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La France dans le monde d'aujourd'hui,

par Gérard Chaliand, spécialiste de géopolitique

 

Depuis 1989-1991, le rang de la France est indiscutablement marqué par une régression générale. Cette évolution résulte pour une part de facteurs qui échappent complètement au contrôle de Paris et d'autre part de situations qui auraient pu être mieux utilisées par la diplomatie française. (Voir aussi la présentation de son "Atlas du nouvel ordre mondial", R. Laffont, 2003)

Biographie de l'auteur en bas de page.

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A lire ci-dessous dans la rubrique Plus avec diploweb : une banque de liens internes à propos de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale.

  La fin de la Guerre froide met la France dans une posture difficile. La bipolarité lui laissait un espace pour des initiatives diplomatiques. Cet espace s'est aujourd'hui beaucoup restreint.

En relation avec cette évolution mondiale, un deuxième facteur est intervenu indépendamment de la volonté de la France : la réunification de l'Allemagne en 1989 - 1991. Ce fait déplace le centre de gravité de l'Europe vers Berlin.

Pour autant, la fin de la Guerre froide et la réunification allemande - facteurs externes - auraient pu être mieux utilisées par la diplomatie française.

Le Président F. Mitterrand (1981 - 1995) a extrêmement mal perçu la réunification allemande. Il souhaitait d'abord l'éviter. Puis il en a pris acte tardivement. Ce qui n'est pas ce qu'on a fait de plus habile en matière d'alliance franco-allemande.

Sur les questions européennes, la France n'a pas agi de façon efficace. La Communauté Européenne n'a cessé de s'élargir sans s'approfondir. Nous avons plutôt subi que suscité les évolutions.

L'Allemagne a tourné la page

Il est à noter que l'Allemagne se renforce non seulement sur le plan économique mais se dégage progressivement de sa culpabilité à l'égard de la Seconde Guerre mondiale, puisque ceux qui avaient 20 ans en 1945 ne sont généralement plus à la direction des affaires. L'Allemagne va bientôt mener une politique étrangère à la hauteur de ses moyens. Helmut Kohl était probablement le dernier chancelier francophile et il est fort probable que la politique allemande change à terme. Il n'est pas exclu que les Allemands en aient assez de voir les Français voyager en première classe avec un ticket de seconde.

L'Allemagne va changer de rôle, prendre de l'assurance, politiquement parler plus fort. Le poids économique de l'Allemagne est considérable en Europe centrale.

Quelle Union européenne ?

L'Europe me parait le seul moyen possible d'avoir un poids quelconque au XXI e s. Surtout autour d'un noyau dynamique et non d'une extension absurde comme on nous le propose.

Au vu de la façon dont les choses sont parties, vers une sorte de marché de libre-échange amélioré avec une monnaie et un embryon de force armée, on peut émettre des doutes sur la capacité de réussite du processus européen en tant qu'entité politique. Plus nombreux, on aura de plus en plus de mal à faire l'Europe. Il aurait été souhaitable qu'on fasse une Europe plus petite, avec un noyau d'une demi-douzaine de pays, auxquels viendraient s'agréger - aux conditions fixées par cette demi-douzaine - les autres pays. C'est connu, plus le nombre de participants augmente, plus il y a de pesanteurs. N'importe quelle dynamique de groupe connaît cela.

L'art de se mettre en porte à faux

En Europe de l'Est, les Américains - qui avaient parfaitement raison dans leur logique - ont étendu l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) à trois nouveaux pays d'Europe centrale et orientale : la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie en un temps où les Européens étaient incapables de donner une quelconque vie à l'Union de l'Europe Occidentale (UEO). La France s'est mise en porte à faux quand le gouvernement d'Alain Juppé (1995 - 1997) a proposé de retourner dans l'OTAN à condition d'obtenir - ce que les Américains ne pouvaient en aucun cas nous accorder - la direction de la Méditerranée. Pour Washington, ce commandement est vital puisque grâce à lui la VI e flotte américaine arrive jusqu'aux côtes libanaises et israéliennes.

Enfin, la crise du Rwanda en 1994 - et d'une façon générale des Grands Lacs - marque le début d'un amenuisement indiscutable des positions françaises sur le continent africain, par exemple au Zaïre. On attend toujours une réévaluation globale de notre politique africaine. parce qu'elle est devenue une chasse gardée de certains réseaux français.

Illusions

Aujourd'hui, l'influence que l'on peut avoir - à ne pas confondre avec le rayonnement qui est l'aura du passé - est qu'on le veuille ou non fonction de la puissance économique et commerciale. Nous sommes à cet égard loin derrière l'Allemagne.

D'une certaine façon, cette façon de dire que nous sommes la quatrième puissance est très insuffisante, parce que le premier est loin devant, le deuxième et le troisième sont loin derrière le premier mais très loin devant nous. En effet, le PNB des Etats-Unis était de 7690 milliards de dollars en 1997, celui du Japon de 4772 et l'Allemagne affiche 2319, soit 793 milliards de dollars de plus que la France. Avec un PNB de 1526 milliards de dollars, les Français sont certes au quatrième rang, mais avec derrière cinq ou six concurrents, dont le Royaume-Uni et fort proche l'Italie. (1)

Depuis le début de la crise pétrolière (1973), aucun dirigeant français n'a encore eu le courage de dire où nous en sommes. C'est à dire que les années 1960 sont terminées.

Si les Français souhaitent que le marché du travail embauche davantage, il va falloir avoir des lois moins contraignantes en matière de protection. La démographie fait que nous sommes une société vieillissante, dans laquelle les jeunes sont trop souvent au chômage de 18 à 25 ans, quand ce n'est pas jusqu'à 30 ans. Durant les 3O dernières années, aucune réforme fondamentale n'a été faite. Les seules "réformes" ont concerné les mœurs, où le législateur a suivi l'évolution de la société. Les pesanteurs de l'Etat restent considérables.

Dépasser la peur de l'autre

En France, les changements se font généralement - hélas - en période de crise aiguë, à minuit cinq et dans la violence. Il faudrait davantage de concertations, d'échanges. Tout est perçu en terme d'hostilité et de chocs, encombré d'idéologie.

Le paradoxe c'est que tout ceci se passe dans un pays où nous avons une foule de gens informés, intelligents, comme on dit en France "brillants" - c'est le compliment majeur ici alors que solide c'est considéré comme lourd - pour arriver à des résultats plutôt médiocres.

De l'air !

Les grandes écoles forment des gens qui ne seront plus remis en cause à partir du moment où ils ont obtenu le diplôme. Or, la vie est dynamique. Il y a des gens qui n'ont rien fait à vingt cinq ans et qui peuvent se révéler extraordinaires dix ans plus tard. Il y a des gens qui n'ont pas fait les écoles en question et qui peuvent apporter du neuf. Le fait qu'on puisse lire sur la carte de visite de quelqu'un âgé de 50 ans "Ancien élève de Polytechnique", c'est d'un haut grotesque. Il faudrait davantage de plasticité.

Développer le travail en équipe

S'ajoute à cela une caractéristique nationale : les rivalités franco-françaises. Il n'y pas de travail d'équipe ou très peu. Chez les anglo-saxons, le travail d'équipe se fait de façon normale, on y a été préparé. Ici, nous conservons notre habitude de cacher notre copie pour que le voisin ne regarde pas. Ce comportement reste ancré. On voit dans des ministères des rivalités absolues où on préfère enterrer un dossier que de le faire circuler. Tout cela est contre-productif. Il y des habitudes culturelles très profondes là dedans, certains vous diront que c'est très "gaulois".

Qui menace la France ?

S'il y a une menace qui pèse sur la France, elle n'est pas externe, c'est nous même. Nos pesanteurs, nos conservatismes nous mettent en danger. A l'échelle de l'Etat comme à celle des corporatismes, on ne se bat que pour les droits acquis.

Au-dessus des petits jeux de clientèle, il manque un discours qui montre la voie du courage afin de réaliser un projet. Mais il faudrait consentir à prendre des mesures impopulaires et, en définitive, les uns et les autres sont attachés à leur réélection et finalement à un jeu démagogique.

Gérard Chaliand

Entretien avec Pierre Verluise

Note de la rédaction:

1: Selon Eurostat, le classement en l'an 2000 des Quinze Etats de l'Union européenne par leur produit intérieur brut (PIB), en millions d'euros, place l'Allemagne en tête (2 036), devant le Royaume-Uni (1 535) et la France (1394).

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Biographie de Gérard Chaliand, spécialiste de géopolitique

 
    Etudes

Diplômé de l'Institut national des Langues et Civilisations Orientales, Paris.

Doctorat de troisième cycle, Université Paris V - Sorbonne, Paris.

Sur le terrain

Vingt années de recherches dans plus de soixante pays, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est, en Extrême-Orient, en Amérique Latine, en Europe de l'Est et Communauté des Etats Indépendants (CEI).

De 1964 à 2000, plus d'une douzaine d'enquêtes de terrain en tant qu'observateur des mouvements de guérilla et conflits armés, notamment au Vietnam, en Afghanistan, au Haut-Karabagh.

Enseignement

Plus de 450 conférences en Amérique du Nord et en Europe.

A l'étranger :

Depuis 1970, professeur invité dans de nombreuses universités : Harvard, Berkeley, et U.C.L.A. aux Etats-Unis, Meiji University au Japon, Université de Montréal au Canada, Université militaire de la Nouvelle Grenade en Colombie …

En France :

Entre 1980 - 1989 : Maître de conférence à l'Ecole Nationale d'Administration (ENA), à Paris, durant sept années.

Entre 1993 et 1999 : enseignement à l'Ecole Supérieure de Guerre, à Paris.

Activités de conseil et de direction

Depuis 1984 : Conseiller auprès du Centre d'Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires Etrangères (France).

1997 - 2000 : Directeur du Centre Européen d'études des conflits, Fondation pour les Etudes de Défense (France).

Publications

Gérard Chaliand est l'auteur de plus de 35 ouvrages en français, dont plus de quinze ont été traduits en anglais. La totalité des titres de G. Chaliand disponibles en français est facilement accessible au moyen d'une recherche par auteur sur le serveur minitel 3615 Electre.

Voici trois des titres les plus récents :

  • "Atlas du millénaire", avec J-P. Rageau, Paris, éd. Hachette, 1998.
  • "2000 ans de chrétienté", Paris, éd. Odile Jacob, 2000 (avec Sophie Mousset).
  • "Puissances et influences. Annuaire géopolitique et géostratégique 2000 - 2001", co-dirigé avec A. Blin et F. Géré, Paris, éd. Mille et une nuits, 2000.
 
       

 

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