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Rome et Moscou, relations entre catholiques et orthodoxes,

par Alexandra Viatteau, enseignante en sciences de l'information

 

Le 11 février 2002, quand le Saint-Siège créé quatre diocèses catholiques pour ses ouailles en Russie et que le Patriarcat russe orthodoxe conteste la création d'une "structure centralisée de l'Eglise catholique en Russie", personne ne fait le lien avec l'Histoire. Pourtant, on retrouve là, exactement, la préoccupation du tsarat et du régime communiste soviétique d' "isoler les catholiques vivant en Russie du Pape et de Rome".

Chacun pourra lire en complément: "L'Eglise orthodoxe russe au début du XXI e siècle". Interview du Patriarche Alexis II, par Nathalie Ouvaroff.

Biographie d'Alexandra Viatteau en ligne

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  Le mythe de la "Troisième Rome" moscovite a toujours fasciné, et fascine encore des Français. Tant de droite que de gauche, y compris des catholiques romains, et même des religieux catholiques romains. Tant ceux des Français qui étaient proches des Russes blancs, que ceux qui ont penché du coté rouge soviétique, communiste, ou même socialiste; du national-bolchevisme ou de la social-démocratie. Parfois, le penchant était inspiré par la russophilie. Parfois par la polonophobie. Parfois, c'est un penchant par antagonisme vis à vis de la "Rome papiste" vaticane. Car, après le schisme chrétien, la "Première Rome" à s'effondrer sous les coups des Barbares au Vème siècle fut chronologiquement celle de l'Occident latin. La "Seconde Rome" à s'effondrer au milieu du XVème siècle fut celle de l'Orient grec. Cependant, on peut considérer que la Rome catholique latine a survécu et triomphé en quelque sorte, à l'échelle planétaire. Elle devient donc, de fait, dans la conscience des gens instruits, cette "Seconde Rome", dont la "Troisième Rome" russe panslave guette la succession.

Toutes ces complexités se retrouvent et s'entremêlent étroitement. Elles débouchent sur des faits, des événements, des politiques, des stratégies, des prises de position et des analyses d'importance parfois vitale. (Cf., entre autres, Alexandra Viatteau, "Quatre principes marxistes-léninistes aux sources des génocides soviétiques en Europe de l'Est: révolution, consolidation, économie, messianisme." in "Churches in the Century of the Totalitarian Systems (Eglises à l'époque des systèmes totalitaires), Actes de la Commission internationale d'Histoire ecclésiastique comparée, 1er volume , Lublin, 2001).

Quel enjeu ?

Revenons à l'enjeu de la "Troisième Rome" à partir de la Révolution russe d'Octobre 1917. Le thème revient curieusement avec cette révolution athée. Il a une connotation d'expansion européenne, d'abord "panslave" de la Russie bolchevique. Si le messianisme juif alimente le trotskisme, la "Troisième Rome" chrétienne alimente le léninisme, puis le stalinisme. (Cf. aussi Christophe Nick, "Les Trotskistes", éd. Fayard, Paris, 2002).

Les deux messianismes visent la conquête révolutionnaire, mais différemment. Le premier ambitionne une conquête "mondiale et permanente", internationale et globale. Le second cherche, d'abord, la conquête panslave des pays de l'Europe du Centre-Est et des Balkans, puis internationale, mais au profit de l'impérialisme russe. On le voit déjà aux congrès bigarrés réunis au Kremlin dès 1917. La foi en Dieu est sauvagement réprimée. Mais, on a l'impression que, sous une forme laïque et révolutionnaire, Moscou renoue avec sa vocation autocrate et orthodoxe. Le Kremlin social-révolutionnaire et bolchevique profite aussi de l'éveil et de la revanche d'un judaïsme bafoué. Il cherche à séduire la puissance catholique romaine. A des fins d'autorité et de conquête. On reparle de la "Troisième Rome", prophétisée par les moines grecs et russes après la chute de l'Empire byzantin: "Ecoute pieux Tsar! Deux Rome sont tombées, Moscou, la Troisième, est debout, et il n'y en aura pas une quatrième. Notre Eglise apostolique, dans ton puissant royaume, plus éclatante que le soleil, brille seule désormais; tous les états orthodoxes sont réunis dans ton Empire; sur toute la terre, toi seul es le Tsar chrétien!". Tel était le destin que le moine Philotée annonçait au XVème siècle au Grand-Prince Vassili, père d'Ivan le Terrible. Tsar despotique et cruel cher à Staline. (Cf. en cinémathèque le film de Serge Eisenstein, "Ivan Groznyi" ("Ivan le Terrible", 1945).

Dans la flambée de la pensée révolutionnaire russe et internationale, à la croisée des XIXème et XXème siècles, Dostoievsky prophétisait à son tour à l'Europe: "A l'Orient vient de resplendir avec un éclat encore inouï la troisième idée universelle, l'idée slave, idée nouvellement née, qui peut-être offrira une troisième possibilité de régler le destin des hommes et des peuples européens." (Cf. Fedor Dostoievsky, "Journal d'un écrivain", 1874-1881).

Vers la convergence

C'est dans ce projet d'union panslave sous influence moscovite, mais assurant la convergence avec une future union européenne occidentale, que de grands politiciens tchèques, tels Masaryk et Benes, ont été entraînés par Moscou. Et poussés par Paris, Londres et Washington. Avant, pendant et tout de suite après la Seconde Guerre mondiale. C'est à dire sous la houlette de Roosevelt, Churchill et de Staline. Seulement, ce dernier convoitait un "camp soviétique", un "glacis" contre l'Occident, et non une union d'Etats et de nations plus ou moins libres. Pourtant, les deux Tchécoslovaques étaient des démocrates à l'occidentale. Ils perdirent leurs illusions au moment du Coup de Prague communiste, en 1948. Leurs collègues polonais, eux, se méfièrent jusqu'au bout, mais y perdirent la vie ou la liberté, des territoires immenses et l'indépendance de leur pays, tout comme le reste du "bloc" est-européen (dès la Conférence de Téhéran, en 1943, puis à Yalta, en 1945).

Une résistance particulière

Le catholicisme romain demeura toutefois aux sources de la force de résistance particulière des Polonais. Et cela jusqu'au bout. Jusqu'à leur victoire sur le communisme soviétique russe. Bien qu' ils ne remportèrent pas de victoire sur le marxisme-léninisme, ni sur le trotskisme. Ils évitèrent en tout cas le piège du miroir aux alouettes communiste de la trahison de Rome pour la "Troisième Rome" de Moscou. Surtout depuis que Staline eut utilisé la "Sainte Russie", pour faire avancer ses objectifs idéologiques et politiques. Rarement dupes, meilleurs connaisseurs de leur adversaire - ou ami - russe que nos Chancelleries occidentales, que certains de nos ordres missionnaires catholiques, ou même parfois que le Russicum du Vatican, voilà les Polonais. Polonais ou influence polonaise, devaient donc être liquidés, au moins en Russie-même. Et discrédités à l'étranger, surtout en France, amie exemplaire de Saint-Petersbourg et de Moscou.

Le "catholicisme polonais" était le plus exposé à la haine, la répression, la spoliation, voire l'extermination russes et soviétiques. Surtout dans les périodes de crise et de mainmise du Kremlin, ou du Patriarcat orthodoxe, parfois, sur les terres, les biens et les églises des catholiques latins et orientaux. Les uns et les autres fidèles à Rome: Polonais (de rite latin) et Ukrainiens (de rite grec) dits "uniates" (unis à Rome) pour la plupart.

Répressions

Depuis les partages de la Pologne en 1772, les répressions antipolonaises aux Confins orientaux de l'ancienne Très Gracieuse République Polonaise, vaincue un jour et partagée par ses despotiques voisins russes, prussiens et autrichiens, étaient anticatholiques. Mais elles pouvaient être antisémites, lorsque des Juifs étaient patriotes polonais, malgré l'occupation russe, qui cherchait à diviser les Polonais entre communautés religieuses ou ethniques différentes. "Diviser pour régner". Des répressions frappaient aussi des protestants ou des orthodoxes, polonais ou russes, biélorusses, baltes ou allemands, lorsque ces chrétiens s'opposaient aux abus de pouvoir despotique sur le peuple ou séculier sur l'Eglise de la part de la Cour ou de la Tserkov' (Eglise orthodoxe russe) elle-même. La peur de l'impulsion d'indépendance polonaise et d'ouverture sur l'Occident qu'inspirait l'Eglise catholique romaine en Russie est antérieure à la révolution marxiste-léniniste, trotskiste et staliniste, de 1917 et des années de terreur, puis de "normalisation".

Russie, église orthodoxe. Crédits: P. Verluise

Elle n'a pas disparu avec la chute, toute relative, du régime communiste en Russie, en 1991. Et les Polonais représentent toujours ces catholiques tant redoutés. Rebelles à l'oppression, malgré la terrible saignée du génocide subi en Russie, de Lénine à Staline. (Cf. Alexandra Viatteau, "Staline assassine la Pologne, 1939-1947", éditions du Seuil, Paris, 1999: voir notamment la bibliographie. Il existe aussi de multiples et excellents ouvrages sur la question, essentiellement en polonais et russe, parfois des ouvrages polono-russes). Ces Polonais sont considérés comme une tête de pont du Pape de Rome. Et donc, de l'Occident. Surtout depuis que ce Pape est aussi Polonais! Cependant, il s'agit moins de craintes religieuses que de craintes politiques. Comme c'est souvent le cas, des politiques, des affaires et des intérêts prétextent des "conflits inter-religieux", et en embrasent parfois.

Caractéristiques

Avant les partages de la Pologne, le Royaume de Pologne et le Grand Duché de Lituanie étaient unis au sein de la Très Gracieuse République Polonaise. Celle-ci différait des royaumes européens despotiques par trois caractéristiques principales. Premièrement, les rois devinrent élus par une Diète parmi des candidats européens, lorsque s'éteignit après un siècle de puissance la dynastie des Jagellons. Deuxièmement, cette Assemblée nationale de la Diète était démocratique, quoique nobiliaire (la noblesse était nombreuse, et chaque député pouvait opposer son veto au roi. Ce qui précipita d'ailleurs, la défaite de la République royale). En 1791, la Diète dota la Pologne de la première Constitution écrite d'Europe, instaurant une monarchie parlementaire (Constitution du 3 mai 1791). Troisièmement, chaque Polonais était libre de sa religion. C'est pourquoi la Pologne était devenue un "Paradisium Judeorum". Car les Juifs affluèrent de partout dans ce seul "pays sans bûchers" d'Europe. Les occupants russes, prussiens et autrichiens mettront un terme à tout cela, notamment à l'entente judéo-chrétienne en Pologne.

Les territoires de la Très Gracieuse République Polonaise s'étendaient, grâce à l'union polono-lituanienne, des Pays Baltes et de la Courlande au Nord, au bord de la Mer Baltique, à travers la Biélorussie, jusqu'à l'Ukraine et la Mer Noire au Sud, et loin à l'Est. Sans invasion, mais par mariage de la Reine de Pologne, devenue Sainte Jadwiga, avec le Grand Duc Jagiello de Lituanie, en 1385. L'"invasion" polonaise dont parlent les Russes, ce fut une brève occupation polonaise de Moscou.

D'autre part, lorsque le Roi de Pologne Stefan Bathory, Hongrois élu au trône, s'avança jusqu'à Pskov en 1581, le Tsar russe promit alors au Pape de Rome de convertir la Russie au catholicisme, s'il stoppait les Polonais. Ce que le Pape fit en utilisant les services de messager et de prêcheur du Jésuite Possevine. Le roi polonais très catholique céda à l'argument romain, et l'Histoire de l'Europe en fut changée. Le Tsar ne convertit pas la Russie au catholicisme, bien entendu.

Proportions

L'Union de Brest-Litovsk a fait date en 1596. Une partie des orthodoxes polonais et ukrainiens choisissent alors de s'unir à Rome, tout en conservant le rite grec. A cette époque, il y a en Pologne, aux marches orientales, cinq catholiques pour un orthodoxe. Lorsque le Tsar annule l'Union de Brest-Litovsk en 1839, et réprime sauvagement les "uniates", la proportion s'inverse peu à peu. Il y a désormais un catholique pour quatre orthodoxes sur ces territoires.

Après la partition et l'occupation de la Pologne, la Tsarine réduit à un seul diocèse catholique de Mohylew (Moghilev) toute la communauté catholique, essentiellement polonaise, de l'empire russe. Jusqu'en 1826, l'unique diocèse s'étend des frontières orientales de l'ancienne République Polonaise royale, territoires désormais occupés par la Russie, jusqu'à Vladivostok. Car, c'est là, en Sibérie, que vivent les déportés polonais.

Censure

L'important, pour le pouvoir tsariste, est qu'aucun document du Pape et de l'Eglise catholique universelle ne soit publié, proclamé et connu en Russie sans l'accord et la censure de Saint-Petersbourg. Il faut couper les Polonais de leurs sources spirituelles catholiques, et politiques occidentales, pour les soumettre à l'autocratie russe et à la russification. Or, les Polonais catholiques romains, surtout ceux de rite latin, sont universalistes, occidentaux et "nationalistes" dans le sens de ce temps-là. C'est à dire patriotes épris d'indépendance et de liberté d'après les justes notions de l'époque, où les nations s'opposaient aux empires. Le "printemps des peuples", dans une Europe qui voulait être la "patrie des patries", brisait les glaces du despotisme unificateur. C'est ainsi que les Polonais comprenaient leur temps et leur mission en Europe et dans l'Eglise.

En dépit de l'admiration

Voilà pourquoi ils étaient souvent considérés à l'époque par des Français, y compris républicains de la bourgeoisie de droite, amis ou partenaires en affaires des tsars, comme des "révolutionnaires". Même lorsque ces Polonais appartenaient à la noblesse. En dépit de l'amitié et de l'admiration qu'inspirait la "courageuse et malheureuse" Pologne, elle était perçue par les uns comme perturbatrice de l'ordre européen établi. Et par d'autres, plus "démocrates" et "libéraux", comme une nation héroïque dont les sacrifices insurrectionnels étaient inévitables pour modifier cet ordre dans le sens du "progrès". (Cf. Alexandra Viatteau, "Polskie Powstania narodowe na tle przemian europejskich: Historiografia francuska" (Les insurrections nationales polonaises sur fond de transformations européennes au XIXème siècle: l'historiographie française) in Actes du Colloque de Lublin sous le même titre, édités par Anna Baranska, Witold Matwiejczyk et Jan Ziolek, Université Catholique de Lublin, 2001).

Lorsque la Russie devient bolchevique en 1917, puis soviétique, et que la "courageuse et malheureuse" Pologne entre en résistance en 1939, non seulement contre le nazisme, mais aussi contre le communisme totalitaire, ce sont des Français de gauche, communistes et socialistes, qui choisissent la carte russe "progressiste" contre la Pologne "conservatrice et catholique".

Jusqu'au jour où, en 1980, le "progrès" semble basculer du coté de Solidarnosc, avec l'Eglise catholique, et le Pape Jean Paul II, contre le "communisme réel" russe soviétique. Un communisme désormais indésirable, car dépassé par le "réformisme communiste" ou "euro-communisme", social-démocrate ou trotskiste. Cet avatar communiste joue le jeu capitaliste et démocratique libéral, mais une fraction vise toujours la globalisation révolutionnaire "mondiale et permanente". Probablement "à visage humain" (ou humanitaire) désormais. Mais ce n'est pas certain. La violence des actes perce sous le discours des uns. Et la tendance des autres, une fois au pouvoir, est à "serrer la vis". Le libéralisme politique et économique occidental accepte, pour sa part, de se donner une coloration "socialiste" et de virer vers une forme de démocratie populaire de masse. Une "masse" qu'il faut non seulement "gérer", mais aussi, semble-t-il, juguler.

"Rééduquer"

C'est parce que le "communisme réel" est en travers de la route du globalisme Est-Ouest convergent qu'on le remplace. La Pologne de Solidarnosc combat. Elle est soutenue et elle est à l'honneur. Mais, cette nation reste "catholique polonaise". Il faut donc rééduquer la Pologne. La plier aux normes européennes, notamment laïques. Lui faire adopter de plein gré un pouvoir post-communiste et adopter des variantes de pensée marxiste internationale. Lui faire admettre une autre forme de privation de souveraineté en échange d'une intégration dans le monde occidental, pour la protéger des appétits de l'Est.

Cependant, il faut empêcher la Pologne de croître en importance, non seulement face à l'Occident, mais aussi face à la Russie. Car celle-ci est l'alliée privilégiée, notamment de la France, de la Grande Bretagne, de l'Allemagne. Mais peut-être aussi des Etats Unis depuis le 11 septembre 2001. La Pologne va-t-elle perdre sa force propre en renonçant à la religion (toute religion) ou en y puisant seulement une tradition ancienne et étroitement nationale ? En relativisant ou en distendant son lien avec l'Eglise catholique ne perdra-t-elle pas ses forces, comme Antée privé du contact de la terre ?

Eliminations

Revenons à l'Histoire et à la Russie, qui entreprend donc, sous les tsars, puis sous les communistes soviétiques, d'éliminer les Polonais, catholiques romains et perturbateurs de l'ordre établi. Elimination ponctuée d'insurrections, de morts, de privations de patrimoine, d'exils, de déportations et aboutissant au génocide communiste stalinien. Les élites polonaises (mais aussi lituaniennes ou celles d'autres nationalités conquises par l'empire) sont particulièrement visées. Elles le sont pour leur foi, leur morale, leur intelligence, leur courage et leur influence ou autorité sociale à tous les échelons de classe. Les autorités russes, puis soviétiques, éliminent plus volontiers un conseiller paroissial ou un organiste pratiquant dans leur vie de tous les jours l'Evangile enseigné le dimanche. Un ouvrier, un paysan ou un intellectuel sensibles à la sagesse et au sort des hommes. Ou encore un noble patriote. Plutôt qu'un courtisan ambitieux ou avide, un opportuniste, un affairiste, un prolétaire brutal et borné, ou un dévot dénué d'amour de Dieu et du prochain.

Des relations complexes

Le pouvoir russe tsariste, puis soviétique, liquide les ordres religieux, des évêques, des prêtres, des paroisses entières. Lorsque la révolution éclate, le clergé catholique polonais de Russie, des Pays baltes, de Biélorussie et d'Ukraine, de Sibérie et d'Asie centrale, connaît la situation et les risques. Jusqu'à aujourd'hui, ce qui reste, après la saignée communiste, de ce clergé fidèle, solide, insoumis et évidemment imparfait, et de ses successeurs, se laisse parfois aller à de l'amertume et à un haussement d'épaules, mérité ou non. Car, certaines missions étrangères de l'époque troublée de la Révolution agirent sans expérience du terrain et du danger, auquel elles s'exposèrent elles-mêmes, en exposant aussi les autres. Notamment une partie du clergé et des fidèles catholiques romains de rite latin ou oriental en Russie.

L'Eglise en France et l'Eglise en Pologne sont fraternellement unies dans l'action à l'Est. Parfois, les relations sont plus nuancées entre l'Eglise de France et l'Eglise de Pologne (selon un concept moins universel et plus sensible, jadis aux intérêts nationaux, et aujourd'hui aux modes de pensée). Des divergences peuvent apparaître lorsque la Russie, le communisme, le marxisme, le laïcisme, la société ou l'Histoire sont concernés. Mais, cela s'estompe au fur et à mesure que la compréhension semble augmenter avec le savoir.

La création de quatre diocèses catholiques en Russie

On observe encore quelque flottement lorsqu'il s'agit d'analyser et de commenter les positions de Rome et de Moscou. Le 11 février 2002, quand le Saint-Siège créé quatre diocèses catholiques pour ses ouailles en Russie et que le Patriarcat russe orthodoxe conteste la création d'une "structure centralisée de l'Eglise catholique en Russie", personne ne fait le lien avec l'Histoire. Pourtant, on retrouve là, exactement, la préoccupation du tsarat et du régime communiste soviétique d' "isoler les catholiques vivant en Russie du Pape et de Rome". Et la préoccupation de Rome, qui est toujours la même: ouvrir les catholiques sur le monde et l'univers. Parce que la vérité et la connaissance libèrent. Même s'il faut prendre la peine et courir le danger d'enseigner, autant que d'apprendre. Et parfois, livrer combat pour porter l'enseignement et l'information à autrui.

Jean-Paul II. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

 

Pont télévisuel

Voilà pourquoi il était évident que le Pape Jean Paul II ferait une démarche par le truchement de la technique des médias, afin de contacter les siens par dessus les barrières et d'ouvrir les esprits. Ce fut le pont télévisuel du 2 mars 2002. Ce fut la même démarche que celle de l'utilisation de nos satellites de télévision dans les années 1970-80. Pour faire comprendre aux dirigeants soviétiques qu'ils devaient abandonner le brouillage des émissions occidentales. Car nous passerions par dessus les frontières.

Nos médias ont vu dans cet événement une "visite virtuelle du Pape à Moscou". Le Patriarche Alexis II y a vu une "invasion de la Rous'" (Russie en ancien russe). On parla même d'invasion polonaise! Curieusement, des journalistes russes ont mieux compris le geste du Pape que la hiérarchie orthodoxe. A moins que celle-ci ait bien compris et s'en soit indignée d'autant plus. Car, on a pu lire dans la presse de Moscou, selon des revues de presse, que le Pape catholique est un artisan de la "société ouverte". Un adepte de Karl Popper, en somme! Et qu'il finirait par ouvrir sur le monde et sur la démocratie la Russie, que le Patriarcat enferme dans un système religieux ancestral, dépendant du pouvoir séculier. Ces réflexions marginales de quelques journalistes de la capitale russe font du Pape slave de Rome un champion de l'occidentalisme en Russie. C'est un vieux débat entre slavophiles et occidentalistes, que les Russes n'en finissent pas de mener. Et la Pologne a de tous temps été l'Occident pour la Russie! Seul l'Occident la situe à l'Est.

Un signe de confiance

Mais, s'agit-il seulement de vision politique ? Le principal objectif du successeur de Saint Pierre Apôtre, au nom du Christ, n'est-il pas simplement de veiller sur les hommes? Le Père Adam Boniecki, rédacteur en chef de "Tygodnik Powszechny" de Cracovie, hebdomadaire très proche de Jean Paul II, écrit le commentaire le plus simple et le plus juste.

Père Adam Boniecki, 2004. Crédits: P. Verluise

Il replace ces événements dans le contexte pastoral catholique en Russie. Lui-même connaît la Russie, et il a séjourné dans des communautés catholiques de ce pays. Sur un immense territoire, il y a 1 300 000 catholiques, dont peu de Russes, la plupart des Polonais. Essentiellement d'anciens déportés ou leurs descendants. Le Père Adam Boniecki écrit: "Ces petites communautés, qui sont sorties des catacombes il y a dix ans à peine, quittent seulement maintenant le provisoire avec la création de ces diocèses. C'est là le motif principal de la décision prise par Jean Paul II. Le bien de l'Eglise, du peuple de Dieu dispersé sur les territoires de la Fédération de Russie: afin que les membres de ces communautés, qui rappellent souvent les premières communautés chrétiennes, sachent qu'ils sont vraiment présents dans l'Eglise. Autre chose encore. On peut voir dans le geste du Pape une faute stratégique, mais on peut aussi y voir un signe de confiance donné à l'Eglise orthodoxe: qu'elle comprendra ce souci des hommes et qu'elle n'en aura pas peur, ni qu'elle ne s'en irritera pas. Une telle attitude peut se révéler plus fructueuse à long terme que des stratégies les plus sophistiquées."

La réconciliation progresse

En effet, l'Eglise orthodoxe dans son ensemble n'a pas suivi le mouvement de méfiance d'Alexis II et du Patriarcat de Moscou. Au contraire, la réconciliation entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe de Grèce se confirme. Dès le 11 mars 2002, un mois exactement après la création des quatre diocèses catholiques en Russie, Rome a reçu la visite d'une délégation de l'Eglise orthodoxe de Grèce, conduite par le Métropolite Panteleimon d'Attique. Au grand soulagement des médias catholiques, le "climat de méfiance et de soupçon envers la chrétienté de l'Occident appartient au passé" pour les orthodoxes grecs.

Le 20 mars 2002, un évêque catholique envoyé du Pape présente à Moscou une "Encyclopédie du catholicisme". L'auteur en est même un Franciscain polonais. En réponse au représentant de la "Rome" de l'Orient grec, le Pape de la "Rome" de l'Occident latin s'adresse aussi aux prétendants à la "Troisième Rome" moscovite. Pourquoi désirer la chute de Rome ? Car il faudrait que Rome chute pour qu'une autre Rome prenne sa place. Cela n'a-t-il jamais frappé ceux qui usent volontiers de la formule ?

En répondant au Métropolite Panteleimon, le Pape Jean Paul II prend soin de préciser que pour lui, la communion "ne signifie ni absorption ni fusion, mais rencontre dans la vérité et dans l'amour." Les démarches les plus simples sont les plus difficiles. Dans les Eglises comme dans le monde.

Alexandra Viatteau

Ecrire à l'auteur : Alexandra Viatteau, cours sur la Désinformation (Journalisme européen), Université de Marne-la-Vallée, Département des Aires culturelles et politiques, Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée, Cedex 2, France.

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Date de la mise en ligne: avril 2002

 

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