligations expliquent en partie le recours à l’émigration, problème politique sensible dans les sociétés développées [42].

Il n’est pas jusqu’aux mécanismes du pouvoir – politique ou économique, en particulier – qui ne soient affectés par ce phénomène. Universel et très ancien, le phénomène dynastique persiste, sous des formes plus ou moins adaptées à l’évolution politique et économique. Des spécialistes de la Chine communiste, par exemple, ont mis en évidence des pratiques népotiques [43]. Certains ont évoqué le désir de transmettre le pouvoir à leurs enfants pour expliquer le refus de toute démocratisation par les hiérarques du régime. Lorsque Deng Xiaoping entreprit la modernisation économique sans libéralisation politique,
« le pouvoir central était prêt à échanger la nécessaire mutation du parti communiste, qui appelait le départ des anciens, contre l’instauration de règles népotistes. Les justifications idéologiques ne manquaient pas : pour maîtriser politiquement l’ouverture sur le monde et le compromis avec le capitalisme, n’était-il pas logique de sélectionner des successeurs dont la filiation était rouge ? Le résultat est que les membres des familles “révolutionnaires“, et en tout premier lieu les descendants des plus hauts dirigeants, ont été fortement privilégiés dans l’attribution des postes importants [44] ».

Les querelles n’épargnent pas, loin de là, les familles élargies. Leurs querelles internes, comme leurs contentieux avec d’autres familles du même type, prennent une ampleur considérable. « Toute maison divisée contre elle-même périra », dit l’Évangile selon saint Luc (XI, 17) et le tragique destin des Atrides ou des deux derniers gendres de Mahomet en atteste. Certes, un sort si funeste n’est pas toujours assuré, mais, indéniablement, les dissensions affaiblissent une lignée et ceux qui en dépendent. Ainsi, l’aristocratie française joua des rivalités dans la famille royale pour tenter d’imposer sa tutelle à la monarchie (et d’échapper au contrôle de cette dernière) entre la mort d’Henri II - 1559 - (François d’Alençon, mêlé aux complots ou révoltes contre ses frères, Charles IX puis Henri III, «  tient le rôle tant de fois joué par les cadets de famille régnante, celui de l’éternel mécontent prêt à mettre le royaume à feu et à sang pour acquérir quelques avantages, voire plus platement prouver son existence [45] ») et l’affirmation du pouvoir de Louis XIV - 1661 - (Louis XIII face à Gaston d’Orléans, son frère, César de Vendôme, son demi-frère, ou Henri II de Condé, son cousin ; la Fronde des Princes – Orléans, Condé –, durant la minorité de Louis XIV). Plus près de nous, le 1er juin 2001, au Népal, le souverain régnant, Birendra, son épouse et sept autres membres de la famille royale périrent des mains du prince héritier Dipendra. Seul absent et, par conséquent, seul rescapé, le frère du roi assassiné, l’impopulaire Gyanendra, accéda au trône. Un avènement obtenu dans de telles conditions, par un personnage par ailleurs peu apprécié, nourrit beaucoup de spéculations et contribua à la déstabilisation du royaume, déjà ébranlé par une guérilla maoïste irréductible [46]. Le 28 mai 2008, le Parlement de Katmandou vota l’abolition de la monarchie [47]. Trône mal acquis ne profite jamais ? Les mécanismes de vendetta analysés avec les phénomènes conflictuels liés aux clans ou aux tribus, se retrouvent entre familles, l’histoire de la féodalité occidentale médiévale en regorge : Shakespeare immortalisa l’hostilité héréditaire entre Capulet et Montaigu ; la fortification des demeures urbaines de l’aristocratie génoise résultait de ses inexpiables querelles [48].

Les formes traditionnelles de pouvoir et/ou de contre-pouvoir peuvent constituer, aussi, un facteur belligène. Elles s’inscrivent quelquefois dans un contexte de centralisation, imposée par la force, donc susceptible d’entraîner des réflexes de rejet. Du premier empereur chinois, Qin Shihuangdi à Louis XIV, de Napoléon à Reza Pahlavi, l’affirmation d’un pouvoir central fort, en tout temps et en tout lieu, ne manque de susciter des réticences, voire des révoltes armées. Mais l’invocation de la tradition masque parfois des conflits d’intérêts et/ou un enjeu de pouvoir : dans le contexte féodal, la centralisation monarchique apparut comme une amélioration à une partie de la population et certains surent même en tirer parti pour échapper aux charges et contraintes seigneuriales. Pour les suzerains, ces dernières constituaient une source de revenus et d’autorité qu’il convenait de préserver.

Parfois, les révoltes s’appuient sur une autre autorité tout aussi profondément ancrée, souvent de nature religieuse, avec laquelle le pouvoir politique entre en conflit pour s’imposer. Le clergé chiite iranien prit la tête de la résistance au chah d’Iran dès les années 1960 et l’ayatollah Khomeiny en devint la figure centrale. La population birmane affronta par deux fois (1988, 2007) la junte militaire qui l’opprime depuis 1962. À deux reprises, l’armée brisa le mouvement. Pourtant, certains observateurs prédisent la fin inéluctable de la dictature car les moines bouddhistes, suivant la logique de compassion qui est la leur, participent à la lutte contre le régime. Or, ils s’appuient sur une tradition religieuse tout aussi ancienne et respectée que le pouvoir politique. Et celle-ci intègre le refus des offrandes venant de ceux dont on condamne l’attitude et de leurs familles. Ce geste revêt une gravité extrême puisqu’il compromet l’accès au nirvana. Peut-être cette “guerre civile silencieuse“ vaincra-t-elle la junte [49]. D’autant que nombre de moines se scandalisèrent de voir les dirigeants laisser sans secours leur peuple frappé par le typhon Nargis. Forme de résistance passive, les donateurs birmans confièrent leur aide aux monastères afin qu’elle ne fût pas dispensée (ou détournée) par l’armée [50]. Toutefois, d’autres commentateurs mettent en avant l’habileté avec laquelle la junte birmane a créé une société privilégiée à l’intérieur de la société traditionnelle : l’armée. Cette dernière bénéficie d’un relatif bien-être qui expliquerait la loyauté de la troupe [51].

Il peut, au contraire, exister une autonomie plus ou moins étendue et plus ou moins ancienne. Ainsi, les Serbes se caractérisent-ils par une tradition d’autonomie locale « unique en Europe [52] », qui perdura, sous des formes diverses, du Moyen-Âge à nos jours. Il en résulta, tant parmi les Serbes, que dans les vingt-cinq minorités non-serbes, de nombreux particularismes, profondément enracinés, source de multiples courants centrifuges, fort peu compatibles avec la réalisation d’une unité nationale solide.

Des frictions liées à l’évolution des mœurs ou des comportements existent en permanence à l’intérieur d’une société donnée ou entre différentes sociétés. Elles ne débouchent pas systématiquement sur des affrontements car les hommes savent, s’ils le désirent, trouver les arrangements qui atténuent les tensions. A contrario, la nostalgie, l’inquiétude, la frustration, la perte engendrées par la différence ou le changement peuvent contribuer à créer les conditions psychologiques propices à la crise ou au conflit.

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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX DIFFÉRENCES CULTURELLES

Quelle est l’influence des rivalités entre modes de vie ou de régulation
sur la crise ou le conflit ?

CHAMPS DE RECHERCHE

Outils pour étudier les modes de vie ou de régulation de la population du territoire sur lequel se déroule la crise ou le conflit :

. les ouvrages consacrés à la géographie, à l’économie, à l’ethnologie, à l’anthropologie, à la sociologie, à l’histoire, au droit et à la science politique.

Les informations recueillies servent à repérer l’influence des rivalités entre modes de vie ou de régulation sur les événements. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :

. les modes de vie,

. les structures familiales,

. les formes d’autorité politique,

. les types de changements qui modifient les modes de vie, les structures familiales ou les formes d’autorité politique, notamment,

. les tensions ou les conflits provoqués par les modifications des modes de vie, des structures familiales, ou des formes d’autorité politique, notamment.

La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.

Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.


Plus

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[1. Morin Edgar, Pour une politique de civilisation, Paris, 2002, Arléa, 78 pages et texte intégral de l’article partiellement publié dans Le Monde du 25 avril 2007 sous le titre « Si j’étais candidat » (http://www.mcxapc.org/docs/reperes/edil38.pdf). Voir également son entretien avec Constance Baudry, Le Monde, 4 janvier 2008.

[2. Lacoste Yves, De la géopolitique aux paysages. Dictionnaire de la géographie, Paris, 2003, A. Colin, p. 179.

[3. Martinetti Joseph et Lefèvre Marianne, Géopolitique de la Corse, Paris, 2007, A. Colin, pp. 65 à 70.

[4. Lacoste Yves, « île », Dictionnaire..., op. cit., p. 752.

[5. Martinetti Joseph et Lefèvre Marianne, op. cit., p. 67.

[6. Ibidem.

[7. Andréani Jean-Louis, Comprendre la Corse, Paris, 1999, Gallimard, p. 19.

[8. « Ces îles où l’on parle français », Hérodote n° 37-38, 1985.

[9. Diamond Jared, Guns, Germs and Steel. The Fates of Human Societies, New York, 1997, Norton & Company ; traduction française : De l’inégalité parmi les sociétés. Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, 2007 [1e édition française : 2000], Gallimard, pp. 73 à 94 et 502 à 532, notamment.

[10. Cassé-Castells Marie-Claude, « Comment aborder la question montagnarde aujourd’hui dans les pays industrialisés d’Europe occidentale », dans Veyret Yvette (dir.), Les montagnes. Discours et enjeux géographiques, Paris, 2001, SEDES, p. 130.

[11. Bracque Pierre, Rapport de mission interministérielle sur la cohabitation entre l’élevage et le loup, Paris, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche-Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, 1999, 65 pages (http://agriculture.gouv.fr/sections/publications/rapports/rapport-de-mission-interministerielle-sur-la-cohabitation-entre-l-elevage-et-le-loup/downloadFile/FichierAttache_1_f0/loup_bracque_99-2.pdf?nocache=1208789767.5).

[12. « La mort de Franska ravive la polémique », Le Figaro, 14 octobre 2007 ; Delpiroux Dominique, « Procès. Pourquoi le chasseur a-t-il tué l’ourse Cannelle ? », La Dépêche du Midi, 12 mars 2008.

[13. Durand-Souffland Stéphane, « Folklore judiciaire autour de la mort de l’ourse Cannelle », Le Figaro, 12 mars 2008.

[14. Martinetti Joseph et Lefèvre Marianne, op. cit., p. 74.

[15. Bart François, « Montagnes entre marginalité et intégration », dans Veyret Yvette, op. cit., pp. 51 à 67.

[16. Bonte Pierre, Les derniers nomades, Paris, 2004, Solar, 223 p.

[17. « China Resettles Tibetan Herdsmen to Preserve Yangtze, Yellow River Source », Xinhua, October 2, 2007.

[18. Il existe une ONG vouée à la sauvegarde des populations minoritaires dont les modes de vie se trouvent menacés, il s’agit de Survival International. Fondée en Grande-Bretagne en 1969, elle essaima dans de nombreux pays. Un groupe d’anthropologues créa une branche française en 1978 (http://www.survivalfrance.org).

[19. Keller Mitch, « A Pygmy Traveler Gives Voice to a Marginalized People », The New York Times, December 1, 2007.

[21. AFP, « Pour les Aborigènes, c’est comme la chute du mur de Berlin », Libération, 13 février 2008.

[22. AFP, « Le Canada présente ses excuses aux peuples autochtones », Libération, 12 juin 2008.

[23.Mesmer Philippe, « Le Japon reconnaît officiellement le caractère indigène du peuple aïnou », Le Monde, 10 juin 2008.

[24. Connolly Ellen, « Maori Win Battle to Control All Blacks’ Haka Ritual », The Guardian, February 12, 2009.

[25. Au contact des Européens, ils abandonnèrent le mode de vie qui assurait leur survie et contractèrent des maladies nouvelles. Ils ont fait l’objet d’une étude scientifique par José Emperaire, Les nomades de la mer, Paris, 2003 [1e édition : 1955], Le Serpent de Mer, 344 p. Ils sont évoqués par l’écrivain Jean Raspail, Qui se souvient des hommes, Paris, 1986, Robert Laffont, 284 p.

[26. Tuquoi Jean-Pierre, « Militaires nigériens et rebelles touaregs sont prêts à en découdre », Le Monde, 13 octobre 2007.

[27. Tuquoi Jean-Pierre, « Le président du Niger invite les Touaregs à déposer les armes », Le Monde, 6 octobre 2007.

[28. Macé Célian, « Les Touaregs, maîtres du désert », Libération, 14 avril 2008.

[29. Macé Célian, « La rébellion touareg fait parler la poudre en plein désert », Libération, 29 mai 2008.

[30. Rivière Manon, « Le boom démographique assèche Nouakchott », Le Figaro, 28 août 2007.

[31. Foreign Service, « Dreams of Oil Wealth, Tinted by Fear », The Washington Post, April 11, 2008.

[32. Langellier Jean-Pierre, « Brésil : la Cour suprême donne raison aux Indiens », Le Monde, 21 mars 2009.

[33. McConnell Tristan, « How Tuaregs, Hausas are Avoiding Another Darfur », The Christian Science Monitor, October 3, 2007.

[34. Barthe Benjamin, « Plateau du Golan : la diplomatie des pommes », Le Monde, 1er mars 2007.

[35. ISA Staff, « Bedouin Unrest Troubles Caira », ISN-Security Watch, October 15, 2007.

[36. Moran Dominic, « Sinai Bedouin Simmer », ISN-Security Watch, December 1, 2008.

[37. Finer Jonathan, « Albania Takes Aim at a Deadly Tradition », The Washington Post, August 23, 2007.

[38. Al-Shara’ Basim, « Politicians Resist Honour Crimes Reform », Iraqi Crisis Report, March 28, 2008.

[39. Stroobants Jean-Pierre, « Un crime d’honneur secoue la ville de Charleroi, en Belgique », Le Monde, 16 novembre 2007.

[40. Hauter François, « Les maîtres du riz », Le Figaro, 17 août 2007.

[41. Mamou Yves, « Afrique : solidarité familiale à risques », Le Monde, 14 juin 2008.

[42. Ibidem.

[43. Balme Stéphanie, Entre soi. L’élite du pouvoir dans la Chine contemporaine, Paris, 2004, Fayard, 474 p.

[44. Domenach Jean-Luc, Où va la Chine ?, Paris, Fayard, pp. 96-97.

[45. Garrisson Janine, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome II, Guerre civile et compromis (1559-1598), Paris, 1991, Le Seuil, p. 61.

[46. Chipaux Florence, « Népal, rois maudits », Le Monde, 12 mars 2005.

[47. Bobin Frédéric, « La monarchie vit ses dernières heures au Népal », Le Monde, 29 mai 2008.

[48. Heers Jacques, Le clan familial au Moyen-Âge. Étude sur les structures politiques et sociales des milieux urbains, Paris, 1974, P.U.F.

[49. Liogier Rapahël, « L’insurrection silencieuse », Libération, 8 octobre 2007.

[50. E. V. (sic), « La colère des moines de Mandalay », Le Monde, 1er juin 2008.

[51. Kurlantzick Joshua, « The Survivalists », The New Republic, June 11, 2008.

[52. Troude Alexis, Géopolitique de la Serbie, Paris, 2006, Ellipses, p. 91.

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